Elixatura Consolans

Chapitre 1 : Epice and love

3972 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/08/2021 20:19

Cette fanfiction participe au défi d'écriture du forum "Philtres, élixirs et petites potions" (juin-juillet 2021)


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ELIXATURA CONSOLANS

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Laissons ce charmant traître approcher de nos bouches sa coupe où nous boirons les extases farouches

et le sombre nectar des baisers éperdus. (Victor Hugo)

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Chapitre 1 Épice and love




— Kirk à Enterprise, répondez !

Le capitaine réitéra deux fois son appel et jeta un coup d'œil contrarié à son communicateur rétif. L'appareil ne faisait qu'émettre des crachotis indistincts qui ne le renseignaient guère sur la position du vaisseau devant rejoindre l'équipe d'exploration au sol dont il faisait partie. Comme les autres officiers présents, il avait cru reconnaître la syllabe « oute » dans une réponse tronquée, ce qui pour les plus optimistes pouvait signifier qu'ils "étaient en route". Ou pas.

D'un coup d'œil rapide, il s'assura qu'il avait bien le compte de toute son équipe dépenaillée : Chekov, McCoy, Spock et un agent de sécurité nommé Stevens - tout juste rescapés d'une cavalcade éperdue sur une plage aux algues bleues traîtreusement glissantes.

Actuellement, ils reprenaient leur souffle derrière le sas hermétiquement scellé du petit avant-poste scientifique de Starfleet où ils avaient été dépêchés.

Puisqu'ils étaient désormais à l'abri à l'intérieur, Kirk enleva le bonnet humide qu'il portait et fourragea dans sa courte chevelure blonde hérissée par l'électricité statique. Les tristes conditions météorologiques avaient contraint leur petit détachement à étoffer un peu la tenue réglementaire de Starfleet.

Il plissa les yeux pour prendre connaissance des lieux. Au plafond, une veilleuse projetait une lumière jaune qui ne dissipait pas complètement l'aspect légèrement lugubre de ce petit espace sans fenêtre. En effet, l'entrée de la station de recherche était si étroite qu'on aurait plutôt dit un couloir. Bien que personne ne fut là pour les accueillir, de nombreux détails trahissaient une activité récente des occupants : des cirés étaient suspendus aux patères ; des épuisettes usées, de différentes formes, reposaient contre un mur ; et quelques caisses d'un bel orange criard s'étageaient près de trois paires de bottes avachies, à côté d'un petit banc.

— Ne restons pas là ! Nous allons nous séparer pour commencer les recherches.

Sans plus attendre, Kirk enjoignit ses hommes de remonter le couloir pour se mettre en quête des scientifiques restés muets depuis plusieurs heures, en dépit de diverses tentatives de contact.

Près de lui, Chekov grelottait. Le jeune lieutenant avait beau être un garçon brillant tout à fait apte à remplacer Spock en permission, à ce moment-là, avec ses boucles mouillées, ses lèvres bleuies et son bas de pantalon trempé, il avait seulement l'air d'un petit chiot perdu.

Tout de suite, le Dr McCoy avait jeté un regard oblique sur les paumes du jeune homme où des traces gélatineuses sombres se mêlaient aux coupures qu'il s'était faites en tombant pour échapper à la marée galopante. Le doc avait sans doute des raisons de rester vigilant : depuis sa chute, le jeune navigateur arborait un teint blafard qui ne devait pas lui plaire.

L'une des choses que James admirait le plus chez son médecin de bord, c'était qu'il ne plaisantait jamais quand l'équipage se retrouvait confronté à une menace toxique potentielle. Et dans ce domaine, "Bones" en connaissait un rayon car son capitaine aurait été un excellent sujet de thèse en matière de réactions allergiques phénoménales.

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Remontant à cinq ou six ans, la découverte de la planète Dannus IV était due à un hasard particulièrement favorable. Isolée des routes commerciales et inhabitée, elle n'aurait probablement jamais été inventoriée si un vaisseau de la Fédération n'avait eu à se mettre en orbite autour d'elle pour réparer une avarie... Presque exclusivement aquatique, elle disposait d'un climat maussade aux températures fraîches, et quasi perpétuellement voué aux embruns.

