New Orleans Haunted Tour

Chapitre 10 : Who ya gonna call?

5334 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 27/03/2018 21:06

WHO YA GONNA CALL?


sSs

New Orleans, Motel 6, 18 novembre 2008

Les yeux grands ouverts dans le noir, Dean était étendu tout habillé sur le couvre-pied de son lit de motel lorsqu'il aperçut l'écran de son téléphone posé sur la table de nuit s'illuminer. Il jeta un regard sur la grande silhouette chevelue de Sam qui dépassait des draps du lit voisin, son ample et lente respiration signalant qu'il venait de s'endormir à peine une demi-heure plus tôt. Un sourire étira les lèvres de l'aîné lorsqu'il le vit si profondément abandonné au sommeil, comme lorsqu'il était enfant. Sans faire de bruit, il se leva, attrapant son téléphone d'un même mouvement et navigua à tâtons entre les meubles pour aller se glisser dans la salle de bains attenante. L'écran affichait simplement "Bobby" et il prit aussitôt l'appel.

Secrètement toujours en contact depuis qu'ils avaient compris que le cadet était totalement sous l'influence néfaste de Ruby, ils entamèrent le débrief de leurs agendas respectifs. Dean était déconcentré pendant que le vieux chasseur parlait, parce qu'il savait qu'ils allaient probablement devoir sous peu faire quelque chose pour remédier à cela. Quelque chose où il faudrait peut-être blesser Sam...

Il fit un effort conscient pour revenir à la conversation. En lui relatant les circonstances de leur rencontre à Chicago, Bobby lui confirmait que Ruby n'était pas du tout dans le coin et, quoique les démons ne semblent pas vraiment embarrassés par les distances en apparaissant et disparaissant à leur guise, l'information distilla tout de même un vague soulagement dans les veines du plus jeune chasseur. Éphémère, car c'était juste avant qu'il apprenne qu'un ange correspondant tout à fait au signalement de Castiel s'était fait planter par la démone d'abord, et qu'ensuite, le FBI semblait continuer à les chercher.

Rufus avait formellement identifié comme tel le type qui les avait filés alors qu'ils pistaient eux-mêmes la vicieuse croqueuse de frangin... Bobby craignait d'être trop exposé et le prévenait qu'il aurait peut-être à suivre son comparse quelques temps au lieu de retourner chez lui, car son pote semblait passé maître dans l'art de la disparition des radars.

— Ça ne fait rien, Bobby, le rassura Dean. C'est OK, on sera vigilants et toi, fais très gaffe de ton côté. Ton gars du FBI il ressemblait à quoi, un vieux ?

— Nan, il avait l'air jeune.

— Jeune par rapport à toi ou par rapport à moi ?

— Euh, à moi…

— OK, donc un vieux, corrigea-t-il, délibérément taquin. Pas de blonde avec lui ?

— Non, personne. Vous êtes où en ce moment, loin j'espère ?

Dean s'autorisa le temps de la réflexion avant de répondre.

— Tu te rappelles l'affaire en Louisiane ?

— Quoi ? Non ! Vous n'y êtes pas retournés ?

— Si. On a un petit truc à finir et après promis, on se tire. Puisqu'on parle de ça, t'as pas eu d'autres infos sur le clone du papy Campbell ?

— Bin en fait si, mais pas sûr que ça aide beaucoup. D'après mon contact, ce type s'appelle Walter Skinner et il est en poste au FBI depuis des années. Le genre gros bonnet.

— Skinner ! C'est ça. J'avais retenu Spender*, je ne sais pas pourquoi. Je suppose qu'on n'a aucun moyen de savoir s'il sert de pyjama de chair à Alastair depuis longtemps, à moins de l'immobiliser dans un piège à démon ? Il habite où ?

— Washington DC. Normalement, j'aurais bien proposé de m'en occuper moi-même, mais s'ils n'attendent que ça pour me choper, je ne vais peut-être pas leur faire ce plaisir… Je peux proposer le truc à Rufus, mais je crois qu'il dira non, car il a l'air d'y avoir eu des allégeances pas claires dans son passé...

