Les Cendres du Phénix

Chapitre 7

3724 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 19/01/2017 20:08

Une main immobile, recouverte d’un filet sombre qui s’écoulait goutte à goutte, se détachait d'un amas de débris calcinés, de tôles froissées et de barres métalliques tordues. Une pince motorisée en duracier souleva péniblement un conteneur déchiqueté, puis un autre, pour mettre à jour un spectacle morbide. Un corps ensanglanté gisait paisiblement sous les décombres. Au-dessus de ce visage fermé au teint légèrement basané, les particules de cendres incandescentes crépitaient dans une atmosphère saturée de fumée noire. Tout semblait si calme.

Des ombres humaines s'approchèrent sans bruit. Murmuraient-elles ? Leurs lèvres bougeaient, mais rien n'en sortait. La plus menue des silhouettes se baissa, s'agenouilla, puis ferma les yeux. Sur son visage ruisselait à torrent la tristesse d'une enfant.

 

***

 

Tout avait commencé dans un lieu sombre et glacial. Au milieu d’autres cadrans, un petit écran rectangulaire affichait quatre chiffres en bâtonnets d'un rouge luminescent. Toutes les secondes, accompagnée d'un léger bip sonore, une séquence décroissante s'égrenait :

 

05:00... 04:59...

 

***

 

« Nous voilà enfin arrivés ! Je n'arrive pas à comprendre comment tu fais pour apprécier ces voyages interstellaires. » Un droïde doré à la démarche saccadée, descendit la rampe du Tantive IV en compagnie de R2-D2 qui sifflotait. « Garder les senseurs en alerte ? Mais c'est inutile, voyons », répliqua C-3PO avec son habituelle condescendance envers son ami. « Le spatioport de Coruscant est un lieu parfaitement sûr. Allez, suis-moi au lieu de te donner des grands airs, nous devons trouver le bureau des douanes pour les formalités administratives. »

« C-3PO et R2-D2, tâchez de ne pas perdre de temps. Vu le trafic qu'il y a aujourd'hui, j'ai peur que le personnel du spatioport ne soit déjà débordé. »

« Comptez sur nous messire Organa. Nous serons sortis de ce spatioport en moins de temps qu'il en faut pour le dire. » C-3PO se pencha aussitôt sur son petit compagnon mécanique. « Tu as entendu notre maître ? Alors, dérouille tes roulettes et accélère, R2. Si nous perdons du temps, ce sera de ta faute ! »

Le duo de droïdes s'éloigna lentement du Tantive IV en essayant de se faufiler au milieu de la cohorte de voyageurs aux mines absentes et ternes. Tous marchaient, amorphes, presque en cadence, les oreilles vissées à leur communicateur et les yeux rivés sur leur databloc. Le hangar 84 du secteur ouest était pourtant plein de monde, à en craquer. Mais il semblait tellement vide en même temps. Vide de vie et vide de sens. La tranquillité contre la liberté, l'ordre contre la joie de vivre, rien n'était gratuit. Il était facile de blâmer l'Empire et Palpatine, se dit Bail. Mais il savait qu'au fond, tout un chacun avait souhaité, espéré, cette situation, lui y compris. Dans ses dernières heures, l'Ancienne République n'était pas belle à voir. La bureaucratie tentaculaire et pesante avait remplacé le civisme et l'administration, et la corruption profonde et galopante avait pris le pas sur les débats et les négociations. Plus d'un honnête homme avait prié pour la chute de ce régime pourtant plurimillénaire, et le Nouvel Ordre proposé par Palpatine avait toutes les apparences d'une solution, sinon la seule. L'innocence n'était plus de ce monde et la culpabilité s'était peu à peu transformée en résignation. Mais à cette dernière, Bail ne pouvait se résoudre.

Cependant, avant toute chose, il devait chasser cette migraine qui lui taraudait le crâne, symptomatique du mal de l'hyperespace. En effet, il n'était pas ce qu'on pouvait appeler un grand voyageur et encore moins un aventurier. Il ne s'en était jamais caché. Il avait volontiers laissé les joies du décalage horaire transplanétaire et des escapades lointaines aux Jedi, quand ils existaient encore. Après s'être frotté la base du nez pour évacuer la douleur lancinante dans sa tête, il tenta de soulever une caisse contenant des bagages du Tantive IV, mais faillit chanceler.

« Laissez-nous faire. Vous devriez faire appel au droïde médical, Vice-Roi. »

Même après des années et des années au service auprès de la famille Organa, Gurney ne s'était jamais fait à l'idée d'appeler son employeur par son prénom. Ce dernier avait pourtant essayé de convaincre l'ancien mercenaire à de multiples occasions, mais c'était peine perdue.

