Pour un sourire d'enfant

Chapitre 1 : Pour un sourire d'enfant

Chapitre final

4096 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 03/07/2023 18:52

            L’océan goûtait la plage à coups de langue de plus en plus légers, laissant sur le sable froid des traces humides d’écume mousseuse. Quelques coquillages recrachés par l’océan s’échouaient sur les grains en bande fine et craquaient sous les pieds d’Arnleif.

            Le jeune garçon s’efforça de les éviter de son mieux. Il ne voulait pas les écraser, persuadé que chacun d’eux représentait l’âme d’un marin perdu en mer et transformé par les dieux afin de lui permettre de regagner la terre une dernière fois. Il avait peur que, parmi eux, ne se trouvât son père. Mais, si tel était le cas, auquel correspondait-il ? A cette grosse coque brunâtre emportée par la mer ? A cette minuscule coquille spiralée qui venait de se déposer devant ses orteils ? Ou, peut-être, à cette bernache recouverte d’algues ?

            Ses grands yeux bleus se reportèrent sur l’horizon, où naissaient les vagues et grandissaient les tempêtes. Du haut de ses sept ans, le petit nordique ne l’avait jamais connu autrement que par les récits de sa mère. Elle lui racontait ses exploits, lui décrivait, des étoiles dans les yeux, à quel point il était grand et fort, lui transmettait tout l’amour qu’elle ressentait encore pour cet homme absent et qui, pourtant, l’animait d’un espoir éclatant.

            Un pas après l’autre, l’enfant s’avança dans l’eau froide, jusqu’à ce que la mer lui arrivât à la taille. Il ne craignait pas ses colères, ni même l’étreinte glaciale de ses bras immuables. Il la considérait comme une amie, une grand-mère fougueuse et divine qui ne lui ferait pas de mal tant qu’il la respecterait. Mais aujourd’hui, il avait un service à lui demander. Une requête unique, la seule qu’il lui ferait jamais.

            Il serra ses petits doigts sur la bouteille qu’il tenait dans ses mains. Une vieille bouteille de bière vide, volée sur la table de l’auberge. Une bouteille brune, un peu rayée par endroits, qui sentait encore le houblon et l’alcool malgré tout le soin qu’il avait pris pour la nettoyer. Une bouteille en apparence ordinaire, mais qui, dans ses entrailles, portait une part de son petit cœur.

            Il déposa son trésor entre les bras de l’océan avec mille précautions et s’assura qu’il flottait bien. Satisfait, il se redressa tandis que les courants l’emportaient déjà au loin, et joignit les mains devant son visage.

—   Akatosh, Arkay, Dibella, Mara, Julianos, Stendarr, Talos, Kynareth, Zénithar, je vous en supplie, permettez à mon message de trouver mon papa, s’il vous plaît…

Sa voix fluette fut emportée par le vent jusqu’au ciel, où elle se mêla au cri des albatros. Il resta longtemps, à moitié immergé, à prier les Divins de veiller sur le minuscule contenant de verre et de l’apporter à l’homme – au nordique – qu’il souhaitait ardemment connaître.

Chaque matin, il gagnait la plage et vérifiait si une voile quelconque se dressait à l’horizon. Chaque soir, il quittait le bord de l’eau l’esprit un peu plus désespéré de n’avoir rien vu paraître. Chaque jour, il se demandait si sa bouteille s’approchait un peu plus de son destinataire, ou si un méchant marin l’avait arrachée à sa messagère silencieuse.

Les marées se succédèrent, silencieuses et insondables, de jour comme de nuit, aux pieds d’Arnleif. Sous la pluie, sous le vent, sous les éclairs et la neige, il attendait de voir surgir à l’horizon le navire qui lui amènerait ce père tant espéré. Avant de s’endormir, il gravait sur le mur de sa chambre un petit trait pour compter les jours ; la nuit, ses rêves lui ramenaient un puissant nordique au visage buriné par les embruns, une hache dans chaque main, les cheveux attachés en de multiples tresses ornées de perles d’os peintes avec soin. Il se voyait naviguer à ses côtés, apprendre le maniement des armes, explorer Bordeciel et ses recoins les plus inaccessibles, voguer jusqu’aux îles les plus lointaines, ensemble, réunis à jamais.

Durant cette longue attente, la bouteille, quant à elle, se laissait porter par la main céleste des Divins. L’onde salée lui frayait un chemin au creux de ses vagues, l’emmenait toujours plus loin de la minuscule bicoque blottie contre les murailles de Solitude, bravait tempêtes et icebergs avec l’impassibilité d’un mammouth face à un ragnard. Chaque jour la rapprochait un peu plus des hautes falaises de Fordhiver. Elle connut les dents des poissons carnassiers, les jeux des horqueurs, le fracas contre des récifs, les griffures de bernaches nordiques. Jusqu’au jour où elle fut recrachée par l’océan sur une plage déserte, non loin d’une épave de navire transformée en camp de bandits.

