La Nuit des Émeraudes

Chapitre 2 : Dans la lueur du matin — Frères

6781 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 01/10/2025 13:53

Sonic resta figé, suspendu au nouveau silence de la grotte uniquement troublé par les sons de la nature au dehors et l’écho fantôme des pas venant de fouler l’endroit. Il n’osait même plus respirer, comme si le moindre souffle ferait tout vaciller.

Puis il se retourna vers l’autre extrémité de la caverne, et son regard vert larmoyant croisa immédiatement celui violet droit de Knuckles.

Aussitôt Sonic regretta de s’être tourné et dévia les yeux vers le mur, autant de honte que de crainte à la vue de l’échidné ; même en l’ayant vu à peine une seconde, il avait très bien remarqué l’état loin d’être excellent de son grand frère adoptif à l’entrée des lieux. Il ne voudrait sûrement jamais l’admettre par pure fierté guerrière, mais Knuckles avait vraiment dégusté pendant leur combat ; Sonic était même prêt à parier qu’il allait encore pire que lui, malgré tout les coups que lui avait renvoyé son frangin.

Le hérisson se mordit la lèvre et enfonça à nouveau son visage dans la couverture poussiéreuse, tentant d’ignorer les larmes qui pointaient encore et la présence pesante de son frère n’ayant toujours ni bougé ni reprit la parole. Peut-être qu’avec un peu de chance il ne l’avait pas vraiment vu dans les ombres de la grotte et avait juste appelé au hasard, et allait finir par s’en aller s’il restait juste immobile et silencieux…

- Hérisson, c’est moi, Knuckles, ton frère aîné.

Ou pas.

Sentant malgré lui un soupir agacé face aux tics très shakespeariens de son dit "Frère aîné" s’échapper de sa truffe, le hérisson se recroquevilla néanmoins sur la couverture à son nouvel appel, refusant de lui répondre ou d’encore une fois croiser son regard, la honte serrant peu à peu sa poitrine déjà douloureuse. Pourquoi était-il venu jusqu’ici ? L’avait-il cherché, suivi à la trace, traqué ? oui, c’était probablement ça, après tout il avait déjà passé une grande partie de sa vie à le faire avant leur rencontre ; et pourquoi cette fois ? S’assurer qu’il ne revienne pas (jamais) à proximité de la maison, ne s’approche pas (plus) de leurs parents et leur petit frère pour leur faire du mal, sans doute pour le punir de ce qu’il leur avait fait à tout les cinq, après tout pourquoi se traînerait-il jusqu’ici pour autre chose, ça ne valait pas le coup sinon…

- Est-ce que tu m’entends ? Notre combat d’hier a-t-il endommagé ton ouïe ?

Quelque chose de chaud picota dans la poitrine de Sonic à ces mots teintés d’inquiétude malgré leur assurance habituelle ; mais une crainte grandissante recouvrit le sentiment en entendant le guerrier s’approcher lentement, comme précautionneux. Il trembla de plus en plus, alors que derrière lui l’échidné s’avançait à pas doux dans sa direction, élevant la voix devant le silence persistant du hérisson :

- Dois-je parler plus fort ? M’entends-tu maintenant, mon frère ?

Mon frère.

Ces deux simples mots eurent l’effet d’un électrochoc dans le corps de l’adolescent qui se figea, yeux écarquillés.

Derrière lui, l’aîné ne put voir son geste et continua sa marche lente, inspirant pour à nouveau se faire entendre de son interlocuteur quand un brusque cri déchira l’air :

- NE T’APPROCHES PAS !

Knuckles se figea à son tour, soutenant le regard terrifié de son jeune frère venant de se redresser pour le fixer par dessus son épaule, un éclat bleu électrique agitant ses iris verdoyant et parcourant brièvement sa fourrure en piètre état. Malgré leur immobilité mutuelle, l’échidné vit très clairement le hérisson trembler de tout ses membres, sans pouvoir déterminer avec certitude si cela était dû aux nombreuses plaies qu’il distinguait sur tout le corps de son cadet ou à une peur dont il ignorait, au contraire de ces tristes blessures, l’origine exacte…

Les deux frères se regardèrent ainsi un instant, comme attendant mutuellement que l’autre agisse d’abord ; Knuckles se décida le premier et se remit à avancer vers son cadet, mais les yeux déjà grands ouverts de Sonic s’écarquillèrent encore plus et un éclair illumina tout son corps alors qu’il réitéra :

- T’approches pas !