« Ça devrait passer », répondit Bail en grimaçant légèrement. Moins il voyait de droïdes médicaux, mieux il se portait, enfin, une fois que sa migraine aurait disparu. Gurney, dont le pelage roux s'était hérissé à cause de l'électricité statique omniprésente dans le spatioport, s'approcha pour soulager Bail en empoignant la caisse lourde et volumineuse que tenait fébrilement le sénateur entre ses mains. Bail était définitivement plus doué pour les activités intellectuelles.

 

02:51... 02:50...

 

« Salutations Sénateur Organa. » Un officier impérial à l'uniforme grisâtre et monochrome venait d'accoster Bail presque surpris. C'était un homme de petite taille, grassouillet, le crâne dégarni. Un rapide coup d’œil à la plaque de grade accrochée bien en évidence en haut de sa veste permit à Bail de déduire qu'il avait affaire à un simple caporal. « Quelle est cette... chose ? » L'officier, droit comme un i, dévisageait plein de morgue, la créature velue munie de cornes enroulées autour de ses oreilles qui se dressait devant lui. Le Jézarien, soucieux de ne pas causer de tort à Bail, indiqua poliment qu'il était sur le point de partir.

« Bien... Il me faut procéder à l'examen complet de votre vaisseau. Simple opération de routine. Je vous prierai simplement de rester avec nous pendant ce temps », ajouta l’officier.

Bail se retint de son mieux, mais ne put réprimer un soupir.

« Puis-je me permettre de vous rappeler qu'il s'agit d'un vaisseau plénipotentiaire ? Rien ne vous autorise à le fouiller. J'ai en outre un agenda particulièrement chargé. » Il aurait voulu ajouter qu'il n'était pas d'humeur et qu'il avait mal au crâne lorsqu'au même moment, son communicateur se mit à sonner. Il l'alluma. C’était Mon Mothma qui venait aux nouvelles. « Ah, c'est toi, Mon. Je suis encore sur la piste d’atterrissage en compagnie d'un sympathique officier de la sécurité. Mais je pense ne pas en avoir pour longtemps. À tout de suite. » Bail raccrocha tout en prenant soin de jeter un regard appuyé à l'officier à ses côtés.

« Navré de ce contretemps. Tout le monde est pressé. Je sais bien. Mais c’est une directive du Grand Moff Tarkin », l’informa-t-il en projetant un texte holographique depuis son databloc. « Tous les vaisseaux, sans exception, arrivant sur Coruscant, doivent désormais se plier à une fouille approfondie. C'est une mesure de sécurité... Pour notre bien à tous face à la montée du terrorisme. Les Rebelles, j'espère qu’eux, vous en avez entendu parler au moins. Nous avons eu une alerte à la bombe pas plus tard qu'hier. »

« Bien sûr... »

 

02:06... 02:05...

 

« Toutes les issues de ce spatioport sont surveillées avec la plus grande vigilance. Personne ne peut entrer ou sortir sans que nous ne sachions ce qu'il transporte. »

« Du moment qu'on peut en sortir... » ironisa Bail.

« Quoiqu'il en soit, je savais que je pouvais compter sur votre coopération. Bienvenue sur Coruscant, Sénateur. » Le caporal fit un signe de la main à quatre agents de sécurité à proximité qui aussitôt montèrent à bord du Tantive IV. L'un d'entre eux tenait une sorte de détecteur monté sur une tige télescopique, et sur celle-ci, au niveau de la poignée, un cadran numérique émettait des bips sonores à intervalles réguliers. Les trois autres agents quant à eux poussaient de lourds caissons métalliques d'un noir brillant contenant le matériel pour l'inspection.

Pendant que l'officier passait tranquillement en revue ses notes sur son databloc, Bail s'adressa au personnel du Tantive IV qui avait terminé de décharger les bagages.

« Pas la peine de m'attendre. Nos deux droïdes sont en train de s'occuper des formalités administratives. Une fois l'inspection terminée, je vous rejoindrai au hall d'accueil du spatioport. De toute façon, je suis en bonne compagnie. »


L'insignifiant caporal ne put même pas profiter de cette petite pique, puisqu'il venait de rejoindre son personnel de fouille à bord du Tantive IV.


Alors que Leia s’éloignaient en compagnie de son maître d'armes, Bail interpella sa fille en agitant de la main.