— Bon, ne décidons rien maintenant, répondit Dean. Écoute Bobby, il est tard et je voudrais essayer de dormir quelques heures, mais je te rappelle dès qu'on a fini ici et on voit ce qu'on fait en ce qui le concerne, ok ?

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Bien après que Bobby ait raccroché, l'aîné des Winchester contemplait toujours l'écran bleuté du téléphone. Il avait l'impression désagréable que les mailles du filet se resserraient tant qu'au stade où ils en étaient, ils tenaient plus du saucisson que d'autre chose... S'ils traînaient trop, à dix contre un qu'ils allaient voir redébarquer les deux fouineurs du 3e âge, et eux pourraient bien réussir à les épingler.

Assis sur l'abattant fermé des toilettes, il serra le poing autour de son téléphone qu'il tapota quelquefois sur sa bouche au pli soucieux. Le cas de ce "Skinner" lui semblait pourtant très sérieux. Un type dont le patronyme signifiait tout de même Écorcheur ne pouvait pas être un gros nounours inoffensif... A l'origine, il y avait dû y avoir dans sa famille un trappeur, un pelletier, un fourreur… Un chasseur, lui soufflait son instinct buté. Dean n'avait croisé qu'une fois son regard et ça avait été pour y voir une froide détermination qu'il n'avait rencontrée que chez ceux qui avaient déjà tué. Au mieux, peut-être n'était-il simplement qu'un soldat, comme son père ? Il chassa cette idée, il avait plus urgent à penser.

La priorité numéro un, c'était la maison hantée. Sam lui avait dit qu'il cherchait des infos sur les autres gens qui avaient vécu au manoir LaLaurie, et particulièrement ceux qui auraient pu y mourir de mort violente, mais tout cela prenait un temps qu'ils n'avaient pas si les fédéraux revenaient à la charge.

L'instinct de Dean lui soufflait encore que, qui que ce fût, le fantôme était toujours attaché à la demeure. Il ne savait pas comment un mort de longue date pouvait être encore aussi en colère. Quelques décennies, ça se pouvait, mais en siècles ? Il espérait que les recherches de Sam fourniraient une piste là-dessus, mais sa plus sûre assomption c'était que ses os étaient toujours sur place et n'avaient jamais été trouvés par aucun des proprios suivants. Et ça, ça voulait dire que leur ami Casper était très bien caché. Quelque chose lui appartenant avait dû être conservé dans la foutue boîte à épines, lui permettant de les retrouver au cimetière mais maintenant, ils ne sauraient jamais quoi.

Le speech du guide touristique avait été assez clair sur le fait que la cave et le grenier avaient été des endroits où des dizaines d'esclaves avaient été torturés et mis à mort. Même s'ils avaient été sans doute déjà fouillés par la police de l'époque, Dean se disait c'étaient de bons points de départ à vérifier en termes de caches secrètes, faux planchers, faux-plafonds, murs creux… Le manoir était assez grand, pas sûr qu'ils y arrivent du premier coup et en une fois, sauf… s'ils avaient un meilleur matos que leur spectromètre fait maison pour cibler un peu mieux leurs recherches.

Alors la mort dans l'âme, il reconnut qu'il devait demander de l'aide pour boucler au plus vite la Nouvelle Orléans. Il ne voulait pas que Sammy soit tenté d'utiliser davantage ses pouvoirs démoniaques et faire le jeu de Ruby sous la pression des circonstances. Ce serait "team Winchester" avant tout car il avait le sentiment qu'ils ne devaient se fier à personne.

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Dean ranima son téléphone et fit défiler sa liste de contacts. Son pouce flotta quelques instants au-dessus d'un nom, bien évidemment codé par mesure élémentaire de sécurité. Résolument, il appuya sur "Darn Dummies" et porta de nouveau l'appareil à son oreille, affichant son meilleur sourire et se préparant à la plus cordiale jovialité de façade.

Après quelques sonneries, on décrocha et une voix assourdie marmonna avec hésitation :

— QG des Ghostfacers, j'écoute ?**

— Euh… salut ! Ici Dean… hum… Winchester. Qui est à l'appareil, c'est Zed ou Harry ?

