The eleven

Chapitre 8 : Checkmate

6944 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/06/2020 11:23

Checkmate :


( Will )


Hopper est parti marcher un peu autour de la maison, pour essayer de se calmer. Je ne l’avais jamais vu aussi énervé qu’au moment où il s’est aperçu qu’Eleven et les autres avaient disparu. Heureusement, maman s’est rangée de mon côté et nous on avons réussi à l’empêcher de partir tout de suite derrière eux. Bon, dès qu’on aura trouvé le moyen d’extraire le Mind Flayer du corps de Max, il partira les aider, mais pour l’instant il restera ici. Nous avons également établi un contact radio permanent avec les autres, qui sont maintenant cachés dans les environs du hangar où se trouve la faille.


« — On pourrait peut être chasser le Mind Flayer de la même manière qu’on avait procédé pour toi », propose ma mère


« — Je ne sais pas… Je ne pense pas qu’il se laisserait avoir de la même manière deux fois de suite, il faudrait faire des tests, voir si elle est gênée par la chaleur. »


À peine ai-je fini ma phrase qu’elle se précipite vers le lavabo, rempli un verre avec de l’eau chaude, se rapproche de Max, qui est maintenant réveillée, et lui verse sur la tête.


« Mais vous êtes malades ! » s’écrit Max en se tortillant pour essayer de se détacher « Ça va pas la tête ? Qu’est-ce qui vous prend ?


— Non, le Mind Flayer a amélioré son système de possession. Quand je touchais de l’eau chaude, il se réveillait automatiquement… »


Il doit pourtant y avoir quelque chose, une faille. Il y a forcément un point faible… Mais quoi ? Dans mon souvenir, les faiblesses du Mind Flayer sont sa mauvaise résistance à la chaleur et aux pouvoirs d’El, mais je suis persuadé qu’il y a un autre moyen de libérer Max de son emprise.


« Ou peut-être que vous n’avez tout simplement pas essayé avec de l’eau assez chaude »


Je ne m’étais pas rendu compte qu’Hopper était déjà rentré. Sans attendre une seconde, il prend une casserole dans l’étagère et commence à y faire chauffer de l’eau.


« Vous allez la brûler !


— Et quand nous t’avons libéré de ce monstre, tu as failli mourir », me rétorque ma mère « Si ça peut lui sauver la vie, il faut essayer »


L’air grave, Hopper prend la casserole par l’anse. Sur sa chaise, Max se débat plus violemment que jamais.


« Arrête ! Hopper, arrête ! Je t’en prie, ne fais pas ça ! »


Sans lui accorder ne serait-ce qu’un regard, il se penche et initie le geste de verser l’eau fumante sur ses genoux, laissés nus par son short.


« Vous êtes tous fous ! Je… »


Le reste de sa phrase se mut en un cri strident. Au contact de l’eau, sa peau rougis instantanément et de grosses larmes commencent à rouler sur ses joues… Je refuse d’être témoin de cette scène une seconde de plus et je me retourne, intimant à Lucas et Mike de faire de même. C’est alors que j’aperçois que Lucas aussi pleure, le visage dévoré par la même souffrance que celui de Max, comme s’il la ressentait avec elle. Je prends sa main dans une des miennes et celle de Mike dans l’autre et les serre fort, pour leur montrer mon soutien et, à la fois, me rassurer moi-même.

Les hurlements mêlés de sanglots de Max sont de plus en plus forts derrière nous.


« Stop ! Je vous en supplie, stop ! Arrêtez ! »


Je ferme les yeux de toutes mes forces, espérant bêtement que ça me fasse m’éloigner des cris de mon amie. Je sens moi aussi une larme glisser le long de mon visage et je serre encore plus fort la main de mes amis.


« Stop… Stop ! STOP ! »


Je sursaute en entendant une voix grave et puissante hurler ce dernier mot. La curiosité est trop forte pour moi et je me retourne, emportant Mike et Lucas avec moi.

