Des lettres contre une lettre

Madame Fielding,

Voilà cinq heures que nous sommes séparâmes, voici cinq siècles que je me consume du désir de vous révéler mes véritables intentions. Quel supplice cela fut-il, de rejeter aussi sèchement votre candidature au poste d'officier de police, alors même que vous aviez fait preuve non seulement de tous les talents que réclament cette fonction, mais également de la détermination sans faille qu'impose la fréquentation constante de la mort, et de la probité inaltérable qu'exige le port de l'uniforme, témoin muet de la confiance que nous accordent nos concitoyens et qu'il serait désastreux de trahir pour la stabilité de la société.

Ce dernier point m'amène justement à ce qu'il fut si pénible de vous dissimuler lors de notre entretien : l'intégrité de nos forces de police me semble altérée, et c'est parce que je devine en vous la meilleure des policières que je vous enjoins de ne pas la devenir présentement. Mes soupçons sont encore trop vagues pour que je ne m'autorise la moindre intervention publique, et je dois poursuivre mes investigations dans l'ombre. Je ne vous en apprendrai pas plus au cours de cette lettre, car il ne m'est pas permis de vous compromettre par des révélations qui feraient de vous ma complice sans que j'ai eu de votre bouche un assentiment ferme et éclairé.

Si cette perspective ne vous effraie point, savoir d'enquêter à l'encontre de la puissance qui devrait nous protéger, de concourir à dissiper un mystère tout en s'enveloppant soi-même de mystère, d'agir pour le bien de la communauté sans son appui ni sa reconnaissance, alors retrouvez-moi samedi au square Milton Friedman, sous l'enseigne du Mac Donald, à l'heure où le soleil se prépare pour son céleste repos. Ne cherchez pas à vous apprêter d'une quelconque manière, présentez-vous ainsi que vous êtes, et soyez certaine que même sans artifice je vous reconnaîtrai entre mille, car jamais je ne pourrais oublier le brun sauvage de votre chevelure ni l'intensité de votre regard.

Ne soyez pas surprise de ce que je vous écrive à votre domicile, ne vous imaginez pas une angoissante filature ou de non moins peu scrupuleuses recherches dans les fichiers des services secrets : votre adresse était inscrite dans votre dossier de candidature, et toute ma malice consista à la recopier avant de conduire ledit dossier au rebut.

Encore une chose : il n'y a plus de Monsieur l'officier ; il a un Axel Stone, qui s'adressera à Blaze Fielding. Nous formerons une société secrète qui ne comptera que ces deux membres et établira ses propres règles sans se soucier des usages du reste du monde. Nulle hiérarchie n'imposera une froide distance entre nous, et je vous prierai de vous adresser à moi d'égale à égal.

Comptant sur votre pardon pour le manque d'aménité dont je fus contraint de me parer lors de notre entrevue, et confiant dans l'impression de courage et de moralité que vous me fîtes, je vous adresse mes néanmoins tremblantes salutations, et vous souhaite de passer les trois jours qui nous séparent de notre rendez-vous avec moins d'impatience que celle qui me ronge déjà.

P.S. : En me relisant, je remarque que mon enthousiasme pourrait faire l'objet d'une regrettable interprétation. Il ne vient que de la joie d'avoir rencontré un pilier extérieur à une institution sur laquelle je ne peux plus espérer me reposer. Aussi aimable que me soit votre personne, ne lisez rien dans cette lettre qui puisse attenter à votre pudeur, il ne s'y trouve que des sentiments innocents à votre égard, et je respecte tout autant votre vertu que je porte d'espoir en l'hypothèse de notre future association.