Un choc sourd se fit entendre, quelques froissements et bruits précipités également, et le téléphone émit un bruit de larsen strident comme les deux geeks le mettaient sur haut-parleur :

— Oh mon Dieu, c'est vraiment vous, les Winchester ?

— Shttt ! Mais vous êtes de grands malades ! Silence, mon frangin dort… Vous êtes où les gars en ce moment ?

— Ah ok, désolé… euh moi c'est Ed, pas Zed. On est à Bâton Rouge, en Louisiane.

Cette fois, le sourire de Dean s'élargit considérablement et il était déjà plus sincère. Il avait une veine de pendu.

— Ah ouais ? Et qu'est-ce que vous faites-là bas ?

— Et bien, on est descendus pour préparer une grosse émission. Il y a une agence de tourisme qui nous a appelés pour qu'on fasse un épisode sur la Maison LaLaurie ! Vous connaissez sûrement pas, c'est resté très local, mais faites-nous confiance, il y a du gros dossier ! Cette baraque est un mythe ambulant, l'Amityville des Bayous… L'agence a dit qu'ils voulaient relancer un peu le tourisme qu'était pas au top ces derniers temps et que notre émission serait bonne pour ça…

— Ah-ha ! commenta Dean qui se demandait comment la maison pouvait être un mythe "ambulant". Et du coup, ça vous dirait d'avoir un coup de main ? Parce que nous, on venait pour autre chose, mais en fait on est déjà sur place.

Il grimaça en écartant le combiné du téléphone de son oreille tandis que les garçons se répandaient en confirmations surexcitées.

— Les gars, j'espère que vous avez bien tout votre matos high-tech avec vous… Les caméras thermiques, et... un truc à rayons X portatif, ce serait bien.

— Dean, protesta la voix de Harry. On n'a pas de truc à rayons X !

Dean laissa filtrer une grosse déception qui étirait les voyelles.

— Ah bon ? Pas du tout ? Ah zut, moi qui pensais que vous étiez super bien... euh… outillés...

Un sourcil haussé, il était en train de se dire que le terme choisi n'était peut-être pas le meilleur mais à quatre heures du matin, il ne fallait pas trop lui en demander. La réponse fusa pourtant, parfaitement inattendue.

— …mais on a un pote à qui on pourrait l'emprunter !…

— Zed, tu me fais marcher ?

— Euh là c'est Harry. Non ! Nous, on n'en a pas vraiment besoin, rapport à notre expertise de terrain. Mais pour ton frère et toi, s'il vous en faut un, bien sûr car j'imagine qu'on va faire deux équipes...

Dean leva les yeux au ciel en dodelinant la tête et se força à continuer à sourire, jouant les suspicieux :

— Et pourquoi il voudrait vous le prêter ?

— On le connaît depuis le lycée, t'inquiète, il dira pas non.

— Et il s'appelle comment ton pote ?

— Danny Graves. Son père bosse pour une grosse firme qui développe ça pour les hôpitaux, si on le rend après discrètos, il n'y aura pas de problème…

— Ok, on fait ça. On se rappelle quand vous arrivez en ville…

Dean coupa la communication avec un large sourire satisfait. Graves ? Ce nom lui disait vaguement quelque chose. Mais pour l'heure, il était trop crevé pour essayer de se le rappeler. Il se leva et éteignit la lumière pour retourner dans la chambre. Dans la pénombre, il distingua Sam roulé en boule qui s'était retourné de l'autre côté. Il fit le moins de bruit possible pour se reglisser sous les couvertures et puis passa un bras derrière la tête en souriant toujours un peu.

Parce qu'ils ne pouvaient pas avoir la poisse tout le temps, pas vrai ?

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xXx

Washington DC, domicile de Walter Skinner, 19 novembre 2008

Cette recherche qu'avait faite Mulder avait tenu longtemps éveillé le Directeur Adjoint Walter Skinner. Quand il était parvenu enfin à s'endormir, les rêves ne l'avaient pas laissé en paix. C'était une fusion kaléidoscopique de souvenirs pleins d'une violence physique inhabituelle. Conscient de rêver, il se voyait dans une cage d'ascenseur en train de cogner vraiment très férocement contre Alex Krycek.

