Les Cendres du Phénix

Chapitre 8

3013 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 19/01/2017 20:09

La fin d'après-midi sur Coruscant s'assombrissait. Les stratocumulus commençaient à se former par petits troupeaux tandis que l'atmosphère se chargeait subrepticement de cette douce odeur d'ozone. Elle ne provenait pas d'un quelconque orage en préparation, mais bien de l'ionisation des molécules d'air par les moteurs de speeders. La circulation, qui n'était plus qu'un embouteillage monstre, dessinait dans un ciel bourdonnant une myriade de filaments étirant leurs interminables arabesques à perte de vue. C'était l'heure de pointe.

Sur la principale voie aérienne totalement congestionnée qui menait au Centre Hospitalier du Sénat Galactique, la sirène assourdissante d'une aéro-ambulance tentait de se frayer son chemin au milieu de cette transhumance quotidienne qui traversait une forêt de tours grisâtres et de gratte-ciels interminables en permabéton. Sur Coruscant, même le ciel n'était pas une limite.

Accrochés aux façades, les innombrables panneaux holographiques géants vantaient tantôt les mérites du dernier modèle de motospeeder, tantôt la nouvelle gélule amincissante aux nanonutriments.

Tout à coup, les écrans s'éteignirent simultanément et un vent glacial balaya tout le quartier d'est en ouest. Une chape de plomb tomba sur la ville. Une silhouette au teint blafard, recouverte d'un long manteau sombre à capuche venait d’y apparaître. L'Empereur Palpatine s'adressait à ses sujets.

 

« Une immense tragédie vient de se produire au cœur de notre Empire Galactique ».

 

Dans l'aéro-ambulance qui poursuivait éperdument sa route, un corps ensanglanté et couvert de brûlures se tenait immobile sur une civière. La lumière électrique était pâle. Il faisait froid. Dans cet espace confiné à peine plus grand qu'un cercueil, sur le moniteur médicalisé à proximité, défilaient en continu une série de courbes et de chiffres abscons pour le profane. Les faibles sons aigus émis par le dispositif ne décomptaient pas les secondes, mais les battements d'un cœur en sursis.

De part et d'autre de la civière se tenaient deux droïdes. Le premier, un modèle 2-1B à l'aspect humanoïde, injecta en intraveineuse une forte dose de nullicaïne, puissant antalgique, à l'aide d'une seringue intégrée à sa main gauche. Le second, un assistant modèle FX-9, muni de trois paires de bras articulés, mit l'individu inconscient sous assistance respiratoire.

 

« Des terroristes, soi-disant rebelles, viennent de commettre l’irréparable en tuant lâchement des hommes, des femmes et des enfants par centaines au spatioport de Coruscant ».

 

Chaque seconde était précieuse. Le véhicule, de nature prioritaire, décrocha et quitta la voie aérienne surchargée pour plonger dans les bas-fonds de la ville-planète.

Dans l'habitacle métallique, les secousses firent trembler les instruments, les droïdes, et jusqu’à la lumière qui vacilla un bref instant.

Sur une peau rouge vif par endroits, brunâtre à d'autres, le 2-1B appliqua un gel épais et translucide pour protéger l'épiderme, mais aussi le désinfecter et en favoriser la régénération. Pendant ce temps, trois faisceaux laser bleus verticaux balayaient méticuleusement une plaie béante à l'abdomen pour tenter de résorber l'hémorragie. Mais bien d'autres plaies recouvraient le corps qui se vidait lentement de son sang. Pour compenser, l'assistant FX-9 installa quant à lui une perfusion de plasma synthétique, faute de mieux.

 

« Cet attentat est plus qu’une contestation de notre Nouvel Ordre. Cet attentat est plus qu'un acte de terreur. Cet attentat, c'est un acte de guerre ».

 

Longeant la façade d’un gratte-ciel, l'aéro-ambulance traversa une des multiples silhouettes holographiques qui étaient projetées partout en simultané sur Coruscant, puis tourna brusquement à 90 degrés à l'angle de ce bâtiment.

Au bout d'une interminable avenue bordée par d'innombrables tours stratosphériques, un édifice singulier émergea. Il ressemblait à une sorte de pyramide d'un blanc éclatant à base carrée et dont le sommet était tronqué. Ses dimensions, difficiles à juger à cause de la perspective, laissaient tout de même à penser qu'elles devaient être conséquentes, y compris pour les standards de Coruscant.

Pendant que l'aéro-ambulance se précipitait vers le Centre Hospitalier du Sénat Galactique, l'état du patient qu’elle transportait se faisait chaque minute plus critique.

