Natifs, l'ère d'après

Chapitre 4 : Volte-face

1326 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 27/08/2017 23:29

Préquelle "The 100" - Natifs, l'ère d'après

Par Lexa1983

CHAPITRE IV - Volte-face


L'aurore pointait à peine derrière les trois collines où s'étaient établies, un mois plus tôt, les forces de la coalition. Appuyé contre la fenêtre, les mains cramponnées au rebord de pierre, Igon fixait l'horizon. La neige avait cessé pendant la nuit. Il n'avait pas su trouver le sommeil. Jamais il n'aurait pu concevoir que les circonstances prendraient le tour vers lequel elles se précipitaient désormais. Il avait pourtant usé de tous les stratagèmes. Élaborer des hypothèses, anticiper les actions et les réactions de chacun. Il fallait se rendre à l'évidence, il se retrouvait acculé. Prisonnier de sa propre citadelle. Contraint désormais à dévoiler sa dernière carte. Et il ne pouvait pas échouer. Il n'avait d'autres choix que de triompher de la Commander pour parvenir à ses fins. Finalement, cette alternative inattendue pourrait se révéler bien plus profitable que d'obtenir une simple victoire militaire. Mettre hors course Heda l'autoriserait d'une part à refuser d'intégrer la coalition et lui fournirait peut-être les arguments nécessaires et un contexte favorable à une révolte contre l'institution qu'il jugeait illégitime du Commandement et de ses origines mystiques. 

Alors qu'il s'apprêtait à s'éloigner de la fenêtre, un mouvement l'interpella. Il plissa les yeux et concentra son regard sur la plus haute des trois collines qui faisaient face à la citadelle Azgeda. 


- "Qu'est-ce que...", commença-t-il. Au sommet du mât qui accueillait la bannière de la coalition, il lui sembla apercevoir... "Un drapeau blanc ?", s'étonna-t-il.

Non, il se faisait des idées. La faible clarté du matin ne lui permettait pas de profiter d'une visibilité suffisance pour évacuer ses doutes.

-"Noka !", cria-t-il en direction des portes de la salle du trône. Les battants s'ouvrirent pour laisser passer un jeune homme en armes au visage inquiet.

-"Mon Roi ?", s'enquit-il. Igon lui fait signe d'approcher. Noka s'approcha avec hâte de la fenêtre, le regard interrogateur.

- "Regardes", lui ordonna le Roi en tendant le bras en direction du relief opposé.

Que fallait-il voir ? Se demanda Noka. Il pointa ses yeux sur l'index d'Igon et laissa son regard suivre la ligne invisible qu'il semblait vouloir dessiner. Les pupilles du soldat se figèrent.

- "Tu le vois, toi aussi", conclut Igon en observant la réaction du garçon.

- "Un drapeau. Blanc", confirma Noka comme pour se convaincre lui-même. "Mais, qu'est-ce que l'on essaye de nous dire ?", sonda-t-il.

Igon garda le silence, le visage immobile, focalisé sur l'origine du questionnement.

- "Fais venir Lika, immédiatement. Et préviens les chefs de tribus : conseil de guerre dans l'heure".

Noka jetta un dernier coup d'oeil vers la colline comme pour vérifier une dernière fois que ni lui, ni le Roi ne divaguait, puis se précipita vers la sortie laissant le monarche de la Nation des glaces seul face à cette tournure inattendue.


Une trêve ? Un cessez-le-feu ? Pourquoi ? Quelles circonstances avaient pu inspirer au Commander cette soudaine décision . Même s'il s'était bien gardé d'évoquer avec quiconque le sentiment d'aigreur, oserait-il aller jusqu'à utiliser le terme d'impuissance, que lui inspirait l'évolution du conflit qui opposait son clan à ceux déjà fidèles à la coalition, son inconséquence n'allait pas jusqu'à l'ignorer. Igon se savait dans une situation périlleuse. Inexorablement dos au mur. Les premiers jours avaient laissé entrevoir l'espoir d'une issue possiblement favorable. Pas une victoire. Mais le Roi envisageait alors que, si ces troupes tenaient tête suffisamment longtemps à l'adversaire, les règles du jeu prendraient une autre direction. Et qu'il trouverait alors une ruse, un artifice qui lui offrirait d'inverser la tendance. De remettre en partie la main sur la situation pour parvenir à ses fins. Il s'était trompé. Il avait eu la maladresse de méjuger les réactions d'Heda. De sous-évaluer son pouvoir de persuasion, sa volonté irréductible de réaliser ce pour quoi elle se disait destinée, de la mission suprême dont elle se revendiquait être l'incarnation : Unir les clans. Instaurer la paix.