Son exubérante faune maritime en avait d'abord fait un haut lieu prisé du gratin des exobiologistes et océanographes qui s'y succédaient tous les six mois. Mais son autre attrait principal pour Starfleet résidait dans la mise à jour d'une nouvelle panacée : une algue abondante, bioluminescente, très riche en nutriments et dont les nombreuses applications pratiques allaient du gastronomique au médical.

A côté de la modeste base de recherche scientifique, était donc accolée une petite usine de traitement des algues, qui étaient collectées, séchées, broyées puis réduites en fine poudre. Et tous les mois, un cargo passait récupérer les précieuses caisses hermétiques pleines de cette « épice indigo », appellation poétique sous laquelle elle était désormais désignée par ses exploitants.

Sauf que cette fois, le cargo n'avait trouvé personne pour accuser réception de leur requête d'atterrissage. Ne pouvant rester plus de quelques dizaines de minutes à réitérer ses appels, le transporteur était reparti car il avait un circuit programmé et un horaire à tenir. Mais avant de poursuivre sa route, il avait bien entendu envoyé un rapport qui le dédouanait pour la livraison manquante.

Rapport qui avait fini par se retrouver sur le bureau de Kirk.

Tout ceci n'était nullement du ressort des missions habituelles de l'Enterprise qui se consacrait d'ordinaire à l'exploration et quelquefois à la diplomatie. Et pourtant l'amiral Fitzpatrick avait appelé directement le capitaine, en lui demandant de s'y rendre à titre de « faveur personnelle ». Conscient de sa tendance à frôler dangereusement la cour martiale pour ses initiatives indisciplinées, Jim s'était dit que ça le tirerait peut-être d'un mauvais pas ultérieur si l'amiral lui était redevable. Et voilà pourquoi il explorait cette petite installation dont l'allure rappelait les anciens modules de colonisation lunaire pré-distorsion. A bien y repenser, c'en était peut-être. Rien ne se perd.

En ce qui concernait McCoy, c'était tout différent. Le docteur avait décidé de faire partie de l'équipe, en décodant le rapport récupéré par le capitaine. Le document soulignait que le personnel de l'avant-poste s'était montré « un peu confus » durant la dernière communication. A dix contre un, il s'agissait d'un euphémisme carabiné. Avide de faire une courte pause et pas fâché de quitter le confinement du bord pour quelques heures, Leonard avait vu ça comme une escapade semi-studieuse. Pour donner à l'affaire une apparence plus légitime et parer à toute éventualité, sa conscience professionnelle et lui avaient emporté un peu de matériel médical transportable.

Pour sa part, Chekov était là parce qu'il avait saisi une chance d'aller sur le terrain, d'autant plus que Spock était en permission. Le Vulcain en permission, ça n'arrivait jamais. Et avec le téléporteur de l'Enterprise soumis à une maintenance pendant son escale, le seul moyen de descendre sur Dannus IV était d'y aller en navette. L'équipe avait donc besoin d'un pilote ; en tant que navigateur de l'Enterprise, c'était largement dans ses cordes : le jeune homme n'avait pas hésité.

Ils étaient prêts à partir quand Spock était monté à bord et avait congédié le malheureux d'un ton sec en l'informant qu'il prenait le relais. La présence inopinée de l'officier scientifique le plus gradé était parfaitement injustifiable sur une mission si simple. Kirk ne voyait qu'une seule raison pouvant expliquer la froideur plus froide et la raideur plus raide du Vulcain : une nouvelle dispute entre lui et le lieutenant Uhura.

Il n'était pas censé s'en mêler ; nonobstant, il avait usé de son autorité (et de son impatience) pour décréter que tout le monde descendait à terre, et particulièrement M. Chekov puisqu'il avait très sérieusement préparé cette mission.

Et Stevens était là parce qu'il fallait toujours un homme de la Sécurité.

