Runnath Elt

Chapitre 1 : Runnath Elt

Chapitre final

4581 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 25/10/2022 00:12

Runnath Elt


Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Le Lieu Sacré - (septembre octobre 2022).


Le soleil approchait son zénith lorsque les fondations de la ville se découpèrent sur le vaste horizon. Au rythme où le vieux cheval de trait bai, au chanfrein marqué d’une liste et aux balzanes haut-chaussée qui traînait le véhicule avançait, ils atteindraient les grandes portes principales d’ici quelques minutes, une dizaine tout au plus. Les sabots de l’équidé tapaient en rythme contre le sol irrégulier et pierreux de la route.

Une petite tête aux oreilles incroyablement longues et pointues émergea du chariot de bois et observa les bâtiments de pierre avec de grands yeux ambrés intrigués. Ses cheveux longs et de couleur ocre ondulaient sous l’effet du vent léger de cette fin de matinée.

–       C’est quoi, cet endroit ?

Une autre tête, d’une personne un peu plus grande, mais aux oreilles tout aussi pointues, se posa sur la précédente, et entoura la plus jeune de ses bras chaleureux. Son regard azur admirait les bâtisses, et un léger sourire teintait ses fines lèvres.

–       C’est Blancherive. C’est là qu’on va.

La cadette se retourna, et demanda avec toute la curiosité et l’innocence enfantine qui seyaient à son âge :

–       Pourquoi est-ce qu’on a dû quitter la maison pour venir ici ?

–       Parce qu’ils ont besoin des talents de maman, expliqua gentiment son interlocutrice. Dès qu’elle aura terminé, on rentrera chez nous.

Traverser tout Cyrodiil depuis la Cité Impériale, où elles résidaient, pour gagner Bordeciel représentait effectivement un sacré trajet de plusieurs mois. Elles ne connaissaient que la capitale de l’Empire, rien d’autre, même si parfois, leur mère leur racontait avant de dormir les récits des voyages réalisés par leur père du temps où il vivait encore, une époque qui remontait à avant la naissance de leur seconde fille. Il était décédé sans la connaître.

Quelques mois plus tôt, leur maman avait reçu une lettre dont elle n’avait guère trop détaillé le contenu aux enfants, malgré les questions parfois incessantes de la plus jeune. Le voyage durait depuis un moment et avait dépassé les frontières à l’intérieur desquelles elles vivaient jusqu’alors.

À l’avant de la charrette, le cocher, vraisemblablement un Nordique d’âge mûr, vêtu d’une tunique verte et d’un pantalon en toile, maintenait sa monture non moins vieille sur la route, veillant à conserver une allure régulière jusqu’à l’arrivée imminente en ville. À côté de lui, une Altmer aux longs cheveux blonds et clairs tressés par endroits et vêtue de manière tout à fait simple discutait avec lui des dernières nouvelles et rumeurs qui couraient en ville. Il lui conseilla une bonne auberge où s’installer et passer la nuit ; le propriétaire accepterait certainement de lui faire un bon prix notamment si elle comptait rester plusieurs jours à Blancherive avec les siens.

–       Estalenya, Solinwë, préparez-vous à descendre ; nous arrivons bientôt, les informa-t-elle en se retournant et en posant ses yeux bleus chaleureux sur les deux jeunes passagères qui jouaient à l’arrière.

Ces dernières s’exécutèrent sagement, en silence ; la plus âgée passa un bras autour de la plus petite, qui tremblait quelque peu, et la serra contre elle, comme pour la rassurer. Il s’agissait de leur première fois hors de chez elles, après tout, et à l’excitation de découvrir un nouveau lieu se mêle toujours sur les bords un peu d’appréhension.

Le conducteur stoppa le convoi un peu avant les écuries ; sa passagère le paya en conséquence et il l’aida à descendre, ainsi que sa progéniture. Leurs routes se séparèrent sur des ‘au revoir’ cordiaux, et la petite famille continua seule la centaine de mètres qui la séparait de l’entrée de la ville, empruntant pour ce faire un pont en bois ainsi qu’un pont-levis qui tous deux enjambaient une rivière d’eau claire – les deux jeunes Altmers faillirent même y tremper leurs pieds pour s’amuser, mais l’adulte les retint. Deux gardes en armure assuraient la surveillance de la porte principale, et les saluèrent poliment tandis que le groupe pénétrait à l’intérieur de la ville.

