Les Cendres du Phénix

Chapitre 9

2996 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 05/02/2017 22:53

Berceau de l'espèce humaine, Coruscant était depuis des millénaires le centre du pouvoir galactique. Son visage avait bien changé depuis ses origines. Ses forêts tropicales, ses plaines fertiles et ses vastes océans n'existaient plus que dans de poussiéreux traités d'archéologie. La terraformation systématique conjuguée à une urbanisation débridée avait transfiguré cet astre tellurique somme toute quelconque, en une mégalopole tentaculaire à l'échelle planétaire – stade ultime de l'uniformisation prônée par les gouvernements successifs et les puissants intérêts marchands, jamais très éloignés.


Toutes les langues, idiomes et dialectes disparurent au profit du basic. Les traditions locales dépérirent, et avec elles les cultures, les idées, les pensées même. C'est dans cet inexorable mouvement global que fut introduite la régulation du climat. Une mesure parmi tant d'autres. Officiellement, il s'agissait de contrecarrer le réchauffement climatique et de réduire à néant les catastrophes naturelles comme les ouragans, les tornades ou les tsunamis d’autant plus meurtriers que la population était extrêmement dense. Officieusement, ce fut fait tout simplement parce que c'était possible. Rien ne devait arrêter ni même ralentir la marche du progrès à l'époque où la République en était encore capable.


Au quotidien, pour les citadins ordinaires, cette régulation du climat était bien pratique. Plus besoin de vêtements chauds, plus besoin de parapluies ni d'imperméables, ou si rarement. Plus besoin de bulletins météo. Le confort et l'insouciance pour un coût en apparence modique : dire adieu au printemps, à l'été, à l'automne et à l'hiver. Une bagatelle.


En cette après-midi ensoleillée, semblable à tant d'autres, la douceur régulée régnait à la surface homogène de la ville-planète où les rayons du soleil caressaient le toit des bâtiments à perte de vue. Seul un triangle d'obscurité dénotait au milieu de cette urbanisation triomphante. Une ombre acérée s'était installée au-dessus des quartiers du Sénat. Elle grandissait, dévorant chaque parcelle de lumière, jusqu'à plonger la Grande Allée qui menait au Sénat dans une pénombre froide. Un continent d'acier écrasait de toute sa masse les environs.


Fer-de-lance de la Marine impériale, le croiseur interstellaire était le symbole de la puissance militaire de l'Empire. La seule vision de cette dague géante flottant dans les airs suffisait à rappeler aux sceptiques, s'il en restait, sa sinistre réputation.


Quelques milliers de sénateurs se tenaient devant le Sénat en ordre dispersé, comme prêts à fuir à la moindre occasion. Dans des tenues d'apparat ternes et flétries, ils avaient la tête baissée et le regard vide de ceux qui avaient rendu les armes depuis trop longtemps. Nul doute que la plupart d'entre eux auraient accepté le projet de restructuration du Sénat proposé par l'Empereur.


C'est alors qu'une navette de classe lambda d'un blanc immaculé sortit de la soute du navire, flanquée de deux chasseurs TIE/Ln aux sons stridents. Elle décrivit une ample parabole avant de se poser lentement sur le parvis. La passerelle arrière de la navette se déploya pour entrer en contact avec le sol dans un sourd fracas métallique. Un officier en uniforme kaki apparut accompagné d'une douzaine de stormtroopers qui avançaient bruyamment en cadence.


Légèrement en retrait par rapport aux autres sénateurs, Bail Organa était assis sur un aérosiège qui flottait à quelques centimètres du sol. Les précieuses étoffes de ses vêtements aux tons crémeux, d'où émanait le délicat parfum insouciant des plaines d'Aldérande, dissimulaient ses innombrables cicatrices. Le souvenir de l'attentat du spatioport était encore très prégnant, tant dans son esprit que dans sa chair. Cependant, ni cela, ni le bruit des bottes qui ne l'enchantait guère, n'auraient pu altérer la jubilation intérieure qui l'animait à cet instant.


« Curieux qu'ils nous les livrent aussi tôt », murmura avec une pointe de méfiance la voix d'une femme qui continuait de fixer le cortège.


Dans une longue tenue claire alliant élégance et sobriété, la chevelure courte et dorée, Mon Mothma, radieuse tel un ange gardien, se dressait aux côtés de Bail.


« Cela nous laissera plus de temps pour les étudier. » Bail articulait du mieux qu'il le pouvait malgré sa mâchoire encore douloureuse.


« C'est tout de même beaucoup trop facile, ne trouves-tu pas ? »


Alors que Bail préparait une réponse diplomatique, une troisième personne s'invita dans la conversation.