Mais en fait de mission simple, quelques dizaines de minutes après avoir atterri sans encombre sur une petite dune, à quelque deux cent mètres de leur destination, ils s'étaient tous retrouvés à courir comme des dératés pour sauver leur vie. Venant de la mer, un grondement, un grincement et un tremblement s'étaient d'abord manifestés. Et puis, sans aucun signe avant-coureur, le rivage derrière eux se trouva submergé par un déferlement conséquent. Et le flot qui les talonnait enflait à vue d'œil de seconde en seconde.

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Dans la petite base totalement silencieuse, ils étaient guidés par le tricordeur de Chekov qui scannait les alentours et les dirigeait vers les signes de vie les plus proches. A ses côtés, Kirk lui demanda à voix basse :

— M. Chekov, je croyais que vous aviez vérifié les données ?

— Mais je l'ai fait, capitine ! Et je ne comprends pas… Il ne peut pas y avoir de marées, cette planète n'a pas de satellite !

Derrière eux, Spock intervint pour demander d'une voix égale :

— Et qu'en est-il des relevés sismologiques ? J'ai cru sentir un léger tremblement, compatible avec un épicentre situé à deux point soixante-quatorze kilomètres au sud.

Un peu vexé et le rose aux joues, le lieutenant s'arrêta de marcher d'un coup en obligeant les autres à faire de même.

— Nous sommes au beau milieu d'une zone continentale extrêmement stable d'après les relevés, commandeur. Les potentiels points de friction tectoniques sont à des milliers de kilomètres.

— Potentiels ? Mais n'avez-vous pas confirmé les données des capteurs par un recoupement des…

— Bien ! les coupa impatiemment le Dr McCoy. Si ça ne vous embête pas trop, pendant que vous vous chamaillez, moi je vais faire le tour pour voir si je peux trouver comment rallumer le chauffage et l'électricité. Si je dois pratiquer une opération, j'aimerais autant y voir quelque chose…

L'intervention resta sans effet, les deux autres préférant l'ignorer pour ergoter sur de stupides épicentres alors qu'ils devaient trouver trois scientifiques, un ingénieur et un ouvrier disparus, tous peut-être en danger. Par dérision et un peu pour lui-même, il ajouta avec un geste désabusé de la main :

— Et puis si je tombe sur un zombie mutant qui me saute à la gorge, je crierai pour vous prévenir avant de succomber…

Semblant enfin interloqués par sa remarque tombée du ciel, ses compagnons sursautèrent, en le considérant comme si un xénomorphe venait de jaillir sur le devant de sa tunique bleue. * Des zombies mutants ? Dans une base minuscule quasiment coupée du monde, dont les habitants vivaient en vase clos, cernés de créatures sauvages d'espèces inconnues ? Avait-il perdu la tête ? **

Ne laissant pas à Spock le temps de dire que les zombies n'étaient qu'un mythe – assertion totalement hâtive que McCoy pouvait débouter en énumérant une dizaine de créatures microscopiques exogènes, capables de parvenir à ce même résultat – Jim lui offrit un soutien inattendu en acquiesçant à cette suggestion.

— D'accord. Emmenez Stevens avec vous...

Le Docteur leva des sourcils courroucés. Il venait d'apercevoir Stevens désigné d'office déglutir et avec l'air de penser que sa compagnie pourrait être pire que celle d'un mort-vivant cannibale. Il les planta là en se dirigeant vers le prochain embranchement. Dans son dos, il entendit Jim qui finissait sa phrase :

— … même si je doute que l'éventualité d'une telle rencontre soit de l'ordre du...

Alors que ses propos se voulaient rassurants, Kirk fut malencontreusement interrompu par un long mugissement glaçant qui retentit deux fois dans le lointain. Le regard de Chekov s'agrandit d'appréhension, celui de Spock resta impassible et celui de Bones se plissa.

— Ne vous faites pas de mouron, lieutenant. Vous l'avez vu tout à l'heure, les portes sont solides et épaisses…

Spock abonda.