Blancherive dépassait tout ce que les deux sœurs avaient pu imaginer dans leurs rêves. En franchissant pour la troisième fois un pont afin de gagner le centre de la cité, elles posaient leurs yeux émerveillés sur tout ce qu’elles pouvaient voir : les habitants, les maisons de pierres, les plantes, si différentes de celles qu’elles connaissaient – leur mère leur montra un lys des cimes absolument magnifique.

Elles passèrent à côté de l’échoppe « Le Chasseur ivre », Solinwë sautillant gaiment et rigolant tandis qu’Estalenya ralentissait de temps à autre pour cueillir quelques fleurs qu’elle utilisait pour orner sa soyeuse chevelure.

Leur chemin les amena jusqu’à une grande place de forme circulaire, où les fumets délicats provenant autant de l’épicerie Belethor que de l’auberge de « La Jument Pavoisée » – où elles passeraient la nuit – réveillèrent leur appétit. À des stands de bois, des marchands vantaient le mérite de leurs produits, et les gens discutaient avec animation. Le bruit de l’onde qui coule contribuait toutefois à apporter une ambiance apaisante. Lorsqu’elles contournèrent le puits qui occupait le centre du lieu, les deux enfants remarquèrent que ce son provenait en fait de deux petits ruisseaux situés de part et d’autre d’un escalier de pierre, qu’elles empruntèrent à la suite de leur génitrice.

La nouvelle place qu’elles atteignirent, entourée d’eau, égalait en beauté la précédente, surtout lorsqu’en levant la tête, elles aperçurent l’immense résidence du jarl, qui veillait sur Blancherive depuis les hauteurs. À la place d’un puits, un grand arbre se dressait cette fois de toute sa hauteur au milieu du petit archipel rond, et elles résistèrent à l’envie de s’asseoir sur un banc, poursuivant sagement leur marche jusqu’à leur destination toute proche.

En effet, devant elle, leur mère avança encore de quelques pas et monta une volée de marche, avant de s’arrêter devant une porte joliment ouvrager et de faire pleinement face à ses deux filles.

–       Voici le temple de Kynareth. C’est un lieu sacré, alors soyez calmes et ne parlez pas trop fort, d’accord ?

Ces dernières acquiescèrent poliment, mais les yeux brillants et trépignant sur place, sans s’arrêter. Elle leur adressa un sourire affectueux et se retourna pour ouvrir les lourdes portes en bois derrière elle.

La lumière, grâce à de très nombreuses fenêtres situées un peu partout, baignait l’intérieur de l’endroit, incroyablement grand et spacieux. Leurs yeux s’écarquillèrent, leurs lèvres formèrent un « o » parfait, tandis qu’elles suivaient leur mère en se serrant fermement la main, regardant autour d’elles. Partout, de grandes colonnes de bois délivraient cette impression de s’élever jusqu’au ciel – la hauteur sous plafond donnait, de fait, le vertige. Les couleurs chaudes et chatoyantes des murs invitaient à la détente et à la contemplation, et de grandes guirlandes fleuries égayaient ce lieu manifestement sacré. Quittant le tapis rouge somptueusement brodé, elles avancèrent jusqu’au milieu du temple, où un petit bassin avait été aménagé ; en son centre se trouvait un petit îlot réalisé en mosaïque, et représentant un oiseau bleu sur un arrière fond coloré de vert, d’orange, et de marine. À l’est, à l’ouest et au nord se trouvaient des autels de soin, chacun recouvert d’une couverture marron ; les personnes allongées dessus se tournaient et se retournaient, sans toutefois beaucoup parler.

Dans un premier temps, Solinwë, trop occupée à admirer ce vaste endroit, ne comprit pas ce qu’ils marmonnaient, et se contenta d’avancer gaiement, sans quitter son ainée. Elles admiraient le splendide bassin, n’en ayant jamais vu d’aussi beau jusqu’à présent, lorsqu’une voix résonna dans l’enceinte du bâtiment :

–       Selinya ! Par les Divins tu es là !