« Excusez-moi, mais pourquoi toute cette sécurité ? Qu'amènent-ils ? »


La blancheur virginale de la longue robe protocolaire que portait Leia faisait ressortir le carmin de ses lèvres pleines de promesses. Sa chevelure d'un brun soyeux formait une longue tresse issue de trois entrelacements qui descendaient en méandres le long de ses courbes voluptueuses jusqu'en bas du dos. Seuls ses yeux grands ouverts, pétillants de curiosité, guettant le moindre détail, cadraient encore avec le souvenir de la petite fille que Leia avait toujours été pour Bail. Le comble de l'amour n'est-il pas d'accepter que ceux qui nous sont chers nous échappent ?


« Les Forces Armées nous livrent leurs comptes, aspirante-sénatrice. »


Leia ne s'offusqua pas le moins du monde du ton formel de son père à son encontre. Après tout, ici même, ils étaient collègues. Jusque là intimidée par le décorum, elle se sentait gagner en confiance à chaque minute qui passait.


« Palpatine se serait-il souvenu que le Sénat à un droit de regard sur la comptabilité impériale ? » lança-t-elle d’un ton à la limite du sarcasme.


D’un geste de la main, le sénateur pria sa fille de parler moins fort.


« Non... »


« Cela nous rendrait au moins utiles... » Au grand dam de Bail, Mon Mothma elle aussi s'y mettait.


Le Vice-Roi lui jeta un regard du coin de l’œil.


« Sénatrice, ne seriez-vous pas d'humeur taquine ? » 


« Je vérifiais juste si ton sens de l'humour ne s’était pas dissout dans la cuve à bacta. »


Bail ne put s'empêcher de réprimer un léger sourire.


« Hmmm... On y était tranquille au moins. » Alors que les stormtroopers s'approchaient de la porte principale du Sénat, accompagné d'un gardien qui les guidait, Bail se retourna vers Leia. « Nous avons obtenu ces documents dans le cadre d'une commission d'enquête. »


« Sur la base de quelles justifications ? Selon l'article LX.144, seule une unanimité en assemblée plénière peut permettre la mise sur pied d'une telle commission. »


« Je vois que vous avez démarré votre formation sur les chapeaux de roue. »


« C'est que j'apprends avec les meilleurs. » Leia fit un clin d'œil à Mon Mothma qui secoua de la tête d'un air amusé.


« Le budget de l'Empire est fortement déficitaire depuis de nombreuses années déjà et ne cesse de s’accentuer », commença à expliquer le sénateur. « Les Forces Armées sont le premier poste de dépense, avec une part dépassant les 50 %, soit plus de 4000 octillions de crédits. Que faire en de telles circonstances, mademoiselle ? »


« Hmmm... Je dirais qu'il est urgent de trouver des sources d'économies ? »


« Exact. C'est le but de la commission d'enquête. Et personne ne peut décemment s'y opposer. Pas même l'Empereur. »


« Mais il n'était sans doute pas nécessaire de mobiliser un croiseur, des chasseurs TIE et une escouade de stormtroopers pour nous livrer ces comptes. »


« Je crains que vous ne vous mépreniez, aspirante-sénatrice. Que contiennent réellement ces documents ? »


« Hmmm... Des chiffres ? »


« Voyons, vous êtes est capable de mieux... »


Il faisait nuit en plein jour. Sous l'ombre épaisse du croiseur, le thermomètre avait dégringolé. Un léger frisson de crainte et d'excitation parcourut Leia. Quels secrets pouvaient contenir des kilomètres d’additions et de soustractions ?


« Grâce à la comptabilité, il est possible de connaître l'ensemble des fournisseurs et des prestataires », dit-elle hésitante.


« Cela pourrait être utile pour découvrir le qui. Mais est-ce vraiment le plus intéressant ? »


« Il y a le montant de chaque dépense, évidemment... » Leia réfléchissait à voix haute, l'index posé sur son menton. « Leur fréquence, leur récurrence. Il devient alors possible en faisant appel à des algorithmes de classification et de regroupement de connaître l'ensemble des projets de l'Empire et l'endroit où ils sont développés. » Pendant qu’elle écarquillait les yeux, elle se rendait compte des implications de ses propres paroles.


Imperceptiblement, Bail hocha de la tête.


« Cette commission est bien plus qu'une simple aide du Sénat pour redresser l'économie impériale. »


« L'Empereur est-il au courant ? »


« Comment pourrait-il ne pas l'être ? Mais pour le moment, le Sénat nous protège. Pour le moment... »


***


La passerelle du Souverain, alors coutumière des nuits froides du cosmos, baignait dans la lumière chaude de Coruscant. Le duracier régnait en maître dans le centre de commandement du croiseur interstellaire du Grand Moff Tarkin où seul l'écho des divers instruments électroniques venait troubler le silence de l'ordre et de la discipline.


