Le douzième coup de minuit

Chapitre 1 : Le douzième coup de minuit

Chapitre final

2287 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 30/12/2022 23:19

Le douzième coup de minuit

  

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Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions.fr :

Réécriture d’un conte (février 2017)

 

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Les festivités du Palais Bleu résonnaient à travers les rues de la capitale bordecéleste. Les bardes de l’académie voisine, située quelques ruelles en contrebas de l’immense bâtisse de style hétéroclite aux sublimes ardoises luisant sous les rayons de Masser et Secunda, entonnaient leurs mélodies qui murmuraient dans le dédale de couloirs. Les lunes, pleines et hautes dans le ciel, éclairaient tendrement la ville où résidait la haute reine de Bordeciel, revêtant ce titre depuis l’assassinat de son époux. Dans la plus grande des nombreuses salles du palais, somptueusement décorée pour l’occasion, se tenait un bal de la plus haute importance.

Les riches courtisans venus parader dans leurs vêtements luxueux défilaient les uns après les autres, accompagnés à leur coude de femmes toutes plus belles les unes que les autres. Cependant, tous les regards s’étaient tournés, indépendamment du genre et de l’ethnie des individus, vers la Dunmer qui avait à son tour passé le seuil de la salle de réception au cours de la soirée.

Elle semblait surgie d’un tout autre monde, d’un Tamriel d’autrefois ou bien de demain, difficile à dire. Les traits fins quoiqu’anguleux, les yeux sombres baissés timidement vers le sol, et une parure digne des comtesses de Cyrodiil, l’inconnue rendait jaloux femmes et hommes. Une beauté éthérée qui ne venait pas d’ici, aussi insaisissable que désirable.

Nul ne la connaissait, et les invités eurent beau lui adresser la parole, elle ne dévoila à aucun son nom – pas même à la haute reine, Élisif la Juste qui ne se rappelait guère avoir invité une femme d’aussi belle prestance.

La réalité était bien trop difficile à avouer, après tout, pour la Dunmer qui profitait à chaque instant de sa condition de mortelle nouvellement retrouvée. Car sous cette apparence voluptueuse de jeune elfe se cachait l’horrible vérité ; la magie faisait son effet, comme elle l’avait supplié à son époux, mais à un prix…

Tout cela, elle l’avait fait pour pouvoir se rapprocher, le temps d’un soir, de son Gardien, qui avait tant veillé sur elle. Pour discuter avec lui, pour lui offrir une once de réconfort…

Pour pouvoir approcher Cicéron et enfin lui faire entendre sa voix, après ces longues années à ne pouvoir lui répondre en retour, la Mère de la Nuit avait supplié le Père de la Terreur, son époux Sithis, incarnation du Néant, de lui octroyer le temps de ce bal une apparence vivante, à l’opposée de la momie qu’elle était réellement, clouée dans son cercueil. Et il le lui avait gracieusement offert, dans un acte de bienveillance qu’elle lui connaissait rarement. Elle qui avait tout sacrifié pour lui, ne pouvait-elle pas, juste une fois, requérir une faveur ?

« Tu devras revenir avant le douzième coup de minuit, lui avait-il fait savoir. Lorsque résonnera le dernier son de cloche du Palais Bleu, tu retrouveras ta forme de momie. »

Oh, elle avait juré se tenir droite, respecter ses conditions ! Et en un tour de magie qu’elle n’avait jamais observé jusqu’alors, une Dunmer en chair et en os avait pris forme à la place de la momie du sarcophage soigneusement entretenu au sanctuaire d’Aubétoile où la Confrérie Noire avait migré à la suite d’événements tragiques. Mais ce n’était aucunement une illusion, elle avait réellement retrouvé son apparence de l’époque où elle était encore en vie !

Elle s’était éclipsée du sanctuaire et avait emprunté un raccourci magique que lui avait ouvert Sithis ; perdue dans les bois voisins de Solitude, elle avait peu à peu gagné chacune des parures qui l’habillaient, jusqu’à parvenir à la riche capitale où elle avait passée la soirée. Ses guenilles funéraires avaient laissé place à une robe d’un mauve pâle qui aurait rendu princesses et baronnes folles de jalousie ; un sublime collier de riches perles, agrémenté d’un médaillon représentant subtilement l’image de Sithis, garnit sa gorge ; ses cheveux d’ébène réhaussés en une coiffure tressée et garnie d’obscurcines blanches flottaient à chacun de ses mouvements ; de longs gants soyeux recouvraient ses avant-bras, du coude au bout des ongles ; ses pieds nus s’étaient retrouvés chaussés de pantoufles de verre dont les talons claquaient élégamment à chaque pas de danse qu’elle esquissait sur le sol pavé.