L’intéressée se retourna, surprise, ainsi que les deux sœurs. Une dame venait vers eux, manifestement une Nordique d’un âge mur voire même avancé, au vu de ses traits, que du reste, on distinguait mal, car la capuche de la tenue particulière qu’elle revêtait – une robe de moine de couleur ocre, avec une maigre corde en guise de ceinture à laquelle pendait une lame – dissimulait partiellement son visage. Ses bottes en peau n’émettaient aucun bruit sur le sol incroyablement propre.

–       Quel plaisir de te revoir, après tout ce temps ! Tu nous avais beaucoup manqué, tu sais.

Elle ouvrit spontanément les bras, et embrassa chaleureusement l’Altmer, qui, pour sa part, resta un moment debout, sans réagir, avant de lui retourner progressivement son affection.

–       Je suis contente de te retrouver également, Gordelva. Tu me disais avoir besoin d’aide, dans ta lettre, alors me voilà. J’espère que ça ne te dérange pas que je sois venue avec mes filles ?

D’un signe de tête, elle les désigna avec un sourire. Son interlocutrice posa son regard sur les deux petites un peu nerveuse et intimidées, et afficha un sourire amical, pliant quelque peu les genoux pour s’abaisser à leur hauteur, comme une grand-mère parlerait à ses petits-enfants.

–       Pas du tout, voyons. Tous les enfants de Kynareth sont les bienvenus, ici. Pourquoi n’allez-vous donc pas prier, pendant que je parle à votre maman ?

Il s’agissait d’une tradition, dans ce lieu sacré, leur mère leur en avait parlé sur le chemin de l’aller.

–       Je reviens tout de suite, je vous le promets, déclara-t-elle en embrassant chacune des deux sur le front, les cajolant affectueusement dans le même temps.

Elles hochèrent silencieusement la tête, et gagnèrent sans bruit le fond du temple tandis que Gordelva et Selinya se dirigeaient vers un espace un peu à l’écart, abritant entre autres un lit, une table, et divers meubles, afin de pouvoir discuter plus tranquillement, en privé, d’un sujet important.

–       Regarde ces fleurs ! Elles sont très jolies ! Qu’est-ce que c’est ? demanda la plus jeune des elfes en désignant une jardinière en marbre, ses yeux ambrés brillants – pour un peu, elle sautillait presque sur place.

–       C’est de la lavande, répondit Estalenya, tout en touchant un brin pour imprégner ses doigts de l’odeur. Ma plante préférée. Elle sent super bon.

–       Montre-moi, montre-moi !

La plus grande ne put retenir un gloussement et approcha sa main du visage de sa cadette. Celle-ci huma la senteur sur la peau de son aînée et laissa échapper un petit son ravi lorsque le parfum chatouilla malicieusement son nez. Sa sœur accepta même de glisser quelques brins dans sa longue chevelure pour l’orner, et répéta le même geste pour elle-même, et ensuite leurs éclats de rire résonnèrent rapidement dans le temple.

Leur sérieux retrouvé, elles se rendirent devant la grande table en bois sur tréteaux où reposait l’autel. De couleur violette, il possédait une forme très particulière, impossible à décrire dans le détail. Des lignes courbes, deux ronds jaunes ainsi qu’une gemme azur d’une pureté inégalée dans tout Nirn ornaient la relique sacrée. D’un côté ainsi que de l’autre trônaient deux bougeoirs argentés, les premiers plus petits que les seconds.

Estalenya les alluma tous les quatre avec le plus grand soin, puis, elle et sa sœur s’agenouillèrent l’une à côté de l’autre sur le plancher, et commencèrent leur prière silencieuse à l’attention de la déesse Kynareth protectrice de la ville, dans le plus grand calme, les mains jointes ; une lumière mauve les enveloppa tandis qu’elles répétaient les mots enseignés pendant le voyage par leur parente à cette occasion. Seul le bruit des pas des prêtres qui évoluaient dans cet endroit, et le son de l’eau, troublaient l’imposant silence.

