Surgie du passé

Chapitre 1 : Surgie du passé

Chapitre final

6549 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 19/02/2021 15:41

               Liinwen perçut un vague bourdonnement autour d’elle. Son crâne la faisait souffrir, ses muscles lui semblaient si engourdis qu’elle les sentait à peine. Elle avait froid, aussi. Elle tenta d’ouvrir les yeux, mais une puissante lumière l’en empêcha.

               Une main se posa alors sur son front. Aussitôt, une douce chaleur se répandit en elle, calma la douleur et dissipa toutes les sensations désagréables qui l’habitaient. Elle tenta une nouvelle fois de rouvrir les paupières. Il lui fallut quelques secondes pour chasser le flou qui occultait son champ de vision. Une fois sa vue mise au point, elle découvrit le visage avenant d’un homme. Humain, blond, avec une barbe fournie et soigneusement tressée. Elle tenta d’ouvrir la bouche, mais il posa un doigt sur ses lèvres pour l’en empêcher.

—     Tout doux, jeune fille, souffla-t-il. Vous devez vous reposer.

—     Qui êtes-vous ? croassa-t-elle malgré tout. Il s’est passé quoi ? Et on… on est où ?

—     Je m’appelle Yngvar, répondit l’homme. Je vous ai trouvée au bord de la Mer des Fantômes, inconsciente et à moitié congelée. Vous avez eu beaucoup de chance de ne pas être morte de froid.

—     La Mer… des Fantômes ?

Elle tenta de se redresser. Son sauveur l’en empêcha.

—     Restez allongée, lui ordonna-t-il. Vous devez être encore très faible. Par Talos, vous êtes si pâle…

—     Talos ? articula-t-elle, perdue. Qui… qui est-ce ?

—     Oh, j’oubliais que vous êtes une altmer, lâcha-t-il, amer.

—     Quel est le rapport ? demanda-t-elle.

—     Ne faites pas semblant, la gronda-t-il. Aucun de vos semblables ne reconnaît l’existence du Neuvième Divin.

Liinwen sentit son crâne recommencer à bourdonner. Depuis sa plus tendre enfance, on lui avait toujours assuré qu’il n’existait que Huit Divins.

—     Impossible, souffla-t-elle. Si un autre dieu existait, on nous aurait appris son nom.

—     Vous tremblez, fit remarquer le nordique d’un ton sec pour changer de sujet. Attendez deux petites minutes.

Il s’éloigna avant que la jeune femme ait eu le temps de protester. Elle tenta de se redresser, remarqua alors qu’elle était enveloppée dans une épaisse couverture en peau de bête à même le sol. Elle réalisa qu’elle se trouvait dans une sorte de renfoncement rocheux, exposé plein est. Non loin d’elle, un feu de camp crépitait joyeusement et diffusait une douce chaleur autour de lui. Le regard de Liinwen se posa sur la haute silhouette d’Yngvar. Elle se sentit quelque peu perturbée par la douceur de ses gestes alors qu’il remuait quelque chose dans une casserole posée sur le feu, et plus encore par ses vêtements. Le nordique portait en effet une longue robe de mage, avec pour seules armes un bâton attaché dans son dos et une dague glissée à sa ceinture. Rien à voir avec les guerriers puissants dont on lui avait parlé.

D’un léger coup d’œil circulaire, elle observa les alentours. Une vaste étendue de neige et de glace, fermée d’un côté par une haute falaise, ouverte de l’autre sur ce qui semblait être l’océan. Du côté de la falaise, elle aperçut un haut bâtiment relié à une ville par un étroit pont qui semblait presque flotter. Elle frissonna. De ce qu’elle savait, la Mer des Fantômes se trouvait au nord de Bordeciel. Elle tenta de faire remonter ses souvenirs, sans succès. Elle ne parvint à se remémorer que l’éclat d’un pâle soleil sur l’armure de ses compagnons d’armes, les ailes parcheminées d’un vampire qui voulait faire d’elle son repas. Sa course pour fuir la créature, qu’elle aurait été bien incapable de tuer seule. Sa chute dans une grotte. La douleur de sa cheville et de son bras, l’affreux goût du sang qui emplissait sa bouche. Le froid. L’obscurité. La peur.

Le crissement de la neige sous les pas du nordique la tira de ses pensées. Il s’agenouilla à nouveau auprès d’elle, un bol fumant dans les mains.

—     Tenez, lui dit-il. Ça va vous réchauffer.