Max, toujours assisse sur la chaise, à la tête renversée en arrière et chaque centimètre carré de sa peau est recouvert de sueur. Un hurlement roque sort de sa bouche, mais la voix n’est pas la sienne. Elle baisse violemment la tête. Ses yeux, fixés sur le vide devant elle, sont parfaitement blancs et la peau de son visage est veinée de noir. Une émotion vive me prend à la gorge et je recule brusquement. C’est à ça que je ressemblais quand j’étais moi aussi possédé ? Alors qu’elle ouvre la bouche encore plus grand, sans arrêter de crier une seconde, je remarque que ses dents sont maculées de sang. Ses yeux cessent soudain de fixer le vide et se plantent dans les miens. Je me plie en deux, touché au ventre par un uppercut invisible et c’est là, alors que je cherche de l’air, que je l’entends. La voix de Max, sa vraie voix, étrangement brisée, faible, comme je ne l’avais jamais entendu auparavant. « Will, aide-moi. Aide, moi s’il te plaît… ». Une succession d’images défile en flashs devant mes paupières closes. Une fillette aux cheveux roux et bouclés, jouant sur le sable d’une plage de Californie. Le son d’une berceuse. L’odeur de l’océan. La même petite fille, plus âgée, tombant d’un skate-board. Les images défilent de plus en plus vite. Billy. Hawkins. Le goût du sang. Lucas sur le toit d’un bus. Une batte pleine de clous en Billy gisant sur le sol. Les démos-dogs. La musique du Snow Ball. Troy. La douleur. La peur. Une araignée. Mon cou. Une brûlure. La vision des genoux fumants. La douleur. La douleur…

Un cri me sort de ma vision. Presque aussitôt, je me rends compte que c’est moi qui ai crié. Maman est accroupie à côté de moi.


« — Will, ça va ? Qu’est-ce que tu as ? »


Je prends le temps d’inspirer à fond avant de lui répondre.


« — J’ai eu une autre sorte de vision. Je crois que c’est Max qui l’a provoquée… » je me rappelle soudain les dernières images que j’ai vues « Il faut vérifier sa nuque. Je crois que je sais comment le Mind Flayer a pris possession d’elle. »


Je me place derrière Max, suivi des autres, et soulève ses cheveux, ignorant les protestations du Mind Flayer. C’est bien ce que je pensais… Incrustée au milieu de sa nuque, se trouve ce qu’on devine être une petite araignée. Quoiqu’elle n’a plus grand-chose d’une araignée maintenant, ses pattes et sa tête sont anormalement étirées sur une longueur indéfinissable. Ce qui était auparavant la tête est enfoncé profondément dans la chair, sûrement même jusqu’à la colonne vertébrale… Les « pattes » forment des sortes de nerfs noirs, et on voit par transparence qu’elles se divisent en vaisseaux de plus en plus petits. Ils sont tellement étendus qu’ils disparaissent sous le t-shirt de Max et sur ses épaules.


« Qu’est-ce que c’est que ce merdier ? » s’exclame Hopper.


Il s’éloigne vers la cuisine, en revient avec des ciseaux, me pousse sans ménagement et entreprend de découper l’arrière du t-shirt de Max. Mes yeux s’écarquillent d’eux-mêmes quand je me rends compte de l’ampleur des dégâts : la quasi-totalité du dos de Max est recouvert de vaisseaux sombres.

Je perçois sans aucun mal la panique dans la voix de Mike lorsqu’il demande :


« — Comment on va faire pour lui enlever ça ? »


Un bruit dans le salon nous fait tous nous retourner. C’est Robb, qui s’est réveillé et est visiblement totalement perdu. Il se passe lentement une main derrière la tête, là où le coup de Steve l’a touché.


« — Putain, ce mal de crâne… C’est pire qu’une cuite ! Si je le retrouve ce petit… » il remarque soudain notre présence « Je suis vraiment désolé, Joyce, les gamins ils…


— Oui, c’est bon, on avait compris ça. Venez plutôt voir ça, rendez-vous utile. »


Robb fronce les sourcils en voyant le dos de Max.


« — Quelqu’un pourrait m’expliquer…


— Ce serait trop long ! » le coupe ma mère « Est-ce que vous avez une idée de comment enlever ça ? Vous nous aviez bien dit que vous étiez médecin tout à l’heure !


— Ah… Et bien » il rougit « c’était surtout pour la frime, en vérité je suis parti à la fin de ma deuxième année à l’école de médecine…


— C’est déjà plus que nous tous réunis, et si on ne fait rien elle va mourir ! »


Depuis son réveil, Robb avait l’air complètement paumé, mais dès l’instant où le mot « mourir » a été prononcé c’est comme si quelqu’un lui avait mis une baffe. Il est parfaitement réveillé et commence à donner une liste d’instructions précises.


« — Attachez-la à la table, sur le ventre. Il ne faut surtout pas qu’elle puisse bouger ! J’ai besoin de désinfectant, de compresses, d’une pince à épiler et… En fait, ramenez-moi tout le contenu de votre trousse à pharmacie ! » il se tourne vers ma mère « Tu as de l’éther ?


— Oui, je crois.


— Ramènes-en aussi, ce n’est pas le meilleur des anesthésiants, mais je suppose que tu n’as pas de morphine… Pour ma part, je vais voir dans la cuisine si certains des couteaux feraient l’affaire. »


. oOo.


