New Orleans Haunted Tour

Chapitre 4 : Un autre genre de revenant

4977 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 28/12/2016 12:49

UN AUTRE GENRE DE REVENANT

xXx

La première chose dont il fut d'abord conscient, ce fut l'odeur si caractéristique qui régnait dans ce genre d'endroit. Bien avant les multiples petits sons, le clapotement feutré des pas étouffés par le linoléum moucheté et le couinement des roues en caoutchouc des chariots, bien avant les lumières agressives des plafonniers aux néons clignotants et des lampes qui éclairaient le dosseret du lit médicalisé où il se trouvait. En essayant de se gratter le nez, il embarqua le fil qu'il avait à la main et fit tanguer la potence à laquelle était suspendue un petit sac translucide plein de glucose.

Super. Un hôpital. Mais pourquoi ?

La dernière chose dont il se souvenait, c'était la maison LaLaurie avec deux guignols chasseurs de fantômes...

Il grimaça en tentant de déglutir avec difficulté et numérota ses abattis. Ses oreilles lui faisaient mal, sa gorge lui faisait mal, la main où il avait la perf' lui faisait mal, et la seule pensée réconfortante à l'horizon, était que si tout allait bien dans le meilleur des mondes, la forme qui se trouvait en train de patienter dans le fauteuil inconfortable près de lui était… Scully. Cette seule pensée le fit sourire tristement. Tant de chambres d'hôpital entre eux, pour des éraflures causées par des trente-huit ou des circonstances bien plus dramatiques, comme le cancer de Dana ou sa propre contamination par le virus alien... Et elle était encore là, à veiller doucement sur son sommeil… Il n'aurait pas été surpris qu'elle choisisse plutôt de le planter pour rentrer à Washington. Dès qu'il pourrait tourner la tête sur la gauche – ce qui était encore un tout petit peu difficile – il tâcherait de lui dire quelque chose de gentil, histoire de se faire pardonner ce week-end "carrément" calamiteux.

— Hey, sexy ! lança-t-il en s'orientant un peu mieux vers le fauteuil. Comment se fait-il que tu sois encore là pour t'assurer que je vais bien ? Si c'est pas de l'amour ça, alors je veux bien être…

Le sourire de Mulder s'effaça en une seconde quand il croisa le regard bleu-vert étonné de l'agent Costello qui le considérait avec une expression discrètement amusée, en levant le nez de ce qu'il était en train de compulser sur ses genoux osseux.

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L'ex-agent du FBI recula un peu la tête en plissant les yeux. Bon, tout n'allait pas bien dans le meilleur des mondes, Aldous. Ce n'était pas Scully qui attendait son réveil. L'autre s'éclaircit la gorge pour expliquer :

— Il fallait que quelqu'un reste avec vous et j'ai perdu à la courte-paille.

— Désolé pour ça, s'excusa Fox avec embarras. Ne le prenez pas personnellement, mais je n'imaginais vraiment pas me réveiller dans l'autre monde à vos côtés.

— Vous n'êtes pas encore mort. Les rumeurs à ce sujet sont, comme on dit, largement exagérées.

— Sans doute, grimaça Fox. J'ai bien trop mal pour ça. C'est en général un indicateur assez sûr.

— En général, oui.

Le sibyllin faussaire reposa ce qu'il lisait par terre à côté de lui. Un dossier à la fine couverture cartonnée beige, qui n'était pas expressément explicite sur la nature de son contenu.

— Et… donc, est-ce que je peux savoir où est Scully ? Dans une autre chambre, pas loin ?

— Absolument pas... Comme elle a suivi les instructions de notre ami Castiel, elle n'a pas subi les mêmes dommages que vous. Elle va très bien. Et je dois dire qu'elle n'a pas arrêté depuis plusieurs heures.

— Plusieurs heures ?

