Le Dernier Fantôme

Chapitre 1 : L'Élu

2506 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/01/2023 21:05

Obi Wan Kenobi observait silencieusement ce gamin blondinet que feu son maître, Qui-Gon Jinn, avait identifié comme étant l'Élu de la Prophétie. Rien que ça, songeait-il. Un tel pouvoir pouvait-il réellement être renfermé dans un corps aussi frêle ? Cela lui semblait absurde...


Ils se trouvaient à bord d'un vaisseau Naboo qui les ramenait sur Coruscant, au Temple Jedi. La terrible bataille contre le Vice-Roi venait de s'achever dans la victoire, la victoire venait d'être célébrée, la célébration s'était conclue sur l'incinération rituelle du Jedi tombé, sacrifié pour la république et la paix, Qui-Gon. Tout s'était enchaîné si vite. Obi Wan sentait encore ses oreilles bourdonner : jamais auparavant il n'était passé aussi près des griffes de la mort, jamais auparavant il ne s'était confronté à un Sith – en réalité, tout comme aucun Jedi depuis des siècles. Ses muscles étaient encore tétanisés, mais il avait chassé toute trace de peur de son esprit, comme on le lui avait appris. Un Jedi ne souffrait pas, ou bien souffrait en silence. De toutes manières, ses propres états émotionnels lui importaient peu.


Cet enfant... Yoda avait dit qu'il était dangereux, devant tout le Conseil. Obi Wan n'osait pas s'opposer au grand Maître, mais... Qui-Gon avait souhaité former l'enfant. Devait-il honorer cet engagement coûte que coûte ? Ne serait-il pas plus raisonnable d'obéir, pour une fois, aveuglément au Conseil, étant donné l'étendue potentielle des risques ?


Si ce que Yoda affirmait était vrai – mais il pouvait se tromper, non ? – alors l'enfant était doté d'un pouvoir capable de rétablir l'équilibre dans la Force. Obi Wan fronça les sourcils, pensif : cette histoire d'équilibre ne lui revenait pas... Les seigneurs Sith étaient censés s'être éteints, non ? Pourtant, il en avait croisé un, ce qui, des dires du Maître, signifiait qu'un autre errait en pleine nature. Si l'enfant rétablissait l'équilibre... cela ne résulterait-il pas sur un affrontement entre Sith et Jedi, en une guerre qui aboutirait à une annihilation totale et irréversible des deux Ordres ? La Galaxie était trop étroite pour permettre une cohabitation pacifique entre Sith et Jedi : si quelqu'un souhaitait rééquilibrer la Force, il devrait détruire tous ses utilisateurs, sans exception, car c'étaient eux qui causaient le déséquilibre.


Non, cette pensée était absurde. Le rôle des Jedi était de canaliser la Force conformément aux lois de la nature, tandis que les Sith profitaient de son pouvoir pour donner naissance à des abominations. Une Galaxie peuplée de Jedi et dépourvue de Sith était équilibrée. Le rôle de l'Élu devait certainement être de purger le monde des Seigneurs Noirs.


Et pourtant... Il suffirait qu'un seul Jedi « tombe », se pervertisse, succombe à la tentation du côté obscur, pour que le chaos renaisse. La situation demeurait instable et risquée, même après une extermination hypothétique de tous les Sith. Obi Wan frissonna à cette pensée ; chaque chevalier Jedi était comme un flacon de nitroglycérine : il suffisait d'une seule secousse un peu trop violente, d'un seul choc, pour que tout explose, que tout soit détruit. Plus un homme détenait de pouvoir, plus il était dangereux, c'était mathématique : la Galaxie ne serait réellement en sécurité que s'il ne subsistait plus aucun utilisateur de la Force.


Qu'en était-il de lui-même ? Il s'interrogeait rarement sur sa propre condition, mais voilà que la curiosité le piquait au vif : après ce qui s'était produit ces derniers jours, était-il encore sain, était-il digne d'être un Jedi ?


Il avait regardé Qui-Gon mourir, impuissant. Il l'avait fixé droit dans les yeux au moment où il s'était effondré, transpercé par le sabre de ce diable cornu : qu'avait-il lu dans son regard ? La mort. La résignation. Rien de plus.


Le jeune homme ferma les yeux en crispant les paupières et se recroquevilla un peu sur lui-même. À part Anakin et un droïde éteint dans un coin, il était seul dans la cabine. On avait supposé qu'il avait besoin de solitude et de repos après tous ces événements traumatisants. Ils avaient sans doute raison de penser cela, toute compagnie lui aurait été insupportable en cet instant. Il ne comprenait pas ce qui le retenait de hurler, de hurler contre les meubles, les murs, l'univers. Son accès de désespoir était si brusque qu'il n'avait même pas su esquisser une barrière de défense mentale. Il prit soudainement peur de lui-même : était-il en train de devenir un Sith ? Il avait soif de vengeance, il aspirait de toute son âme à punir tous ces lâches qui les avaient envoyés, Qui-Gon et lui, sur cette maudite planète pour s'y faire embrocher vifs par un Sith surentrainé au combat – sans parler de l'armée de droïdes des Séparatistes.