Intriguée, elle lui prit le récipient des mains. Une odeur délicieuse lui chatouilla les narines, et son ventre laissa échapper un petit gargouillement affamé. Sans se poser davantage de questions, la jeune femme attrapa la cuillère qui y était plongée et la porta à ses lèvres. Elle se brûla un peu la langue, mais la chaleur du plat la réchauffa aussitôt. Le goût la surprit toutefois. Elle reconnut la saveur sucrée de la tomate, accompagnée d’une note fraîche de lavande. Un arôme bien plus fort explosa dans sa bouche, de toute évidence celui d’une viande jusque-là inconnue. Intriguée, elle partit à la pêche avec sa cuillère jusqu’à en trouver un morceau juteux, qu’elle goûta du bout des dents. Une grimace lui échappa tant le goût était prononcé, ce qui amusa le nordique.

—     Vous n’êtes pas de Bordeciel, n’est-ce pas ? devina-t-il. C’est du horqueur. Assez relevé, mais délicieux.

Liinwen se surprit à lui donner raison. En effet, une fois la surprise passée, elle dut admettre que cette saveur lui plaisait. Elle avala encore plusieurs cuillères, puis demanda soudain :

—     Quel jour sommes-nous, au fait ?

—     Morndas, le 18 de Primétoile, lui indiqua-t-il.

La jeune femme en fut si étonnée qu’elle lâcha son bol. Yngvar le rattrapa d’un sort, tant pour ralentir sa chute que pour éviter à l’elfe les désagréments d’une brûlure.

—     Quelque chose ne va pas ? demanda-t-il d’un ton inquiet.

—     J’aurais dû être rentrée pour l’anniversaire de ma mère… souffla-t-elle, le regard baissé.

Une larme coula sur sa joue. Le nordique sentit son cœur se serrer devant la tristesse de sa compagne. Il lui tapota le dos d’un geste maladroit, sans trop savoir quoi faire d’autre. La jeune femme le repoussa avec fermeté, et essuya ses yeux d’un geste rageur.

—     Foutue guerre, lâcha-t-elle. Pourquoi a-t-il fallu que je sois envoyée ici pour combattre le Pacte…

—     La guerre ? s’étonna Yngvar. Si vous voulez parler de la Grande Guerre, elle s’est terminée il y a plus de quinze ans.

L’elfe releva les yeux vers lui, surprise.

—     Comment cela ? balbutia-t-elle. On est en quelle année ?

—     Nous sommes en l’an 191 de la quatrième ère, lui annonça le nordique.

Un rire nerveux échappa à l’altmer.

—     Vous vous moquez de moi, avouez-le, supplia-t-elle presque. C’est impossible.

—     Comment ça ? s’étonna-t-il.

—     Mes derniers souvenirs remontent à… à l’an 280 de la seconde ère…

Le nordique la regarda un long moment, stupéfait. Son air perdu, terrifié, le convainquit sans peine qu’elle ne mentait pas. De plus, son armure et ses armes, bien que de facture elfique, lui semblaient trop différentes de celles des thalmors qui parcouraient sa terre natale depuis quelques années.

—     C’est impossible… souffla-t-il, aussi surpris et incrédule qu’elle.

Liinwen hocha la tête, tremblante. Un sanglot terrifié lui échappa. Yngvar tenta de la calmer aussitôt.

—     Hé, on va trouver une solution, lui promit-il. Déjà, je peux vous emmener voir Savos Aren, l’archimage de l’Académie de Fordhiver. Il pourra sans doute mieux vous aider que moi.

La jeune femme acquiesça. Son sauveur commença aussitôt à lever son maigre campement. Il emmitoufla sa protégée dans une épaisse couverture pour la préserver du froid, puis fourra la casserole et son contenu dans un sac, qu’il attacha sur le dos d’un cheval laissé un peu plus loin. Il fixa avec soin les deux épées de Liinwen derrière la selle. Il souleva ensuite l’elfe avec délicatesse, la jucha sur le dos de l’animal, et grimpa derrière elle. D’un coup de talons, il lança sa monture au galop dans la neige, en direction de la falaise.

Durant tout le trajet, les pensées de la jeune altmer se bousculaient et s’entremêlaient dans sa tête. Elle ne croyait pas à ce qui lui arrivait, avait du mal à réaliser ce que cela impliquait. Si le nordique disait vrai, alors elle avait fait un bond dans le futur d’au moins deux, peut-être trois cents ans. Elle ignorait comment s’était terminée la guerre, si le Domaine Aldméri tenait encore debout. De toute évidence, elfes et humains ne s’entendaient guère mieux qu’à son époque, si elle en croyait la façon dont Yngvar lui avait parlé un peu plus tôt. Elle espérait aussi que Molag Bal avait été chassé de Tamriel.