— Oui, c'est ça. Pour commencer, elle a filé un coup de main pour l'autopsie du premier cadavre – celui qui est tombé par la fenêtre – et comme mon frère faisait le malin, elle l'a traîné de force à la morgue pour qu'il lui serve d'assistant. Dean a le cœur bien accroché, mais quand il est ressorti, il était très vert… Un grand moment ! Après, elle est revenue vous voir mais comme vous dormiez toujours, elle a rendu visite à l'équipe de la police scientifique qui a pu recueillir de nombreux échantillons sur place après notre départ. Elle s'est alors beaucoup intéressée aux termites que nous avons vus. Comme Dean ne voulait pas recommencer les dissections de sitôt, c'est lui qui est resté avec vous, pendant qu'elle et moi avons observé les cellules des différents rampants au microscope. Fascinant. En plus, elle ne semblait pas ennuyée par mes questions, et ça je dois vous avouer que c'est super rare... Comme le labo ne croulait pas sous les demandes, ils nous ont laissé utiliser quelques-unes de leurs machines pour analyser les bestioles et, dans ce rapport déjà terminé (!) que j'essayais de suivre, je crois qu'elle explique qu'il y a un problème avec les insectes... Elle souligne qu'ils paraissent avoir subi des mutations génétiques, supposément à cause de leur alimentation. On n'a pourtant pas fouillé le contenu de leurs estomacs ! gloussa-t-il pour lui-même. Je crois qu'elle a laissé échapper que vous avez déjà travaillé ensemble sur plusieurs cas impliquant des OGM avec une influence néfaste sur la faune et la flore, non ?

— Oui, répondit Mulder surpris que Scully se soit laissée aller à dire quoi que ce soit de leur ancienne vie. Vous auriez adoré : des centaines de bestioles noires qui jaillissaient des gens comme des geysers. Je ne vous raconte pas l'état ravagé de l'intérieur des victimes. Pourtant, on n'est pas dans les champs, mais en pleine ville, dans une très vieille maison qu'on ne saurait accuser a priori, d'être exposée aux sous-produits nocifs d'une grosse firme trafiquant des graines à des fins bassement commerciales…

Le jeune homme aux longs cheveux châtains haussa les sourcils d'un air entendu, avec un rictus qui dévoila sa canine naturellement pointue. Il n'avait pas l'air surpris le moins du monde. Il fallait sûrement être un dur pour résister à la dissection d'un cafard, persiflait mentalement Mulder.

— J'ai déjà été sur des cas qui ressemblaient à ça, mais spontanément, je n'aurais pas songé à accuser une industrie agricole locale, admit son garde-malade.

— C'était une partie de notre travail. Enquêter sur les phénomènes apparaissant comme paranormaux et mettre en évidence les causes réelles et sérieuses pouvant les expliquer scientifiquement. Scully était évidemment mon meilleur atout pour y arriver.

— Et la science permettait vraiment de tout expliquer ? interrogea Costello en inclinant la tête d'un air très légèrement dubitatif.

Mulder fit la moue et opina lentement plusieurs fois, la mine pensive.

— Souvent. Mais ça ne voulait pas dire que nous n'étions pas profondément questionnés sur le vivant et les anomalies de la nature.

— Et pourquoi diable avez-vous arrêté ?

— Nos enquêtes ne plaisaient pas à tout le monde et ce que nous trouvions non plus, car en vérité les intérêts en jeu dépassaient de loin la simple petite exploration botanique d'un cabinet de curiosités… A partir d'un certain point, j'ai estimé que le jeu n'en valait plus la chandelle.

Sam sourit en posant ses coudes sur ses genoux, les mains croisées sous le menton, et secoua négativement la tête avec amusement.

— Hon-hon. Vous mentez. Je vous ai bien observé, ce soir. Vous vous en preniez à ces fantômes comme si vous aviez un vieux compte personnel à régler avec eux… Pas du tout la tête de quelqu'un qui veut que tout ceci s'arrête…

— Mon amie et moi ne sommes pas forcément d'accord sur cette question. Mais m'entêter sans elle, ce n'est pas pareil… Nous avons été très efficaces en équipe. Je n'ai pas la prétention de penser que je pourrais faire une carrière solo quand j'ai conscience que c'est la synergie du groupe qui m'a porté jusque-là, plaisanta-t-il. Et j'ai d'ailleurs l'impression que c'est exactement la même chose pour vous et votre frère... n'est-ce pas ?

Sam apparut indécis, un instant déstabilisé dans sa chaise à bras en vieux skaï noir élimé, et il se releva spontanément pour toiser le patient de toute sa hauteur.