Tout est prêt. Au début Max s’est beaucoup débattue mais quand on lui a donné l’éther elle s’est un peu calmée. Robb râle ostensiblement tout en désinfectant une dernière fois tout le matériel qu’on a trouvé et les objets autour de la « table d’opération ».


« — Vous êtes sûrs qu’on n’a pas le temps de l’amener à un hôpital ? Ils auront du bien meilleur matériel et de meilleurs médecins là-bas et en plus vu les conditions d’hygiène va plaie risque fortement de s’infecter…


— Oui, on en est sûrs » affirme Hopper « Il faut faire ça maintenant, on n’a pas le choix.


— Mais » intervient Lucas « tu as dit tout à l’heure qu’il y avait une chance que l’araignée soit accrochée à la colonne vertébrale… Et si tu endommageais ? Si l’opération échoue ? Si… si elle…


— Je te promets qu’elle va s’en sortir. Je vais essayer de traiter cette chose un peu de la même manière qu’une tique, je vais d’abord l’endormir et ensuite essayer de l’enlever. Si je vois qu’elle est encore accrochée, j’arrêterais tout. Je te le promets. »


Malgré ça je ne peux m’empêcher d’être de plus en plus nerveux moi aussi.


« Pourquoi as-tu quitté l’école de médecine ?


— Bonne question Will… C’est tout simplement par ce que je n’avais plus les moyens de payer une année supplémentaire. Je n’ai pas été renvoyé, et je peux même t’assurer que j’étais un des meilleurs de ma classe, pas assez bon pour recevoir une bourse, mais presque. Maintenant si vous le voulez bien, je vous propose de sortir, on ne va pas jouer avec le feu et risquer encore plus d’infections. »


. oOo.


(009)


« — Will, tu me reçois ? Will ? » appelle Dustin avec son talkie-walkie. « Will, tu es là ?


— Oui, on a trouvé comment “déflageller” Max…


— C’est super ! Pourquoi cette voix d’enterrement ?


— Et bien, j’ai beau être Will The Wise, j’ai vraiment l’impression que ce qu’on va faire n’est pas sage du tout… Pour te la faire courte, Robb s’est réveillé et il est sur le point d’opérer Max sur la table de mon salon, sans le moindre équipement de chirurgie.


— Ça va aller » j’interviens « Robb m’a déjà soignée plusieurs fois… Je sais qu’il en est capable.


— J’espère que tu as raison… En tout cas vous ne pourrez pas rentrer tout de suite dans le “Final Level”.


— Dommage » répond Dustin avec un large sourire « Par ce que Steve vient d’arriver avec les dernières “provisions” et mon plan est juste génialissime. Encore une fois, les D-men s’apprêtent à triompher ! Bref, tu me contacteras quand vous aurez du nouveau… Terminé ! »


À peine Dustin à t il mit fin à la discussion que Nancy lui met sous le nez une des bouteilles de laque qui s’amoncellent maintenant à nos pieds.


« — Et en quoi Farrah Fawcett va-t-elle nous permettre de vaincre les créatures de l’Upside Down ? »


Dustin lui arrache presque la bouteille des mains et saisit un briquet.


« Tu vois ces deux objets ? Et bien tout simplement, si tu vaporises le contenu de cet aérosol sur la flamme de ce briquet et bien… Pousse-toi un peu, je vais te montrer. »


Nous nous écartons tous et dès que le champ est libre, Dustin ôte le bouchon en plastique de la bouteille et vaporise de la laque sur le briquet allumé. Aussitôt une immense langue de feu jaillit devant mes yeux, là où aurait simplement dû se trouver le gaz ! Je sens sa chaleur sur mon visage une seconde puis Dustin relâche sa pression sur le bouton de la bouteille et le feu disparaît. Nous restons tous silencieux, admiratifs jusqu’à ce que Steve lance :


« C’est brillant ! Je n’en attendais pas moins de toi ! » Et lui et Dustin recommencent le même enchaînement de claquements de mains que quand ils s’étaient retrouvés chez Will.


Eleven, elle n’a rien regardé de la scène. Depuis qu’on est arrivés, elle n’a pas quitté l’entrepôt des yeux, sa détermination et sa résolution gravées sur son visage. Je me rapproche d’elle à quatre pattes, pour ne pas dépasser du muret de pierre derrière lequel on s’est cachés. Je ne sais pas vraiment s’il faut que je la console, que je l’encourage ou quelque chose comme ça, et de toute façon je ne suis pas douée du tout pour ces choses-là, donc je décide de simplement m’asseoir à côté d’elle, les genoux ramenés sur la poitrine. Elle prend finalement la parole :


« — Tu étais aussi au laboratoire d’Hawkins n’est-ce pas ? En même temps que Cali et moi ?