Son regard contemplait les falaises gelées, l’épaisse couche de neige qui recouvrait le paysage. Elle frissonna plus d’une fois à cause du vent glacial de la région. Elle espéra qu’elle rêvait, mais la douleur sourde qui lui vrillait les tempes et la morsure du froid la convainquirent qu’elle était bien réveillée. Elle se demanda si ses parents, sa famille étaient toujours en vie. Si ses frères d’armes avaient survécu à la guerre. Si sa maison l’attendait toujours, à Alinor. Si elle allait pouvoir rentrer un jour.

Plongée dans ses pensées, elle ne remarqua qu’ils étaient arrivés en ville que lorsque le nordique arrêta sa monture devant un porche. Il sauta au sol, reprit Liinwen dans ses bras sous le regard à la fois surpris et méfiant de quelques curieux. Il s’engagea aussitôt sous la voûte de pierre et gagna un pont étroit, à moitié en ruines. Dès qu’elle le vit, la jeune femme se mit à trembler et ferma les yeux. Un rire amusé échappa à Yngvar.

—     Vous avez le vertige ?

—     Un peu, avoua-t-elle.

—     N’ayez crainte, souffla-t-il d’un ton rassurant. Vous ne risquez rien.

Il resserra un peu plus sa prise autour d’elle pour donner davantage de poids à ses paroles, mais l’elfe n’en fut guère convaincue. Les plaques de glace étalées sur la pierre nue et les vastes pans de parapet arrachés par le temps et les éléments ne lui inspiraient pas confiance.

Elle soupira de soulagement lorsqu’ils arrivèrent face à une grille qui s’ouvrit dès que le nordique s’en approcha. Il traversa une cour, contourna la statue en son centre, et ouvrit la porte d’une haute tour d’un coup d’épaule franc sans lâcher Liinwen. A l’intérieur du bâtiment de pierre, une grille semblable à celle de l’entrée se dressait face à eux. Yngvar tourna aussitôt à gauche, poussa une nouvelle porte, qui masquait un escalier étroit. Il le gravit quatre à quatre, de toute évidence pressé d’arriver au sommet. Liinwen, dans ses bras, ne bougeait pas. Elle se demandait où il l’emmenait.

La réponse à sa question muette arriva bien vite une fois que le nordique eut posé le pied au sommet des marches. Il pénétra dans une immense pièce circulaire, au centre de laquelle un somptueux jardin intérieur s’épanouissait. De multiples plantes rares, luminescentes, colorées et étranges poussaient, éclairées par quelques cristaux brillants. Liinwen en fut émerveillée.

Le nordique ne lui laissa toutefois pas le temps de contempler davantage les végétaux et contourna des étagères, jusqu’à une table d’alchimiste devant laquelle se tenait un homme de haute stature. Il se tourna vers les nouveaux venus et permit ainsi à la jeune altmer de distinguer son visage. Des yeux écarlates, une peau de la couleur des cendres. Un elfe noir, sans aucun doute.

—     Yngvar, qui m’amène-tu là ? demanda-t-il, les sourcils froncés.

—     Maître Savos Aren, haleta le nordique, j’ai trouvé cette jeune fille inconsciente sur la plage, un peu à l’écart de Fordhiver. Elle… elle prétend avoir connu la guerre des Alliances et ne se souvenir de rien au-delà de la deuxième ère.

Le dunmer la dévisagea, aussi surpris qu’intrigué.

—     Venez par ici, indiqua-t-il au bout de quelques instants.

Il les emmena jusqu’à un lit très simple, sur lequel Yngvar posa sa protégée. Liinwen le remercia d’un regard, tandis que l’archimage approchait un siège. Il s’assit face à la jeune femme.

—     Comment vous appelez-vous ? lui demanda-t-il d’un ton courtois.

—     Liinwen, répondit-elle, un peu sur la défensive.

Le dunmer lui adressa un sourire apaisant.

—     N’ayez crainte, déclara-t-il avec calme. Personne ne vous fera de mal entre ces murs, et certainement pas Yngvar.

Un silence lui répondit. L’altmer voulait le croire, mais elle se sentait trop inquiète pour réussir à se détendre. Il continua donc ses questions, d’une voix douce :

—     Racontez-moi ce qu’il vous est arrivé.

Liinwen ferma les yeux un instant pour tenter de faire remonter ses souvenirs. Le nordique s’assit à ses côtés, anxieux. Un frisson parcourut la jeune femme.

—     J’étais avec un petit détachement altmer, commença-t-elle d’un ton mal assuré. Il faisait nuit, et… il y avait quelque chose, dans l’ombre, qui nous épiait. Des vampires, qui nous ont attaqués par surprise. Nous nous sommes battus, mais ils étaient très puissants et nombreux. Trop nombreux.

Elle baissa les yeux sur ses mains alors que des images terribles lui revenaient. Le sang. Les sorts qui fusaient dans l’air. Un vampire transformé en torche vivante. Deux de ses camarades qui s’affrontaient, victimes des pouvoirs des créatures. Et, soudain, comme surgi des ténèbres elles-mêmes, leur seigneur.

