C’est naturel de rire, pour un bouffon

Chapitre 1 : C'est naturel de rire, pour un bouffon

Chapitre final

3064 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/07/2021 17:13

Préface


Je vous remercie d'être venu(e) jusqu'ici, et j'espère que vous apprécierez ce petit one-shot !

Il s'agit d'une traduction de la fanfiction 「道化が笑うは 当たり前」 (Dōke ga warau no wa atarimae), écrite par Wawan (わわん).

Je vous invite à aller jeter un coup d'œil à l'œuvre dans sa langue d'origine en suivant ce lien : https://pixiv.net/novel/show.php?id=14044886, et si son travail vous plaît, n'hésitez pas à aller voir les réseaux sociaux de l'auteur (@kusare_wawan et @skyrimwawan sur Twitter).


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C’est naturel de rire, pour un bouffon


Il y avait une petite hutte dans un coin d’Aubétoile, au bord de la mer gelée. Un joyeux vieil homme de taille modeste s’était installé dans cette petite cabane, construite cinq ans auparavant. Il semblait qu’il ait quitté le service en raison d’une jambe boiteuse ; un jeune homme qui surveillait les bateaux venait s’occuper régulièrement de lui dans son temps libre, contre une belle somme d’argent.

Le vieillard riait beaucoup. Il disait des choses dont on ignorait si c’était une blague ou la vérité, et bien qu’il répète que sa jambe le faisait souffrir, il la bougeait avec agilité. Le jeune homme lui avait déjà demandé comment il s’était blessé. Lorsqu’il l’avait fait, le vieillard lui avait répondu :

« Je m’aventurais avec mon meilleur ami, on parcourait tout Bordeciel, d’est en ouest ! Un jour, je me suis fait frapper par un géant… Un géant ! J’ai volé, volé dans le ciel ! Boing ! »

Pour le jeune homme, il était presque impossible que ce petit vieillard ait été un aventurier voyageant à travers Bordeciel. Il ne pouvait gagner pas même contre une araignée, alors contre un géant… Ce devait être encore un de ses gros mensonges habituels. La vérité s’y cachait-elle ? Il secoua la tête.

Ce jour-là encore, le jeune homme rendit visite au vieillard, les bras pleins de provisions. Aujourd’hui, ce serait un ragoût de horqueur. S’il y ajoutait beaucoup de carottes, le vieil homme en serait ravi. Il avait l’habitude de réclamer des brioches à chaque visite, et lorsque le jeune homme refusa en lui disant qu’à cet âge-là, manger chaque jour des choses sucrées était mauvais pour le corps, il eut la même expression que celle d’un enfant se faisant gronder par sa mère.

« Au fait, comme de la famille vient ce soir, tu n’as pas besoin de préparer le repas. »

Le jeune homme fit un signe de tête. Le vieillard recevait souvent du monde. La plupart était « de la famille ». Ce n’était, semblait-il, pas des liens de sang mais des liens de cœur qui les unissaient. Le jeune homme avait pour principe de ne fouiller dans aucun cas, si bien qu’il acceptait l’information tel qu’on la lui donnait.

« Donc je ne viendrai pas avant le petit-déjeuner de demain, » dit-il, et le vieillard acquiesça.

Après avoir salué le vieil homme, qui annonça s’en aller faire quelques courses, il commença le ménage de la pièce. L’homme était mauvais pour ranger les choses et les garder ordonnées, mais il en manipulait certaines avec attention, surtout lorsqu’il s’agissait des lames, qu’il entretenait avec soin. Grâce à cela, préparer des plats devenait très agréable. Émincer la viande de horqueur – les dents du vieillard s’affaiblissaient elles aussi –, écraser les tomates et laisser mijoter jusqu’à ce qu’elles soient fondues, ajouter une pincée de lavande. Il n’aimait pas le poireau qui allait avec alors il en mit une petite quantité. Accompagnez le tout de pain cuit, et c’était parfait.

Alors qu’il pliait des vêtements en attendant que le ragoût cuise, il entendit quelqu’un toquer à la porte. Si cela avait été le vieillard, il aurait déjà ouvert bruyamment la porte en faisant fi de telles manières. Était-ce un membre de sa « famille » qui devait venir ce jour-là ? Le jeune homme posa une robe fatiguée sur la table, et ouvrit la porte.

Ce fut une petite fille qui apparut devant ses yeux.