— Vu notre faible différence d’âge, je pense que oui.


— Je crois me souvenir t’avoir vue une fois »


Je sursaute. Quand j’étais dans le laboratoire, je n’avais jamais vu aucun autre enfant. J’étais même persuadée d’être la seule à y être enfermée jusqu’à ce que je rencontre Eleven…


« — Je me souviens avoir vu une autre enfant passer avec des médecins devant la chambre arc-en-ciel » continue-t-elle « Avec les cheveux rasés et une tunique d’hôpital. Je m’étais dit que c’était étrange, à part Cali je n’avais jamais vu d’enfant de mon âge… »


Cali ? Ce serait une autre personne avec des pouvoirs, comme nous ? Savait-elle combien nous étions en tout ? Au moins onze puisque qu’elle porte le numéro 011, non ? Je brûle de lui poser toutes ces questions, mais quelque chose, mon instinct peut-être, me souffle que ce n’est pas le bon moment…


« — Je ne m’en souviens pas… Brenner a commencé les expériences sur moi très tôt, il pensait que c’était la seule façon de “réveiller” mon pouvoir comme il disait. Il était certain qu’en me poussant dans mes retranchements et en testant le maximum de mes capacités physiques j’allais devenir de plus en plus forte et libérer la toute puissance de mes autres capacités, surnaturelles celles-ci.


— Et ça a marché ?


— Au final, c’est en m’échappant du laboratoire que j’ai enfin réussi à faire de mon petit pouvoir, jusqu’alors inutile, ma plus grande force. » Je ricane « Brenner l’a bien eu dans le cul ! »


Elle reste muette un moment puis me demande :


« — Si tu ignorais que d’autres enfants étaient enfermés dans le laboratoire, pourquoi es-tu revenue à Hawkins ?


— J’étais en train de regarder les infos, et ils ont annoncé que le laboratoire avait été fermé par ce que certaines substances qu’il dégageait avaient tué une adolescente, alors j’ai décidé de revenir, de chercher dans les bâtiments et, je ne sais pas trop, de trouver… des réponses. Tu vois ce que je veux dire ?


— Oui. »


Je reste assise là, à observer avec elle le bâtiment désaffecté. Nancy et Jonathan nous ont dit que les constructions du territoire du Mind Flayer étaient toutes recouvertes de toile d’araignée, mais celui-ci en est totalement dépourvu. Comme pour faire croire que rien ne se tramait à l’intérieur.


« — Tu penses que la faille est vraiment dans ce truc ?


— Oui. Je la sens, comme Will a senti son retour. On est au bon endroit. »


. oOo.


(Will)




J’aimerais me détourner, mais j’en suis incapable. Au coude à coude avec Mike et Lucas, collés à la fenêtre, je suis hypnotisé par le spectacle qui se déroule à l’intérieur de la maison. Maman a essayé de nous empêcher de regarder, mais elle a fini par perdre la bataille. Je ne cesse de vérifier nerveusement l’heure sur ma montre. Pour l’instant, tout ce que Robb a fait, c’est désinfecter minutieusement le dos de Max et passer un produit sur l’araignée, destiné à l’endormir. Il porte les gants qu’on a trouvés dans la mallette de soin et une simple écharpe lui sert de masque chirurgical. Après avoir doucement piqué l’araignée avec une pince à épiler et nous avoir fait un signe pour nous faire comprendre que son idée a fonctionné, il prend un des couteaux qu’il avait choisis et désinfectés au préalable et l’enfonce dans la peau de Max. Le hurlement qu’elle pousse est déchirant et me semble faire trembler les murs de la maison… Je me doutais que ça allait arriver, mais je n’y étais pas prêt. Lucas a recommencé à pleurer et Mike est anormalement pâle. Du sang commence à couler sur le dos de Max alors qu’elle crie de nouveau, le visage rouge et inondé de larmes. Robb s’arrête un instant et lui met dans la bouche ce qui me semble être une cuillère en bois dans laquelle elle mord de toutes ses forces. Alors qu’il retourne à sa tâche, Robb à l’air plus concentré que jamais, il se saisit d’un autre couteau, beaucoup plus fin, et commence à inciser la peau, le long des nervures noires qui recouvrent le dos de Max. Il progresse lentement, avec une main sûre malgré les quelques spasmes de Max. Je me retiens de pleurer moi aussi en voyant les traits de mon amie métamorphosés, ses yeux agrandis par la douleur, pointés sur nous, nous suppliant d’arrêter sa torture. À la nouvelle incision de Robb, elle se tourne vers la table et pleure de nouveau en poussant un cri guttural. Ce son me fait frissonner. Il est empreint d’une telle souffrance, d’un tel désespoir. J’ai envie de lui crier en retour : ça va aller Max, on n’avait pas le choix. Mais les mots restent bloqués dans ma gorge qui me paraît soudain extrêmement sèche.