En réalité, c'était contre "X" le pernicieux informateur de Mulder qu'il s'était un jour battu de la sorte. L'homme refusait de livrer la moindre information qui aurait permis de sauver Fox, perdu en Antarctique, préférant le voir mort pour son confort personnel. Walt était revenu en sang, mais Scully avait obtenu des coordonnées terrestres précises pour le retrouver.

Mais son contentieux avec Krycek, c'était bien au-delà de tout ça. Depuis le jour où l'agent double l'avait tabassé dans une cage d'escalier avec deux comparses pour l'intimider, jusqu'aux tentatives d'extorsion et d'empoisonnement sur sa personne... Alex Krycek avait été un élément hautement toxique qui lui avait pourri l'existence aussi bien que celle de ses deux agents, pendant des années. Alors ne pas le laisser faire, cela il s'y attendait. Dans cet ascenseur onirique, Walter le bureaucrate avait retrouvé ses anciens réflexes de soldat, il se battait bien plus vicieusement que prévu pour sauver sa vie mais ce n'était pas l'énergie du désespoir...

Ce à quoi il ne s'attendait pas, c'était d'être envahi par un autre désir impérieux : voir ce nuisible de longue date définitivement mort. Pour toutes les crasses qu'il avait faites, les mensonges, les manipulations, les meurtres en pagaille non seulement d'inconnus mais aussi ceux de Bill Mulder, de Melissa Scully, et jusqu'à ses menaces de mort sur l'enfant de Dana… L'éternel antagoniste aux loyautés toujours plus obscures, fondées sur ses seuls intérêts particuliers fluctuants, girouettait en roue libre, au gré de ses infortunes.

Des années qu'il n'avait pas eu à repenser à tout ça. Pourquoi maintenant ? Il ne voyait pas le rapport. Peut-être que son ego n'appréciait pas d'avoir été humilié et qu'il voulait se donner le beau rôle ?… Du révisionnisme de l'inconscient dans les productions nocturnes de W.S. Skinner, se moqua-t-il intérieurement alors qu'il observait la scène avait un œil totalement détaché.

Insouciant de toute chronologie, le rêve lui présentait sans transition le parking glauque de l'hôpital où le destin de Krycek avait été scellé, il n'y avait pas si longtemps. Le moment où en un instant de profonde clarté, Walter avait pris enfin sa décision. Il avait vu un Mulder tenu en joue et désarmé et une certitude lui était tombée dessus comme une épiphanie : Krycek allait tous les éliminer, un par un. Peu importe le temps que ça lui prendrait, il rééssaierait toujours, parce qu'il était persuadé que c'était la seule solution pour sauver ce qui pouvait encore l'être du monde tel qu'ils le connaissaient tous.

Le Directeur Adjoint du FBI avait des raisons très personnelles d'en vouloir à celui qui avait déjà essayé de le tuer plusieurs fois et de le faire chanter. Il n'avait pas voulu se venger alors. Mais ce jour-là, alors que Mulder et le Russe étaient trop absorbés l'un par l'autre, personne n'avait fait attention à lui. Walter avait levé son arme et visé.

La première détonation avait retenti comme un tonnerre entre les murs nus. Mulder avait sursauté se croyant touché pendant une seconde. Au début, Skinner n'avait voulu qu'immobiliser Krycek. Rien d'autre, il aurait pu le jurer. Mais par une triste ironie du sort, la première balle s'était logée dans la prothèse qu'il avait au bras l'autorisant à tenter de riposter aussitôt vers Fox. Les deux balles suivantes de Walter avaient cette fois eu pour but de lui faire mal. Et la dernière, assénée en pleine tête, c'était pour qu'il cesse ses justifications idéologiques écœurantes et qu'il se taise enfin. Ça avait été si facile.