« Ah, bonjour. Monsieur est-il présent ? »

Cette fillette d’une dizaine d’années, et qui pourtant avait un air adulte, était vêtue bien légèrement malgré la ville enneigée. Il lui répondit que le vieillard était parti faire quelques courses, et lui proposa d’entrer en l’attendant, ce qu’elle fit sans gêne. Lorsqu’il lui demanda si elle n’avait pas froid, elle laissa un silence avant de répondre en riant que ça allait.

« Ne te tracasse pas, » sourit-elle élégamment alors qu’il lui servait du thé.

Mais d’où venait-elle ? Bien que son visage soit enfantin, elle avait bien l’air d’une dame. Mais puisque le jeune homme avait pour principe de ne fouiner dans aucun cas, il accepta cette réalité en se disant qu’il devait bien exister des enfants comme elle, et reprit le rangement de la lessive.

Soudain, la fille qui le regardait faire le ménage en silence ouvrit la bouche.

« Dis, j’aurais voulu te demander… »

Relevant son visage, la jeune fille, qui n’avait pas touché au thé qu’il lui avait servi – bien qu’elle ressemble à une adulte, peut-être aurait-elle voulu du lait ou quelque chose d’autre comme n’importe quel enfant ? –, se pencha en avant sans quitter sa position assise.

« Tu penses que l’aubergiste quittera son auberge un jour ? »

Hein ? Le jeune homme stoppa ses mains. Il répondit que c’était justement parce que c’était une auberge qu’il dirigeait qu’il ne pouvait la quitter aussi facilement. À part pour aller acheter de la nourriture ou couper du bois, s’il osait dire. Lorsqu’elle lui demanda vers quelle heure il s’absentait habituellement, il lui dit que ce devait être tôt le matin, ou en milieu de matinée. Le jeune homme n’était pas un pêcheur, il gardait juste les bateaux. Son travail consistait à décharger les provisions qui venaient d’ailleurs, et de charger les minerais et pierres précieuses extraites d’Aubétoile. C’est pourquoi il ne parlait pas beaucoup avec l’aubergiste. L’enfant fit la moue en soupirant d’un air ennuyé.

« Toujours vivre dans une auberge… quelle vie ennuyeuse. »

Alors que le jeune homme venait de finir son rangement et se demandait s’il n’allait pas bientôt rentrer, le vieil homme revint. Il ouvrit bruyamment la porte comme à son habitude, et lorsqu’il découvrit qu’une fille se trouvait sous son toit, comme si cela l’avait rajeuni considérablement, il afficha un large sourire et écarta en grand les mains. Puisque sa canne ne s’appuyait plus sur le sol, il chancela aussitôt. Le jeune homme s’empressa de venir soutenir le corps tout abîmé.

« Oh ! Excuse-moi, mon petit. Je suis juste si heureux de revoir ma sœur !

– Ce n’est pas une raison pour s’effondrer. Vous ne vous calmez jamais malgré votre grand âge. »

Le vieillard et cette fillette étaient frère et sœur ? Le jeune homme inclina la tête. Ils avaient plus l’air d’un grand-père et sa petite-fille. Mais en les observant, leurs attitudes et caractères respectifs donnaient l’impression que la gamine était la grande sœur, tandis que le vieillard était le petit frère.

Un vieillard dont l’esprit ne vieillissait pas, et une petite fille sans innocence.

Le jeune homme au principe de ne jamais mettre son nez dans les affaires des autres, en se disant qu’ils avaient là une drôle de relation, quitta comme convenu la demeure du vieillard sans préparer le dîner.

 

*

* *

 

Ce fut quelques jours après la visite de la fillette que l’aubergiste devint violent et fut tué par des gardes. Le jeune homme l’apprit d’un homme travaillant à la mine à son retour de Solitude par la mer gelée.

Quoi qu’il en soit, lorsque l’homme s’était rendu dîner avec des amis après son travail, l’aubergiste aurait soudainement sorti une dague et tenté d’agresser un client. Ce dernier était un voyageur, et ne le connaissait pas. On dit qu’il aurait poursuivi le voyageur qui tentait de s’échapper avec une mine effroyable, arrosant impitoyablement d’insultes les habitants qui tentaient de l’arrêter, et leur présentant à eux aussi sa dague. Il semblait que, plutôt que de viser qui que ce soit, il se déchaînait sans réfléchir. C’était comme si le monde entier était son ennemi, et qu’il était obsédé par la mort. Puisqu’il était bien trop dangereux, les gardes vinrent à croiser le fer avec lui… et le résultat fut bien regrettable.