L’intéressé s’arrêta à nouveau, à la fois de stupeur et d’obéissance en se figeant dans une posture jambe à demi levée ; les deux se fixèrent encore une fois pendant un moment, avant que ce ne soit Sonic qui rompe leur contact en fixant le sol :

- …et je t’entends très bien, pas la peine de me casser les oreilles, murmura-t-il cette fois en se rallongeant pour contempler obstinément le mur.

Son aîné le considéra un instant, toujours immobile le pied en l’air en équilibre parfait grâce à des années d’entraînement rigoureux et assidus. Puis il abaissa lentement la jambe, observant depuis là où il était la silhouette bleue toute tachetée de marques rouges et brunâtres se recroquevillant loin de lui dans les ombres. Le sourcil légèrement entaillé de l’échidné se haussa un instant, avant qu’il ne fronce en étudiant avec attention les plaies qu’il pouvait voir de là où il était sur le corps blotti contre lui-même de son jeune frère. Le guerrier resta silencieux un instant, comme considérant l’état du hérisson, puis se redressa dans une pose d’assurance et déclara avec sincérité :

- Je suis rassuré de voir que tu es toujours vivant et alerte, mon frère.

Cette phrase fit comme sursauter l’intéressé, qui tourna un œil vert moiré vers lui en murmurant presque inaudible :

- …Quoi ?

- J’ai dit, je suis rassuré d—

- Non j’ai très bien compris ça ! l’interrompit aussitôt le hérisson. Je veux dire, comment tu… pourquoi tu dis ça ?

L’aîné haussa à nouveau un sourcil, avant de répondre sans hésitation :

- Nous autres échidnés disons ce que nous pensons, fit-il en portant un poing sûr à son cœur, même si Mère préfère que je garde mes pensées pour moi au lieu de les dire tout haut. Il me semblait t’avoir déjà partagé cet aspect de notre culture, mon frère ; tes souvenirs sont-ils confus à cause de notre comb—?

- Pourquoi tu t’inquiètes pour moi ?

Cette fois-ci, Knuckles fut réellement pris de court par la réponse sèche et pourtant pleine de défaite de son cadet, qui à nouveau continuait obstinément de fixer la roche devant lui. Sans pour autant abandonner la bataille, le guerrier se reprit et fit un rassurant pas en avant, une main tendue vers le jeune hérisson blessé étendu devant lui :

- Tu es mon frère, et fais partie de ma tribu ; il est naturel que je m’inquiètes à ton sujet lorsque tu es en détresse.

- Même après ce que j’ai fait hier soir ?

Oh. C’était une réponse à laquelle il ne s’attendait pas. L’échidné voulut donner une riposte à la réplique acerbe de l’adolescent, mais n’en eu pas le temps que ce dernier ajouta, levant à nouveau un œil qui commençait à briller de bleu vif :

- Après ce que moi je t’ai fait ?

- Mère a pansé mes bl—

- Ce que j’ai fait à Tails ? Ce que j’ai fait à Maman ? renchérit Sonic.

Des éclairs strièrent de plus en plus son corps meurtri ; mais il ne semblait pas le remarquer. Knuckles les vit commencer à laisser des marques noires sur la fourrure, signe que dans son état, sa propre énergie du Chaos commençait à lui faire du mal ; mais son frère semblait s’en ficher complètement. Son frère qui dans sa tirade avait commencé à se redresser, et semblait prêt à lui faire face et se mettre à hurler pour de bon ; mais soudain il s’affaissa, et sa voix ne devint plus qu’un murmure brisé :

- C-Ce que j’ai fait à… à Papa ?

Les éclats autour de lui moururent lentement, laissant l’échidné comprendre ce que son camarade pensait en ce moment même ; et surtout, de quelle terrible chose il se rappelait. Sonic était de nouveau complètement tourné vers le mur, des larmes coulant encore une fois de ses yeux tandis qu’il s’enfouissait le visage dans le drap moisi sous lui, repensant sans cesse aux horribles images de la veille ; et des conséquences qui allait en découler.

- Notre père va bien.

Ces nouveaux mots firent s’écarquiller les yeux larmoyants de Sonic ; en un hoquet presque imperceptible, il se tourna vers le jeune homme toujours derrière lui, le fixant sans cesse avec assurance et s’avançant encore un peu plus dans sa direction :

- Q-Quoi…?

- Père va bien, répéta Knuckles en insistant sur chaque mot, et n’a cessé d’être à ta recherche après ton départ précipité. Il n’est rentré qu’au petit matin et ne s’est arrêté que parce qu’il n’était plus en mesure de suivre ta trace.

Sonic trembla, détournant par réflexe son regard de celui droit de son grand frère à cette nouvelle ; et tandis qu’il avalait comme il pouvait sa salive, ce dernier poursuivit sans flancher son discours :

- Il ne voulait pas rentrer sans toi, Mère a dû le convaincre de revenir pour ne pas qu’il se perde lui aussi. Il a contacté Wade pour lancer un avis de recherche afin de te retrouver au plus vite.