La large baie iridescente qui donnait sur le Sénat était un long pavage de trapèzes en transparacier disposés en quinconce et séparés entre eux par une épaisse armature métallique.


La topologie des lieux se pliait aux exigences de la hiérarchie. Alors que les officiers supérieurs allaient et venaient librement sur le niveau principal, les sans-grades et subalternes étaient quant à eux relégués au niveau inférieur. Entassés dans deux fosses d'équipage encastrées de part et d'autre du passage central, la douzaine d'opérateurs, les yeux rivés sur leur pupitre, ingurgitaient sans discontinuer le flot intarissable de données. Parmi eux, un adjudant à la mine patibulaire déambulait tel un contremaître épiant le moindre signe de relâchement ou d'inattention.


Deux individus immobiles se tenaient devant la baie vitrée. Les bras croisés, tels des rapaces hauts perchés, ils observaient de loin la cérémonie de remise des comptes.


L'homme aux cheveux grisonnants avait l'air songeur. Comme si un doute, aussi minuscule fût-il, commençait à saper sa montagne de certitudes.


Un reflet sur la vitre s'immisça dans son champ de vision. L'ombre d'une ombre se tenait à ses côtés. Une personne ou plutôt une machine, nul ne savait vraiment. L'âme damnée de Palpatine occupait une place à part dans l'organigramme impérial. Opérant seul la plupart du temps, ne rendant de comptes qu'à l'Empereur en personne, derrière ce masque de duracier et d'obsidienne et sous son imposante armure biomécanique, qui était-il vraiment ? Il y avait bien des rumeurs à son sujet. Mais rares étaient ceux qui avaient eu le courage d'en parler ouvertement. Le caractère ombrageux et impitoyable de Dark Vador, ce n'était pas une rumeur, mais une réalité. Néanmoins, cela n'empêchait pas Tarkin d'avoir sa petite idée.


Le brusque coulissement étouffé de la porte d'accès à la passerelle, accompagné du bruit mat de bottes sur la plateforme qui s'approchait, sortit Tarkin de ses réflexions.


Un officier aux cheveux blancs, à la moustache soignée, tenait sous son bras un databloc. Sa démarche stricte et guindée rappelait irrésistiblement celle d'un droïde de protocole. Une fois face à Tarkin, il se racla la gorge tout en se raidissant davantage.


« Grand Moff Tarkin, Seigneur Vador... » dit Wullf Yularen, main sur la tempe comme l'exigeaient les usages militaires. Puis, hésitant légèrement, il jeta un œil par-dessus l'épaule du maître des lieux à travers la baie vitrée. Au loin, l'escorte de stormtroopers s'apprêtait à cet instant à pénétrer dans le bâtiment du Sénat. « Peut-être aurions-nous mieux fait de temporiser avant de leur livrer les comptes ? C'eût été plus prudent... si je puis me permettre bien sûr. »


« Inutile d'éveiller le moindre soupçon, monsieur le Directeur Adjoint », asséna Tarkin. « N'est-ce pas votre service qui m'a assuré qu'il était improbable que le Sénat puisse tirer quoi que ce soit d'important de ces documents ? »


« Improbable ne signifie pas impossible, sauf votre respect », dit le nouvel arrivant dont la diction surannée amplifiait un ton mal assuré.


La position de Wullf Yularen au sein du Bureau pour la Sécurité Impériale, branche du Comité pour la Préservation du Nouvel Ordre, était tout à fait enviable. En tant que Directeur Adjoint, il avait accès à tous les dossiers, y comprit ceux classés top secret, disposait d'une large autonomie, et encadrait de nombreux agents impériaux sur le terrain. Malgré cela et d’éloquents états de service durant la Guerre des Clones, il souffrait d'un éternel complexe d'infériorité qui faisait de lui avant tout un exécutant plutôt qu'un donneur d'ordres. En cela, Tarkin l'appréciait.


« Si je ne vous connaissais pas, je dirais que vous jouez sur les mots. »


« Je ne me permettrais jamais, Grand Moff », s'empressa de dire le Directeur Adjoint dont les mains commençaient à devenir moites.