Les minutes passent. Lentement, avec une grande concentration, Robb extrait peu à peu les fils noirâtres. Il a commencé avec les plus petits, aux extrémités, puis est remonté petit à petit. À trois reprises, il s’est arrêté pour nettoyer le sang sur le dos de Max. Ses côtes et ses cheveux sont maintenant recouverts de sang séché et la table, les gants de Robb et le sol en sont aussi éclaboussés. Le corps de Max et recouvert de sueur et sa voix est brisée à force de crier. J’ai l’impression que maintenant que Robb a fini d’enlever les nervures les plus fines, il avance un peu plus vite.

Au bout de près de trente minutes d’opération, il arrive enfin au nœud du mal.

À l’instant même où il effleure du bout de sa pince à épiler le corps de l’araignée, le corps de Max se convulse et tous les nerfs malsains qu’il avait ôtés se dressent dans les airs. Avant qu’il ait le temps de réagir, ils le prennent à la gorge et le soulèvent de terre ! Hopper se précipite sur la porte, mais la trouve fermée, Robb s’était bouclé à l’intérieur pour être sûr de ne pas être dérangé. Un bruit de gorge monstrueux nous provient de l’intérieur et Hopper se jette sur la porte pour la défoncer. Toujours tenu en l’air par les minuscules tentacules sombres, Robb balance ses bras dans le vide, étendant au maximum ses doigts pour essayer d’atteindre le couteau qui est tombé sur la table quand il a été soulevé. Hopper se jette encore de tout son poids sur la porte, lui arrachant un craquement sourd. La main gauche de Robb parvient à effleurer le manche du couteau. Une dernière tentative d’Hopper fait éclater à grand bruit de bois de la porte, l’envoyant valser dans la pièce. Il attrape l’un des couteaux à portée de main au même moment où Robb parvient enfin à mettre la main sur le sien et, d’un même mouvement, ils tranchent les immenses pattes de la créature. Au même instant la tête de Max retombe mollement, inconsciente. Moins d’une demi-seconde avant qu’ils ne tombent sur le sol, les filaments se changent en une fumée noire et menaçante qui commence à tourbillonner autour de la table. Robb récupère la pince à épiler et arrache d’un coup sec le corps de l’araignée qui se change lui aussi immédiatement en fumée. Les bouffées noires se regroupent alors brusquement en une boule, au-dessus de la table et un instant plus tard, cette boule implose, projetant tout autour d’elle une onde de choc qui me gifle le visage d’un souffle glacé.

Tout est silencieux, absolument silencieux, puis je prends conscience de ce qu’il vient de se passer. J’attrape maladroitement mon talkie-walkie.


« Dustin ? Dustin c’est bon ! L’opération “‘Checkmate” peut commencer ! »


. oOo.


(009)


Nous sommes tous en cercle autour de Dustin, attentifs.


« — OK D-men, vous savez tous ce que vous avez à faire ?


— On ne pourrait pas tout simplement brûler intégralement cet endroit ? » je propose timidement


« — Non » me répond Eleven « Il faut fermer la faille et tuer le Mind Flayer, sinon le problème sera juste repoussé. Il faut le faire maintenant, avant qu’il ne soit trop puissant. »


Elle pose alors sa main au centre du cercle.


« — Les amis ne mentent pas, et je vous promets qu’on va y arriver »


Nous posons tous nos mains sur la sienne et après nous être laissé cette dernière seconde de répit, nous nous levons et avançons vers l’entrepôt.


. oOo.