Leur récitation touchait à sa fin ; elles se relevaient, lorsque leur mère et son amie réapparurent soudain, se dirigeant vers le milieu de la pièce. Ces dernières terminaient manifestement leur discussion.

–       Je vais m’occuper de lui de mon mieux. Pendant ce temps, peux-tu aller chercher les ingrédients pour le philtre ?

–       J’y vais de ce pas. Merci encore de ton soutien.

–       Je t’en prie, il n’y a rien de plus normal.

Gordelva, sereine et soulagée, salua les fillettes d’un signe de main, avant de pivoter sur ses talons et de franchir dans les secondes qui suivirent, avec une démarche légère, les portes d’accès au temple, non sans prévenir quelques employés avant de partir. Sa mère maintenant seule, sa plus jeune fille courut vers elle aussi vite que le permettaient ses petites jambes, avec un grand sourire aux lèvres, tout en agitant les bras.

–       Maman, maman !

–       Solinwë, ne court pas comme ça ! Tu vas tomber ! protesta son aînée, en la suivant pour essayer de la rattraper.

Selinya retint un rire léger en les voyant ainsi accourir à son chevet et l’enlacer aussi fort que possible.

–       Du calme, du calme. Je suis là, déclara-t-elle d’une voix douce en les serrant toutes les deux contre elle. Mais je dois m’occuper de quelqu’un, ici, et ça risque d’être long. Vous pouvez m’attendre sur un des bancs, si vous voulez–

–       Moi je veux venir avec toi ! la coupa la petite elfe, d’un ton catégorique.

Une nouvelle fois, Estalenya protesta gentiment, inquiète, mais, à sa grande surprise, sa mère accepta, et leur indiqua de la suivre jusqu’à l’autel de soin tout proche. Allongé sur un semblant de drap, un homme habillé plutôt pauvrement – sûrement un fermier du coin – gémissait pitoyablement, le corps atrocement crispé et le front en sueur. Les maigres propos fiévreux que sa bouche sèche expulsait ne revêtaient aucune cohérence, et ses paupières collaient tellement qu’il ne parvenait pas à les ouvrir complètement, se trouvant donc quasiment aveugle. Sans le soulèvement infime de sa poitrine, on aurait même pu croire à sa mort.

Sur un tabouret en bois banal et usé, un des acolytes apporta un carré de lin et un pichet rempli d’eau pure et cristalline ; l’adulte, à présent agenouillée au chevet du patient, en versa dans un gobelet argenté qu’elle porta aux lèvres de l’homme souffrant pour l’abreuver. Elle trempa le linge blanc dans cette même onde et l’appliqua avec beaucoup de précautions sur le haut du visage du malade.

–       C’est le mari de Gordelva, expliqua-t-elle aux deux fillettes en lui épongeant le front. Il est très souffrant, et personne ici n’arrive à le soigner. Je vais essayer de diminuer sa douleur, en attendant de pouvoir préparer un antidote efficace.

–       Tu vas utiliser ta magie… ? souffla la plus âgée des enfants, les yeux écarquillés.

En réponse, sa mère approcha simplement ses deux mains du Nordique en piteux état. De celles-ci émana une lumière dorée éclatante, intense, qui enveloppa instantanément le corps tout entier de l’homme, des pieds à la tête.

Aussitôt, les muscles de ce dernier se décontractèrent ; sa fièvre baissa radicalement en intensité, et il put enfin ouvrir correctement les yeux. Et pour couronner le tout, il parvint même à articuler clairement quelques mots de remerciement à l’attention de sa soigneuse. Son état s’améliorait progressivement, même s’il restait encore à trouver un remède à l’affliction qui le rongeait avant qu’il ne se rétablît complètement, et là encore, sa convalescence durerait un long moment.

–       Maman, ta magie de guérison est incroyable, murmura Estalenya, la bouchée bée.

–       Oh, je ne suis pas la seule à le posséder tu sais, déclara l’elfe en lui adressant un doux sourire. Toi aussi, tu peux l’utiliser, si tu le souhaites. Tu veux essayer ?