« Des dispositions ont été prises, n'est-ce pas ? »


« Affirmatif. » Yularen pianota sur son databloc et aussitôt un hologramme en jaillit. Un polyèdre allongé taillé comme une émeraude brillait dans un halo bleuté. « Un, les données ne sont pas duplicables, car stockées sur du cristal quantique. Cela interdit virtuellement tout accès non autorisé aussi bien en lecture qu'en écriture. »


Il marqua une brève pause, appuya sur une touche et un nouvel hologramme fut projeté. La représentation du bâtiment du Sénat pivotait lentement sur elle-même tout en grossissant jusqu'à se focaliser sur une pièce en particulier.


« Deux, l'analyse des données s'effectuera dans une salle isolée. Nous en avons fait une condition sine qua non. Elle est hautement sécurisée et est interdite aux droïdes analystes. Seuls des calculateurs sommaires y ont été installés. »


Yularen s'apprêtait à appuyer sur la même touche que précédemment pour afficher un troisième hologramme, mais se ravisa au dernier moment. Il se contenta d'éteindre son databloc.


« Enfin, trois, le projet DS-1 a été divisé en de multiples sous-projets totalement indépendants les uns des autres. » Sa voix avait baissé d'un cran. « Pour brouiller au maximum les pistes, nous avons ajouté des projets fictifs afin de mener d'éventuels enquêteurs trop curieux dans une impasse. En théorie, il faudrait des décennies pour recouper toutes les informations entre elles. Mais nous ne sommes pas à l'abri d'une faille. »


« Quel genre de faille ? » demanda Tarkin d’un ton égal.


« Hmmm... disons que dans le cas tout à fait hypothétique où la commission d'enquête sait précisément quoi chercher, et bien, le risque de compromission pourrait devenir non négligeable. » À ces mots, le flegme apparent de Tarkin s'évanouit brutalement. Les traits de son visage se durcirent et ses yeux fixèrent intensément le Directeur Adjoint. Ce dernier déglutit. « Euh... Mais rassurez-vous, nos renseignements affirment que le Sénat ne se doute de rien », balbutia-t-il.


Un silence pesant s'installa à travers la salle. Yularen pouvait entendre les battements de son coeur et sa respiration anormalement bruyante. Cette respiration qu’il entendait, ce n’était pas la sienne, se rendit-il compte, mais celle du Seigneur Noir dont le mutisme ne le rassurait guère. Le front du Directeur Adjoint commençait à perler. Les quelques secondes durant lesquelles il se faisait dévisager par Tarkin s'éternisèrent. Finalement, ce dernier reprit la parole dans une décontraction feinte.


« Bien. M'avez-vous apporté les informations que j'avais demandées ? »


« Mais certainement ». Le Directeur Adjoint tendit son databloc à Tarkin en s'efforçant de contenir ses tremblements. « Toutes les informations concernant l'enquête en cours sur l'attentat du spatioport sont consignées à l'intérieur. Aucune revendication jusqu'à présent. Nous pensons qu'il s'agit de la Rébellion, mais nous ne parvenons pas à expliquer la présence du sénateur Organa parmi les victimes. »


« Vous seriez bien avisé de trouver au plus vite. L’Empereur s’est publiquement engagé à mettre la main sur les coupables. »


« Tout notre service est mobilisé sur cette affaire. »


« L’échec n’est pas une option. Vous pouvez disposer, Directeur Adjoint. »


Le vieil officier inclina la tête puis se retira sans perdre de temps. À peine la porte coulissante se referma-t-elle sur ses pas qu'une voix d'outre-tombe amplifiée électroniquement se fit entendre.


« La menace sur les comptes est réelle », dit le Seigneur Sith, le regard toujours rivé sur l'extérieur.


« Vous avez parfaitement raison, Seigneur Vador. Je me méfie tout autant que vous des dispositions prises par le Bureau de la Sécurité Impériale. Un repaire d'incompétents. C'est pourquoi j'ai prévu une sorte de... garde-fou... »


***


Un fusil de précision posé sur le rebord du toit d'un gratte-ciel pointait en direction d'une assemblée de sénateurs. Au milieu du viseur de sa lunette, il pouvait distinguer, assis sur un aérosiège, un homme au visage couvert de cicatrices portant un bouc au menton.


« Bail… » dit une voix synthétique.


Le vent soufflait fort à cette altitude. Les innombrables petites lanières qui recouvraient la tunique du sniper tremblaient sous les rafales, tout comme l'image à travers son viseur. Tout le contraire de ce qui lui servait de visage. Un masque d'argent surmonté d'un casque conique conférait à l'ensemble l'esthétique d'une statue.


La mire resta de longues minutes fixée sur le sénateur d'Aldérande avant de s'envoler vers le croiseur interstellaire qui surplombait les environs. Le chasseur de primes chercha la tour principale du navire, puis la baie de la passerelle. Le zoom au maximum, deux petites silhouettes se tenaient debout.


« La partie continue. »

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