 

« Gardien de votre sécurité, je serai impitoyable. Les responsables et leurs complices seront pourchassés sans relâche jusqu’au fin fond de la Galaxie ».

 

Les signaux sonores s'intensifièrent et les courbes sur le moniteur s'affolèrent. La fréquence cardiaque se mit à varier dangereusement, passant à tour de rôle des valeurs excessives de la tachycardie à celles insuffisantes de la bradycardie. Le cœur était en train de lâcher. Le droïde médical s'arma d'un pistolet muni d'une épaisse aiguille qu'il planta aussitôt dans la poitrine. Appuyant sur la gâchette, le pistolet défibrillateur envoya une puissante impulsion électrique directement dans le cœur. Le corps fut pris de violents spasmes. Seules de solides attaches qui le retenaient fermement l'empêchèrent de tomber de la civière.

Le cœur continuait à battre de façon chaotique et le bruit pourtant électroniquement amplifié des pulsations devenait inaudible. Le teint du patient était blême. Quelques secondes passèrent, puis le droïde envoya une nouvelle décharge.

 

« Car dorénavant, quiconque ne sera pas avec l'Empire... sera contre lui ».

 

***

 

Dans une pièce à l’éclairage tamisé et à l’atmosphère aseptisée, des voyants lumineux clignotaient dans la pénombre. Un droïde médical 2-1B qui pianotait en silence sur une console, se retourna pour se diriger vers une grande cuve verticale à taille humaine et aux parois transparentes. Un individu, en partie dévêtu, recouvert de cicatrices et muni d'un masque respiratoire y était immergé. Les yeux fermés, il semblait dormir.

Au beau milieu, assise sur un fauteuil, une jeune fille portant une queue de cheval se tenait presque prostrée, la tête entre ses deux mains. Ses larmes avaient séché, mais son regard fixant le sol restait absent.

Derrière elle, une porte coulissa pour livrer passage à une quadragénaire, aux courts cheveux roux doré, revêtue d'un ample costume blanc et immaculé qui touchait presque terre. Extirpée de ses pensées, Leia faillit sursauter, puis commença à se lever de son fauteuil en signe de respect. Mais d'un geste de la main, Mon Mothma l'en dissuada. Ce n'était pas en sénatrice qu'elle venait, mais en amie.

« Je viens de parler au responsable du service et il me dit que ton père est hors de danger dorénavant. »

Malgré cette bonne nouvelle, les traits de la jeune fille restaient tendus et ses épaules crispées. Mon Mothma, aux yeux d'un bleu océan cernés par la fatigue et l'inquiétude passée, alla s'asseoir dans un fauteuil libre à côté de la demoiselle et lui tendit un gobelet en plastène.

« Tiens, prends ça. Je me suis dit que ça te ferait du bien. C'est du chocolat chaud synthétisé. J’ai eu beau chercher, mais je n'ai rien trouvé de mieux à l'étage. »

Leia la remercia, saisit le gobelet qui était encore tiède et en but une gorgée. Ça n'avait pas vraiment le goût doux et sucré du chocolat, mais à cet instant elle s’en contenterait.

« Il nous reste à attendre les examens complémentaires afin de savoir quand Bail pourra sortir de l'hôpital » ajouta Mon Mothma.

Le droïde médecin qui consultait les principaux paramètres sur le moniteur de contrôle de la cuve se retourna alors.

« Excusez-moi de m’immiscer dans votre conversation, mais les fonctions vitales étant stabilisées, d'après mes calculs, il sera remis sur pied dans environ deux jours le temps que le bacta fasse son effet. »

Fabriqué quasi exclusivement sur la planète Thyferra, le bacta était sans aucun conteste l'un des produits les plus précieux de la Galaxie. Ses capacités régénératives étaient prodigieuses. Il avait totalement révolutionné le traitement des blessures depuis quatre mille ans au point que cette substance gélatineuse et translucide était devenue incontournable, à condition d'en avoir les moyens. Car malgré l'apparente concurrence acharnée que semblaient se livrer la Zaltin et la Xucphra Corporation pour le leadership de sa production, elles s'entendaient en coulisses sur les prix du bacta afin de les maintenir à un niveau très élevé. Certains imputaient la stagnation des progrès en médecine à ce duopole très influent qui passait son temps à dissuader les biologistes de mener à bien leurs recherches. Selon les rumeurs les plus folles, ces deux sociétés seraient même à l’origine de la fermeture les usines de clonage de Kamino qui menaçaient à terme l'hégémonie du bacta. Finalement, seule la cybernétique promue par le tout-puissant lobby militaro-industriel avait su tirer son épingle du jeu.