–       Je peux vraiment ? répondit la plus jeune, les yeux ronds.

Selynia approuva et lui indiqua d’un signe affectueux de la main de venir se placer devant elle ; son enfant en position, elle saisit délicatement ses poignets, tournant volontairement les paumes de ses mains vers le bas, et commença ses explications, sa tête posée sur celle de la fillette.

–       Inspire profondément et concentre-toi. Lorsque tu ressens la moindre trace de chaleur dans ton corps, laisse-la grandir et se diffuser dans tout ton organisme, jusqu’à tes mains.

La jeune Altmer ferma les yeux et s’exécuta sans poser de question, tant la confiance qu’elle éprouvait envers sa mère s’avérait grande. Vidant son esprit de la moindre pensée futile, elle rechercha le plus petit élan d’énergie luisant dans son organisme. Le trouver s’avéra incroyablement difficile au début, bien plus qu’elle ne le supposait au début. Et pourtant, elle avait déjà consulté quelques ouvrages généraux sur la magie, à la maison, sans pour autant parvenir à tout comprendre ni à tout appliquer des préceptes indiqués dans ces pages.

–       Ne te crispe pas trop, ça doit venir naturellement.

Et effectivement, lorsqu’elle se détendit, elle la perçut alors très nettement ; cette source vibrante à l’intérieur d’elle-même, qui irradiait d’une énergie brûlante. Tout en se focalisant dessus, elle la laissa gagner progressivement de l’importance, et ressentit alors la chaleur inonder tous les recoins de son corps juvénile ; cette sensation était très clairement la plus incroyable qu’elle n’eût jamais éprouvé dans toute son existence, pourtant pas si longue.

Elle rouvrit doucement les yeux et retint un cri aigu de joie : un halo doré enveloppait ses mains , et la plaie récente qui marquait le bras de l’homme, et sur laquelle elle s’était concentrée se refermait progressivement comme si elle n’avait jamais existé, à son grand bonheur. Cela terminé, elle relâcha la pression accumulée d’un seul coup et se tourna vers sa génitrice ; elle souriait tellement qu’elle en avait mal, mais peu importait. Elle avait réussi, elle avait réussi ! Oh, elle avait toujours sur que sa maman possédait de grands dons pour soigner les gens, mais pouvoir elle aussi recourir à ces pouvoirs… Il s’agissait d’une merveilleuse expérience, même si dépenser toute cette énergie l’épuisait.

–       J’y suis arrivé ! Merci maman ! s’exclama-t-elle en l’enlaçant avec force.

–       Moi aussi, je veux essayer ! protesta Solinwe, debout et la mine boudeuse. Je peux ? Je peux ?

–       Tu es plus petite, ça risque d’être plus difficile, prévint Selinya, mais elle invita cependant sa fille à la rejoindre.

Elles répétèrent exactement la même opération qu’avec Estalenya plus tôt, la sœur cadette prenant la place devant leur mère. Son impatience ne jouait cependant pas en sa faveur, et même en se concentrant très fort, pendant plusieurs secondes qui devinrent des minutes, aucune lueur n’enveloppa ses doigts fins, qu’elle regarda, tremblante et les larmes aux yeux.

–       Ça ne marche pas… constata-t-elle en avalant lentement sa salive. Pourquoi il n’y a rien qui se passe… ? demandant-elle, la voix chevrotante.

–       Ça va venir, c’est sûr ! tenta de la rassurer son aînée en posant une main sur son épaule.

–       Mais… moi aussi je veux aider des gens…

« Aider des gens », c’était véritablement une chose importante, pour elle. Un reniflement bruyant ponctua ses paroles, tandis qu’elle baissait la tête et que ses épaules s’affaissaient. La plus grande lui tendit un mouchoir sorti de la poche de sa robe, tout en lui tapotant le dos pour la consoler.

–       Tu sais, commença doucement leur maman, en l’entourant affectueusement de ses bras, quand j’avais ton âge et que je suis venue ici pour la première fois, je n’arrivais pas à utiliser la magie non plus.