—     J’ai attaqué leur chef de front, souffla-t-elle. Je voulais le détourner des autres pour leur laisser une chance de se débarrasser des vampires. Ça a marché, il s’est intéressé à moi. Mais il était bien plus puissant que ce à quoi je m’attendais… J’ai… j’ai dû m’enfuir pour ne pas me faire dévorer.

Elle frissonna une nouvelle fois. Un court instant, elle visualisa les yeux écarlates du monstre, assoiffés de sang, porteurs de mort. Le visage à peine humain de l’engeance maléfique qui la poursuivait. Ses immenses ailes parcheminées. Ses crocs pointus. Ses griffes acérées. Elle se revit courir à travers la neige, entendit le rire inhumain résonner derrière elle. L’épaisse couche de poudreuse l’empêchait d’aller aussi vite qu’elle le souhaitait, la glace ne cessait de la faire glisser. Elle se souvint avoir chuté sur une plaque de givre. Son poignet s’était tordu sous le choc. Elle avait tenté de se relever, entendu le monstre se poser derrière elle. Son poids avait fragilisé la glace autour d’eux. Elle avait reculé, essayé de se mettre à l’abri, mais trop tard. La surface gelée avait cédé.

—     Je suis tombée dans une crevasse, articula-t-elle tandis que son hurlement de terreur emplissait sa mémoire. J’ai essayé de me rattraper, mais je… j’ai juste rebondi contre les parois. J’ai senti ma cheville craquer à un moment. Et quand j’ai touché le sol, c’est ma tête qui a claqué contre la pierre.

Les deux mages n’attendirent pas qu’elle aille plus loin dans son récit. Un examen rapide leur apprit que le choc lui avait provoqué une petite fêlure au crâne, sans toutefois poser plus de problèmes. Le dunmer lui ordonna de s’allonger pour qu’il puisse la soigner, puis demanda à Yngvar de s’occuper de sa cheville. Le nordique indiqua qu’il s’en était déjà chargé. Satisfait, Savos Aren se concentra sur sa tâche. Liinwen fut aveuglée par l’éclat doré de ses mains, qu’il posa avec délicatesse sur son front. La chaleur qui parcourut aussitôt sa tête la soulagea. Elle sentit son crâne devenir plus léger, au point qu’elle se demanda s’il n’allait pas se désolidariser du reste de son corps pour s’envoler.

—     Et voilà, lâcha l’archimage au bout de quelques instants. C’est réparé.

L’altmer rouvrit les yeux. Un pâle sourire glissa sur ses lèvres.

—     Merci, souffla-t-elle.

—     Vous avez été blessée ailleurs ? s’enquit Yngvar.

—     Je ne sais plus… soupira Liinwen. Je ne crois pas.

—     Reprenez votre récit, lui demanda le dunmer.

Elle obtempéra. Elle relata à mesure que ses souvenirs refaisaient surface sa terreur, la sensation désagréable de savoir le vampire toujours sur ses talons alors que sa chute aurait dû les séparer. Elle se souvint avoir tenté de fuir le long de la crevasse, avait fini par atteindre une vieille porte de métal. Dans la panique, elle avait jugé bon de se cacher derrière et de la bloquer avec une lourde hache trouvée sur place. Elle avait alors commencé à fouiller les lieux à la lueur d’un petit sort d’illumination et avait trouvé, dans un vieux coffre à moitié pourri, un parchemin détrempé. D’un coup d’œil, elle avait compris qu’il s’agissait d’un objet capable de la ramener au camp de base, ou, à défaut, à Alinor. Elle avait commencé à lire la formule, pressée par les coups du vampire contre la porte. Mais entre l’encre qui avait commencé à s’effacer, la faible luminosité, la douleur et la peur, elle bégayait. Elle se rappela avoir buté sur des mots, s’être corrigée, avoir continué. La porte avait fini par céder, elle avait lu les dernières lignes d’une traite, avant que le vampire n’ait le temps de se jeter sur elle. Il ne s’était rien passé pendant deux secondes, puis elle avait senti comme une violente douleur la déchirer de l’intérieur. Une lumière dorée l’avait entourée. Ensuite, elle ne se souvenait de rien, à part d’un violent mal de crâne.

A la fin de son récit, l’archimage posa une main sur son bras.

—     L’art de la magie est quelque chose de subtil, jeune fille, déclara-t-il sans pour autant la réprimander. Il n’y a rien d’étonnant à ce que le sort n’ait pas marché, surtout si le parchemin avait commencé à être altéré par son environnement.