Malgré sa nausée galopante, Walter en avait éprouvé alors une intense satisfaction et une irrépressible sensation de justice. En lui, le soulagement et l'épuisement se le disputaient à une fierté incompatible avec l'ensemble de toute sa carrière, et qui lui faisaient l'effet d'une petite catastrophe. Mulder l'avait fixé avec le plus grand étonnement et aussi une petite touche d'approbation virile silencieuse. Rien ne pouvait être prononcé en cet instant.

Les visions de ce parking souterrain l'avaient hanté longtemps.

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Seul dans son grand lit, il avait rouvert les paupières, le cœur battant trop vite mais les veines pourtant glacées par le malaise persistant de son cauchemar. Il essayait d'analyser mais sans y parvenir cette sensation intense, si fondamentalement effrayante – si mauvaise sans doute : tuer de ses mains ce qu'il ne percevait plus comme un homme, mais seulement une créature purement malfaisante. Il hésitait à dire le Mal à l'état pur, car l'Homme à la Cigarette lui disputait bien trop âprement ce titre.

S'il pouvait se résoudre à ne plus voir un homme comme tel, en quoi était-il différent des êtres veules qui avaient vendu la Terre aux extraterrestres en leur promettant de leur faire toute la place nécessaire, du moment qu'ils pouvaient faire partie des rares survivants ?

Seulement vêtu d'un pantalon de pyjama, il se leva de son lit et marcha à pas lourds vers son cabinet de toilette dans l'idée de boire un peu d'eau fraîche, avec un cachet contre la pointe de migraine qu'il sentait venir... Quand il referma la porte du petit placard où il gardait quelques éléments sommaires de pharmacie, le miroir rectangulaire lui renvoya une image qu'il ne reconnut pas.

L'homme qui lui faisait face et qui le regardait avec méfiance et appréhension, arborait pourtant l'ombre d'un sourire satisfait, à peine esquissé. Il sursauta légèrement en se demandant qui était cet inconnu qui le toisait de la sorte.

Il avait l'impression ridicule que c'était l'homme des vieilles coupures de journaux du dossier de Mulder.

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sSs

New Orleans, 20 novembre 2008, une heure du matin

Durant une courte halte dans leur petit périple dans les égouts de la ville, Harry Spangler affermit sa prise sur sa caméra d'épaule qui glissait de ses mains moites. Il jeta un coup d'œil sur son comparse Ed discutant un peu plus loin avec Dean, tandis que Sam était sous une lampe en train de se faire expliquer le fonctionnement du système à rayons X "portatif" ramené par Danny. Portatif, c'était vite dit. Mais Sam en plus d'être beau mec, était super fort, il pouvait manipuler sans peine d'un seul bras ce machin qui pesait une tonne, lui. Sam braquait le dispositif dans sa direction tandis que Danny commentait pour faire le malin "Joli squelette, mec !".

Harry était un petit peu jaloux de leur apparente complicité. Apparemment, Danny et Sam s'étaient déjà rencontrés la veille à propos de Delphine LaLaurie. Mais les Winchester, c'était leur source secrète à eux. Ils étaient certes plutôt "rustiques" avec leur chemises larges toujours froissées et leurs vieux jeans tout flingués, mais en son for intérieur, Harry voulait bien reconnaître qu'Ed et lui étaient beaucoup moins courageux que les deux cowboys au sang-froid inébranlable.

Sam et Dean se fichaient d'avoir l'air cool et de faire des émissions qui généraient des milliers de clics. Pourtant il était bien sûr que s'ils avaient fait un show comme le leur, les Ghostfacers n'aurait pas survécu à une telle concurrence. Avec leurs regards intenses, leurs poses de mannequins et leurs gros bras, les frangins auraient tout déchiré. Leurs têtes sur la homepage, c'était la garantie de camions entiers de followeuses en folie… Coup de bol qu'ils soient des petits agneaux innocents en matière d'audimat. Aucune publicité, avaient-ils dit. Qui faisait encore ça, aujourd'hui ?