Ça va trop vite, beaucoup trop vite ! À l’instant même où la porte explose sous la pression des pouvoirs, une vague de matière sombre déferle sur nous. En moins d’une seconde, nous sommes submergés. J’essaie de crier à l’aide, mais ma bouche se remplit de cette substance mouvante ! J’étouffe ! Je prends le risque d’entrouvrir un tout petit peu les yeux et je m’aperçois alors que ce que j’avais pris pour une masse homogène est en fait une multitude de microscopiques araignées. Elles sont des centaines à passer là, à marcher sur mes cils. Je perçois un cri étouffé, quelque part sur ma gauche. Il faut que je réagisse ! Je serre les poings, faisant dégouliner sur mes phalanges les restes des araignées que j’y ai écrasés et je me concentre. Calme-toi Ella. Si tu veux utiliser tes pouvoirs, il faut que tu te concentres ! Ne pense pas aux autres qui sont peut-être en train de mourir ou à ces araignées qui rampent à l’intérieur de tes oreilles. Non, arrête d’y penser ! Concentre-toi, fais le vide ! Le bruit d’une détonation me parvient à travers celui des milliers de pattes qui parcourent mon conduit auditif. Eleven ! Aussitôt, un déclic se fait et je lance une onde électrique de toutes mes forces autour de moi. Les araignées commencent à tomber, vague par vague. Je recommence. J’envoie toute ma puissance sur la masse grouillante que forment les araignées, mais il en vient toujours plus… Au moins je peux respirer maintenant. Je prends une grande bouffée d’air et lance une autre onde, plus importante encore que les deux premières. Les corps sans vie et fumants des arachnides tombent sur moi en pluie. À chaque araignée qui tombe sur ma peau, je ressens une légère brûlure, comme une brûlure de cigarette. Malgré cela je ne peux m’empêcher de sourire. Je sens que leur nombre diminue ! Je ferme les yeux et lance une autre vague électrique, moins puissante. Celle-ci n’a pas pour but de tuer mes ennemis. Après des années d’entraînement, j’ai appris à me servir de mon pouvoir à la manière d’un sonar. J’analyse le temps que les ondes mettent pour revenir vers moi… Les signaux sont un peu brouillés par la présence de toutes ces araignées, mais j’arrive à déterminer approximativement la position des autres.

Parfait… Je me recroqueville sur moi-même et commence à concentrer toute ma puissance de frappe au centre de la boule que forme mon corps. Les araignées, qui ne reçoivent plus aucune offensive, tentent de me recouvrir à nouveau, mais la sphère d’énergie pure qui grandis collée à la peau de mon ventre déploie autour de moi une sphère de protection qui les en empêche. Au contact de ce pouvoir brut, mes poils et cheveux se dressent d’un même mouvement. Je lui donne encore de l’ampleur. Allez, encore un peu…

Et je le laisse soudain exploser.

La lumière est tellement forte que j’en suis presque aveuglée. J’écarte au maximum mes bras et mes jambes, maintenue dans les airs par une force surnaturelle. Autour de moi, des éclairs fusent en tout sens. J’essaie de garder un minimum de contrôle dessus, pour ne pas blesser mes compagnons, mais à part ça, ils éclatent totalement en dehors de ma volonté. La masse noire qui jusqu’alors nous entourait implose avec fracas, projetant en tout sens les corps sans vie des araignées.

Je redescends sur le sol et jette un regard autour de moi. Eleven se tient déjà face à la porte ouverte, les bras tendus, prête à repousser une prochaine vague de bestioles. Nancy, Jonathan, Steve et Dustin sont en train de se relever et de récupérer leurs « armes ». Merde, ma bombe de laque ! Mon briquet ! Je cherche frénétiquement autour de moi et finis par les retrouver avec un soupir de soulagement.

Nous nous dépêchons tous de rejoindre Eleven, et jetons un œil dans l’entrepôt. Il est très sombre et paraît, à première vue, vide.


« — Il nous attend à l’intérieur » chuchote El « il sait qu’on va entrer…


— Soyons prêts à le recevoir alors » lui répond Dustin « D’ailleurs, Ella, bravo pour ton truc de tout à l’heure ! Une vraie réussite critique ! »


Je souris sans lui répondre. Oui, si on était dans Donjons & Dragons, ça aurait peut être été une réussite critique, mais, pour reprendre les termes du jeu, je sens qu’à cause de ça je suis presque à sec niveau mana…

Après nous être consultés un instant, nous décidons de nous mettre en formation afin de maximiser nos chances. Ceux avec les bombes de laque se mettront en cercle autour d’Eleven, pour qu’elle ne gaspille pas ces forces avant qu’on soit au portail, et de Nancy, qui sera chargée de tirer sur les araignées géantes contre lesquelles notre bouclier de feu ne suffirait pas.

Nous entrons finalement dans le bâtiment.

Nous avons décidé de ne commencer à utiliser nos stocks que quand l’attaque aura débuté, afin de ne pas tout épuiser d’un coup. Les ténèbres sont presque complètes. Seul un clapotis régulier vient briser le silence. Sur le côté gauche de la formation, j’avance en crabe quand soudain je sens quelque chose craquer sous mon pied. Tout le monde s’arrête. Je baisse lentement les yeux vers… un œuf. De la taille d’un œuf de poule et duquel s’échappe un liquide blanchâtre… Alors que je relève les yeux, je vois d’autres œufs. Partout sur le sol. Un premier émane une lumière rouge, comme illuminé de l’intérieur. Puis un deuxième. Et graduellement, tous les œufs commencent à luire dans l’obscurité. Je n’ose plus bouger ou même respirer, hypnotisée par ce spectacle.