—     Je me doute, soupira Liinwen, au bord des larmes. Mais je n’ai pas vraiment eu le choix…

—     Vous avez fait ce qu’il y avait de mieux à faire dans votre situation, la rassura Yngvar. Personne ici ne vous blâmera d’avoir essayé d’échapper à une créature aussi maléfique.

—     Je ne voulais pas devenir une servante de Molag Bal, souffla-t-elle.

—     Personne de censé ne le voudrait, affirma le nordique avec un sourire.

—     Le seul souci, reprit le dunmer, c’est que nous ignorons quelle formule vous avez pu utiliser pour voyager dans le temps.

—     Alors je n’ai aucun moyen de rentrer chez moi ? s’alarma-t-elle.

—     Pour l’instant, je n’en vois pas, confirma-t-il. Mais je vous promets de chercher. Je ne garantirai cependant aucun résultat. Une telle magie doit être dangereuse à utiliser. Imaginez un instant ce que cela signifierait. La possibilité de retourner dans le passé pour le modifier…

—     Je veux juste rentrer chez moi, couina l’altmer.

Un sanglot lui échappa. L’archimage sembla sortir de ses pensées, et se pencha vers elle pour lui tapoter l’épaule.

—     Je ferai mon possible pour vous y renvoyer, promit-il. En attendant, vous êtes la bienvenue à l’Académie. Yngvar s’occupera de vous.

Elle s’efforça d’essuyer ses larmes et bafouilla un léger remerciement pendant que le nordique hochait la tête. Alors qu’il la prenait à nouveau dans ses bras pour lui épargner la descente des escaliers, le dunmer reprit :

—     Il y a une chambre de libre dans le pavillon de l’Accomplissement, à côté de celle d’Althana. Elle peut la prendre.

—     Comme vous voudrez, opina le nordique.

—     Et préviens Mirabelle que nous avons une invitée.

—     A vos ordres.

Yngvar quitta les appartements de l’archimage avec sa protégée. A peine eurent-ils regagné le bas des marches qu’un altmer au visage sévère les interceptait d’un air hautain.

—     Qui est-ce donc, Yngvar ? demanda-t-il.

—     Personne de très important, éluda le nordique, soudain crispé.

—     Personne n’entre dans cette académie sans que j’en sois informé, rappela l’altmer, les bras croisés sur sa poitrine. Je vous rappelle que je suis…

—     Le conseiller de l’Archimage, je sais, soupira le nordique. Si vous voulez des informations sur elle, allez lui demander, je viens justement de discuter avec lui.

—     C’est à vous que je demande ces informations, répliqua l’altmer d’un ton cassant. Et vous allez me répondre, sinon…

—     Sinon quoi, Ancano ? intervint une voix féminine aux intonations enfantines. Vous allez vous plaindre à Elenwen ?

Un soupir exaspéré échappa à l’homme, qui se tourna vers une gamine appuyée contre le mur à quelques pas d’eux. Liinwen en fut surprise, car elle ne l’avait pas entendue ni même vue arriver. Elle accusa mentalement la taille de la jeune fille, qui, malgré la quatorzaine d’années qu’elle lui donnerait, ne devait pas mesurer plus d’un mètre quarante. Malgré ses cheveux blonds et ses traits gracieux propres aux altmers, elle possédait de toute évidence du sang bosmer. Une métisse, sans doute.

—     Qu’est-ce que tu fais là, toi ? s’agaça l’altmer.

—     Je cherchais Yngvar, répondit-elle d’un ton innocent. J’ai trouvé un faucon blessé, mais je suis nulle en guérison, donc je ne peux pas le soigner.

—     Et tu ne pouvais pas aller voir quelqu’un d’autre ?

—     Yngvar est le meilleur guérisseur de l’Académie.

—     Tu en rajoutes, souffla l’intéressé, les joues soudain rouges.

—     Mais non, assura-t-elle.

—     Ton faucon attendra, coupa l’altmer. J’ai des choses importantes à voir avec lui…

—     Je m’en fiche, répliqua la gamine. Vous n’allez pas laisser un oiseau mourir, quand même ?

—     Ce n’est pas aussi important que la raison de la présence de cette jeune femme ici.

Liinwen croisa le regard de la petite elfe, qui lui adressa un petit sourire.

—     Oh, c’est toi, la petite amie d’Yngvar ? demanda-t-elle avec tant d’innocence que le nordique en éclata de rire.

—     Althana, arrête de dire n’importe quoi ! la réprimanda le dénommé Ancano. Aucune altmer ne daignerait accorder de l’importance à un humain, et encore moins à un nordique !

Liinwen esquissa un sourire quand la jeune fille éclata d’un rire léger.

—     Je suis sûre que c’est faux. Qui tomberait amoureuse d’un homme aussi imbu de lui-même que vous ? se moqua-t-elle.