Le hérisson resta un instant muet, avant de demander en tournant à peine la tête dans sa direction :

- Et toi… pourquoi tu es là…?

- Je suis moi-même parti à ta recherche, bien entendu ! Mes capacités pour suivre une piste sont bien meilleures que celles de Père ! répondit avec fierté le guerrier d’un poing frappant sa poitrine.

- …Ils sont au courant que t’es venu me chercher ? finit par articuler lentement l’adolescent, sa main se refermant subrepticement sur la couette sous lui.

- Non. Ils ne voulaient pas que moi ou Tails partions dans la nuit par peur de nous y perdre, en dépit de toute mon assurance que j’étais parfaitement capable de retrouver le chemin du retour dans le noir. J’ai dû quitter notre foyer sans les avertir ; mais j’ai pu te retrouver rapidement, mon frère.

Le plus jeune frémit encore à cette fin de phrase, puis se retourna complètement dans le matelas improvisé. Son aîné l’observa un moment sans rien dire, probablement pour le laisser encaisser les bonnes nouvelles. Puis après un temps qu’il jugea suffisant, et surtout pour ne pas en perdre davantage pour le voyage retour, l’échidné s’avança à nouveau, levant une main vers son jeune frère resté obstinément allongé sur sa couverture :

- Viens, mon frère. Rentrons chez nous, Père et Mère nous attend—

- Non.

La réponse tranchante arrêta net Knuckles dans son élan. Le silence qui s’abattit ensuite fut si pesant que même le guerrier crut avoir reçu un coup, et refusa de le laisser durer plus longtemps :

- Comment cela ?

- T’as très bien entendu, répéta platement le hérisson sans bouger.

- Ce n’est ça que je demande, mon frère, répliqua aussi vite son compagnon sourcils froncés. Que veux-tu dire par "Non" ?

- T’es aussi débile que ça ou tu t’as pris un coup sur la tête cette nuit—

- Cesse d’éviter la question, Hérisson ! le coupa sèchement Knuckles en serrant les poings à cette insulte à peine voilée. Pourquoi ce "non", ne veux-tu donc pas rentrer chez n—?

- Je peux pas retourner à la m—là-bas !

Une subite vague d’énergie électrique bleue parcourut le corps entier de l’alien (et quelques éclats s’enfuirent sur les plantes à proximité) alors qu’il disait ces mots, se redressant juste assez pour lancer des éclairs derrière son épaule à l’échidné qui recula malgré lui à ce soudain élan de détresse devant lui. Un silence pesant s’abattit sur la grotte tandis qu’aucun des deux adolescents ne détournait le regard de l’autre, par stupeur ou par colère. Knuckles vit Sonic trembler encore plus, les yeux brillant à la fois d’un fébrile éclat bleu et du poids des larmes qui s’y accumulaient, la mâchoire serrée d’une douleur qu’il était certain d’être plus physique que mentale et les épines hérissées d’elles-mêmes. Puis l’échidné détendit sa posture qu’il avait involontairement raidie par des années de réflexe guerrier, et fronça avec douceur les sourcils devant son petit frère qui arrivait à peine à soutenir son regard.

- Bien sûr que tu peux retourner chez nous, mon frère, répondit l’aîné en observant plus en détail les blessures de son frangin, je t’aiderai à marcher si c’est cela qui te…

- Je peux pas, rétorqua faiblement ce dernier en brisant enfin leur contact et se rallongeant, et j’arrive très bien à courir tout seul. Je peux pas rentrer, murmura-t-il en tournant le dos à son frère.

- Pourquoi pas ? demanda-t-il simplement, levant une main interrogatrice. Qu’est-ce qui t’empêche de rentrer ?

- T’as vraiment dû te prendre un sacré coup sur ta caboche pour avoir oublié ce que j’ai fait hier, répliqua sèchement le hérisson en se tournant à peine vers son camarade.

- Ce qui s’est passé hier est derrière nous, s’avança l’échidné avec assurance malgré un bref haussement de sourcil à cette allusion. Père, Mère et Tails attendent ton retour avec inquiétude ; ne les laissent pas dans la crainte plus lo—

- C’est pas vrai.

Knuckles s’arrêta à ces mots ; Sonic resta muet une seconde, et pendant ce bref instant son aîné crut presque qu’il allait l’accuser de mensonge, mais le hérisson déglutit de son mieux et reprit, la gorge sèche :

- C-C… C’est pas derrière nous… Ce qui s’est passé… Ça va recommencer, finit-il par articuler en tournant craintivement un œil vers son grand frère.