Sans émettre le moindre son malgré sa tempête intérieure, le jeune homme se recroquevilla encore davantage, sa colonne vertébrale parcourue d'un frisson. Que lui arrivait-il ? Toutes ces années durant... toutes ces années d'entrainement passées à apprendre à ne rien laisser s'emparer de lui... Il aurait compris ces émotions chez n'importe quel autre homme, il aurait pris pitié de n'importe quelle autre créature confrontée à cette situation... sauf que lui n'était pas n'importe qui : il était un Jedi. En échange de son pouvoir, il avait l'obligation de renoncer à toute forme de mal de l'âme. Sinon, il était conscient que son pouvoir le consumerait.


Il serra fort ses paupières comme pour empêcher les larmes qui se formaient dans ses yeux de couler. Ce n'étaient pas que des larmes de tristesse et de douleur : certaines avaient l'arrière-goût de la rage et de l'amertume. Obi Wan décida de se couper de la Force du mieux qu'il pouvait, pour emprisonner ses émotions en lui et ne pas contaminer l'énergie pure puisée par les membres de son Ordre. C'était la seule solution s'il espérait pouvoir pleurer...


OoOoO


Cela faisait près d'une semaine qu'ils étaient rentrés au Temple. Ces derniers jours, Obi Wan passait son temps à la bibliothèque, noyant son chagrin dans la connaissance.


Il avait eu l'occasion de rediscuter avec maître Yoda au sujet de Skywalker : le sage Jedi ne lui avait fait part que de sombres doutes qu'il avait au sujet de l'entrainement du novice – entrainement qu'Obi Wan subissait presque malgré lui. L'inquiétude le rongeait, malgré tous ses efforts désespérés pour la réprimer : en prenant soin de ce gamin, ne mettait-il pas en danger l'équilibre dans la Force et l'Ordre Jedi – sa famille ? Certes, la Prophétie disait que le garçon ramènerait l'Équilibre – quoi que ce mot pût vouloir dire – mais si ces événements devaient réellement s'avérer bénéfiques, pourquoi maître Yoda et maître Windu – les deux maîtres les plus sages du Temple – se montraient-ils si réticents à l'idée d'en faire son Padawan ? Ou alors... était-ce lui, le problème ? Peut-être n'était-il pas fait pour former l'Élu – c'était certainement le cas d'ailleurs, il n'avait rien d'exceptionnel, il ne comprenait toujours pas pourquoi on l'avait choisi, lui ! Son maître, Qui-Gon, aurait dû se charger de cette tâche si épineuse ! Lui avait seulement été au mauvais endroit au mauvais moment...


Les livres d'histoire au sujet des prédictions n'auguraient rien de bon : souvent, les événements décrits par les prophéties n'étaient que des conséquences directes d'actes faits en pleine connaissance de cause de ces mêmes prophéties, dans l'optique de les éviter ou de les accomplir. Il semblait bien que, quoi qu'il fasse, il n'aurait jamais aucun contrôle sur l'avènement de l'Élu – si Anakin en était bien un. Pourquoi la Force confiait-elle un si grand pouvoir à un être aussi impulsif, borné, inconscient ? Pourquoi à un jeune esclave qui avait tant souffert, qui était en manque évident d'affection – affection qu'Obi Wan se savait incapable de lui procurer ? Pourquoi pas plutôt à quelqu'un comme Yoda – sage, ancien, maître de soi et de ses émotions ?


Obi Wan parvenait déjà à entrapercevoir le destin de l'enfant qu'on lui avait si soudainement confié : il n'allait jamais pleinement apprendre à demeurer calme et patient, il n'allait jamais parvenir à se tempérer, à réprimer ses émotions – même les plus violentes ; malgré sa puissance incontestable sur un plan purement physique, il serait extrêmement fragile et influençable ; tôt ou tard, il deviendrait un danger pour l'ensemble des Jedi, tôt ou tard les coutumes strictes et rigides de l'Ordre dans lequel on venait de l'introduire finiraient par causer son explosion intérieure, sa folie, sa perte. Kenobi était beaucoup de choses, mais certainement pas un idiot : il arrivait à comprendre les gens – et même occasionnellement à les manipuler – et savait d'instinct quand quelque chose n'allait pas ; pas besoin d'être un devin pour constater que toute cette histoire avait de fortes chances de se finir dans un bain de sang.