Après avoir énuméré divers résultats d'analyses tous plus cryptiques les uns que les autres, le droïde médical retourna vaquer à ses occupations de surveillance.

« Ton père ira mieux très prochainement. Et d’après ce que je sais, il pourra très vite recommencer à terroriser tes petits copains », ajouta Mon Mothma pour détendre l’atmosphère.

En guise de réponse, Leia se contenta d'un léger sourire à peine forcé, tout en finissant de boire son chocolat chaud. C’est alors qu’avec délicatesse, les doigts fins et parfaitement manucurés de la sénatrice de Chandrila remirent en place une mèche ébouriffée de la coiffure de la princesse avant de poursuivre.

« Tu as bien grandi depuis notre dernière rencontre. Tu es devenue une belle jeune femme à présent. Dire que je t'ai connu tout bébé... »

En entendant ces paroles, Leia se redressa subitement dans son fauteuil puis se tourna vers son aînée, le regard avide.

« Avez-vous connu mes parents ?... Mon vrai père et ma vraie mère ?... »

Mon Mothma hésita un bref instant. Elle n'avait pas vraiment prévu d'aborder une telle question en de telles circonstances, mais devina que l’éventualité de la mort de Bail avait poussé la jeune fille à réfléchir sur ses origines.

« En toute sincérité, je ne sais rien de tes parents biologiques. Bail n'a jamais évoqué ce sujet avec moi, et bien entendu, je ne lui ai jamais posé la question. Cela allait de soi. Tout ce que je peux te dire, c'est qu'ils auraient été très fiers de toi, tout comme le sont tes parents adoptifs », répondit-elle avec bienveillance en lui pressant légèrement la main pour la rassurer.

Leia détacha le nœud de sa queue de cheval pour laisser retomber sa belle chevelure châtain sur ses épaules. Les longues mèches qui flottaient souplement autour de son visage marqué par l'inquiétude venaient de dissiper son aspect juvénile. Puis elle s'enfonça profondément dans son fauteuil et fixa le plafond.

« Parfois, quand je suis seule, des souvenirs me reviennent », dit-elle d’un ton plus lointain. « Toujours les mêmes en fait. Des sensations, des images, fugaces et vaporeuses comme des nuages. Je vois une femme. Elle est très belle, aimante, mais si triste en même temps... J'ai l'impression de la connaître... de l'avoir toujours connue ». Leia marqua un silence, visiblement troublée, avant de reprendre dans un murmure. « Mais elle pourrait n'être que le fruit de mon imagination après tout. Des souvenirs fantômes, ça existe, paraît-il. Peut-être que je deviens simplement folle ».

Mon Mothma secoua la tête lentement. Elle ne pouvait pas lui permettre de croire cela.

« Qui sait de quelles ressources dispose l’amour d’une mère ? Tu es remarquablement intelligente, mais parfois, il faut aussi écouter son instinct et laisser parler son cœur ». Elle qui n'avait jamais eu d'enfant devinait cependant parfaitement les sentiments partagés de Leia qui n'avait jamais connu ses vrais parents. D’une certaine manière, un manque les rapprochait.

« Serait-ce donc là votre premier cours de politique, madame la Sénatrice ? »

« Ce serait merveilleux si la politique pouvait se résumer à cela, n'est-ce pas ? » plaisanta Mon Mothma avant de reprendre son sérieux. « Mais hélas, la réalité se révèle souvent plus dure et plus violente que ce qu'on imaginait au départ. » Elle marqua une petite pause pensive où la préoccupation affleura sur son visage pendant qu’elle réajustait inconsciemment le tissu ample de sa manche. « J’aurais préféré que ton retour sur Coruscant se fasse dans des circonstances plus plaisantes, toutefois. »

« Vous n'y pouviez rien... Ni personne d’ailleurs... » répliqua Leia en haussant des épaules. « Mais les Rebelles sont-ils vraiment les responsables de cet attentat, comme l'affirme Palpatine dans son discours ? »

« Les Rebelles... Voilà un mot bien pratique qui englobe des réalités très diverses en fait. Dans la mesure où tu es venue sur Coruscant pour démarrer ta formation de sénatrice, je ne saurais trop te conseiller de ne jamais ouvertement mettre en doute la version officielle. Même si tu n'en penses pas moins. Ça, c'est ma première leçon de politique, ma chère. »

Leia hocha la tête silencieusement, les yeux toujours mi-clos, perdus dans la contemplation réticente de son avenir.