- Raison de plus pour que tu rentres à la maison, répondit ce dernier en avançant une main fraternelle.

- Tu veux dire "Raison de plus pour que je reste le plus loin possible de là-bas" ! répondit un peu plus brusquement le hérisson en fronçant son regard bleuissant. Ça va recommencer et-! Vous pouvez rien faire, laissez moi seul… finit-il par murmurer en se retournant vers le mur.

- Penses-tu réellement que nous allons ainsi t’abandonner ? rétorqua le guerrier en serrant son autre poing. Peu importe ce qu’il s’est passé, tu as autant que moi ta place dans notre famille ; et rien de ce qui arrivera ne—

- C’est ma faute.

Knuckles se figea net à cette réponse lourde de sens, ses iris violets s’écarquillant ; et pendant un instant, il sembla ne pas savoir quoi rétorquer. Sans le regarder, Sonic murmura encore, la voix brisée entre deux éclats de lueur bleutée dans ses iris verts :

- Ce qui s’est passé, c-c… c’était ma faute… C’est moi qui…

- Inutile de mentir ainsi, Hérisson ; je sais que tu n’es pas responsable.

Sonic se raidit, ses yeux oscillant entre l’émeraude et le bleu électrique luisant rivés sur ceux violets et certains de son aîné qui s’avançait encore.

- J’ignore ce qu’il t’est arrivé, mais je sais que tu n’es pas responsable de ce qu’il s’est passé. Tu n’étais clairement pas toi-même…

- Ah oui, merci je n’avais remarqué ! Comme si des grosses griffes géantes et des épines supplémentaires ça passait juste inaperçu !

- Arrête de me faire dire ce que je n’ai pas dit ! Tu n’étais plus toi-même lorsque nous nous sommes battus ; mais tu es revenu. Tu as retenu ton bras lorsqu’il allait frapper notre mère et notre jeune frère et tu as cessé le combat. Je ne comprends pas pourquoi c’est arrivé, mais je ne peux te reprocher des actions dont tu n’avais aucun contrôle.

Le hérisson se tut un instant, lèvres pincées, puis murmura en détournant les yeux dans le vague :

- …Qu’est-ce qui te fait dire que je n’avais pas le contrôle ?

- Je te connais, répondit sans détour le guerrier : tu es impulsif, irréfléchi, et entêté ; mais par dessus tout, tu ne ferais jamais délibérément de mal à Tails, nos parents ou à moi. La chose qui t’as possédé et poussé à attaquer n’était en aucun cas toi.

Un nouveau silence se fit, tandis que la paume de Knuckles restait tendue vers son cadet qui encore refusait de le regarder franchement. Certain de ses paroles, le guerrier fit à nouveau un pas vers son frère, main levée pour se poser sur son épaule alors qu’il concluait :

- Viens mon frère, il nous faut panser tes plaies e—

- Je peux pas rentr—Je ne rentrerais pas. Point final.

La nouvelle réponse tranchante arrêta encore l’échidné dans son élan, yeux écarquillé de stupeur, alors que Sonic persistait à fixer le vide sans oser le voir en face. Mais ce fut cette fois un agacement latent qui anima le guerrier s’avançant toujours sans failles vers son frère :

- Si, tu rentreras chez nous, mon frère. Ta place est parmi nous, fit-il en tendant à nouveau une main vers lui.

Un silence se fit encore, alors que ce dernier persistait à ne pas le regarder. Puis la tête du hérisson se tourna quelque peu, un léger éclat vert visible par dessus son épaule meurtrie.

- …Si je rentre… Je vais vous faire du mal.

- Non, Hérisson, tu—

- T’as vu ce que j’ai fait hier soir ? Ce que j’ai fait à Papa ? Ce que je t’ai fait ? Ce que j’ai failli faire à Maman et Tails ? s’écria Sonic en se redressant sur un coude, ses mains crispées sur la couverture.

L’échidné se raidit à cette phrase ; mais aussi vite, son assurance repris le dessus et n’en démordit pas :

- Tu es membre de la tribu, et par dessus tout tu es des nôtres ; nous allons t’aider, Sonic. Tu fais partie de la famille, et rien ne changera cela.

- Non. Je vais encore vous faire du mal. Vous pouvez pas m’aider. Laisse moi.

Sur ces mots qu’il voulait finaux, le hérisson jeta un regard sombre parsemé de bleu électrique au guerrier. L’échidné soutint ce regard ; puis répondit sans détours :

- Je suis venu te chercher. Je ne t’abandonnerai pas, mon frère.