Certes, s'il avait parlé de ses propres appréhensions à Qui-Gon, ce dernier lui aurait sans doute reproché son manque de foi en l'enfant et l'aurait exhorté à garder espoir : oui, l'enfant était loin d'être parfait, mais il possédait déjà énormément de qualités – le courage, la force morale, la curiosité, la gaité, l'optimisme et une profonde bonté un peu naïve qu'Obi Wan avait perçue dès leur première rencontre et qui l'avait rassuré quant à la nature véritable d'Anakin – des qualités bien sûr très précieuses et absolument essentielles pour un Jedi valeureux. Cependant, Obi Wan avait également conscience que cela ne suffirait pas : à moins d'un miracle, il doutait fort que le petit Skywalker change drastiquement de tempérament et devienne subitement calme, docile et réfléchi. Son impulsivité et son dédain pour l'ordre et l'obéissance lui paraissaient parfaitement incompatibles avec la formation classique des chevaliers Jedi. Et lui-même se savait trop subtil, trop conciliant, trop souple dans ses méthodes – en un mot, trop faible – pour se montrer capable de brimer une telle volonté, de bâter une telle fierté. Anakin n'avait pas été placé entre de bonnes mains. Et personne d'autre ne voulait le former : tous avaient trop peur, personne ne se pensait être à la hauteur – des pensées qu'Obi Wan partageait pleinement avec eux, sauf que lui n'avait pas eu le choix.


Mais alors, que faire de ce pouvoir ? Ce potentiel immense, dont les conséquences se répercuteraient sur toute la Galaxie ? On ne pouvait pas simplement relâcher le gamin dans la nature, il risquait de tomber entre de mauvaises mains – sans compter le fait que les Jedi étaient désormais sa seule famille ! Obi Wan craignait trop d'échouer dans son rôle de maître, et les autres se montraient trop lâches pour tenter de le soulager de ce fardeau. Le jeune homme avait essayé de se confier à maître Windu, mais ce dernier n'avait pas eu l'air de comprendre ses appréhensions et lui avait seulement conseillé d'aller méditer. Pourquoi semblaient-ils tous si aveugles, pourquoi personne ne paraissait-il prendre ces enjeux d'une ampleur galactique au sérieux ? Obi Wan – et encore moins ce pauvre Anakin – n'avaient jamais demandé à être chargés de si lourdes responsabilités ! La moindre erreur pourrait causer la perte de tout...


OoOoO


Cette situation d'incertitude finit par devenir intolérable à Kenobi. Environ trois mois s'étaient désormais écoulés depuis sa première rencontre avec Skywalker, et le moins qu'on pût dire, c'était que le gamin s'était beaucoup attaché au jeune homme malgré les distances que ce dernier s'efforçait de maintenir. Un peu à la manière d'un poussin qui considère le premier être vivant qu'il voit comme sa mère, Anakin voyait en Obi Wan un grand frère ou un père de substitution. Le jeune Jedi s'en sentait à la fois ému et embarrassé, tant cette sensation était nouvelle pour lui : il ne se sentait toujours pas digne de s'occuper de l'Élu, mais il tenait malgré tout à lui – malgré toutes les bonnes raisons qu'il avait pour se montrer le plus froid possible avec cet enfant qu'il ne pouvait pas former. Les émotions d'Anakin se manifestaient avec une intensité bien trop élevée pour que cela pût être gérable, même avec la méditation ; Obi Wan voyait jour après jours toute son analyse des premiers jours d'entrainement confirmée : Anakin ne deviendrait jamais un élément fiable de l'Ordre, malgré tous ses efforts pour améliorer sa maîtrise de la Force. Son tempérament était un obstacle insurmontable : malgré toute sa puissance, il serait toujours le maillon faible de l'Ordre des chevaliers Jedi, celui par lequel la destruction et le chaos pourraient s'inviter parmi eux.


Kenobi n'avait pas cessé ses recherches dans les livres d'histoire, et écumait à présent les rayons consacrés aux sombres débuts de l'ère des seigneurs Sith. Ce deuxième Ordre, corrompu, vicieux, abominable, était né d'émotions bestiales et d'ambitions démesurées ; ses abjects disciples ne recherchaient que la puissance dans la Force et ne s'attelaient qu'à repousser de plus en plus loin les limites naturelles et saines que la moralité imposait d'ordinaire à tout être vivant de la Galaxie. Bien qu'il parvînt à les comprendre et même à ressentir de la peine pour eux, Obi Wan ne voyait en eux que des créatures égarées et perverties par la souffrance et la solitude, dont les actes contre-nature ne leur faisaient mériter qu'un juste châtiment.


Et pourtant...


Certains de leurs contes anciens attirèrent tout particulièrement son attention : ceux au sujet de Sith dont la puissance s'était avérée telle que même leurs semblables les avaient reniés. Le plus célèbre était sans doute le redouté Darth Plagueis, assassiné par son propre apprenti après avoir défié la mort elle-même ; mais d'autres histoires semblables existaient, aux quatre coins de la Galaxie, et portaient en elles toujours ce même message : les êtres trop puissants, ceux que la Force avait trop gâtés à la naissance, représentaient indéniablement un danger, une menace pour l'univers, que même les Sith dans leur orgueil démesuré ne pouvaient ignorer.


La chose était limpide pour Obi Wan : le pouvoir d'Anakin nécessitait d'être contrôlé, et Anakin n'y parviendrait jamais de lui-même, même avec toute l'aide du monde. En revanche, si ce pouvoir était acquis par un être, un réceptacle capable de gérer ses émotions, capable de comprendre le monde et conscient de ses limites...


Mais non, c'était une idée stupide.

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