— Il y a d'autant moins de raisons de céder à des peurs irrationnelles qu'il s'agit évidemment du cri d'un cétacé en pleine période…

— De reproduction, finit McCoy à l'autre bout du couloir en s'arrêtant à une autre intersection de couloir. Par contre, j'ignorais que vous vous y connaissiez en baleines, commandeur.

Le Vulcain élevé dans un monde désertifié lui glissa un regard perçant mais assorti d'un sourire à peine perceptible.

— Bien moins que je ne le souhaiterais, cher docteur. Les capacités cognitives des odontocètes ne sont plus à démontrer et j'espère toujours avoir l'occasion un jour de communiquer avec des créatures intelligentes...

Kirk eut comme l'impression que Spock cherchait la bagarre. Ou il se faisait des idées ou son officier scientifique venait de placer un tacle élégant et perfide. Il considéra ses tuniques bleues à deux doigts de se lancer dans un combat de coqs sur l'exobiologie. Les mauvaises ondes semblaient régner depuis leur arrivée.

Avant de se mettre en quête du personnel de la base, il sortit son arme.

— Messieurs, venez avec moi, il y a de la lumière par là. Réglez vos phaseurs sur assommer. Spock, vous fermerez la marche.

Ils hâtèrent tous le pas dans la direction indiquée et un sourire confiant ne tarda pas à fleurir sur le visage encore un peu juvénile du capitaine.

— Tenez ! Qu'est-ce que je vous disais ? J'entends des machines en fonctionnement de ce côté…

Il ne finit pas sa phrase et pila brusquement en contemplant le spectacle sur le seuil de la pièce éclairée.

Au plafond démoli, un trou énorme béait en laissant voir le ciel. Par terre, parmi les gravats, trois hommes portant des tenues civiles détrempées, gisaient sans conscience – sans doute les chercheurs. Deux mystères venaient d'être résolus d'un coup : pourquoi on se gelait ici et pourquoi personne ne répondait à leurs appels.

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Les trois malheureux respiraient encore, quoique difficilement, leur pouls était faible et, peut-être en raison du trou au plafond, ils étaient froids… Mais le plus inquiétant, c'était les traces bleues qu'ils avaient au coin des lèvres.

— Dr McCoy, revenez vite ! appela Chekov dans le couloir pendant que les autres allaient s'agenouiller près des corps immobiles.

Le médecin de bord rappliqua au trot, son tricordeur médical déjà brandi. L'état désordonné de la pièce ralentit un peu son déplacement en raison des gobelets renversés, des feuilles tombées à terre désormais imbibées et glissantes et des éboulis du plafond.

Spock, Stevens, Chekov et Kirk reculèrent en cercle pour lui faire de la place.

Un genou à terre et concentré, le docteur passa son scanner sur les trois corps allongés, puis fronça les sourcils en consultant deux fois les relevés qui tombaient sur son petit pad. Du bout d'un doigt ganté, il leur ouvrit la bouche et remarqua la teinte foncée de leurs langues.

— Bon, il y en a trois ici mais où sont les deux autres ? demanda-t-il tout en sortant un long coton tige d'un petit étui pour faire un prélèvement buccal.

— Pas là. Doc, une idée de ce qui leur est arrivé ?

Hochant sa tête brune, le médecin ferma sa mallette et se releva en soupirant d'un air si navré et si désabusé qu'il laissa ses camarades craindre le pire. Une contagion ? Un empoisonnement de l'eau ?

— Coma éthylique, déclara-t-il. Pas étonnant qu'ils ne puissent pas répondre.

— Ils sont saouls ?

— Ronds comme des queues de pelle… Leur pronostic vital ne semble pas engagé mais ils auraient quand même dû se réveiller d'eux-mêmes au bout de quelques heures. Stevens, mettez ces gants et aidez-moi à les transporter. J'ai vu un dortoir là-bas et une petite cuisine, près de leur labo. On les dépose et puis on commence leurs analyses avec le matériel qu'ils ont. Il faut que je sache ce qu'ils ont bien pu ingurgiter.

