Les Cendres du Phénix

Chapitre 5

2939 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 23/04/2016 12:08

Dans une pièce étroite, sombre, baignée dans une répugnante odeur d'urine, un individu était étendu sur le sol. Sur le flanc, couvert de blessures, le visage tuméfié, il vomissait un liquide verdâtre.

Ses côtes cassées, ses genoux brisés, ses muscles déchirés, son pelage par endroits brûlé, la douleur hurlait au plus profond de sa chair. Les décharges foudroyantes et toujours prégnantes des électro-bâtons plantés dans son dos. Les effets de ces longues et épaisses aiguilles hypodermiques déversant leurs drogues, sérums, psychotropes et autres hallucinogènes. Il aurait dû révéler ce qu'il savait lui murmuraient des voix d'outre-tombe dans sa tête. Les coordonnées de l'agence pour laquelle il travaillait, les noms de ses responsables, de ses collègues, l'endroit où les oligarques de Christophsis se terraient probablement en ce moment même, leurs habitudes, leurs défauts, leurs péchés mignons, les noms de leur entourage, de leurs collaborateurs, de leurs amis, de leur famille même. Lui qui avait été à leur contact jours et nuits pendant de longs mois. Il aurait pu tout dire ou même ne révéler qu'une partie et mettre ainsi fin à son supplice. Mais étrangement, il n'avait rien dit. En dépit de tout. Que ce soit ses collègues ou ses clients, ils l'avaient abandonné, honteusement, lâchement, égoïstement. Pourquoi n'en ferait-il pas de même ? C'était au mot près ce que l'un des droïdes interrogateurs lui avait susurré. Mais il n'avait pas craqué. Il n'avait pas balancé. Au point de susciter de la curiosité, et à vrai dire, un certain respect auprès de ses tortionnaires. Sa résistance aux sondes psychiques était exceptionnelle avait-il cru entendre.

Mais son mutisme allait lui coûter cher. À présent seul dans sa cellule nauséabonde, dépourvu de la moindre utilité et de la moindre valeur marchande, Gurney ne savait que trop bien ce qui l'attendait. La question était de savoir quand.

Des pas métalliques résonnèrent dans le couloir. Quelque chose glissa à travers une trappe sous la porte en duracier superficiellement oxydée par l'épreuve du temps. Par instinct, il rampa avec le peu de force qui lui restait et s'approcha. À l'aide de ses doigts engourdis, il s'empara d'un objet longiligne. Une sorte de bâtonnet d'une vingtaine de centimètres. Il le passa sous son nez mais ne renifla aucune odeur. En soulevant ses paupières endolories, il reconnut la couleur blanchâtre des barres de rationnement. Sans doute serait-ce le seul acte de miséricorde dont il bénéficierait avant la fin, la sienne. L'heure n'était plus aux plaintes et aux revendications. Son ventre gémissant depuis près de deux semaines, il ne put résister à la tentation et engloutit avec avidité cet ersatz de nourriture. Ce n'était pas de faim qu'il souhaitait mourir.

Peu de temps après avoir terminé ce qui pouvait être difficilement être qualifié de repas, une escorte de trois droïdes légèrement empruntés entrèrent dans sa cellule.

« Enfilez-lui les menottes », ordonna celui qui semblait être le chef du groupe.

« Bien reçu, bien reçu », répondirent les deux autres dans un synchronisme symptomatique d'une programmation rudimentaire de leur intelligence artificielle.

Une fois Gurney menotté, ils le traînèrent sans ménagement comme de la viande dans les longs couloirs froids et faiblement éclairés de la prison, jusqu'à l'arrière-cour exposée à une pluie battante.

Ce n'était qu'un terrain vague plongé dans l'obscurité nocturne et délimité par d'épais murs en permabéton d'une dizaine de mètres de hauteur. Gurney aurait pu espérer plus solennel comme dernier décor. Pour ne rien arranger, il pleuvait des cordes. L'eau ruisselait abondamment sur son visage, ses cornes enroulées et les lambeaux de son armure détrempée. Une autre odeur avait remplacé celle, innommable, de sa cellule. De subtils effluves venaient légèrement irriter ses narines. De l'ozone et de l’ammoniac, présents à l'état de traces dans l'atmosphère de Christophsis que la pluie entraînait dans son sillage. L'orage grondait au loin, et il se rapprochait.

Adossé à un mur, debout, il était désormais en place pour la dernière ligne droite, le grand saut. Quatre droïdes munis d'un blaster pointé sur sa poitrine lui faisaient face. Un autre en retrait qui portait les marques distinctives du commandement lui parlait de cette voix électronique caractéristique des modèles B1. Le Jézarien n'écoutait pas. À quoi bon. Il était plongé dans ses pensées, là où déjà il était libre. Il ne causerait de tort à personne en mourant ici, se disait-il. Il n'avait ni dette ni obligation. Il avait la conscience légère, celle des nomades et des vagabonds. Solitaire endurci, voguant de mission en mission, le mercenaire n'avait jamais pris le temps d'établir des attaches, de fonder une famille, ni de se faire des amis, des vrais. Finalement, sa disparition laisserait autant de traces dans la galaxie qu'une larme dans la pluie.