« Je ne sais pas si j'arriverai un jour à être sénatrice comme mon père. Servir un dictateur que personne n'aime au fond, comment l’acceptez-vous ? »

« Il existe un vieil adage en politique. Garde tes amis près de toi, et tes ennemis davantage encore. »

« Leçon gratuite numéro deux ? »

« À toi d'en juger. Ce serait plutôt une leçon de ton père à dire vrai et que l'Empereur lui-même ne désapprouverait pas », répondit la sénatrice. « Au Sénat, Bail reste l'un des derniers à se battre malgré les risques que cela comporte. Les idées qu’il défend sont devenues dangereuses. »

« Des idées que vous partagez, n'est-ce pas ? »

« Ton père a toujours su convaincre les autres. À sa façon, c'est un homme extraordinaire ». Mon inclina presque timidement de la tête et sentit son pouls battre plus fort.

« Je vois… Pour vous, Bail est un homme extraordinaire... » répéta Leia pour elle-même avec une petite lueur amusée dans ses yeux noisette.

« Je voulais dire que ton père est un sénateur extraordinaire... oui, uniquement en tant que sénateur... » tenta de se justifier maladroitement Mon Mothma qui ne savait plus quoi faire de ses deux mains.

Néanmoins, à sa moue dubitative, il était évident que la jeune fille n’était pas dupe. Heureusement, l’héritière des Organa avait trop confiance en l’amour profond qui unissait ses parents adoptifs pour éprouver de la jalousie ou de la défiance. Ce n’était de toute façon ni le lieu ni le moment. Au contraire, elle éprouvait même un peu de pitié et de compassion pour cette dame dont la tristesse sous-jacente n’était finalement pas que celle des sages.

« Je comprends mieux... Mon père a de la chance de vous connaître… Vous êtes également une femme extraordinaire… »

Leia n'eut pas le temps de voir son interlocutrice rougir que la porte s'ouvrit. Un individu de grande taille, recouvert de poils roux et muni de cornes enroulées autour des oreilles fit irruption.

« Princesse, j'ai votre mère en holocommunication. Elle souhaiterait avoir de vos nouvelles. Pourriez-vous venir quelques instants, je vous prie ? » l’invita Gurney.

La jeune femme, quelque peu frustrée par cette interruption, se leva pour lui emboîter le pas tout en se tournant vers Mon Mothma qui avait su se recomposer une expression neutre.

« J’ai hâte de reprendre cette fascinante conversation si riche en enseignements… En attendant, je compte sur vous pour veiller sur cet homme extraordinaire, Mon ! » ajouta-t-elle avec une légère impertinence.

Feignant d'ignorer le sourire en coin de la jeune femme, Mon Mothma se contenta d’un gracieux petit salut de la main, toute troublée qu'elle était intérieurement. Elle qui avait refoulé ses sentiments depuis tant d’années, voilà qu’ils revenaient au galop.

Une fois seule, elle se leva puis s'approcha de la cuve à bacta dans laquelle sommeillait profondément Bail parmi des colonnes filiformes de bulles remontant à la surface. Elle contempla longuement le visage encore meurtri. Puis elle posa à plat sa main sur la paroi, et la fit lentement glisser comme pour le caresser à distance. Les légères traces de buée rémanente disparurent peu de temps après. Comme si le passé se dérobait face au présent.

Elle fit quelques pas pour se rendre au balcon attenant à la chambre. La ville-planète semblait paisible. Le ciel encore nuageux par endroits laissait place à un crépuscule couleur vanille presque onirique, où le soleil était ébloui par sa propre diffraction.

« Regarde. C'est le ciel de notre jeunesse, Bail. Celui où nous refaisions le monde à la sortie des cours à l'Université. Dire que nous pensions pouvoir changer la République, la rendre meilleure ! Nous étions encore naïfs à l'époque... Je me souviens que tu étais toujours le premier aux examens. Le meilleur en tout. Faire partie du premier cercle du major de la promotion et futur époux de la Reine d'Aldérande… Ah ! Je dois dire que cela flattait mon égo. En tout cas au début. Car ma vanité s'est vite muée en admiration, et mon admiration en... autre chose. »

Une légère brise chaude vint caresser le visage de Mon Mothma qui ferma les yeux comme pour s'évader de la pesante réalité du moment. Ses paupières brillaient d’une humidité naissante. Certaines personnes étaient douées pour le bonheur. Elle n'en faisait pas partie.

« Dans une autre vie, m'aurais-tu aimée ? »

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