— On peut t'aider ?

Le docteur sourit, sans doute ravi de cette offre généreuse qu'il savait d'expérience de pure forme et il en profita.

— Je pense que tu voudras plutôt voir si les communications marchent et les réparer avec Spock, si ce n'est pas le cas. Dès que j'ai fini avec ces trois-là, je m'occupe des jointures enflées de Chekov… Tenez Chekov, j'ai besoin de leurs noms et des dossiers médicaux, trouvez-moi ça...

Jim Kirk tenta de masquer son amusement en se frottant le menton. Dès qu'une situation médicale d'urgence ou suspecte se produisait, le Dr McCoy ne se privait jamais d'user de sa prérogative de commandement outrepassant celle du capitaine.

Ce dernier se tourna vers son second pour l'inviter à le suivre. Après tout, l'antenne de cette petite station était plus puissante que leurs communicateurs. Il y avait une chance de savoir si l'Enterprise était vraiment « en route » ou « dérouté ».

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Une demi-heure plus tard, quand ils revinrent enfin vers la cuisine trouver les autres avec de bonnes nouvelles, ce fut pour découvrir Chekov posé sur une chaise étroite, emmitouflé dans une couverture de survie dorée et McCoy qui pillait le contenu des placards au plastique beige pour le poser sur le plan de travail transformé en paillasse.

— Où est passé Stevens ? demanda le capitaine.

— Dans les quartiers privés où on a installé mes patients. Je leur ai administré de quoi les réveiller en douceur, on va donc peut-être avoir des réponses. Toujours pas de trace des deux autres qui manquent à l'appel ?

— Non, par contre, nous avons pu joindre l'Enterprise. Sulu a confirmé qu'ils avaient eu notre premier message mais qu'ils étaient coincés sur l'une des aires d'embarquement de la Base Stellaire 12. Une autorisation du service sanitaire manquait, et tout était bloqué en raison de la présence supposée de Tribules…

— Fan-tas-tique. Et ils arrivent quand ?

— Dans… un petit moment. Mais qu'est-ce que tu fais à t'agiter comme ça ? Qu'est-ce que tu cherches ?

— Il n'y a pas de synthétiseur ici. Je regardais s'il n'y avait pas du café soluble… ou quelque chose dans le genre pour M. Chekov et pour moi aussi. Il faut que je garde l'œil ouvert, j'ai enchaîné deux gardes hier...

— La santé du lieutenant Chekov n'est pas compromise ? questionna Spock.

— Non. Les algues de la plage sont bien à l'origine de son état fébrile et des petites boursouflures sur ses doigts, mais l'exposition a été minime. A priori, elles ont engendré chez lui une mauvaise réponse physiologique… D'ailleurs, Jim, fais-moi plaisir, n'y touche pas.

— Capitaine, peut-être devrions-nous nous mettre en quête des derniers occupants en commençant par l'usine ? proposa le Premier Officier.

Bien sûr, Spock n'aurait su se sentir coupable d'avoir blessé le jeune lieutenant, ni de s'être défoulé sur lui en raison d'une frustration personnelle car c'était non-vulcain.

— Certainement, mais si je pouvais prendre une boisson chaude avant de ressortir moi aussi…

— Puis-je partir en avant et vous me rejoindrez ?

— Spock, votre stoïcisme n'est pas de mise. Vos lèvres sont vraiment très… magenta.

Spock leva un sourcil, s'efforçant à dix contre un de considérer qu'une remarque de son capitaine sur la couleur de ses lèvres n'était pas déplacée mais rien qu'une marque de sollicitude. Sans cesser de faire l'inventaire de l'épicerie, McCoy le rassura.

— Ça va aller pour lui, Jim. Je l'ai déjà vu dans un plus sale état. Il ne faut s'inquiéter que si elles virent au jaune...

La dignité du Vulcain en fut légèrement égratignée. Il n'aimait pas se souvenir que le docteur avait été le témoin de sa vulnérabilité, lors d'une mission où il avait manqué de mourir des suites d'une blessure à l'abdomen… *** Le médecin chef lui jeta justement un coup d'œil pour juger de l'effet de sa réplique tout en continuant son manège.