—     Encore une seule remarque comme celle-ci et je te renvoie à l’ambassade, la menaça-t-il.

Althana lui servit un sourire innocent qui l’irrita davantage.

—     Elenwen me reverra aussitôt ici, lâcha-t-elle avec nonchalance. Au pire, elle s’arrangera pour me faire rejoindre les troupes du Domaine et m’engager dans une patrouille à la recherche d’adeptes de Talos. Ondolemar est sur Markarth, et, comme il m’aime bien, elle m’enverra sûrement là-bas pour qu’il me surveille. 

—     Si c’est moi qui demande à ce que tu sois renvoyée, elle te fera coffrer pour ton insolence.

—     Si vous faites ça, je lui dis que vous avez tenté de séduire Nirya.

Le nordique dut se mordre la joue pour ne pas éclater de rire devant le masque de fureur et d’exaspération d’Ancano. La petite elfe ne se départit pas de son sourire effronté, ni même de la lueur espiègle qui éclairait son regard doré. Elle recula toutefois d’un pas prudent vers la porte quand le mage tonna :

—     Ça suffit, Althana !

Il tendit la main pour l’entourer de chaînes magiques, mais l’adolescente fut plus rapide. Elle se protégea d’une barrière magique pour éviter d’être entravée, et poussa la porte d’un geste sec. L’altmer la poursuivit à l'extérieur, laissant ainsi Yngvar et sa protégée seuls. Liinwen n’avait rien compris à ce qu’il venait de se passer, mais sentit une vague inquiétude serrer son cœur.

—     Il ne va pas lui faire de mal ? s’enquit-elle auprès du nordique.

—     Oh, non, la rassura-t-il avec un sourire. Il va juste l’attraper et l’amener devant l’archimage, qui va juste lui faire la leçon. Peut-être la coller au récurage du matériel d’alchimie pendant deux jours, mais c’est tout.

Liinwen remarqua qu’il avait repris sa route d’un pas pressé. Elle fronça les sourcils.

—     Personne ne lui en voudra, continua son sauveur à voix plus basse. Tout le monde se méfie d’Ancano. Il prétend n’être qu’un simple conseiller, mais la façon dont il exige de connaître les moindres secrets de l’Académie suffit pour nous assurer que c’est un espion du thalmor. Althana nous a juste sauvés d’un interrogatoire long et pénible.

—     Le thalmor ? s’exclama Liinwen. Alors le Domaine existe encore ?

—     Bien sûr, souffla-t-il. Mais il est… disons, mal vu dans la région.

—     Pourquoi ? s’étonna l’elfe.

—     C’est un peu long à expliquer, soupira le nordique. Pour faire simple, ils ont gagné une guerre il y a vingt ans et ont plus ou moins dominé l’Empire. Parmi les termes de l’armistice, ils réclamaient la reconnaissance de leur supériorité et le bannissement du culte de Talos.

—     C’est ridicule, ricana-t-elle.

—     Comment ça ? s’étonna Yngvar.

—     Les elfes ne sont en rien supérieurs aux humains, expliqua-t-elle. Bon, vous vivez moins longtemps, c’est sûr, mais c’est même plutôt admirable, tout ce que vous réussissez à faire avec une vie aussi courte.

Yngvar se stoppa net, et la regarda avec intensité. Liinwen se sentit rougir.

—     J’ai dit quelque chose de mal ? demanda-t-elle d’une voix timide.

—     Je crois bien que c’est la première fois que j’entends un altmer reconnaître la valeur de la vie humaine, déclara-t-il, l’air encore sonné. Tout le monde pensait comme ça, chez vous ?

—     Non, souffla-t-elle d’un air déçu. J’étais la seule.

—     Oh…

Le nordique reprit sa route, plongé dans ses pensées, et poussa une porte. Ils entrèrent dans un bâtiment éclairé par une sorte de puits magique au centre de la structure, circulaire. Les murs étaient percés de multiples chambres, petites, mais à l’apparence confortable. Il grimpa un escalier, passa devant ce qui semblait être un réfectoire, et compta trois pièces avant de déposer sa protégée sur un lit impeccablement fait.

Une fois la jeune femme installée, il lui adressa un petit sourire.

—     Voilà, c’est ici que vous logerez tout le temps de votre séjour à l’Académie. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, prévenez-moi. Je suis à l’étage juste en-dessous.  

—     Merci, souffla Liinwen. Pour tout.

Yngvar se redressa.

—     Reposez-vous un peu, lui conseilla-t-il. Je reviendrai vous voir un peu plus tard.