Là, au beau milieu de l’assemblée, elle avait retrouvé le bouffon engagé pour la soirée pour divertir la foule ; en réalité, le destin l’avait amené ici pour compléter un contrat, et sa couverture n’était on ne pouvait plus crédible. Dans ses vêtements de charbon et écarlate, il amusait de ses courbettes et de ses rires, racontant blagues et histoires drôles sans se lasser. Pourtant, dès lors qu’il vit cette Dunmer s’approcher de lui et converser timidement, il sembla se perdre un instant dans son regard carmin, et ne se sépara plus d’elle.

De quoi parlèrent-ils durant toute cette soirée ? Elle aurait eu tant de difficultés à l’expliquer. La joie d’apprendre à connaître dignement celui qui avait veillé sur elle pendant presque deux décennies lui avait permis de se lier facilement au Gardien ; lorsqu’il lui proposa de danser au son des flûtes et des violes à archet des bardes, elle ne put refuser. Et, comme ensorcelés par cette apparition d’un autre monde, les autres invités au bal leur laissèrent tout l’espace qu’ils s’appropriaient de leurs pas de danse.

Mais vint alors l’heure de rentrer. L’horloge immense qui trônait dans la pièce sonna une première fois. Un rappel à l’ordre qui contraignit la Mère de la Nuit à revenir à la réalité. L’heure était venue.

Elle fit de brefs adieux au Gardien, qui ne l’entendait pourtant pas de cette oreille-là. Elle l’avait détourné de sa tâche pour la soirée, et voilà qu’elle souhaitait s’éclipser comme si de rien n’était. Saisissant le bas de sa longue robe afin de ne pas la piétiner, elle dévala les marches de l’entrée du Palais Bleu, abandonnant derrière elle son compagnon de la soirée.

« Attendez ! appela-t-il du haut de l’escalier de pierre sculptée. Votre nom...!

— Adieu ! » répondit-elle sans se retourner.

Elle sentit l’un de ses pieds nus toucher le sol froid ; elle avait perdu sur l’une des marches sa pantoufle gauche, mais elle n’en avait que faire. Lorsque la magie se dissiperait, la chaussure redeviendrait poussière, tout comme ces parures dont elle était affublée.

Je dois vite rentrer, avant que la magie ne me redonne mon apparence de momie !

La Mère de la Nuit se le répétait, comme si elle pouvait trouver dans cette contrainte la force de courir plus vite. Elle esquiva les passants effectuant leur promenade nocturne dans les rues de Solitude, mais à peine eût-elle aperçu les portes de la ville qu’elle vit une silhouette la rattraper, et l’interpeller.

« Où allez-vous ? s’enquit un Cicéron déterminé à obtenir réponse à ses questions. Vous avez perdu votre chaussure ! »

Il avait ramassé la pantoufle, et la lui montrait innocemment. La Dunmer eut un sursaut d’effroi, mais ne put se stopper dans sa course. Si elle s’arrêtait, n’était-ce qu’une seconde, elle retrouverait son apparence de momie. Mais le bouffon la poursuivait, et ne semblait guère prêt à l’abandonner… !

« Ça ira ! lâcha-t-elle entre deux foulées. Il faut vite que je rentre...

— C'est dangereux, seule la nuit, gronda-t-il gentiment, fronçant légèrement les sourcils. Et puis, reprit-il en lui mettant la pantoufle sous les yeux, votre chaussure ! »

Ce faisant, il courait à vive allure, et à l’envers. Bien que la Dunmer fût dotée d’une capacité surhumaine – ou surelfique, dans son cas – lui permettant d’atteindre un record de vitesse à cinquante mètres parcourus en six secondes – un bon trente kilomètres par heure, à la simple force de ses jambes –, l’homme, un simple humain aux capacités physiques banales, la rattrapait. Et qui plus était, en marche arrière !