- Je t’ai dit, laisse moi ! s’écria peu à peu l’adolescent en se redressant encore un peu plus, des éclairs parcourant maintenant aussi son corps blessé et la mâchoire serrée presque en un grognement.

- Non. Je refuse de partir et te laisser ici. répliqua aussi simplement l’échidné en se redressant aussi, un bref éclat rouge teintant son propre iris.

- …Alors je vais t’obliger à me laisser, dit froidement le hérisson en regardant son frangin droit dans les yeux cette fois.

Se redressant lentement sur ses poings en faisant exagérément trembler ses muscles de "colère", Sonic laissa l’énergie crépiter dans ses veines et le long de son corps en éclairs fugaces, ses iris maintenant complètement bleu luisant et moirés rivés dans ceux de son ancien ennemi sans s’en détourner une seconde. Knuckles le regarda faire, peu impressionné mais observant néanmoins d’un œil intrigué sa démonstration de force. La mâchoire serrée, l’adolescent continua ses émissions d’énergie sans quitter son frère des yeux, avant d’avaler discrètement sa salive et de déclarer, sans détours :

- Laisse moi. Va-t'en, Knuckles. Maintenant. Tout de suite.

- Ou sinon ? avança le guerrier en haussant un sourcil presque de défiance.

Le hérisson sembla presque se rétracter à cette opposition, mais ce ne fut même pas pour un très bref instant avant qu’il ne fronce encore plus les sourcils à son tour, se crispant toujours plus sur ses poings et dressé sur la couverture alors qu’il disait de toute l’assurance dont il était capable :

- Sinon je t’oblige à dégager moi-même, siffla-t-il entre ses dents serrées.

Pour toute réponse, Kuckles souffla d’un semi-amusement et incrédulité :

- Hmf ! Tu n’es pas mauvais en combat, Hérisson ; mais tes capacités à me faire "dégager" sont fortement compromises par ton état actuel, si elles subsistent seulement.

- Tu veux que je te les montre, mes capacités compromises ? rétorqua avec irritation l’intéressé alors que d’autres vagues d’énergie, plus erratiques cette fois-ci, s’agitaient sur tout son corps.

- Si tu tenais tant à me les montrer, tu l’aurais fait déjà bien avant.

- Va-t'en tout de suite Knuckles, dit encore une fois le hérisson en serrant les dents et expulsant encore plus d’étincelles à demi contrôlées. Avant que je te fasse encore mal.

À ces mots, le regard de l’échidné se fronça ; mais pas de colère ou d’agacement, plutôt de douceur alors qu’il regardait avec pitié son cadet continuer d’accumuler l’énergie en dépit de son état vraiment alarmant. Son frère semblait plutôt s’insurger de cette compassion alors qu’il agrippait si fort les couettes sous lui que ses griffes sorties en perçaient le duvet, les quelques éclairs sortant de ses paumes commençant à laisser des traces noires sentant la suie. Ignorant cette évidente tentative d’intimidation, le guerrier secoua à nouveau la tête, avança sa main fraternelle vers son jeune frère en détresse :

- Tu ne me feras pas de mal, Hérisson ; autant parce que tu n’en es maintenant pas capable que parce que ce n’est pas ton réel désir.

- Si, je veux et je vais te faire du mal. Va-t'en, Knux. Dernier avertissement.

L’échidné sembla presque hésiter à cette énième menace, les éclairs bleus semblant de plus en plus se concentrer autour du hérisson alien ; mais sa détermination resta inébranlable alors qu’il faisait un dernier pas vers son frère blessé.

- Je sais que non. Viens mon frère, rentrons chez no—

- Va-t'en je t’ai DIT ! hurla soudain Sonic en fermant ses yeux pleins de larmes qu’il voulait cacher.

Une vague électrique bleutée détona dans toute la grotte à cet appel, partant de son corps pour envahir tout l’espace alentours, s’accrochant encore à quelques aspérités avant de laisser mourir leur étincelles en un faible bruit statique. Sonic poussa un soupir épuisé après cette performance, s’affaissant malgré lui et ses tentatives d’intimidation ; rouvrant ses yeux encore luisant de bleu d’où s’étaient échappés de nouveaux traits humides sur ses joues, il jeta un œil angoissé en direction de Knuckles, pour le voir à peine un peu plus loin de là où il était auparavant, toujours debout et en posture défensive, les bras cachant son visage. Un bref instant, il releva la tête et leurs regards se croisèrent, ses yeux violets surpris plongés dans les siens bleu-vert écarquillés.

Puis le hérisson se força à froncer les sourcils et détourna aussi vite le regard, fixant obstinément le mur devant lui :

- Fiche le camp Knuckles. Avant que je recommence.

