Les Cendres du Phénix

Chapitre 6

2935 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/01/2017 14:07

On a beau être à la tête d'une administration de plusieurs dizaines de milliards de fonctionnaires à travers l'univers connu, il y a des tâches qui ne peuvent être déléguées.

L'impact des bottes noires de Tarkin sur le parquet résonnait dans l'obscurité de l'immense hall d'entrée de l'Imperium Icqui Aquaria, le principal aquarium de Coruscant. Il se dirigea sans hésiter vers le secteur J-41-610. C'était le lieu de rendez-vous qu'il avait mémorisé du message cryptique reçu plus tôt dans l'après-midi avant de l'effacer aussitôt, prudence et discrétion obligent.

En journée, des hordes de touristes venus des quatre coins de la Galaxie prenaient d'assaut ce complexe architectural grandiose et démesuré. Cet assemblage de poutres, de colonnes et de parois tout en transparacier et en duralium renforcé se déployait sur plus de dix mille hectares en surface et quinze kilomètres en profondeur. Un monde en soi. L'Imperium Icqui Aquaria abritait tout ce qui était connu d'espèces marines animales ou végétales. Des algues oxydantes proliférantes et toxiques aux tortues bicéphales de Yaga Minor disparues de leur biotope naturel depuis des siècles, de l'invisible plancton alpha, maillon essentiel de la chaîne alimentaire, aux gigantesques mais tranquilles raies placentaires, toute la faune et la flore aquatique de l’Empire étaient représentées ici, dans un écrin luxueux de marbre jaune de Sélonia et de dorures vingt-quatre carats qui accueillait les spectacles les plus incroyables et les conférences des biologistes marins les plus renommés.

Mais en cette nuit, Tarkin était seul lorsqu’il pénétra d'un pas calme mais déterminé dans un long tunnel aux parois transparentes. Sa veste beige impeccablement taillée, aux coutures nanométriques, baignait dans la réfraction bleutée des reflets oscillants des veilleuses disposées à intervalles réguliers. Le col relevé pour dissimuler à moitié son visage, le Grand Moff n'était nullement intéressé par les bancs de poissons qui volaient autour de lui dans un ciel ayant cédé sa place à l'océan. Imperturbable, il traçait son chemin, le regard droit devant.

L'odeur d'iode omniprésente n'avait pas mis longtemps à imprégner ses vêtements. À brûler à mon retour, nota-t-il un recoin de son esprit en arrivant dans une salle si vaste qu’elle pouvait amplement contenir un spatioport de la Bordure Extérieure. Même la promesse des enseignes holographiques rappelait une salle d’embarquement. Un autre monde s'offre à vous. La capsule d'immersion totale pour une expérience inoubliable ! vantait le message publicitaire qui clignotait au-dessus du prix, 99 crédits.

Tarkin traversa les cordons de sécurité pour entrer dans le sas d'embarquement, une grande salle en demi-cercle aux murs longés de banquettes en simili cuir noir. Aux heures ouvrables, le lieu était sans aucun doute le théâtre du va-et-vient bruyant des enfants qui jouaient pendant que leurs parents attendaient patiemment leur tour, mais à cette heure tardive toutes les baies d’accès aux capsules étaient closes. Toutes, sauf une, qui semblait attendre le Grand Moff. Il s'en approcha de façon mesurée, même prudente, avant d’ouvrir la porte en grand. Une voix de synthèse l’accueillit.

« Prenez place, je vous en prie. » Un mystérieux individu était assis devant une table circulaire au beau milieu d’une sphère en transparacier renforcé, capable de résister aux pressions océaniques les plus dantesques.

Tarkin, sans mot dire, s'assit en face de son hôte. La porte de la baie se referma aussitôt et la longue succession de craquements, de claquements et de vibrations métalliques suggéra la mise en branle d'une série de mécanismes. La capsule d'immersion hésita avant de se détacher délicatement de sa baie d'arrimage. Telle une bulle de savon, elle se mit à flotter au milieu de l'immensité aquatique du Grand Bassin pour un périple préprogrammé d'une vingtaine de minutes.

« Fascinant n'est-ce pas ? », demanda l’interlocuteur mystérieux. La capsule survolait en rase-mottes des forêts de teers, des coraux bleus de Naboo, qui recouvraient les montagnes et les vallées que formaient les récifs. La beauté du paysage n’avait d’égal que son silence. S'il y avait bien un endroit sur Coruscant à l'abri des indiscrétions de mouchards ou de droïdes-espions, c'était bien ici...