À l’instant même où le dernier œuf s’illumine, un bruit inhumain retentit au-dessus de nos têtes. Une multitude d’araignées de toutes tailles descend à toute vitesse du plafond ! Je dégaine aussitôt mon briquet et Farrah Fawcett et une gerbe de feu apparaît devant mon visage. J’entends Nancy tirer dans leur direction alors que Steve hurle par-dessus le tumulte.


« — Ne vous occupez pas d’eux ! Il faut avancer !


— La faille est au sous-sol ! Quelqu’un a vu un escalier ?


— Par là ! »


Nous commençons à suivre Steve à travers l’immense salle. Plus nous nous éloignons de la porte et plus le sol est recouvert d’œufs, que nous écrasons à chaque pas dans un bruit perpétuel de craquement. Au début, les araignées arrivent de toute part, puis, semblant comprendre nos intentions, elles se placent devant l’escalier, en un bouclier de carapaces et de mandibules. Même si notre protection de flammes est efficace, certaines arrivent à passer outre, nous remontent le long des jambes et nous piquent cruellement la peau. Nous continuons malgré tout d’avancer lentement à travers le barrage ennemi. À chaque fois qu’une des bestioles géantes s’approche un peu trop près, Nancy règle ça avec une balle entre ses huit yeux. Nous progressons comme ça jusqu’à l’escalier, dont la descente est rendue impossible par une trappe scellée. D’un mouvement de la tête, Eleven l’envoie en l’air et nous nous engouffrons dans l’ouverture.


« — Referme la trappe ! » je crie


Aussitôt, Eleven récupère la trappe par la pensée et entreprend de la sceller de nouveau, au-dessus de notre tête, mais c’est trop tard. Au moment où elle parvient enfin à nous enfermer, un nombre important d’arachnides nous a déjà suivis au sous-sol. Sans relâcher une seconde ma parcelle de la barrière enflammée, je regarde rapidement autour de moi. C’est le grand sous-sol qu’a dessiné Will, aucun doute là-dessus, mais il est entièrement recouvert d’une matière étrange. Elle semble frémir sous l’effet de la chaleur de notre cercle et je ressens une aura bizarre en émaner… Comme si… comme si elle était vivante… Alors que je marche dessus, je me rends compte que malgré son apparence filandreuse, comme une écorce d’arbre, elle est en réalité poisseuse et collante.

L’arrivée d’une énorme araignée noire juste devant moi me ramène à la réalité. Juste à temps, une balle de Nancy passe à quelques centimètres de mon oreille et elle s’écroule. Nous continuons de combattre les araignées qui nous ont suivis ici en nous rapprochant rapidement de la faille, mais aucune nouvelle ne vient nous attaquer. À vrai dire, il semble qu’il n’y en ait pas d’autres ici… C’est plutôt perturbant, mais tant mieux si ça nous permet d’avoir un peu de répit.


« — Je n’ai presque plus de munitions ! » s’écrie Nancy « Vas-y maintenant Eleven ! »


Le cercle se brise alors que nous arrivons devant la faille monstrueuse et Eleven m’y entraîne à sa suite.

À l’instant où je rentre dans la matière visqueuse, une bouffée de panique s’empare de moi. Je n’arrive plus à bouger ! Et si je n’arrivais pas à sortir de là ? Et si je mourais ici, engluée ? J’essaie de battre des bras, comme je l’aurais fait dans de l’eau, mais rien n’y fait, je suis bloquée !

Sortant de nulle par, une main m’agrippe et me tire à l’extérieur du portail. Je tombe violemment sur le sol. Mon corps tout entier est recouvert de la sorte de mucus tiède qui forme le portail, mais un froid glacé me donne immédiatement la chair de poule. Je me relève aux côtés d’Eleven, elle aussi maculée de la même substance. Nous sommes en apparence toujours dans la même pièce, mais celle-ci est complètement vide. Aucun bruit ne vient troubler le silence glacé. Des grains de poussière volent tout autour de nous. Avant même que j’ouvre la bouche, Eleven répond à ma question.


« — C’est l’Upside Down, Ella… Je sens la présence du Mind Flayer, il est tout près… »


Je la suis dans l’escalier, puis dans la salle de l’étage.

Plus aucune trace des araignées. Ici encore, seulement le froid, la poussière, et un silence de mort. Je remarque que tout est maintenant recouvert de la même substance que le sous-sol.