« Leia ! Désolé pour tout à l’heure. Je ne voulais pas te vexer. J’étais concentré sur mon travail. Avec Mon Mothma, nous devions... »


« Pas la peine de vous justifier, père », interrompit la demoiselle. « Vous ne pouvez pas tout me dire, c’est bien normal. J’ai mal réagi et c’est ma faute. » D'un sourire narquois, elle envoya un clin d’œil à Bail avant de se fondre dans la foule avec Gurney.


Encore une belle occasion manquée de se dire les choses, songea-t-il en soupirant. Bien qu’au milieu de plusieurs milliers de passagers, finalement, Bail se retrouvait seul.


 

01:38... 01:37...

 

« N'avance pas si vite R2 ! Tu risquerais de te perdre. »

R2-D2 répliqua par quelques sifflements électroniques légèrement désabusés.

« Nous y voilà presque. » C-3PO désignait du bras une large baie vitrée derrière laquelle se trouvait le bureau des douanes. Ils n'étaient plus qu'à quelques dizaines de mètres quand un engin humanoïde imposant les bouscula violemment.

« Quel malotru ! À croire qu’on ne programme plus les bonnes manières de nos jours ! » s’exclama le droïde doré en tombant à la renverse avec grand fracas tandis que son petit compagnon jurait énergiquement dans son langage binaire.

La carcasse métallique d'un noir brillant s'arrêta brusquement. C'était un droïde de maintenance, modèle BLX de la société Serv-O-Droid, qu'il n'était pas rare de trouver dans les spatioports et les chantiers spatiaux. Sa forme quasi humaine lui conférerait une grande polyvalence qui lui avait permis de remporter un franc succès quelques décennies auparavant. Mais faute d'évolutions majeures, et malgré son prix raisonnable, il n’avait pu rivaliser avec les alternatives ultraspécialisées comme le EG-6 dédié à la fourniture d'énergie, ou avec la sophistication de la série LE du concurrent Cybot Galactica. Les ventes du BLX s'étaient effondrées au point que la production avait définitivement cessé depuis quelques années. Cette unité n'en restait pas moins très appréciée, pour peu qu'on ne lui donne que des tâches simples... ou qu'on le modifie substantiellement.

La tête du BLX se retourna lentement. Les deux photorécepteurs électroluminescents d'un rouge morbide au fond de ses orbites oculaires fixèrent les deux droïdes de la famille Organa. Il semblait les dévisager, les analyser.

Les jérémiades de C-3PO s’arrêtèrent aussitôt. Ses circuits d'autopréservation, aussi rudimentaires fussent-ils pour un agent protocolaire, lui suggéraient que ce qui était en face de lui n'était pas un simple opérateur de maintenance. R2-D2, senseurs en alerte, cessa également de s'agiter pour se ranger aux côtés de son compagnon doré.

Un seul mot sortit du synthétiseur vocal à la fréquence anormalement grave : « Négatif. »

Puis le rustre assemblage de tôle et de circuits électroniques détourna le regard, presque déçu, et reprit son chemin au milieu de la foule compacte qui le gênait considérablement. Non loin de là, une vieille Ithorienne, espèce bipède relativement répandue dans la galaxie, caractérisée par un long cou et une tête en forme de marteau, marchait lentement à l’aide d'une canne. Mais elle eut le malheur de se trouver sur la route du BLX lorsque, d'un revers de main violent, il lui assena un grand coup à la poitrine. La pauvre créature voltigea sur plusieurs mètres avant de s'effondrer inanimée sur le sol dans l’indifférence générale. Ce n'était pas un être humain après tout. La voie libre, le droïde se remit à marcher d'un pas vif.

Derrière, à bonne distance, un petit astromécano le suivait.

« Mais où vas-tu R2 ? Le bureau des douanes n'est pas par là. » Voyant que ses interpellations étaient vaines, C-3PO se releva péniblement en essuyant de-ci de-là les traces de carbones qui étaient venues l'entacher. « Toujours à vouloir jouer les fiers-à-bras. Ça lui jouera des tours. »

 

00:57... 00:56...

 

La migraine de Bail n'était toujours pas partie, bien au contraire. Il avait désormais l'impression d’héberger une batterie de vibrohaches à l’intérieur de son crâne douloureux. À tel point qu’il lui était impossible de travailler avec lucidité ses dossiers sur son databloc. Tant l'air quelque peu vicié du hangar 84 par l'affluence à son comble que le grondement incessant des vaisseaux qui allaient et venaient, n'arrangeaient pas son cas. Bail aurait aimé pouvoir se changer les idées, mais il était coincé devant le Tantive IV le temps de la fouille. Il se résigna donc à rester planté au milieu d'un parterre noir de monde, massant continuellement ses tempes pour atténuer quelque peu sa céphalée.