Il secoua une boîte en fer, mit le nez dessus et la referma aussitôt avec une grimace, en la repoussant loin sur le plan de travail. Il éternua avant de s'excuser.

— Mais puisqu'on parle de couleur bizarre, tu as vu leur langue très foncée ? Ceux qui consomment régulièrement cette épice comme assaisonnement n'ont pas rapporté cela… Je cherche si le personnel d'ici aurait pu consommer une version plus brute du produit, ou des feuilles séchées infusées en tisane, ou un petit ratafia distillé maison... Et si cette piste ne mène nulle part, il va falloir tester tout le frigo illico, et peut-être même tout aliment sec dans un paquet entamé… J'ai bien fait de venir, moi...

— Je comprends tes inquiétudes, mais sauf erreur, l'épice indigo est passée par des dizaines de validations avant d'être mise sur le marché et autorisée à circuler dans la Fédération…

— D'accord. Mais tant que je serai le médecin en charge, et que je ne serai pas certain de ce qu'ils ont avalé sans avoir à les faire vomir, tout ce qui est ingestible devra être considéré comme suspicieux.

Face à l'opiniâtreté de l'officier médical drapé de sa tunique bleue et de son autorité incontestable, le capitaine ne jugea pas bon de discuter davantage. Il annonça qu'il allait plutôt fouiller le complexe avec l'homme de la sécurité, arguant que Spock serait plus utile en apportant son concours sur les analyses.

— Et je ne toucherai à rien ! promit-il en sortant, un petit sourire aux lèvres.

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Après une courte visite de dix minutes à ses patients assez conscients pour soutenir une conversation, McCoy avait l'intention de gagner le petit labo, mais il s'arrêta net sur le seuil de la cuisine face à la vision qui s'offrait à lui.

Absolument pas en train de travailler, Spock était attablé devant une boîte en plastique, plongeant avidement sa fourchette dans une mixture peu ragoûtante qu'il avalait les yeux fermés, mâchant avec rien moins qu'un plaisir évident. Le docteur en resta bouche bée quelques secondes avant de s'exclamer :

— Mais… Spock ! Qu'est-ce que vous faites ? Vous mangez les indices ?

L'interpellé s'arrêta brusquement, comme surpris d'avoir été surpris, puis il reposa sa fourchette en se recomposant une façade conforme à celle de toujours. Cette gloutonnerie invraisemblable n'était pas de bon augure. Pour ce qu'il en savait, chez les Vulcains, le plaisir n'était jamais autorisé ou bien il pliait sous le poids de contraintes inconcevables pour un Terrien.

— Docteur, vos « indices » s'avèrent être une fricassée de mollusques au beurre rhombolien. Un plat typique très fin et extrêmement rare, étant donné le manque d'étendues maritimes sur Vulcain. Ma mère me le servait lors de mon anniversaire et à moins de tenter de le préparer moi-même, il était hautement improbable que j'aie l'occasion de le savourer à nouveau.

Bien qu'ému par un comportement aussi « normal », McCoy espéra qu'il resterait un échantillon à étudier... Des bruits de pas et de conversation résonnèrent dans le boyau qui conduisait jusqu'à la cuisine.

— ...la seule conclusion logique qui pourrait l'expliquer, poursuivait Spock en biglant sur le reste de la gamelle, c'est qu'il y a ici un survivant vulcain.

Conduits par un Kirk guilleret, les explorateurs de nouvelles usines étranges étaient de retour. Quand ils débouchèrent dans la petite pièce, le capitaine qui avait entendu la fin de la phrase, le contredit d'une réplique théâtrale :

— Non M. Spock. Pas vulcain : romulien !

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Notes de l'auteur

* Toute allusion à une scène du film Alien serait purement volontaire.

** Allusion au film fantastique et horrifique The Thing, de John Carpenter.

*** Cf. Star Trek Beyond, bien sûr.


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