Aveuglé par le mépris, il ne lui avait pas accordé davantage de crédit qu'à n'importe quel autre chef de guerre. Avait même présumé que sa condition de femme la rendrait plus impressionnable, plus tendre. Et donc plus fragile. Pourtant, elle s'était révélée comme l'adversaire le plus opiniâtre, le stratège le plus avisé, et le guerrier le plus tenace qu'il ait eu à trouver en travers de sa route. Alors que lui, Igon kom Azgeda, dirigeait depuis sa tour, en retrait, à l'abri, chaque jour, Heda guidait les pas de ses combattants. Depuis cette même fenêtre sur laquelle il s'était de nouveau appuyé, il avait souvent deviné sa présence au milieu des combats. Il y avait décelé l'autorité naturelle, innée, native qu'elle dégageait et la force pure que cela transmettait à ceux qui l'accompagnaient. Il était contraint de lui reconnaitre ce talent. Celui d'être parvenu à fédérer autour d'elle. À réconcilier des tribus, des clans, qui n'avaient jusqu'alors cessé de se disputer des territoires, des ressources, ou tout simplement de se quereller et de s'entretuer sans motif apparent. Le Roi des glaces avait manifestement négligé une variable essentielle : l'authenticité du statut d'Heda. Une négligence nourrie par l'impuissance affichée au cours des dernières décennies par celles et ceux qui avaient précédé Lexa. 


Cette défiance à l'égard de la légitimité a accordé aux dépositaires du sang noir et à ses disciples n'avait cessé de croître au sein de certains clans là où d'autres y avaient trouvé une forme de réconfort, de sécurité, peut-être même d'espoir. Des alliances s'étaient forgées selon les intérêts des uns et des autres, puis dissoutes dans le sang et la haine. Jamais Azgeda n'avait montré un quelconque intérêt pour ces accords, ces unions fugaces que les dirigeants successifs de la Nation des glaces avaient toujours dédaignaient au profit de la loi du plus fort : seule doctrine valable à leurs yeux. Une position immuable qui trouvait sa genèse un siècle plus tôt, au levant du nouveau monde accouché de l'Apocalypse nucléaire. Les survivants, d'abord dispersés, s'étaient rassemblés instinctivement, pour des raisons géographiques et relationnelles. Le choix du lieu de sédentarisation s'était imposé, commandé par l'urgence et la peur qu'opposait l'inconnu. Les berges d'un lac, le ventre d'une vallée, le pied d'une montagne, un abri rocheux, le poumon d'une forêt, l'océan : tous s'étaient adaptés peu à peu à leurs conditions respectives et avaient apprivoisé leur cadre de vie. C'est ainsi que le clan Azgeda s'était établi sur un vaste territoire au profil exigeant, assujetti à des conditions extrêmes qui avaient forgé le tempérament des générations de la Nation des glaces à leur image : Rustique, cruel et insoumis. C'est ainsi qu'Igon était devenu Igon.


Lorsque Lika pénétra, sans un bruit, dans l'immensité glaçante de la salle du trône, elle marqua un temps d'arrêt. Son frère, prostré contre l'un des grands ajours qui s'ouvraient vers l'extérieur, lui apparu accablé. Ses mains contractées semblaient s'enfoncer dans les nuances azuréennes de la pierre. Son épaisse crinière fauve pendait et dissimulait son visage. Elle s'approcha en silence. Quand elle fût à une distance suffisante pour détailler davantage l'attitude du Roi, elle le vit. Son sourire. Un sourire féroce. Et lorsque Igon, soupçonnant sa présence, se tourna vers elle, le regard qu'il lui lança invalida définitivement ses premières impressions sur l'état d'esprit du monarche. 


-"On rebat les cartes", lui siffla Igon.


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