« Certes », dit Tarkin par pure politesse. Il était bien placé pour savoir qu’un empire à l’échelle de la Galaxie ne pouvait se bâtir sur la simple contemplation. Alors qu’à l’extérieur, l’écume blanche de la propulsion à hélices dessinait des cirrostratus dans le sillage de la capsule, le Grand Moff scrutait en face de lui un individu dont il ignorait tout ou presque. « Vous êtes un chasseur de prime très efficient, paraît-il. »

« Vous ne m’auriez pas contacté sinon. » Visiblement, la personne en face n’avait pas vraiment envie de s’étendre ni sur ses prouesses ni sur son passé. Les mains posées sur ses cuisses, il dégageait une assurance peu commune devant le second de l’Empereur au point d’en être agaçant.

« Et si nous en venions à l'objet de notre rencontre ? »

« Avant cela, vous ferez bien une partie de dejarik avec moi. Rien de tel pour faire connaissance. » L’individu appuya sur un bouton et la table holographique qui se trouvait au milieu de la capsule s'activa pour dessiner un damier divisé en trois cercles concentriques sur lesquels se trouvaient diverses créatures exotiques. Le générateur aléatoire avait distribué, conformément aux règles, quatre pièces de part et d'autre. À la vue du plateau de jeu, les années passées à l’Académie revinrent immédiatement dans l'esprit de Tarkin. Le dejarik faisait partie intégrante du cursus de tout officier, car il permettait d’illustrer nombre de concepts tactiques et stratégiques. Sans être excellent à ce jeu, préférant de loin la réalité des batailles historiques, Tarkin pouvait néanmoins s’enorgueillir d’avoir pu remporter quelques belles victoires sur ses camarades de promotion.

« Il est vrai que les premiers coups peuvent être très révélateurs… » dit le Grand Moff qui démarra la partie. Il déplaça le Ng'ok d'une case dans le sens trigonométrique autour de l'orbite extérieure, afin de ne pas être en prise avec la plus dangereuse des pièces adverses, le Monnok. Pour son second coup, il avança le Houjix, une pièce de force moyenne, sur la case centrale afin d’inciter l’adversaire à se découvrir.

Saisissant un hologramme de sa main gantée, le chasseur de primes avança le Faucheux de Kintan dans le camp adverse, juste derrière le Houjix. Un coup plutôt défensif, nota Tarkin, qui pouvait cependant cacher certaines complications à l’image de cet intrigant chasseur de primes. Ce dernier disposait d’un gabarit imposant, dissimulé derrière une tunique de lanières de flexacier et de duralumin tressées en écheveau. Un haut casque conique noir brillant se dressait sur sa tête et son visage était recouvert d'un masque d'argent désuet d’un autre âge..

« L'ouverture ithorienne appelée aussi la partie du prisonnier. Je suis certain que vous connaissez », commenta la voix synthétique qui dissimulait non seulement le timbre, mais également les émotions du chasseur de prime.

Tarkin hocha la tête avec indifférence. « En effet, c’est un début de partie classique ». Il étudia le damier un instant et déplaça son puissant Savrip sur une case adjacente à celle du Faucheux de son adversaire. Le chasseur de primes se préparait à contrecarrer le coup quand Tarkin déclencha l’attaque. Portée par un long cou, la gueule du Savrip avança pour enfoncer ses crocs dans l’épais bras gauche du Faucheux qui riposta en donnant d’intenses coups de massue sur la tête de son agresseur virtuel. Les hologrammes des deux créatures s'entrechoquèrent en des rugissements féroces et l’issue du combat semblait incertaine. Il fallut attendre quelques instants pour voir le Faucheux défait et reculer d'une case.

Tarkin se redressa et adressa un sourire ironique à son adversaire. « Cependant, je ne suis pas venu pour me divertir au milieu des crustacés et des poissons. » Il sortit une datacarte d'une poche intérieure de sa veste et l'inséra dans une fente de la table holographique. « Voici toutes les informations relatives à la mission. Nul doute que vous vous montrerez à la hauteur de votre réputation. »

Le chasseur de prime croisa les bras et étudia longuement le défilé des informations. Au milieu d’une marée de caractères en aurebesh, quelques visages se reflétèrent subrepticement sur le masque d'argent immobile. Le portrait d'une personne portant un bouc au menton revenait le plus souvent. Puis, le flot de données se tarit au moment où les baies d'arrimage réapparurent à une centaine de mètres. Le circuit de la capsule d'immersion était sur le point de toucher à sa fin.