Elle hocha la tête, et il sortit. Ses pas décrurent peu à peu à mesure qu’il s’éloignait. La jeune femme resta donc seule avec ses pensées. Elle se glissa sous les couvertures, les yeux emplis de larmes qui remontaient peu à peu. D’un battement de paupières, sa vision se troubla. Malgré la promesse de l’archimage, elle doutait de pouvoir rentrer chez elle. Elle sentait qu’elle était bloquée dans le futur, que personne ne pouvait rien faire pour la ramener à son époque. Une fois de plus, elle avait fait une erreur. Elle avait encore utilisé un sort qu’elle n’aurait pas dû toucher, lu un parchemin que n’importe qui aurait su utiliser sans aucun effet secondaire. Mais pas elle. Comme si souvent dans sa vie, utiliser la magie avait provoqué une véritable catastrophe. Elle songea avec un pincement au cœur qu’ils avaient sans doute jugé inutile de la chercher. Elle avait sans doute été portée disparue, déclarée morte. Elle pensa à ses parents, à la déception de son père qui espérait depuis sa naissance la voir rejoindre les rangs des Yeux de la Reine. Elle réalisa qu’elle aurait aimé le rendre fier d’elle au moins une fois. Juste une. Elle ne le pourrait sans doute jamais, désormais.

Elle resta un long moment ainsi, impuissante, à pleurer sur son sort. Elle sombra peu à peu dans un sommeil agité et superficiel, dont elle fut tirée par la nette sensation d’être observée. Elle se réveilla en sursaut et chercha d’un geste instinctif sa dague avant de se souvenir qu’Yngvar la lui avait retirée pour la soigner. Inquiète, elle jeta un coup d’œil rapide autour d’elle et aperçut une ombre appuyée contre l’embrasure de la porte.

—     Tout doux, souffla une voix qui ne lui était pas inconnue. Je ne voulais pas te réveiller.

La silhouette frêle s’approcha. Une lueur pâle émana de ses doigts et révéla son visage. Liinwen laissa échapper un soupir de soulagement lorsqu’elle reconnut Althana. La petite elfe la rejoignit avec un petit sourire, le regard empli de curiosité.

—     Tout va bien ? demanda-t-elle. Ancano ne t’a pas trop embêtée ?

—     Je ne l’ai pas revu depuis qu’il t’a prise en chasse, avoua son aînée. Et toi ? Tu n’as pas eu trop d’ennuis pour… heu…

—     Non, la rassura l’adolescente avec un rire léger. Il n’a même pas réussi à m’attraper.

Elle afficha un air mystérieux qui fit frissonner l’altmer. La plus jeune reprit :

—     Yngvar a déjà dû te le dire, mais méfie-toi de lui.

Liinwen hocha la tête d’un air vague. Althana jeta un œil en direction du couloir, puis se pencha vers elle.

—     Tu as voyagé dans le temps, souffla-t-elle très bas. Je me doute que tu dois vouloir rentrer chez toi, mais reste discrète là-dessus et fais confiance à l’Archimage. Juste à lui, à Yngvar, et à moi. Si le Thalmor vient à apprendre que tu cherches à retourner dans le passé, il va essayer de se servir de toi pour modifier le cours de l’histoire.

L’altmer la regarda d’un air surpris.

—     Comment… bégaya-t-elle.

—     Yngvar me l’a dit, révéla la jeune fille avec un sourire innocent. Et pour le Thalmor, c’est évident. S’ils peuvent éliminer Tiber Septim pour qu’il ne devienne jamais Talos, ils le feront.

—     Mais qui c’est, Talos ? s’agaça Liinwen.

—     Le dieu-héros des hommes, expliqua l’adolescente. Un humain qui a réussi à s’élever au rang de dieu, mais le Thalmor le conteste.

—     Sérieusement ? s’émerveilla la jeune femme. C’est incroyable ! Tu saurais m’expliquer comment il a fait ? Il y en a d’autres qui ont réussi ?

Un rire léger échappa à la petite elfe.

—     Yngvar a raison, tu es vraiment plus ouverte d’esprit que les autres altmers, souffla-t-elle avec un petit sourire.

Liinwen rougit.

—     On me l’a toujours reproché, ça, murmura-t-elle.

—     Oh, je me doute. J’ai eu l’occasion de passer quelques années à l’ambassade. Je préférais de très loin ma vie d’avant. Qu’est-ce qu’ils étaient pénibles…

Elle prit un air hautain et commença, d’une voix exagérément dédaigneuse :

—     Non, Althana, tu ne peux pas mettre tes pieds sur la table ! Quelle idée de manger sur la pointe de ton couteau… Tu ne peux pas prendre des couverts, comme tout le monde ? Et arrête un peu de courir dans les couloirs, ça ne se fait pas !

Liinwen éclata de rire devant l’imitation de la petite elfe.

—     Toi aussi, tu as grandi à l’Archipel ? demanda la plus âgée.