— Qui vous a dit que c'était mon frère ? On ne se ressemble pas du tout physiquement…

Mulder sourit à peine, content de le faire réagir et qu'il soit autant sur la défensive.

— Oh, mais je l'ignorais jusqu'à ce que je vous voie combattre dans le Manoir. En fait, vous donniez assez bien le change tant que nous étions à l'extérieur, mais plus au moment de l'attaque. Sous la pression, le danger et l'urgence, les masques sont tombés. Vos mouvements trahissaient l'habitude et la confiance. Pour acquérir une telle synchronicité et une telle complicité, en deux trois ans de partenariat, il faudrait que vous ayez vécu des quantités d'événements forts. Je sais d'expérience que ça soude une équipe...

Mécontent, le jeune homme dont le visage s'était fermé se baissa pour reprendre le dossier et le jeter sans ménagement sur l'assise du siège qu'il venait de quitter. Fox poursuivit d'un ton plus délibérément prudent et plus bas.

— Il y a aussi... le fait que vous empiétez souvent dans l'espace personnel l'un de l'autre, par exemple quand vous vous parlez en chuchotant à voix basse à moins de trente centimètres… Je n'avais pas beaucoup d'options. Soit vous étiez un couple, soit vous étiez des frères. Au pire, des cousins ou des amis d'enfance. Mais vous m'avez fourni la solution de vous-même tout à l'heure, en appelant votre coéquipier "mon frère" et comme vous n'avez pas spécialement le type afro-américain...

Sam pinça les lèvres. Il s'était laissé embobiner par l'air débonnaire et volontiers causant de cet homme alité, qui avait réussi à lui soutirer des informations sur leur compte sans même qu'il le réalise. Ce touriste était décidément assez dangereux dans son genre. Face à des démons auxquels il avait l'habitude de n'accorder aucune confiance, il était entraîné, mais face à la duplicité des gens ordinaires, il se sentait démuni et s'en voulait de l'avoir été.

— Votre collègue a dit qu'elle était légiste, mais rappelez-moi quelle était votre spécialité au FBI déjà ?

— Oh, je crois que c'était d'être considéré comme un connard inutile, mais on appelait plutôt ça "profiler", répondit Mulder.

Son sourire hésitait entre le machiavélisme et l'ironie, comme s'il était content de sa blague, et content de montrer qu'il n'était pas qu'un has been insignifiant. Orgueil, ô orgueil, quand tu nous tiens !

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sSs

Parce que Dean s'ennuyait ferme en se demandant pourquoi ils n'étaient pas déjà partis depuis longtemps, il avait accepté de conduire la blonde en ville, à son hôtel qui était situé près d'un méandre du Mississipi. Plusieurs choses plaidaient pour. Ce n'était qu'à un kilomètre et demi. Et la circulation d'un dimanche matin avant midi était fluide. Madame avait l'intention de récupérer le sac de voyage de son ami dont il aurait sans doute besoin quand il sortirait, et le chasseur avait sauté sur l'occasion pour prendre l'air.

En réalité, il voulait l'avoir à l'oeil. Pour être clair, il voulait avoir à l'oeil toute femme à laquelle son petit frangin trop naïf semblait s'intéresser, souvent avec des conséquences terribles. En plus, ça le changeait un peu d'en rencontrer une sur laquelle son charme n'avait aucun effet. Tenter de flirter avec elle pendant l'autopsie n'était pas une manière de la souffler à son cadet ou de le rabaisser. Pas de son point de vue, en tous cas. A son idée, il s'interposait plutôt comme un bouclier entre lui et les emmerdes.

Pour une raison qu'il ignorait, celle-ci était imperméable à son numéro et préférait ouvertement Sammy. Même si le vieil agent avait souligné qu'elle aimait les types supérieurement intelligents, Dean aurait aimé être sûr que ce n'était pas qu'une manœuvre. Il avait du nez pour ça. Dans son métier, c'était vraiment un atout. Et depuis quelques heures, alors que tout semblait se passer presque bien, alors qu'ils n'avaient pas été arrêtés… il avait pourtant le sentiment inconfortable que quelque chose ne tournait pas rond.