Sur ces mots, le hérisson se rallongea sur la couverture moisie, retenant très fort les larmes qui revenaient et ignorant le nœud grandissant dans sa poitrine, devenu bien plus douloureux que les blessures qui n’avaient de cesse de le tirailler. Sans rien dire, il écouta les bruits de la tanière, les résidus d’énergie du chaos mourir dans l’air et la respiration à la fois rassurante et pesante de son frère aîné derrière lui. Pendant un certain temps, ces bruits furent comme le seul silence dans la grotte.

Puis un mouvement se fit derrière lui, le son d’une semelle dans le sable rocheux de la caverne résonna, puis un autre et encore un autre, jusqu’à ce que les pas de Knuckles faisant écho dans l’espace sans jamais cesser leur rythme constant ne disparaissent peu à peu dans le lointain, hors du refuge.

Sonic était à nouveau tout seul dans sa grotte sur Terre.

Il était tout seul.

L’adolescent ne put retenir un sanglot à cette pensée, sa main aux griffes maintenant presque rétractées se serrant à nouveau sur le matelas de fortune. Il avait réussi à éloigner Knuckles (cette tête presque aussi bornée que lui) loin de là et de lui-même, le plus dur était passé, non ? Il n’avait qu’à courir le plus loin possible de là et de la maison, et tout le monde serait en sécurité ! C’était la meilleure chose à faire, pas vrai ?

Alors pourquoi il ne pouvait se résoudre à le faire ? Pourquoi restait-il sur ce vieux matelas qu’il avait chipé des hivers plus tôt à Pap—Tom et Maddie, à vouloir pleurer et disparaître dans ses vieux rembourrages pourris et ne jamais en sortir ? Pourquoi voulait-il autant rentrer chez l—Chez les Wachowski et ne plus partir alors qu’il pouvait à tout moment détruire toute la maison et s-leur famille avec ? Pourquoi voulait-il tant les mettre en danger à cause de lui, pourquoi était-il comme ça ?

Plongé dans ces pensées et dans ces larmes qu’il retenait très fort, il n’entendit le pas venir que lorsqu’il lui saisit vigoureusement le bras et le força à se retourner vers lui.

Par réflexe (et terreur qu’un ennemi précis ne soit parvenu jusqu’à lui), Sonic envoya une onde d’énergie à travers son corps ; mais cette fois-ci, l’électricité mourut à demi avant de sortir, et même avec cela leur cible reçut sans broncher leur décharge. Sentant sa vulnérabilité grandissante le hérisson arma un poing faiblard mais désespéré, ignorant de tout son être la douleur qui fusant lorsqu’il leva le bras en tentative de coup ; mais il s’arrêta presque de lui-même (et aussi stoppé par la main gantée et sûre qui l’avait touchée) en croisant le corps, ou plutôt le regard de celui qui était revenu dans la grotte.

C’était Knuckles, serrant avec force mais délicatesse son bras blessé.

Stupéfait de sa découverte, l’adolescent en resta figé, pile ce qu’il fallait à son frangin pour poursuivre son geste entamé et examiner rapidement le membre sous toutes les coutures avant d’y apposer quelque chose de vert et plat, sous le regard médusé de son cadet :

- E-E-E-eh qu’est-ce que t-hé mais-AAH ! cria soudain le jeune hérisson en sentant subitement un picotement à l’emplacement de sa plaie.

- Reste tranquille, mon frère, tu vas aggraver tes blessures, déclara simplement l’échidné en nouant le quelque chose autour de son bras.

- Mais Knux-Mais qu’est-ce que tu-Je t’avais dit de t’en aller ! protesta l’adolescent en essayant malgré la douleur de soustraire son bras aux poignes douces mais fermes de son frère. Lâche-moi—Pourquoi t’es revenu ?

- Je ne suis pas parti, je suis allé chercher de quoi te soigner, rectifia l’échidné alors que Sonic se défaisait de justesse de son emprise. Maintenant, cesse de bouger et laisse-moi faire, ou cela te fera plus mal que nécessaire.

Sur ces mots, il rattrapa fermement le bras de son frère pour y plaquer la chose dans sa main avant qu’il ne s’en aille encore.

- Mais j-AAAAÏÏE ! C’est quoi ce truc à la fin ?

- Des plantes médicinales, dit-il en montrant plusieurs grandes feuilles vertes et plates qu’il tenait dans son gant, cela protégera les plaies et atténuera peut-être la douleur.

- Mais qu’est-ce que tu fais ?

Knuckles s’arrêta un bref instant, un sourcil entaillé s’arquant en interrogation tandis qu’il regardait sans rancœur son petit frère :

- Cela n’est-il pas évident ? Je panse tes blessures.