« Intéressant. Cela me changera de ces ennuyeux meurtres sur gage. »

« Il va de soi que la discrétion la plus totale est primordiale. » Tarkin retira la datacarte et la rangea dans sa veste.

« Je vous recontacterai dès que la mission sera accomplie. »

« Le plus tôt sera le mieux. »

« En effet, nous avons une partie à terminer. »

 

***

 

La découverte de l'hyperespace il y a de cela des millénaires avait bouleversé toutes les théories physiques de l'époque. La vitesse de la lumière n'était plus un horizon indépassable. La nature de l'espace et du temps avait été remise en cause pour devenir une sorte de réseau de relations computationnelles entre les entités de l'univers. La notion même de mouvement n'était finalement qu'une illusion selon certains scientifiques.

Court-circuitant les contraintes de l'espace-temps conventionnel, l'hyperespace avait permis non seulement une révolution scientifique, mais surtout et plus prosaïquement une expansion inédite des échanges interstellaires. Bien qu'encore largement incompris dans sa nature profonde, les voyages dans l'hyperespace étaient depuis devenus monnaie courante. Il n'est d'ailleurs pas exagéré de dire que l'Ancienne République et donc l'Empire n'auraient pu advenir sans cette découverte.

Le vortex nébuleux d'un bleu éthéré défilait à vive allure autour du Tantive IV. Appartenant à la famille Organa, cette corvette corélienne CR90 disposait d'une puissante motorisation lui permettant d'atteindre une vitesse atmosphérique proche de celle du son malgré un tonnage relativement élevé et des lignes peu aérodynamiques. La redondance tant au niveau des propulseurs supraluminiques au nombre de neuf, que des circuits de commande en faisaient l'un des engins les plus fiables de sa catégorie. Vaisseau polyvalent, il se distinguait également par sa capacité d'emport élevée au regard de sa masse. On ne comptait plus les ravitaillements et les exfiltrations de systèmes assiégés par les Séparatistes à mettre au crédit des corvettes coréliennes, ce qui leur avait valu le surnom de briseurs de blocus lors de la Guerre des Clones.

« Nous arriverons sur Coruscant dans environ deux heures standard. » Bail se tenait debout et discutait avec la silhouette holographique d’une femme aux cheveux courts. Puis il se tourna légèrement sur le côté vers une jeune fille vêtue d’une combinaison aux tons clairs qui écoutait avec avidité les moindres mots de la conversation.

« Leia, pourrais-tu nous laisser seuls, s'il te plaît ? Je dois discuter des affaires sénatoriales avec Mon Mothma. »

La jeune fille fit la moue. « Je ne suis pas assez grande pour comprendre, c'est ça ? »

« Mais non ma petite puce, c'est juste que… »

Sans en écouter davantage, Leia quitta la salle des communications du Tantive IV les mâchoires serrées et les traits tendus. À peine sortie, elle bouscula une demoiselle de compagnie et continua son chemin s'en prendre même le temps de s'excuser.

Non loin, un droïde astromécano blanc et bleu de forme cylindrique se promenait dans la coursive bâbord du vaisseau. Dès qu'il vit la jeune fille, il s'empressa d'émettre quelques joyeux trilles électroniques et alla à sa rencontre.

« Pas maintenant R2 ». Le ton sec et incisif de la princesse refroidit le petit droïde qui recula aussitôt dans un sifflement désappointé.

Leia poursuivit son chemin d’un pas lourd et bruyant sous le regard gêné du personnel du vaisseau qui savait qu'il ne fallait pas contrarier l'héritière des Organa quand elle affichait cette mine des mauvais jours. Sa queue de cheval fouettait l'air comme une mise en garde et ses yeux étaient prêts à désintégrer quiconque croiserait son regard.