Ok, il voulait bien reconnaître que lorsque Castiel était apparu, tout frétillant parce que Madame avait "la foi", ça l'avait un peu énervé. Parce que, qui se cassait le popotin à sauver le monde des démons, et puis pas vraiment aidés par ces trouducs emplumés ? Qui menait une vie merdique trempée de sacerdoce et de sang où il n'y avait pas de place pour l'insouciance mais juste des apocalypses à la chaîne et sans jamais recevoir un mot de remerciement ?…*

Et puis cette nana encore carrossée comme une Impala se pointait avec son petit nez fin ridicule, ses yeux candides et son sourire hautain de princesse qui a une crotte sur la chaussure, et avec son aide – pouf comme ça, d'un coup – Castiel avait filé un énorme coup de karcher dans la vieille bicoque de M. Cage ! S'il restait encore des fantômes, ça risquait d'être les plus vieux, les plus "incrustés" ayant acquis le plus de pouvoir, mais même planqués, ils ne pouvaient qu'avoir été ébranlés jusqu'au fond du fondement par ce qui s'était passé là-bas avec ces deux-là aux manettes…

L'aîné des Winchester était aussi inquiet pour une autre raison : avec une telle puissance dégagée, peut-être plus forte que ce que l'ange du Seigneur avait escompté au départ, c'était un véritable signal tonitruant à l'attention de tous ses petits camarades... Ils étaient cons, mais pas débiles. Des dizaines de Faucheuses avaient rappliqué fissa pour reconduire les âmes libérées par petits groupes, façon charter. Au milieu d'elles, il aurait même juré avoir vu Tessa, sa Faucheuse attitrée, lui adresser un petit signe de tête discret. Flippant. Quand votre Faucheuse commence à vous faire des petits coucous, vous pouvez parier que vous n'en avez plus pour très longtemps…

Après le nettoyage, Monsieur Propre avait téléporté le touriste téméraire qui pissait le sang par les yeux et les oreilles, juste devant l'hosto le plus proche sur Tulane Avenue, et il les avait incités à partir très vite, disant qu'il reconduirait "Dana" aux urgences... Dean était sûr que Castiel voulait rester avec elle pour "expliquer" ce qui s'était passé au Manoir, au cas où des anges se manifesteraient pour vérifier ce que c'était que ce bordel… Il comprenait, mais ça le mettait en boule quand même.

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A côté de lui, sa passagère soucieuse était restée silencieuse tout du long. Pour la première fois, il songea qu'elle était peut-être fatiguée, après tout, ce n'était pas une jeunette, ou qu'elle s'en faisait seulement pour son mec. Ça devait sûrement être son mec en fin de compte. Il les avait vus se couvrir mutuellement pendant l'attaque comme s'ils avaient fait ça toute leur vie. Et à cause des regards éloquents entre eux deux, il n'était justement pas certain de ce qu'elle voulait à Sam. Le frangin n'avait probablement pas assez de bol pour que ce soit une partie à trois ! Non, ça devait être bien pire. Peut-être que celle-là voulait le sauver en estimant qu'il valait bien mieux que cette vie pourrie qui était la leur. Elle n'avait pas forcément tort là-dessus.

Mais Sam était têtu. Dean savait pertinemment que le seul moyen pour qu'il arrête définitivement la chasse, ce serait qu'il y reste lui-même. Mais vu qu'il venait de ressusciter, Dieu seul savait pourquoi, ce ne serait pas encore pour cette fois.

Quand il rangea Baby sur le parking du Marché Français qui avait l'obligeance d'être face au French Market Inn, elle lui adressa enfin la parole, l'informant seulement qu'elle montait juste chercher le sac et qu'elle revenait tout de suite. Il avait acquiescé et l'avait regardée s'engouffrer en hâte par la porte donnant sur la rue.