Sonic se figea à cette réponse, laissant amplement le temps à l’échidné de finir de nouer avec un brin d’herbe la plante qu’il venait d’enrouler autour du bras de son cadet. Le hérisson tenta de trouver un contre-argument alors que son grand frère passait à une autre plaie sur sa main nue, se trouvant soudain incapable d’avaler sa salive :

- M-Mais t… Je t’avais dit de me laisser, finit-il par soupirer sans conviction en détournant les yeux.

- Et donc ? Je ne vais pas te laisser livré à toi-même sans soins alors que tu es blessé, répondit le guerrier en plaquant une feuille sur la paume écorchée de son frangin et lui octroyant un nouveau frisson de douleur. Ce serait déshonorable.

- …T… t’as pas à faire ça, je vais b—

- Bien sûr que si, déclara Knuckles en s’arrêtant un instant pour regarder Sonic droit dans les yeux. Tu es mon frère, et je dois veiller sur toi même lorsque tu refuses notre soutien.

Ces mots, et surtout cette nouvelle mention de "frère" nouèrent à nouveau la gorge de l’adolescent, mais cette fois d’une manière beaucoup plus différente ; il ne put s’empêcher d’émettre un sanglot, tremblant à nouveau devant ce frère aîné agenouillé à ses côtés et pansant ses plaies comme s’il venait juste de s’écorcher un genou sur les cailloux de la grotte. Ses yeux verts s’illuminant brièvement de bleu électrique larmoyèrent devant le regard sûr et droit du guerrier agissant avec honneur, et il eut toutes les peines du monde à ne pas laisser couler les larmes qui revenaient en force ; il voulait tant lui dire de ficher le camp, de le laisser tout seul et de rester à l’écart pour qu’il ne lui fasse pas de mal, de rassembler son énergie du chaos et la décharger sur lui pour le faire dégager et lui faire comprendre le danger.

Mais il ne fit rien. Seul, face à cet ancien ennemi qui était maintenant et pour toujours son grand frère, Sonic n’eut plus la force… non, plus la volonté de vouloir protester face à ses marques d’affection.

Il resta là en quasi-silence, détournant le regard et fermant les yeux en laissant s’échapper les quelques larmes qu’il ne pouvait (voulait ?) pas retenir, laissant son grand frère bander ses blessures et ne disant rien de plus que de rares hoquets qu’il tentait quand même d’étouffer par fierté.

Un moment passa ainsi, Sonic regardant obstinément ailleurs et Knuckles s’appliquant consciencieusement à le soigner de son mieux. De temps en temps, l’adolescent jetait un regard de plus en plus long en direction de son grand frère, observant ses gestes plus par curiosité que crainte qu’il ne lui fasses du mal, et surtout prenant pleinement compte de son état à présent ; il ne l’avait pas remarqué, tout honteux de ses précédentes actions et occupé à l’éloigner de lui, mais le guerrier semblait… en bien meilleur état que lui, malgré leur combat violent.

Une écorchure rouge bien marquée sur son sourcil gauche était en partie refermée par un stéri-strip, un autre ensemble de pansement barrant sa joue opposée par dessus une petite série d’entailles triple parallèles. Une de ses mèches-piquants était bandée près de la racine, laissant entrapercevoir une nuance violacée assez étrange sur la fourrure normalement rouge vif de l’échidné. Il y avait çà et là des bandages autour de ses bras et de son torse, que ce soit simples compresses retenues par du sparadrap ou bandes entières enroulées sur sa poitrine pleine de terre ; certains semblaient d’ailleurs comme arrachés par une course ou roulade dans la forêt boueuse. De rares bleus étaient visibles sous certains pansements de ses bras ; un sur sa jambe contrastait particulièrement avec le reste, ressemblant à s’y méprendre aux cinq longues et puissantes traces d’une poigne qui l’aurait saisie par le tibia pour le balancer à l’autre bout de la pièce…

Sonic frissonna et détourna à nouveau le regard, deux nouvelles larmes qu’il n’essaya pas de retenir quittant ses yeux alors qu’il reconnaissait les marques qu’il avait lui-même laissé sur le corps de son frère cette nuit même. Il voulait revenir en arrière et tout faire pour s’empêcher de faire ce qu’il avait fait, accepter pleinement la main tendue de son frère et s’excuser de l’avoir attaqué et d’avoir voulu le chasser ; mais les mots restèrent coincés dans sa gorge, quelque part entre la honte lui nouant la trachée et les sanglots remontant de temps à autre face aux gestes soigneux de son aîné.