« Il est temps de mourir prisonnier », articula le chef droïde. « En joue... »

Les quatre droïdes armèrent leur blaster et s'apprêtèrent à tirer quand soudain, une explosion, puis une autre, puis une troisième détonèrent. Les quatre droïdes qui s’apprêtaient à exécuter Gurney furent abattus sans sommation par une rafale de laser. Il n'en croyait pas ses yeux. Des sirènes assourdissantes retentirent immédiatement en réaction à cette intrusion.

« Euh, je me rends », dit le chef droïde en levant ses deux bras pour aussitôt être lui aussi réduit à l'état de ferraille.

Une vague blanche déferla sur la prison. Les droïdes présents, surpris par l'assaut des clones de la République, furent submergés en quelques minutes. Le centre de commandement de la prison tomba rapidement. Les quelques officiers kerkoidiens qui avaient rejoint la Confédération des Systèmes Indépendants se rendirent sans opposer de résistance et les prisonniers dans les cellules furent libérés sur-le-champ.

« Voilà une opération comme je les aime », dit le capitaine d'une voix enjouée sous son casque. Ce clone de la compagnie Torrent, unité d'élite de la 501e légion de l'armée républicaine, était semblable à n'importe quel autre clone, à l'exception de quelques marques distinctives sur son armure. Il s'approcha de Gurney, toujours immobile et menotté.

« Retournez-vous, je vous prie. Ne bougez surtout pas. »

Le Jézarien s'exécuta promptement, puis ressentit une chaleur intense, mais brève au niveau de ses poignets. D'un coup précis de blaster, ses menottes tombèrent au sol.

« Merci infiniment », dit le mercenaire en se jetant au pied du soldat. « Vous m'avez sauvé la vie. »

« Ne me remerciez pas », dit le clone embarrassé. « Je n'ai fait que suivre les ordres. Si vous devez remercier quelqu'un, allez donc voir cette personne. C'est lui qui est à l'origine de toute cette opération », poursuivit-il en désignant du doigt un individu à une trentaine de mètres.

Cet individu en tunique gris ardoise, sous un abri improvisé, distribuait des paquets qui contenaient des boissons et de la nourriture aux prisonniers qui venaient d'être libérés. La joie qui se dessinait sur le visage de chacun d'entre eux valait toutes les formules de politesse. C'est sans doute ce qui permettait au Sénateur Bail Organa de tenir debout malgré son état de fatigue avancé que trahissaient des cernes profonds.

Gurney en bout de file finit par se retrouver en face de celui qui venait de lui sauver la vie. Le Jézarien trempé jusqu'aux os n'avait pas fière allure, mais cela ne le préoccupait pas le moins du monde en cet instant.

« Tenez, voilà pour vous », dit Bail en tendant un paquet de provisions à Gurney.

« Merci... Merci... Je vous dois la vie », dit le Jézarien en s'agenouillant. « Sans cette opération, je serais déjà un simple cadavre. Je suis votre éternel débiteur. »

« Vous ne me devez rien, cher ami », répondit Bail en indiquant à Gurney de se relever. « Se battre contre l'infamie est le devoir de tout un chacun. Je n'ai fait que ce que j'ai pu là où j'étais ». Puis Bail commença à dévisager le Jézarien, comme s'il semblait le reconnaître. « Ne seriez-vous pas ce Gurney Malacore dont les Intendants de Christophsis m'ont beaucoup parlé ? Ils seraient enchantés si vous pouviez reprendre vos fonctions. »

Sur ces mots, le Jézarien marqua un long moment d'hésitation. Les événements récents à la Maison de la Guilde refirent surface dans son esprit. Cette fuite interminable à travers les étages. Cette mort frôlée à tant de reprises. Et tout ça pour une poignée de crédits en provenance de clients méprisables. C'était absurde, pensait-il. Tout compte fait, jusqu'à présent, il n'avait jamais fait de choix, de vrais choix. Il s'était simplement laissé dériver sur les flots de l'existence, tel un navire sans gouvernail. L'argent avait décidé pour lui. Ses clients auraient-ils pu être les pires criminels de la Galaxie que cela ne l'aurait pas dérangé outre mesure. Mais on n'emporte rien après la mort, en tout cas, rien qui se compte en crédits. 