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Vingt minutes plus tard, elle n'était toujours pas revenue et Dean se dit qu'il allait monter pour voir ce qu'elle fabriquait. Peut-être qu'elle avait des problèmes ? Les gens qu'ils rencontraient, Sam et lui, en avaient toujours un peu, tout le temps…

Quand il traversa la rue à double voie pour rejoindre l'entrée, c'est là qu'il vit deux types qui étaient manifestement de faction cent mètres plus loin… à battre le pavé face à un énorme SUV foncé, vraiment pas discret. Ça ne sentait pas bon, mais il restait perplexe car le véhicule était limite tonitruant. Le vieux pick-up cradingue de Bobby, ça c'était une caisse qui n'attirait pas l'attention ! S'ils ne se cachaient pas, c'est qu'ils avaient le sentiment d'être en force... Dean grimaça et releva son col en faisant mine de se réchauffer les mains pour les tenir devant son visage, la tête basse pour être moins susceptible d'être identifié de loin… Il n'allait pas leur faciliter la tâche, non plus !

A l'accueil, son meilleur sourire pour la réceptionniste de l'accueil suffit pour qu'elle accepte fort volontiers de lui donner le numéro de la chambre de "son amie Dana". Il grimpa sportivement par les escaliers et trouva le couloir en question, au dernier étage. Il était en train de lever le poing pour frapper à la porte blanche qui se détachait entre les murs recouverts de briques rouges quand il entendit quelque chose qui le figea sur place.

Une conversation.

S'approchant doucement, il plaqua sans bruit son oreille contre la porte. La dame parlait mais elle n'était manifestement pas seule. Il y avait une voix d'homme avec elle. Après deux secondes d'amusement pendant lesquelles il eut le temps de se dire qu'elle aurait remonté dans son estime si elle avait en fait un amant, un frisson tout différent lui parcourut l'échine quand il reconnut inopinément les inflexions de cette voix.

C'était totalement impossible, mais son propriétaire ne pouvait être que son propre grand-père Samuel Campbell. Leur rencontre lors d'un petit saut très récent dans le passé lui laissait très peu de doutes à ce sujet. Le malheureux était mort en servant d'hôte involontaire à leur pire ennemi, un démon parmi les plus retors et les plus puissants de l'Enfer**.

Son sang se glaça dans ses veines et machinalement, il entama l'inventaire manuel de ce qu'il avait d'utile sur lui. La triste vérité s'imposait lentement : cette pourriture d'Azazel était dans cette pièce en train de bonimenter Dana et il n'avait presque rien pour l'affronter !

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xXx

Quand elle avait pénétré dans sa charmante et inutile chambre, impeccablement en ordre, la première chose qu'elle avait vu pourtant, et qui avait accéléré son rythme cardiaque, était un homme assez grand en imper gris anthracite, de dos, et penché en train de fouiller un de leurs sacs posé sur le lit à la courtepointe blanche.

Le déclic de la sécurité de son neuf millimètres le fit se relever et elle constata qu'il était chauve et en costume.

— Levez les mains en l'air et tournez-vous très lentement vers moi ! intima-t-elle de son ton le plus intimidant en espérant que ça suffirait.

L'inconnu avait obtempéré et elle s'était trouvée bientôt face à face avec… Skinner. Éberluée de le voir là, elle s'était contentée de cligner des paupières sans penser à baisser son arme tout de suite, le temps que l'information descende un peu lentement au cerveau, en raison des dernières heures difficiles et épuisantes.

Il avait toujours le même visage grave, dominé par son énorme nez en patate et une inhabituelle barbe de "week-end ! Je ne me rase pas !" assez blanche maintenant, mais il avait paru bizarrement soulagé, ses lèvres esquissant un petit sourire contenu de bienvenue.

— Scully ! Je suis vraiment content de voir que vous allez bien !

En entendant son nom, elle sembla se reprendre et remit la sécurité de son arme avant de la ranger dans son sac et de s'approcher.

— Directeur-Adjoint Skinner ? Mais qu'est-ce que vous faites-là à fouiller dans nos affaires ?

Son ancien patron avait jeté un coup d'oeil embarrassé sur les sacs restés béants dont leurs passeports avaient été extirpés et posés à côté sur le lit.

— Pour deux raisons… Est-ce que Mulder est avec vous ? s'était-il enquis en regardant d'une prunelle vaguement réprobatrice le lit unique et le cadre romantique de la pièce tout autour.