Après l’incident, on aurait retrouvé dans la chambre de l’aubergiste plusieurs bouteilles de skooma vides, certaines plutôt anciennes et d’autres neuves.

« Il a dû les acheter auprès des caravanes khajiites. Quel imbécile. Heureusement qu’il n’y a pas eu de blessés. »

La direction de l’auberge revint à la femme du défunt.

Le jeune homme versa la purée de pommes de terre dans un bol, et remua la chaudrée de palourdes pour que le vieillard puisse la manger seul. Ce dernier fredonnait aujourd’hui encore, et polissait avec soin son couteau qu’il n’utilisait jamais.

« C’est regrettable pour l’aubergiste. C’était pas un mauvais type. Aah, c’était pas un mauvais type. Tout ça c’est à cause du skooma ! Le skooma, c’est effrayant. Ça change les hommes. »

Le vieillard but avec satisfaction sa soupe blanche.

Le skooma. L’aubergiste se droguait-il vraiment avec une telle chose ? C’était pourtant un homme qui ne sortait pas de l’auberge. Alors comment s’en était-il procuré ? Le jeune homme savait qu’il existait dans ce monde plusieurs manières détournées de mettre la main dessus, et c’est pourquoi il n’alla pas chercher plus loin.

Le vieillard regardait fixement en souriant ce jeune homme qui ne prenait jamais part aux conversations et n’avait que faire des rumeurs.

« Tu es bien taciturne, mon petit. Tout comme moi à ton âge. Ah, tu dois te dire que je mens encore ? C’est vrai, c’est bien vrai, autrefois j’étais un homme très, très calme, et réfléchi, » dit le vieil homme.

C’était encore un de ses gros mensonges. Ses grandes aventures en Cyrodiil, sa nouvelle famille jusqu’à laquelle il était parvenu après un long voyage, sa rencontre avec elle, et ses fautes commises. Ces histoires, dont on aurait presque cru qu’il les lisait dans des livres, le jeune homme commençait à les apprécier. Il fallait vraiment qu’il les écrive, ces histoires. Ses livres se vendraient assurément dans tout le continent.

Alors qu’il remplissait la bouche du vieillard de purée de pommes de terre, le bruit de quelqu’un frappant à la porte se fit entendre. Lorsque le jeune homme ouvrit la porte, il vit la jeune fille de la dernière fois se tenir là.

« Ah, nous nous rencontrons de nouveau. Tu vas bien ? »

Le saluant, elle entra dans la maison sans aucune hésitation, cet étrange charme se dégageant toujours d’elle. Alors qu’il se dirigeait vers la cuisine, pensant lui proposer du lait chaud, elle le stoppa en disant que ça n’était pas nécessaire. Il fallait pourtant servir l’invitée, mais le jeune homme dut obtempérer lorsque le vieillard lui assura qu’elle pouvait s’en passer. Il retourna à sa place et, devenant délibérément maladroit, vida l’assiette.

La jeune fille le regardait manger avec amusement. Elle avait le même regard que celui du vieillard un peu plus tôt. Qu’y avait-il de si intéressant ?

« Toi, tu es remarquable. Tu es silencieux, tu pourrais bien garder un secret.

– Tiens, tiens, ma petite sœur aimerait-elle donc ce genre d’hommes ? Peut-être devrais-je me faire silencieux alors ?

– Si tu te tais, le Mont Écarlate entrera encore trois fois en éruption. »

Il rangea les assiettes vides. Celle du vieillard, et la sienne. C’était aussi un de ses principes que de ne pas dire de choses inutiles.

Ce fut à cet instant. La porte s’ouvrit violemment sans que l’on y frappe. Ils se retournèrent vers trois Khajiits vêtus d’armures, tenant chacun une hache et faisant irruption dans la demeure.

Sans s’affoler, le vieillard se tourna vers la fillette, elle aussi nullement effrayée.

« Babette, est-ce volontaire ?

– Bien évidemment, penses-tu que je puisse faire des erreurs ? Sache que je fais ce travail depuis plusieurs centaines d’années.

– C’est bien vrai, hahaha ! »

La fillette et le vieillard tournèrent leurs visages vers le jeune homme. Ils clignèrent de l’œil en même temps…

En un instant, sautant au cou des Khajiits, la fillette mordit leurs gosiers, et planta un couteau dans la fente de leurs armures.