Nous sortons de l’entrepôt.

Il est là. En face de nous, ou plutôt au-dessus de nous. Je n’ai pas besoin de la confirmation d’Eleven pour savoir que c’est lui. Le Mind Flayer. Une ombre immense. Ses énormes pattes, tels de gros tentacules, sont campées à quelques mètres de nous et sa tête pointue se perd dans les nuages.

Un instant, la scène se fige…

Soudain, un des tentacules s’écrase à un cheveu d’Eleven ! Il a été si rapide que je l’ai à peine vu arriver. Il est immédiatement suivi d’un second, puis d’un troisième ! Eleven et moi sautons sur le côté ou nous écrasons au sol pour les éviter.


« Non ! » crie Eleven.


Elle s’est levée et a les bras tendus vers le Mind Flayer. Il tente de lui envoyer quatre nouveaux tentacules qu’elle dévie. D’autres l’attaquent par-derrière et elle renouvelle son exploit. Le duel a commencé.

Je décide de profiter du fait qu’El ait capté toute son attention pour lui porter un coup. Je lève les bras dans sa direction et un éclair jaillit de mes mains. Au moment où il lui percute la tête, le Mind Flayer laisse échapper un son suraigu et inhumain. Il se replie un instant sur lui-même et un tentacule fonce brusquement dans ma direction ! Eleven le dévie au dernier moment et il s’écrase sur le sol, à mes pieds.

Sans prendre en compte les possibles ripostes, je renouvelle mon attaque. Je vise toujours sa tête et enchaîne les coups aussi vite que possible pour l’empêcher de contre-attaquer. Eleven frappe elle aussi la créature de toutes ses forces. L’air est chargé d’une puissante tension. Du sang nous coule à toutes les deux du nez et le Mind Flayer se recroqueville progressivement sur lui-même en poussant des hurlements de plus en plus déchirants. On va y arriver, je le sens ! Je n’ai jamais été aussi concentrée de ma vie, et je pense que c’est pareil pour Eleven.

Je joins les mains dans le but de lancer une autre décharge dans la direction du Mind Flayer, mais tout ce que j’arrive à produire c’est une minuscule étincelle. Avec le début de ce combat et ma riposte de tout à l’heure contre les araignées, mes forces sont totalement épuisées… Je me sens fatiguée tout d’un coup… Mes bras retombent mollement le long de mon corps.

Une ombre floue passe sous mes yeux et une douleur soudaine dans le bas ventre m’arrache un cri. Je baisse les yeux. Un des tentacules du Mind Flayer s’est enfoncé profondément à travers mon ventre. Je reste sans bouger, figée, sans vraiment comprendre ce qu’il vient de se passer. Le tentacule glisse en dehors de la plaie et se rétracte. Du sang s’écoule sur mes jambes et goutte lentement sur le sol. J’entends vaguement le hurlement de colère d’Eleven, recouvert par le bourdonnement sonore de mes oreilles. Je pose mes deux mains sur la blessure et tombe sur les genoux. Je vois le sang recouvrir mes doigts sans avoir totalement conscience qu’il s’agit du mien. Mon sang. Je me sens tout à coup encore plus fatigué et m’allonge sur le sol glacé… Eleven est juste devant moi. Je devine en la voyant qu’elle crie, mais je le l’entends pas. Je n’entends plus rien d’autre que le bourdonnement de plus en plus fort de mes oreilles. De toute évidence, le Mind Flayer s’est désintéressé de moi, sinon il m’aurait déjà asséné un autre coup… Je continue de regarder Eleven, à présent incapable de détacher les yeux d’elle. Ses deux bras sont tendus devant elle. Du sang coule d’un rouge vif lui coule maintenant aussi des oreilles. L’aura de puissance qui émane d’elle est telle que l’air autour de son corps est comme flouté. Lentement, ses talons se soulèvent, suivie du reste de ses pieds et elle reste suspendue à un mètre du sol. La gigantesque ombre, si effrayante il y a une minute, recule devant la puissance de son assaut. Voir le tout puissant Mind Flayer battre en retraite a quelque chose d’étonnamment drôle. Je souris péniblement. Tiens, c’est marrant, je ne sens plus mon visage…

Je me sens sombrer. C’est exactement la même sensation que lorsqu’on s’endort et qu’on a subitement l’impression de tomber, sauf que là je ne peux pas juste me réveiller. C’est con comme mort… Vraiment, comment est-ce que j’ai pu être aussi idiote ? Un moment d’inattention et…

Je force les coins de ma bouche à s’étirer une dernière fois alors que mon champ de vision se brouille et que ma respiration se fait laborieuse.


Autant mourir avec le sourire… 


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