Dernièrement pourtant, Ed avait failli tout abandonner de cette vie sans espoir de retour, à cause d'une émission qui avait très très mal tourné. Harry était bigrement sûr que jamais une telle chose ne serait arrivée aux Winchester...

Sam salua gentiment Danny en le remerciant pour ses explications et ramena sa stature de géant vers Spangler, qui avait la mine toujours chafouine sous sa coupe brune. L'admiration l'emporta cependant vite car Samuel était le plus gentil des deux.

Depuis plusieurs jours apparemment, le cadet Winchester avait tracé un chemin d'accès en utilisant les plans "underground" de la Nouvelle-Orléans. Ils avaient l'intention de pénétrer dans le Manoir hanté en passant par en-dessous, puisqu'en surface tout était verrouillé par un système d'alarme dernier cri. Les frères n'avaient pu livrer aucune information sur son modèle en se contentant d'expliquer le système de scellement des ouvertures et d'appel automatique de la Police, sur place en quelques minutes à peine.

Il n'osait pas trop en parler à son coreligionnaire, ravi de le voir de nouveau enthousiaste mais, quelque chose lui disait que peut-être, les Winchester en savaient plus qu'ils voulaient bien le dire sur cette maison. A en croire Dean, ils venaient d'arriver, étaient là par hasard… Mais l'agence de tourisme avait évoqué "un incident" survenu le mois dernier… Ils étaient restés très vagues. Une fois encore, c'est Danny qui lui avait fourni les détails.

— Oh ouais, mortel, mec ! En plein pendant une visite avec des touristes organisée par l'agence où bosse ma mère, un cadavre se met à tomber de l'une des fenêtres ! Et ça pile au moment où une mioche geignarde était en train de critiquer pour dire que c'était tout pourri qu'on puisse pas visiter. Ha ha ha ! Et bim, dans sa face ! La gamine a hurlé comme une truie quand le mort lui a éclaboussé les godasses en tombant par terre comme une pastèque mûre. Crise cardiaque, paraît-il. Mais qu'est-ce qu'il a vu le gus pour avoir eu aussi peur ? Ça personne n'en parle. C'est pour ça que je suis trop content que vous fassiez cette émission !

L'idée de passer par les sous-sols pouvait sembler manquer d'originalité mais elle était surtout extraordinairement facile à mettre en place, et sans pour autant éveiller la suspicion. La raison de tout cela, c'était Katrina. Katrina, ce n'était pas le nom de l'employée du cadastre qui avait fourni à Sam tous les plans de la ville quand il avait souri de toutes ses dents pour la bonne cause. Ce dernier s'était fait passer pour un étudiant architecte en stage dans un cabinet prestigieux, et dont le mémoire portait sur la reconstruction de parties historiques de Nola, à la suite du passage de l'ouragan du même nom…

Harry avait fait ses devoirs après l'appel de Dean. Il savait que la ville inondée à quatre-vingt pourcent avait été déclarée en zone de catastrophe naturelle pendant des mois et des mois. Danny lui avait même dit que l'hôpital avait été fermé pendant deux ans et n'avait pu rouvrir que depuis peu. Trois ans après l'inondation certains trucs ne remarchaient toujours pas… Est-ce qu'on était encore en Amérique ou à Haïti ? avait interrogé un certain John Fitzgerald sur un forum politisé.***

Quand il avait discuté du projet avec Maggie (qui n'avait pas voulu les accompagner), la sœur d'Ed avait fait remarquer que c'était peut-être ça aussi qui pouvait avoir fait ressurgir des fantômes dans les maisons : des vieux os pouvaient avoir été déplacés avec la montée des eaux. "La montée des os" avait-elle dit avec un petit sourire en coin. "Ça te fera un titre de séquence"… Mais avec une ville sinistrée, seul le dieu du tourisme pouvait la sauver économiquement. Ils faisaient donc une sorte de bonne action.

— On va repartir, l'avertit Sam avec un petit sourire. Ton pote vient de m'expliquer le scanner à rayons X, je pense que j'ai à peu près compris… Par contre, ajouta-t-il en baissant la voix, j'ai un service à te demander.