— Et bien, euh oui… bredouilla-t-elle en se maudissant de se sentir rougir à son âge. Il y avait cette convention un peu plus au nord de l'État, et il a voulu faire un crochet pour le week-end… Quel est le problème ?

Elle essaya de se dire que ça ne le regardait pas, qu'ils n'étaient plus au FBI et donc plus collègues… Mais c'était d'autant plus difficile qu'au fil du temps, leur supérieur direct s'était révélé être plus qu'un indéfectible protecteur pour eux, face aux magouilles politiciennes du Bureau. Le malaise du Directeur-Adjoint semblait aller croissant ainsi que le pli soucieux sur son front.

— Où est Mulder actuellement ?

— A l'hôpital, je venais justement chercher ses affaires…

— Pourquoi à l'hôpital ? s'alarma-t-il.

— Un petit accident bénin. Mais allez-vous me dire enfin ce qui se passe ?

— Asseyez-vous, s'il vous plaît.

— Dites-moi d'abord ce qu'il y a !

— D'accord, d'accord. Il s'avère... que suite à une évolution de l'état de santé de votre mère, l'hôpital où vous travaillez a essayé de vous joindre sans succès. J'ai découvert avec surprise à cette occasion que j'étais toujours sur votre liste de contacts à appeler en cas d'urgence, répondit-il gentiment concerné avec une œillade hésitante derrière ses verres ronds aux montures de métal. Je n'y aurais probablement pas accordé trop d'importance si je n'avais pas reçu hier soir et presque au même moment, un texto avec une mauvaise photo en provenance du téléphone de Mulder me demandant d'identifier l'individu qui s'y trouvait. Parce que bien entendu, je n'ai que ça à faire de mon temps libre ! Enfin passons... J'ai fait suivre au service concerné, qui m'a rappelé en moins de dix minutes. Le logiciel de reconnaissance faciale a fourni une identification positive pour un tueur en série multirécidiviste connu sous le nom de Dean Winchester. Il opère en général avec son frère Sam et ils possèdent des complicités très obscures qui leur permettent d'échapper à nos services depuis trois ans. Ils sont très dangereux, partout où ils passent les cadavres pleuvent. L'agent en charge de leur dossier était Henriksen et il est mort en service, il y a très peu de temps. Il a eu le temps d'établir un dossier épais de cinq centimètres sur ces deux-là ! Est-ce que vous leur avez parlé ?

— Eh bien… pas trop, tenta de temporiser Dana, tout de même un peu surprise. Vous avez donc voyagé toute la nuit pour venir les appréhender ?

Il baissa les yeux un instant avant de poursuivre :

— Disons que ça m'a laissé le temps de compulser à fond leur dossier. Triste histoire de deux gamins embrigadés et militarisés par un père en roue libre, qui a perdu les pédales à la mort de leur mère, grinça-t-il. Pas de vrai foyer, des déménagements incessants, un père aux abonnés absents qui les laissait seuls pendant des semaines… L'aîné était déjà considéré comme un petit délinquant dès l'âge de quinze ans. Malheureusement, il a réussi à reprendre l'ascendant sur son cadet il y a quelques années, quand la petite amie de ce dernier a été retrouvée éventrée et brûlée vive dans leur appartement. A partir de là, Sam Winchester a quitté l'université et n'a plus donné aucun signe de vie à ses anciens amis. On ne sait même pas de quoi ils vivent au juste, ni qui les aide, car il est certain que quelqu'un le fait.

Il avança d'un pas vers elle, toute autorité dehors et débordant d'assurance virile, pour répéter d'un ton patient.

— Écoutez Scully, vous avez eu énormément de chance, ne la tentez pas davantage. J'ai des hommes avec moi qui vont vous reconduire immédiatement à l'aéroport où vous prendrez le premier vol pour Washington. Soyez là pour votre mère. Ne vous inquiétez pas pour Mulder, je vais le chercher moi-même. Vous me garantissez qu'ils ne vous ont pas repérés d'une façon ou d'une autre ?

— Et bien, c'est à dire que…

— Dana ?! insista-t-il en affichant cette fois une véritable inquiétude.