C'est alors qu'une masse informe et sombre surgit devant lui. Deux bras artificiels se jetèrent sur Bail et l'agrippèrent fortement.

« Positif », déclara la voix monocorde du BLX.

Le sénateur perdit l'équilibre et tomba lourdement. Le droïde et lui roulèrent sur le sol sur plusieurs mètres. Bail, sur le dos, tentait de se débattre de toutes ses forces, mais en vain. Il ne pouvait rivaliser face aux servomoteurs et autres vérins hydrauliques qui actionnaient les membres antérieurs de son assaillant conçus, eux, pour manipuler des charges de plusieurs tonnes. La supériorité du mécanique sur l'organique se faisait évidente. Immobilisant sa proie à l’aide de ses pectoraux en duracier, le BLX ne lâchait pas prise. Son masque inexpressif et figé contrastait avec le visage du Vice-Roi d'Aldérande qui grimaçait et transpirait à grosses gouttes sous l'effort.

« Positif », répéta la machine tout en continuant d'empoigner Bail.

Autour d'eux, les voyageurs indolents poursuivaient leur procession au long cours sans se soucier aucunement de ce qui n'était après tout qu'une simple altercation entre un droïde et son maître, du moins le pensaient-ils.

Sous le poids du BLX, Bail, immobilisé, tenta une clé de jambe, ou plutôt tenta de s'en souvenir. Assez ironiquement, c'était lui l'humain qui était rouillé face à la machine. Il considérait sa vie au Sénat, comme une obligation, un sacrifice nécessaire, au détriment du reste, et notamment de sa famille, hélas. L'autodéfense ne pouvait pas faire partie de ses priorités. Peut-être devrait-il les revoir, se dit-il en cet instant où l'étreinte des phalanges d’acier se resserrait.

 

00:22... 00:21...

 

Les mains articulées du BLX remontèrent vers le cou de Bail. Celui-ci sentit le métal glaçant glisser autour de sa gorge pour se contracter tel un python de Balmorra. La pression sur sa carotide s'intensifiait de seconde en seconde. Un voile noir recouvrit sa vision. Bail, le visage écarlate, était au bord de l'asphyxie. Alors que la lueur rouge au fond des photorécepteurs du BLX s'amplifiait, les paupières de sa victime se baissaient inexorablement.

 

00:17... 00:16...

 

Mais, soudain, des arcs bleutés affluèrent sur le droïde. L'étreinte d'acier se relâcha. Le sénateur écarquilla les yeux et aperçut un cylindre blanc et bleu. Le fidèle R2-D2 venait de neutraliser son assaillant à l'aide d'une puissante décharge électrique dont il avait le secret sous son capot aux apparences inoffensives. L'astromécano fit clignoter les quelques diodes disposées sur sa façade et émit un trille joyeux plein de satisfaction. Cependant, son maître n'eut pas le temps de le remercier que les pupilles du BLX se réactivèrent. D'un coup de pied d'une violence à fracasser un crâne, le droïde noir envoya valser R2-D2 loin dans la foule, puis porta de nouveau son attention sur Bail. Reprenant de plus belle la strangulation, il était déjà sur le point de briser le cou du sénateur qui sentait craquer ses vertèbres.

 

00:11... 00:10...

 

Privé d'oxygène, ses cris en restaient réduits à des souffles inaudibles. Son corps fut saisi de convulsions incontrôlables. Ses yeux commencèrent à sortir de leurs orbites. Enfin ses bras, qui jusqu'alors tentaient de repousser le BLX, fléchirent puis tombèrent.

Soudain, la carcasse du droïde fut projetée à plusieurs mètres sur le côté. Un puissant tir rouge de blaster venait de réduire le BLX à l'état de ferraille, et incidemment, de sauver la vie de Bail.

« Tout va bien, sénateur Organa ? » Un stormtrooper lambda, en tout point identique aux autres, revêtu de son éternelle armure blindée en plastoïde blanc, s'approcha le fusil à la main.

La bouche grande ouverte, Bail resta muet quelques secondes pendant qu'il avalait autant qu'il le pouvait de cet air salvateur qui lui avait tant manqué quelques secondes auparavant. Il se massa longuement le cou qui portait les marques vives de son agresseur mécanique, puis se releva non sans mal.

« J'ai connu de meilleures journées... » En essuyant la sueur sur son visage, il fut surpris de constater que sa migraine avait disparu. Cet assaut impromptu avait eu un effet inattendu, même s'il s'en serait bien passé. À choisir, il préférait encore les droïdes médecins. « Savez-vous pourquoi cet engin m'a agressé ? » demanda-t-il d'une voix rauque.