Elle arriva finalement dans une grande salle sombre dont les nombreuses taches d'huile et l'odeur de poussière suggéraient une ancienne soute réaménagée. Elle s’empara d’un pistolet laser qui était accroché à un mur, à côté de l'entrée, ainsi que des lunettes de protection aux verres teintés qui portaient ses initiales. La lumière s'éteignit. L’hologramme d’un stormtrooper immobile apparut devant elle à une dizaine de mètres. Sans prendre son temps, elle appuya sur la gâchette. L'hologramme vacilla légèrement sous l'effet du rayon laser qui avait effleuré la cuisse gauche, mais resta en place. Leia tira de nouveau, visant cette fois en pleine poitrine. Manqué. Elle ne toucha que l'épaule.

« Ce n'est pas ce que je vous ai appris, jeune princesse », dit une voix dissimulée dans l'obscurité. « Vos bras ne sont pas tendus, vos appuis sont mauvais… »

Leia sursauta et se retourna. « Gurney ? Mais que faites-vous là ? »

« Je pourrais vous retourner la question. »

La lumière revint et Leia vit son maître d'armes assis à une table en train de nettoyer son blaster DC-15A.

« Je ne vous avais pas remarqué », dit-elle d'un air hautain.

« Quelque chose qui ne va pas, jeune demoiselle ? » Le Jézarien n’avait pas besoin d’être un droïde psychanalyste pour se rendre compte que Leia n’était pas de bonne humeur. Tout dans son attitude désinvolte, sa forte respiration et ses pommettes toutes rouges la trahissait.

« Tout va pour le mieux, à part que tout le monde me prend pour une gamine. »

Elle se tourna de nouveau vers la cible holographique. La lumière s'éteignit.

« Vous devriez vous concentrer cette fois-ci. Visez la tête. »

Leia respira profondément et pointa son pistolet vers la cible. « Mon père ne me fait pas confiance. Il veut que je devienne sénatrice, mais il me tient à l'écart de toutes ses discussions avec Mon Mothma. »

« Il veut sans doute vous protéger. » Gurney continuait à astiquer nonchalamment son blaster sans lever les yeux. « Contrairement aux apparences, la politique est un domaine où la violence est omniprésente. Seul le choix des armes diffère, encore que…. »

« Mais je sais me défendre toute seule ! » Elle fronça les sourcils puis tira. Un trait lumineux rouge traversa le casque de l'hologramme pour impacter la plaque absorbante recouvrant le mur du fond. La cible factice disparut. Même si elle affectionnait ce lieu pour se défouler, tout ceci n’était que des exercices, pas la réalité excitante des responsabilités.

« Avoir l'impression de mériter quelque chose sans pouvoir l’obtenir... Oui, je connais ce sentiment. »

« Comment pouvez-vous savoir ce que je ressens ? Vous n'êtes qu'un domestique après tout ! » Elle avait à peine prononcé ces paroles qu’elle se rendit compte de sa gaffe et rougit intensément. « Excusez-moi, ce n'est pas ce que je voulais dire... »

Gurney fit semblant de n’avoir rien entendu.

« À la suite de mon entretien avec le Conseil Jedi, j'ai moi aussi ressenti une grande frustration, un sentiment d’injustice. On aimerait tous être considérés à notre juste valeur, j’imagine. »

« Vous ? Un Jedi ? » Leia, les yeux tout écarquillés, rengaina son pistolet et retira ses lunettes de protection.

« Non justement... J'étais très enthousiaste avant d’y aller. Je ne sais pas si c'était la fierté de rejoindre cet ordre prestigieux ou la possibilité de donner un sens à ma vie. Un peu des deux sans doute. » Il soupira. « Et alors… Je me suis retrouvé à répondre à tout un tas de questions saugrenues, certaines même presque infantilisantes sur la peur, la colère ou l’attachement. Je ne voyais pas très bien où ils voulaient en venir jusqu'à ce que la sentence finale soit prononcée par un certain Mace Windu. J'étais de toute manière trop vieux pour commencer une formation... Tout ça pour ça. Évidemment, j’étais furieux. »

Ce Gurney que d’aucuns considéraient comme un peu terne et taciturne, pour ne pas dire inintéressant, était en train de la surprendre de jour en jour. Alors comme ça, son maître d'armes était connecté d'une façon ou d'une autre à ce fluide mystérieux qu'était la Force ? Bercée par les récits de son père sur les exploits de ces guerriers, elle aurait sans doute adoré devenir une Jedi, se disait-elle. La lumière dans la pièce revint puis Leia s’approcha légèrement du Jézarien.

« Maître, regrettez-vous de ne pas être un Jedi ? »

« Hmm… Disons que contrairement aux Jedi, je suis encore en vie... »

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