Les beaux yeux verts candides (ou faussement candides) de Sam se posèrent sur Harry qui déglutit, follement impressionné d'être considéré.

— Oui ?

— Ton ami, je ne veux pas qu'il monte avec nous dans le Manoir, OK ? Ça peut être très dangereux quand on n'est pas préparé et entraîné.

— Je… je sais, répondit Harry en pinçant un peu les lèvres.

Le géant des Winchester ne fut pas long à le percer à jour.

— Qu'est-ce qui se passe ? Tu lui as promis qu'il viendrait ? demanda-t-il en inclinant la tête.

Quel air interrogateur pour le forcer à avouer tout, et tout de suite !… Il était trop doué ! Harry soupira et murmura plus bas en évitant de regarder du côté de Dean et Ed.

— Une nouvelle Ghostfacer super jolie et gentille est morte pendant une émission. Ed avait fondé de très gros espoirs sur elle. Il a arrêté pendant des semaines à cause de ça. Tu sais combien on en a des filles comme elle, qui voulaient nous rejoindre ? De leur plein gré ?

— J'imagine, répondit Sam avec un sourire compatissant en lui tapant sur l'épaule un peu maladroitement. Et c'est pour ça qu'on ne va prendre aucun risque avec Daniel. Qu'il aide avec la logistique c'est une chose, mais qu'il risque sa vie alors que ce n'est pas… sa vocation, c'en est une autre.

— Elle est très cool cette phrase ! Je peux la noter ? demanda Harry en sortant son dictaphone qu'il brandit sous le nez de Sam.

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"Au plus profond des entrailles de la ville, il règne une nuit d'encre éternelle, épaisse, moite et lourde. Les relents âcres et la puanteur persistante évoquent aux voyageurs la splendeur déchue d'une Venise suffocant sous le soleil d'été, et rappellent en permanence le souvenir du désastre qui a frappé. Ici, la Grande Inondation est encore présente dans toutes les mémoires et dans tous les cauchemars terrifiés des habitants qu'elle a chassés hors de leurs seuls refuges…"

Dean fronça les sourcils en jetant un coup d'œil à Harry, avant de balancer un coup de coude dans les côtes de Zeddmore pendant qu'ils marchaient souterrainement en direction du Vieux Carré.

— Est-ce que tu peux me dire ce qu'il déclame là, ton copain ? Il y a une assez bonne résonance dans ces conduits. J'aimerais qu'on reste un peu discrets...

— Ok, bien reçu. Je vais lui dire de chuchoter, on réenregistrera après. Tant pis.

— Réenregistrer pour… ? questionna Dean.

— Pour l'émission ! Tu sais le job pour lequel on est venus exprès, lui répondit patiemment Ed comme s'il était demeuré.

Dean sourit, avant d'adresser une pupille massacrante à son frangin qui semblait vouloir dire "retiens-moi ou je le fracasse"...

— Oh oui, je suis bête… gloussa-t-il, comment ai-je pu oublier ? La joie de vous revoir sans doute… Mais on arrive bientôt de toute façon.

Ed Zeddmore hocha la tête très sérieusement derrière ses longues lunettes rectangulaires et se racla la gorge, un peu embarrassé. Il caressa sa barbe rouquine pour se donner contenance avant de refourrer précipitamment ses mains dans les poches de sa canadienne bleue qui ressemblait furieusement à celle de Dean.

— Dean, pendant qu'on est là, il y a un truc que je voulais te demander. Je sais pas si tu pourras me répondre…

— Bah, dis toujours...

— Comment tu fais quand il y a des collègues que tu connais... qui meurent ?

Dean écarquilla comiquement les yeux, la bouche ouverte, en tournant la tête vers lui.

— Ah, la vache ! expira profondément l'aîné en le regardant de biais, soudain plus bourru. Quand tu décides de poser des questions toi, tu fais pas semblant… Comme ça, là, à sec ? Pourquoi tu me demandes ça, et pis surtout maintenant ? C'est pas le moment de se déconcentrer...

— Bin… Comme je ne suis pas sûr qu'on s'en sorte… Si, je préfère te demander maintenant.