« Euh... Je suis qu'un soldat. Mais c'est vrai que les BLX, ils déraillent ces derniers temps... Enfin pas tous, heureusement. Les grosses têtes de Serv-O-Droid disent que ça viendrait d'un effacement de mémoire trop fréquent. Les machines, à force, elles deviendraient dingos. Comme ces bécanes ne sont plus toutes jeunes, on n'est pas sortis de la cantina, moi je vous le dis. »

« Et j'imagine que ça coûterait trop cher de toutes les remplacer... » Bien entendu, Bail n'attendait pas de réponse. Sauf qu'une série de sifflements aigus se manifestèrent dans le dos du sénateur qui se retourna.

« Ne t'inquiète pas R2... On y réfléchira à deux fois avant de réinitialiser ta mémoire », dit Bail en souriant.

 

Temps jusqu’à destination :

00:05... 00:04...

 

Un enfant, au milieu de la fourmilière qu'était le spatioport, s'arrêta et interpella ses parents. Ces derniers rechignèrent à écouter leur fils qui pointait du doigt quelque chose dans le ciel de cette magnifique journée sur Coruscant. Mais au même moment, d'autres individus un peu partout firent de même.

Bail remarqua ces imperceptibles saccades et ralentissements dans le mouvement d'ensemble des voyageurs en transit. Sa main en visière pour se protéger de l’éblouissement, il jeta un regard en dehors, à travers la large baie d'accès aux pistes, d'où arrivait et partait le continuel ballet des vaisseaux spatiaux. Ses yeux mirent quelques secondes pour s’habituer à la forte luminosité qui régnait à l’extérieur, et qui contrastait avec la relative pénombre du hangar 84. Presque déçu, il ne vit rien de particulier, sauf un point. Un point qui se rapprochait. C'était un engin comme tant d'autres. Excepté qu'il grandissait à vue d’œil. Un peu trop vite peut-être. Beaucoup trop vite en réalité.

La foule s'immobilisa. Personne n'osait croire à l'évidence, Bail non plus. Jusqu'au moment où dans un grand mouvement collectif, tout le monde prit ses jambes à son cou et courut vers les portiques de sortie. C’était un sauve-qui-peut.

Le simple point dans le ciel quelques secondes auparavant était devenu une impressionnante frégate de classe Lancier longue de 250 mètres. Comme un météore, elle fonçait droit sur la piste sans la moindre perspective d’atterrissage en douceur.

Incrédule, hypnotisé par cette vision d'apocalypse, Bail se contenta en premier lieu de reculer d'un pas. Au pas suivant, le vaisseau venait déjà de franchir la baie d'accès en projetant toute son ombre sinistre sur les voyageurs désemparés.

Le sénateur se ressaisit. Il se retourna puis se mit à courir, à courir de toutes ses forces. Derrière, à quelques dizaines de mètres, l'impact assourdissant de la frégate touchant le permabéton de la piste résonna comme mille coups de tonnerre. Fuyant comme tout le monde au milieu de la panique générale, le souffle du Vice-Roi était court, haletant. Autour, des débris volaient dans tous les sens à la vitesse du son. L'un d’eux manqua de l'empaler. Mais Bail l’esquiva in extremis. D'autres n'eurent pas cette chance. L’immense navire à la dérive poursuivait quant à lui sa course folle, en arrachant le tarmac par blocs entiers sur son passage où des étincelles et des éclairs jaillirent aux points de frottement.

Rien n’était en mesure de s’opposer à la colossale énergie cinétique de la frégate qui ne tarda pas à percuter de plein fouet une modeste corvette corélienne en stationnement. À l’impact, cette dernière se transforma en une boule de feu et s’envola dans les airs où elle sembla rester suspendue dans une temporalité alternative.

Soumise à d’intenses contraintes, la corvette se déforma ostensiblement, puis rebondit lentement sur le sol avant de faire plusieurs tonneaux. Les aigus devinrent graves. La lumière devint flamme. Un morceau du cockpit se détacha délicatement. Puis se dirigea vers Bail, pas plus grand qu’un misérable insecte pétrifié en comparaison. Le Vice-Roi d’Aldérande se tourna l’espace d’un instant et, le visage plein d’effroi, vit ce bloc de braise en duracier s’abattre sur lui.

Au loin, comme pour lutter contre l’inéluctable silence, la voix d’une femme hurlait à la mort : « Bail ! »

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