Cela surprit bien évidemment le jeune homme. Mettant fin à la vie des trois Khajiits, la fillette buvait le sang qui coulait des gosiers qu’elle venait de mordre. Une fois repue, elle releva le visage et essuya ses lèvres.

« Ah, c’est pour ça que je déteste les Khajiits. Ma bouche est pleine de poils.

– Tu en reprendras sur Nazir après.

– Il a toujours un aussi mauvais goût même après toutes ces années. »

Le jeune homme resta figé sur place, un bol de lessive à la main. Et il réalisa. Peut-être était-il le prochain ?

Il croisa le regard de la fillette. Elle souriait. Un sourire de satisfaction.

« Oh, c’est vraiment formidable. Ni panique, ni peur, tu es vraiment remarquable ! »

Derrière lui, le vieillard manipula son couteau sans hésitation, et ouvrit en deux la poitrine des Khajiits. Puis, sans la moindre hésitation, il en retira le cœur en coupant les vaisseaux sanguins.

« Puisque tu es remarquable, je vais t’expliquer. »

En disant cela, la jeune fille prit dans ses mains les cœurs, et les embrassa.

« Les cœurs, j’en fais des remèdes. Si je les mélange avec de la graisse de troll ou des crocs de sanglier… ça devient un poison. Un poison qui trouble le cœur. Qu’est-ce que ça peut donner à ton avis ? »

Comme s’il pouvait le savoir ! Il garda le silence, et la petite fille poursuivit sans s’en préoccuper.

« Tout dans ce monde peut devenir ton ennemi. Tiens, tu t’en souviens ? De cet aubergiste et son addiction au skooma !

– Et ces Khajiits sont ceux qui vendaient le skooma. »

Le vieillard couvert de sang riait, riait, lui demandant s’il avait été surpris. La fillette aussi riait, riait. L’odeur de sang emplissait la pièce, et semblait aller jusqu’à pénétrer le jeune homme.

Essuyant son couteau, le vieillard diminua l’écart entre lui et le jeune homme avec un air de bouffon.

« Tu es bien taciturne. Vraiment. Et imperturbable… Non, ce n’est peut-être pas vraiment ça. Mais ça ne se voit pas au premier regard. Tout du moins, Cicéron ne le comprend pas. Mais ce n’est pas grave. Ce n’est pas grave du tout. »

Les restes de chaudrée de palourdes séchaient et collaient au fond du bol.

« Et si tu rejoignais notre famille, mon petit ? Je veux que tu me succèdes. Je cherchais quelqu’un pour prendre soin de ma Mère, vois-tu. Oui, c’est ça, un Gardien ! Tu es doué pour veiller sur les autres, tu ne penses pas ? »

Plutôt qu’une peur inattendue, ce furent les mots de « rejoindre leur famille » qui résonnèrent dans son cœur. Le jeune homme n’avait pas de famille. Sans le savoir, il avait pris du plaisir à se rendre dans cette maison, et il commençait à voir le vieillard comme son propre grand-père.

Il demanda ce qui se passerait s’il refusait.

« Dans ce cas, tu deviendrais le splendide dîner de Babette. »

C’était donc ça. Le jeune homme expira, et détendit son corps. Il avait pour principe de ne pas chercher les petits détails. C’est pourquoi il n’avait pas cherché à savoir qui était ce vieillard, ni à quelles histoires il s’était mêlé. Il posa le bol.

Il commençait justement à se lasser de son emploi de modeste gardien de bateaux.

Tandis qu’il acquiesçait, le vieillard et la fillette sourirent de plus belle. Le sang qui avait commencé à sécher, les chairs et organes internes exposés à l’air. L’odeur de mort qui s’en dégageait. Tous trois partageaient la même puanteur.

« Bon. Tout d’abord… Débarrassons-nous de ça. Je veux que tu fasses en sorte que ça ne se sache pas. Je m’en remets à toi pour le travail physique. »

Se débarrasser des cadavres avant de faire la vaisselle. Toujours sans chercher à en savoir plus, le jeune homme commença à chercher quelque chose qui pourrait peser lourd. La mer était tout proche, il suffisait de les faire couler. Il y avait des bateaux.

« Des brioches ! Des brioches, mon petit ! Quand tu auras fini, nous mangerons quelque chose de sucré, sucré ! » chantait le vieillard en tapant dans ses mains.

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