***

 

À peine Gurney avait-il fini son récit que Leia, toujours assise en tailleur sur l'herbe d'une clairière, baignée par les rayons verticaux d'un soleil à son zénith, commençait à le bombarder de questions. Quid de la collaboration entre lui et son père, sur les autres batailles auxquelles il avait pu participer, sur les grandes figures de la Guerre des Clones comme Anakin Skywalker, Obi-Wan Kenobi, ou Maître Yoda dont elle avait tant entendu parler par son père. Elle voulait savoir comment il avait vécu l’avènement de l'Empire, la soi-disant trahison des Jedi et l'Ordre 66. Maintenant que son Maître d'armes venait de lui ouvrir la porte de ses souvenirs, elle était bien décidée à s'y engouffrer.

Pour Gurney, esquiver les interrogations de la jeune princesse semblait aussi délicat et périlleux que d'affronter des droïdes destroyers. Répondre à toutes ces questions mériterait des journées de récit au bas mot. Heureusement pour le Jézarien, un bruit familier se fit entendre, celui d'un landspeeder de standing à en juger par le sifflement discret qui se rapprochait.

L'engin ralentit sa course pour s'arrêter délicatement aux abords de la clairière laissant la carrosserie curviligne et chromée réfléchir la lumière du jour. Contrairement à de nombreux landspeeders bas de gamme à ciel ouvert, celui-ci disposait d'un habitacle intégral et blindé ce qui en faisait un modèle de choix pour les personnalités d'importance d'Aldérande, et notamment la famille royale. Deux personnes sortirent du véhicule, un homme et une femme.

« Je croyais Gurney que vous deviez enseigner l’Étiquette impériale à ma fille, n'est-ce pas ? » dit Bail Organa sur un ton à la fois amical et ennuyé tout en s'approchant.

Une tenue presque ordinaire habillait le Vice-Roi. D'un gris neutre et sobre, ses vêtements dégageaient néanmoins sur les épaules de Bail une élégance non ostentatoire. Légèrement en retrait, Breha resta silencieuse tout en arborant un visage radieux plein de bienveillance et d'amour maternel.

« C'est-à-dire que... » commença à balbutier Gurney qui cherchait maladroitement une excuse.

« C'est moi qui ai demandé à Gurney qu'il m'entraîne au tir. Tous ces cérémonials diplomatiques me sortent par les trous de nez », osa la jeune princesse avec une pointe de provocation. « Je n'ai pas besoin qu'on m'apprenne à faire des courbettes devant un dictateur décrépit. »

« Leia, tu es une princesse, notre fille, représentante de fait d'Aldérande. Ne t'ai-je pas déjà dit que les mots sont souvent plus efficaces que des tirs de blaster », poursuivit Bail.

« Votre fille... Possible. Mais des fois les mots ne suffisent plus, et dans ce cas... »

Jusque-là sur la défensive, Leia se détendit subitement à la vue d'un motospeeder rutilant qui venait de débarquer à l'improviste. Un jeune homme du même âge que Leia, cheveux bruns, gominés, portant une paire de lunettes teintées, se tenait aux commandes de cette monture mécanique.

« Bonjour M'dame... Messieurs... » salua timidement Nicklos Prescott. « Leia, tu ne m'avais pas dit que tu serais en pleine réunion de famille... Si tu veux, je peux repasser plus tard. »

« Au contraire, tu arrives juste au bon moment », répliqua la jeune fille. « Mets les gaz Nicklos ! » ordonna-t-elle tout en sautant à califourchon sur le motospeeder derrière Nicklos.

« Sois de retour avant dîner ! Nous partons pour Coruscant dès ce soir », lança Bail à sa fille.

« Je n'y manquerai pas père ! », répondit Leia en saluant de la main sans se retourner.

Le motospeeder disparu du champ visuel du petit comité en quelques secondes, ne laissant que des particules de poussière en suspension. Et voir sa fille agripper ce Nicklos Prescott en conclusion à leurs échanges, n'était pas vraiment du goût de Bail.

« Ne sont-ils pas mignons tous les deux ? » dit Breha à son mari tout en posant tendrement sa tête sur son épaule. « Ils me rappellent nous deux quand nous étions jeunes. Ce garçon me semble très gentil. »

« C'est un vaurien », grommela Bail.

« Tu sais, il faut se rendre à l'évidence Bail. Leia n'est pas une courtisane », poursuivit Breha tout en tenant la main de son mari. « Elle tient beaucoup trop de son véritable père. »

« C'est bien ça qui m'inquiète... »

L'astre du jour qui commençait à peine sa descente dans le ciel d'Aldérande n'était pas le seul spectateur de cette scène familiale. Dissimulé derrière la cime des arbres, un droïde-espion, un modèle Prowler 1000 aux allures de gros insecte fabriqué par les industries Arakyd, s'apprêtait à faire son rapport.

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