–       Vraiment ? demanda son interlocutrice, en tournant la tête vers elle, les yeux écarquillés.

–       Oui. C’est à force de persévérance que j’y suis parvenue. Il n’y a pas de honte à ne pas réussir du premier coup ; l’important est de ne pas se décourager.

–        … Je vais réessayer !

Sa fille aînée s’apprêtait à demander à Selinya des informations sur la toute première arrivée de celle-ci dans ce lieu si sacré, mais l’adulte plaça simplement un index sur ses lèvres, indiquant implicitement qu’elle répondrait à ces questions plus tard. Et surtout, la petite magicienne en herbe, qui retroussait actuellement ses manches, les sourcils froncés avait besoin de concentration. De beaucoup de concentration.

–       Oui, c’est ça, tu y es presque… Voilà !

Après une longue attente, une discrète mais brillante lumière jaune, quoi que timide, émana enfin de ses mains juvéniles après des efforts intenses, dont témoignaient les gouttes de sueur sur son front. Elle ne retint pas un petit cri de joie en remarquant son succès. Ses yeux pétillèrent comme jamais et elle gazouilla allègrement ensuite, se relevant, tapant dans ses mains et riant avec sa sœur. La petite plaie sur laquelle elle s’était concentrée n’existait désormais quasiment plus, bien que la trace se remarquât encore sur la peau pour un œil averti.

L’Altmer sourit en voyant les deux enfants s’amuser ainsi ; elle ne doutait pas que ses deux filles deviendraient des utilisatrices très douées de la magie de guérison, dans le futur.


***


–       Solinwë ?

La concernée ouvrit doucement les yeux, et redressa légèrement la tête. Danica Pure-Source, Nordique aux longs cheveux blonds tressés sur les côtés en un chignon strict dissimulé sous sa capuche, avançait vers elle, vêtue de la robe traditionnelle de couleur orange que l’on portait dans ce temple. À sa ceinture – en fait une corde – pendait un fourreau en cuir dans lequel reposait une dague à l’aspect bien acéré et qui servait sûrement à se protéger des bandits. Quelques mèches blondes balayaient régulièrement ses tempes, et ses yeux bruns fixaient l’elfe avec inquiétude.

–       Est-ce que tout va bien ?

L’intéressée regarda ses mains ; ses doigts agrippaient avec force un brin de lavande, et l’odeur…

… L’odeur l’avait ramenée loin dans le temps, à des moments heureux, où sa mère vivait encore et sa sœur ne s’était pas volatilisée.

Il ne s’agissait pas réellement de ces visions comme elle en avait d’habitude – bien trop à son goût, d’ailleurs – mais les gens nés sous le signe du Rituel, comme elle, reçoivent des pouvoirs magiques qui varient en fonction de l’alignement des lunes et des Divins, et doivent s’en accommoder, que cela leur plaise ou non.

Mais cette fois, il s’agissait plutôt d’un souvenir. Elle regarda à nouveau la fleur qu’elle tenait, et, dans un délicat sourire, la glissa derrière son oreille droite, comme Estalenya l’aurait fait autrefois.

–       Oui, ne t’en fais pas, répondit-elle en portant son attention sur la femme en face d’elle. Je… Certaines choses me sont juste revenues en mémoire. Mais je peux reprendre, ça va aller.

–       Ta mère serait fière de toi, sourit Danica. De savoir que tu aides les gens comme elle a autrefois aidé mes ancêtres.

Solinwë lui rendit spontanément son sourire, laissant son don de guérison librement affluer jusqu’à ses mains fines, qui émirent naturellement une lumière dorée – elle adorait ce sentiment de bonheur et de plénitude qu’elle ressentait lorsqu’elle pratiquait la magie. Oh, elle espérait sincèrement que, où qu’ils se trouvassent, ses parents veillaient sur elle, mais elle souhaitait davantage les combler encore en retrouvant sa grande sœur, ainsi qu’elle le leur avait promis – qu’elle se l’était promis.

En attendant…

Elle inspira profondément, et se dirigea vers l’un des autels de soin. Des gens avaient encore besoin de son aide, ici.

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