—     Non, répondit la plus jeune avec un soupir. Je suis née à Cyrodiil, et j’ai grandi en Bordeciel.

Son regard devint fuyant. L’altmer, bien que curieuse, préféra ne pas insister lorsqu’elle remarqua sa réaction. Elle demanderait à Yngvar, plus tard.

—     Tu connais bien les humains, donc, constata-t-elle à la place.

Son interlocutrice hocha la tête.

—     On peut dire ça, confirma-t-elle.

—     Et tu les apprécie ?

—     Beaucoup plus que les altmers et les bosmers.

Liinwen remarqua encore une fois qu’elle évitait son regard. Son comportement étrange l’intrigua, mais elle ne posa pas d’autres questions. Elle devina que la jeune fille devait s’être attirée des ennuis auprès du Domaine Aldméri.

—     Bordeciel est un peu devenue ma maison, souffla-t-elle. Les nordiques sont ma famille, aussi. Ils ne sont pas parfaits, beaucoup se méfient de moi, mais… je les adore malgré tout.

—     Je te comprends.

Althana releva ses iris dorés vers son aînée. Celle-ci posa une main sur son bras, d’un geste doux et apaisant. Un sourire étira les lèvres de l’altmer.

—     J’ai passé ma vie à l’Archipel d’Automne, expliqua-t-elle. Je n’ai connu que le comportement hautain et fier des altmers toute ma vie. Je n’ai pas rencontré beaucoup de nordiques, mais ils ont l’air si… simples, honnêtes…

—     Toi, tu t’es laissée avoir par Yngvar, ricana la plus jeune.

Les joues de Liinwen se colorèrent en un instant. Sa réaction amusa Althana.

—     Yngvar est tout gentil, expliqua-t-elle. Tous les nordiques ne sont pas comme lui, bien au contraire… Ce sont avant tout de fiers guerriers, très attachés au combat, à l’honneur et à leurs racines. Très peu d’entre eux pratiquent la magie et ils sont très têtus quand ils ont une idée en tête, mais ils sont adorables, au fond. Et leurs plats sont juste excellents.

—     Yngvar m’a fait goûter le horqueur, confirma l’altmer. C’est délicieux.

—     Oh, chanceuse ! bougonna la plus petite. Quand je lui demande s’il sait cuisiner, il change toujours de sujet…

Liinwen pouffa.

—     Il est très doué, déclara-t-elle. Au moins pour cuire le horqueur.

—     Il faut que tu goûtes les tourtes qu’ils font au Foyer Gelé ! s’exclama l’adolescente. C’est un vrai délice !

Son enthousiasme contamina la plus âgée. Althana attrapa sa main et la tira pour l’aider à se relever. L’altmer enfila en vitesse une paire de bottes posée à côté de son lit, attrapa une cape épaisse dans laquelle elle s’enroula. La jeune fille lui jeta un regard rempli de réflexion.

—     Quoi ? demanda l’aînée.

—     Va falloir te trouver quelque chose de plus chaud, déclara-t-elle d’un ton pensif. Ta tunique est belle, mais elle n’a pas l’air très chaude.

Liinwen baissa les yeux sur ses vêtements. Elle ne l’avait pas remarqué avant, mais son armure lui avait été retirée. Sa manche gauche était déchirée sur toute sa longueur, et plusieurs trous ornaient son pantalon. Elle adressa un regard inquiet à la petite elfe, qui lui montra une armoire d’un geste du menton.

—     Yngvar a rangé ton armure là, lui expliqua-t-elle. Tu dormais, il n’a pas voulu te réveiller. Il faudrait que tu l’emmènes chez un forgeron, au fait. Je ne sais pas ce que tu as fichu, mais plusieurs pièces sont enfoncées et tu as même une brèche assez large sur l’un de tes gants.

L’altmer fit un pas vers le meuble, mais la jeune métisse l’attrapa par la main avec un air décidé.

—     Ça peut attendre, assura-t-elle, surtout qu’il vaut mieux qu’elle reste cachée tant qu’Ancano peut nous embêter. Cet idiot risque de croire que tu as déserté l’armée du thalmor. Viens, on va aller te trouver des vrais vêtements de nordique !

Liinwen résista un court instant, puis se laissa entraîner par Althana. Un sourire éclaira son visage. Même si elle se sentait perdue, même si elle était inquiète pour sa famille, l’insouciance de l’adolescente et l’enthousiasme dont elle faisait preuve ne pouvaient la laisser indifférente. Elle se décida à laisser de côté le passé pour découvrir cette époque et cette région si éloignées de chez elle, au moins quelques heures. Elle risquait de rester ici un certain temps, alors pourquoi n’en profiterait-elle pas un peu ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 



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