— Ecoute-moi bien, Zedd...more, personne ne va mourir aujourd'hui, tu m'entends ?

Derrière eux, la voix de Spangler murmurait bas.

— Le chasseur avait posé sa main rude et calleuse sur l'épaule de mon camarade. Dans ses étincelants yeux verts pouvait se lire une rassurante détermination. Elle se déversait par vagues presque physiques, en irradiant malgré les ténèbres ambiantes, comme pour lui communiquer généreusement un peu de cette assurance propre à ceux qui en ont tant vu...

Dean leva les yeux au ciel et se retourna vers Harry qui s'arrêta subitement de chuchoter dans son dictaphone tandis que Danny hochait du chef en levant des pouces approbateurs.

Tu vas devoir remettre ça à plus tard, Harry, dit Sam, on est arrivés à destination.

Cool ! opina-t-il en branchant sa caméra avant de placer son œil devant le viseur. La porte était devant nous, si mince et fragile rempart nous séparant d'un océan de créatures grouillantes, tapies dans une ombre propice à leurs sombres desseins...

Dean ouvrit le sas métallique qui allait les conduire vers la cave du Manoir, en grinçant ignoblement pendant qu'il exerçait une forte traction. Puis avec un geste exagérément poli, il les invita à passer devant. Sentant leur hésitation, Sam prit les devants, vite suivi par Daniel qui leva la tête pendant que Dean essayait de refermer pour ne pas attirer l'attention d'éventuels employés de la municipalité.

Shhhtt ! fit le journaliste en levant un doigt. Vous entendez ce bruit ?

Quel bruit ? demanda Ed.

Un petit bruit mouillé, comme un truc qui mijote, répondit Harry.

Qui clapote ? proposa Daniel.

Ouais c'est ça, qui clapote mais... pas fort, comme si on mastiquait…

Vos gueules ! siffla Dean. J'entends rien… Chut !

Ils restèrent un instant silencieux et le son ténu se répétait sans discontinuer. Entre le cliquetis et le chuintement, à son avis plus proche du feu qui crépite...

J'ai rien à la caméra thermique, souffla Ed.

Dean sortit sa torche la plus puissante et la mit en marche. Et dès que ce fut fait, lorsque le pinceau lumineux balaya les alentours, ils comprirent tous dans quel guêpier ils venaient juste de se fourrer tout seuls. A ceci près que ce n'étaient pas des guêpes...

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(à suivre)

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* Spender : C'est juste que Dean a une intuition d'enfer (ou bien a-t-il entendu plusieurs fois ce nom là-bas ?). C.G.B. Spender est le patronyme le plus communément admis pour l'Homme à la Cigarette, mais un peu comme Voldemort, son nom n'est pas prononcé en vain et il est désigné par des sobriquets (en anglais : Well Manicured Man, The Great Smoker, Cancer-man). Skinner a plusieurs fois laissé entendre qu'il croyait que c'était le Diable.


**** Pour ceux qui l'ont oublié, les Ghostfacers sont des personnages secondaires de Supernatural qui apparaissent principalement en S1E17 (Hellhouse), S3E13 (Ghostfacers) et avec une petite allusion aussi dans l'épisode S4E17 (It's a terrible life). Ce sont des "enquêteurs sur le paranormal professionnels" qui en bons geeks opèrent depuis leur garage (rebaptisé "La Tanière des Chiens de l'Enfer"). Je ne peux que vous conseiller très vivement si vous la trouvez la vidéo "hors-série" de leur mini websérie "Castiel rencontre les Ghostfacers" où Micha Collins est à mourir de rire dans son interprétation d'un Castiel décalé et flippant, quand on n'a pas trop l'habitude. Chaudement recommandée.


*** Les prénoms du conspirationniste Byers (Lone Gunman). Des sources non confirmées évoquent sa présence à la Nouvelle Orléans. :-D Notez qu'en septembre 2008, Haïti a été durement frappé par l'ouragan Hanna faisant des centaines de morts. Mais comme j'écris en 2018 nous penserons plus spontanément au tremblement de terre de 2010.


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