Distraitement, il tourna alors son regard vers son propre corps couvert de blessures et à présent de bandages feuillus qui picotaient ses plaies comme du désinfectant ; Knuckles s’occupait principalement des plus grandes ou semblant les plus importantes, bandant les entailles et écorchures en laissant les bleus découverts, probablement parce qu’un sparadrap était moins efficace qu’un pack de glace. En fait, à bien y regarder, il y avait beaucoup plus de blessures qu’il avait pensé, sans doute oubliées ou manquées dans son agitation précédente. Cachées par les pansements qui piquaient, des plaies à la fois résultant de leur combat et de sa course (ou plutôt fuite) manifestaient toujours leur présence douloureuse sur ses membres et mains, malgré les soins de l’échidné. Le hérisson eut un mouvement de recul instinctif quand ce dernier approcha une main de sa tête, et grimaça lorsqu’il appliqua une feuille près de ses épines, sans doute sur une plaie qu’il n’avait pas vue. Il fut tenté de tâter son crâne pour détecter d’éventuelles autres blessures, mais se ravisa, trop fatigué de tout pour même essayer de vérifier son propre état. Il baissa machinalement la tête, et son regard tomba sur son corps encore à demi couvert de sang séché et de boue que Knuckles essuyait de toute plaie avant d’apposer ses feuilles bizarres.

Parmi les petites perforation et écorchures, une entaille sinueuse barrait son torse au côté droit en une lacération sinistre. Sonic déglutit en la voyant, sentant tout à coup son cœur cogner contre elle en un battement douloureux comme si sa découverte avait tout à coup activé touts les nerfs à proximité. Au même moment, Knuckles se tourna vers la plaie, et marqua une pause notable dans ses gestes ; il leva son regard violet dans celui tremblant de son frère, ses iris brillant d’une douceur inquiète alors qu’il déclarait avec compassion :

- Cette blessure sera douloureuse. Ne retiens pas tes cris, mon frère ; je ferai aussi vite que je peux.

L’adolescent pris une inspiration nerveuse à ces mots, tandis que son aîné préparait une nouvelle feuille en reportant son attention sur la longue plaie ; le hérisson s’accrocha à la couverture, ses griffes sorties d’elles-mêmes agrippant le tissu, et se prépara à ce qui allait suivre.

Un cri de douleur puissant effraya les rares oiseaux matinaux dans les arbres surplombant la grotte, avant que le silence du vent ne reprenne ses droits sur le petit matin du Montana.

Les mains crispés sur la couette et yeux fermés en réflexe, Sonic réfréna de son mieux ses nouveaux tremblements pendant que Knuckles se dépêchait de nouer le bandage de fortune au torse de son petit frère. Alors que ce dernier ravalait en plus de sa salive des larmes voulant s’échapper fortuitement, le guerrier inspecta à nouveau le corps égratigné devant lui avec attention, puis, après avoir apparemment été satisfait de son travail, essuya encore quelques traces de souillures de la fourrure bleue et ramassa les plantes restantes.

L’aîné posa alors ses deux mains sur les épaules de son petit frère, les serrant doucement ; ce geste détourna l’attention de Sonic vers lui, et tandis qu’il croisait son regard droit, il vit Knuckles le fixer avec assurance, et déclarer :

- Je rentre chez nous. Repose-toi, Hérisson ; je reviendrais plus tard m’assurer de ton état. Ne laisse rien ni personne te faire plus de mal avant mon retour, mon frère.

Et sur ces mots, il serra à nouveau les épaules de son frangin en une forte mais douce étreinte fraternelle, son éternel regard sûr de guerrier dans celui désolé du hérisson, puis relâcha son étreinte, se redressa, et tourna enfin les talons vers la sortie de la grotte.

Sonic le regarda faire sans rien dire, toujours sous le choc et l’hésitation ; une partie de lui voulut l’arrêter, lui demander de rester, ou bien s’excuser et lui dire d’arrêter d’être gentil et de se mettre enfin en colère pour ce qu’il avait fait. Mais alors qu’il restait figé, Knuckles arrêta sa marche juste avant l’entrée, une main posée contre la paroi, et se retourna une dernière fois vers son frère toujours sidéré dans son coin, ses yeux violets inquiets mais résignés :

- Je ne comprends pas pourquoi tu refuses ainsi de rentrer chez nous, Sonic ; mais j’honorerais ta décision. Je reviendrais vite ; prends soin de toi, mon frère.

Et sur ces derniers mots, Knuckles adressa un dernier regard fraternel au hérisson, hocha la tête, et disparaissant derrière les parois étroites, quitta enfin la grotte refuge de son petit frère.

Sonic était à nouveau seul dans la grotte.

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