Elle n’avait pas le choix. Pour se sortir de cette situation aussi épineuse que les rosiers qu’elle aimait tant voir fleurir de son vivant, plusieurs centaines d’années auparavant, elle n’avait d’autre choix que de se résoudre à la violence. Elle stoppa soudainement sa course, s’agenouillant, avant d’asséner un vulgaire coup par derrière dans la jambe de Cicéron. Le pauvre homme trébucha, dans un cri qui perça la nuit, heurtant sa tête contre le sol meuble de l’orée des bois jusqu’où il l’avait poursuivie.

« Adieu ! lui dit-elle une nouvelle fois. Et désolée, Cicéron...! »

Elle reprit sans plus tarder ses foulées, retrouvant un semblant de distance raisonnable entre son poursuivant et elle. Ce qu’elle ne vit pas fut l’acrobatie effectuée par l’assassin pour se remettre sur pied, et revenir vers elle à toute allure.

« Vous avez perdu l'autre chaussure ! » cria-t-il lorsqu’il parvint à sa hauteur, lui montrant les deux pantoufles qu’il tenait fermement de ses mains gantées de noir.

Une sueur froide glissa le long de la nuque, puis du dos, de la Dunmer. Elle ne pouvait pas s’arrêter… !

« Ça ira ! C'est plus facile de courir ainsi, expliqua-t-elle sans trop croire elle-même à ses paroles.

— Pourquoi courez-vous ? s’enquit-il toutefois en remettant son bonnet en place sur ses cheveux roux qui volaient sous la brise.

— Parce que si je ne me presse pas... À minuit... »

Le souffle court, elle ne parvenait à trouver d’explication convaincante qui lui éviterait de raconter la vérité.

« Aah, ça suffit ! »

Elle se baissa une nouvelle fois, et attrapa dans ses mains des poignées entières de gravier, qu’elle jeta au visage de l’homme.

« Mange ça ! 

— Aïe ! hurla-t-il alors. Ça fait mal !! »

Comment osait-elle faire cela à son fidèle Gardien ? Oh, la honte la terrassait ! Et pourtant, elle devait fuir. Là-bas, au loin, le douzième coup de minuit approchait à grands pas. Elle avait beau ne plus entendre le carillon, elle sentait, au plus profond de son être, que l’inévitable était tout proche, et elle se trouvait à sa portée, encore bien loin du point de téléportation que lui avait offert gracieusement Sithis…

Bien qu’elle lui eût fait la promesse solennelle d’être de retour au sanctuaire – au pire, à Aubétoile – avant que la magie ne se dissipât et lui rendît son apparence véritable, la voilà qui était terriblement en retard. Prise dans ses conversations et ses danses avec Cicéron, bien trop heureuse de pouvoir être à sa portée après tout ce temps, il s’en était fallu de peu pour qu’elle lui révélât sa nature de momie…

Et même s’il avait été indulgent et lui avait offert quelques minutes de sursis, par pure bonté – et peut-être par amour pour celle qui s’était donnée à lui corps et âme – cela ne saurait suffire. Cicéron était loin derrière elle, perdu dans la forêt, mais son salut, à elle, était encore davantage hors de portée.

La magie se dissipa. La robe, les bijoux, tout disparut dans un halo lumineux, les petites sphères brillantes s’élevant vers les cieux telles des lucioles annonçant l’arrivée de l’été. Ne resta plus qu’une momie tenant fébrilement sur ses jambes, la peau desséchée, les yeux clos et la bouche ouverte, béante. C’était un miracle qu’elle tînt encore debout et pût se mouvoir. Tant qu’elle n’aurait pas retrouvé son sarcophage, Sithis lui octroyait encore une once de pouvoir. Mais jusqu’à quand pouvait-il lui accorder sa magie… ?

Elle avançait péniblement à travers les sous-bois. Elle se rapprochait du point de téléportation, elle le sentait.

Adieu… Mon Gardien… Cicéron…

Pas à pas, l’onde magique qui lui parvenait se faisait plus forte. Tout comme un bruit désagréable de pas.

Puis une voix retentit. Au-dessus de sa tête, joviale.

Un Cicéron perché, maintenu dans une étrange position à bout de bras et de jambes entre les troncs des arbres, la dévisageait dans un grand sourire.

« C’était bien ce que je pensais ! » scanda-t-il, victorieux d’avoir levé le voile sur le mystère de la soirée, au grand dam de la Mère de la Nuit, honteuse de se retrouver dans cette situation risible.

De là où il se trouvait, bien que cela n’eût été une habitude qu’on lui connaissait, Sithis devait bien rire de son sort et de la tournure des événements.

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