Quand il la saisit par le bras, il sut instantanément qu'il venait de dépasser les bornes fatidiques de leur relation si strictement professionnelle. Enfin, anciennement professionnelle. Mais il s'en fichait. Il avait vu les photos des cadavres que ce duo infernal laissait derrière eux et pas elle, et ça ne faisait que renforcer la conviction qu'il agissait pour le mieux.

Elle fronça les sourcils pour se dégager d'un mouvement d'épaule qui le laissa penaud.

— Et bien, oui on leur a parlé !… répondit-elle un peu vivement. Il y a eu un incident pendant notre visite guidée de la ville, hier soir. Ils étaient là comme nous, à écouter le guide nous raconter ses histoires à filer la chair de poule, pour amuser les touristes. Croyez-le ou non, une fenêtre a explosé à ce moment, un cambrioleur qui se trouvait là est tombé mort sur le trottoir et ces deux hommes ont voulu entrer dans la maison sans attendre la police, en clamant qu'ils étaient des agents du FBI en civil… Vous connaissez Mulder, son flair s'est mis en marche. Il a pris cette photo (j'ignorais que c'était à vous qu'il l'avait envoyée) et il les a suivis à l'intérieur... Sur place, nous avons été enfermés par le système de sécurité et découvert un gros problème sanitaire…

— Un problème sanitaire ? répéta Skinner totalement déconcerté par ce compte-rendu.

— La maison grouillait d'insectes, et il y avait des émanations toxiques passablement hallucinogènes qui ont probablement causé la mort du cambrioleur, en le poussant à voir des choses et à se défenestrer. Le rapport toxicologique est à la morgue. Mulder a été un peu plus touché que moi, et pour le dire simplement il a mal réagi en raison des médicaments qu'il prend toujours… Quand les secours sont arrivés, ils ont préféré le conduire aux urgences… C'est tout !

Faute de savoir comment les justifier, elle préférait largement passer sous silence tous les aspects surnaturels pour lesquels elle n'avait strictement aucune preuve ; sans parler du fait qu'ils n'étaient pas censés se mêler d'une quelconque enquête, de quelque nature que ce soit, en étant redevenus de simples citoyens ordinaires.

Skinner soupira amplement et c'est tout ce qu'il se permit pour montrer son anxiété latente. Il garda un moment le silence en la considérant suspicieusement derrière ses grandes lunettes qui envoyaient des reflets. Elle savait que c'était sa manière polie de dire : "je sais que vous me mentez, mais je vous fais confiance, il y a une raison que vous finirez par me dire, quand vous serez prête".

— Très bien. Prenez votre sac. Je descends avec vous jusqu'à la voiture blindée qui attend en bas, et puis je fonce à l'hôpital récupérer Mulder. Vous pensez que les Winchester y sont toujours ?

Skinner venait d'ouvrir la porte en grand pour sortir et il s'arrêta net.

Derrière elle, une petite surprise d'un mètre quatre-vingt-six l'attendait, bien campée sur ses deux jambes écartées. Le Directeur-Adjoint du FBI leva les mains en l'air, nez à nez avec le canon d'un flingue dont la sécurité venait de cliqueter et derrière lequel se tenait debout l'Arrogance personnifiée par Dean Winchester, un sourire froid à la bouche.

— Tu n'iras nulle part avec cette femme ! déclara-t-il d'une voix menaçante et posée. Je ne sais pas comment tu as fait ton compte, mon salaud, mais je ne te laisserai pas l'emmener, ni lui faire le moindre mal. Les balles de ce joujou sont en fer. Ce n'est pas assez pour te tuer mais bien suffisant pour te ralentir pendant qu'on met les voiles. Maintenant en arrière, ou je commence à réciter des prières que tu ne vas pas aimer du tout !

Et pour marquer le coup, de l'autre main qui tenait une petite flasque en argent, il lui balança une bonne rasade d'eau bénite à la figure.


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Notes de l'auteur :

* Celui qui a dit "Buffy" dans le fond, ça va hein ! Ils sont plusieurs sur le créneau...

** Pour ceux qui essaieraient de lire sans être totalement bilingues des fandoms : l'acteur Mitch Pileggi a joué à la fois Walter Skinner dans X-Files et Samuel Campbell dans Supernatural.

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