Il ne lui fallut qu’une dizaine de minutes pour être récupérée par une jeune femme au visage peint de motifs guerriers. Elle la tourna dans tous les sens, retira le bouchon, jeta un œil à l’intérieur, puis cria :

—   Viggo, viens voir !

Un immense nordique blond, le visage dévoré par une épaisse barbe tressée et couturé de cicatrices, la rejoignit aussitôt.

—   Qu’est-ce que tu as trouvé, Svanhild ?

Elle lui tendit la bouteille.

—   Il y a un message dedans, expliqua-t-elle.

—   Qu’est-ce que tu attends pour la casser ? s’impatienta-t-il. C’est peut-être l’emplacement d’un navire échoué !

Il la lui arracha des mains et la fracassa sans ménagement contre un rocher proche. Le verre explosa en mille morceaux, qui retombèrent sur le sol comme une pluie d’étoiles brunes. Le nordique saisit ensuite le message de son immense main et le déroula. Avec surprise, il découvrit une lettre écrite d’une plume maladroite, remplie de fautes qui en rendaient le déchiffrage difficile. Il commença toutefois à lire, les sourcils froncés.


« Papa,

Je m’appelle Arnleif, j’ai sept ans. Chaque jour, je pense à toi. Maman me raconte tes exploits de pirate et me dit que tu es le plus fantastique guerrier du monde. Elle me dit que tu étais tout gentil avec elle et que tu l’as sauvée d’un groupe de cinquante horqueurs ! Elle me dit aussi que tu es parti pour un très long voyage à l’autre bout de la mer pour visiter Atmora. Elle dit que tu vas affronter des hommes-lézards et des gros monstres pour conquérir le continent ! Tu pourras ramener un crâne, dis ?

A la maison, je m’ennuie beaucoup. Maman ne veut pas que j’aille jouer avec Björn et Harvald sur un bateau, parce qu’elle a peur que je tombe à l’eau ou qu’on soit emportés par la mer. Mais je n’ai pas peur de la mer, moi. Je veux devenir pirate, comme toi. Maman dit que c’est trop dangereux, mais moi j’aime la mer et je veux être aussi grand et fort que toi plus tard. Et en plus, ma copine Eldrid elle adore aussi les pirates, alors on s’est dit que quand on sera grands on aura notre bateau à nous et on ira trouver des trésors et voir Atmora aussi.

Mais maman essaye de me faire plutôt entrer à l’école des bardes. Elle me dit que c’est une meilleure vie d’être musicien que d’être un brigand sur l’eau. Je n’aime pas les cours de musique, c’est compliqué et puis en plus les autres m’embêtent tout le temps. Hier, la maîtresse m’a puni parce que j’ai cassé mon luth sur la tête de Thorald parce qu’il se moquait de toi en disant que tu n’allais jamais revenir parce que pour lui tu as honte de moi. Alors j’ai beaucoup pleuré parce que je sais que ce n’est pas vrai. Maman m’a acheté une brochette de friandises au miel pour me consoler, du coup, mais j’ai aussi été puni parce qu’elle dit que ce n’est pas bien de faire mal aux autres.

J’ai mal à mon cœur, papa. Beaucoup plus que Thorald a eu mal à sa tête après mon coup de luth. Je veux que tu reviennes à la maison, même juste un tout petit peu, et que tu me racontes ce que tu as vu à Atmora. S’il te plaît papa… juste pour lui montrer qu’il a tort. D’ailleurs si tu peux le taper plus fort et lui faire vraiment mal je serai content, il m’a dit tout à l’heure qu’il aimait bien faire mal avec des mots parce que ça ne se voit pas et du coup personne ne croit quand on l’accuse.

Tu me manques, papa. S’il te plaît, reviens à la maison.

Je te fais plein de bisous,

Arnleif.

 

PS : je t’ai fait un joli dessin de la maison pour que tu puisses voir à quoi elle ressemble maintenant. »

 

Une perle salée s’écrasa sur le papier avant même qu’il n’ait terminé sa lecture. Il caressa la page, en proie à un tourbillon d’émotions contradictoires. Ce petit Arnleif, c’était lui, des années plus tôt, lorsqu’il croyait encore que son propre père s’était trouvé arraché à sa famille par la mer avant de comprendre, longtemps après, qu’il avait oublié sa mère à peine reparti sur les flots. Il trouva, au dos du message, l’œuvre d’art du petit garçon, très maladroite, guère réaliste, mais débordante d’attentions et de détails. Son cœur se serra un peu plus. La désillusion serait immense lorsqu’il comprendrait qu’il ne reverrait jamais son père.

—   Vig, ça dit quoi ?

La voix de Svanhild ramena le nordique à la réalité. Il essuya ses yeux d’un geste.

—   Un appel à l’aide d’un gosse à son père, répondit-il, la voix tremblotante d’émotion.

—   Rien d’intéressant, donc, lâcha la guerrière avec une grimace.

—   Tu te trompes lourdement, Svan.

Elle écarquilla les yeux, surprise.

—   Quoi ?

L’immense bandit ne lui répondit pas. Il était déjà reparti en direction de leur abri, où d’autres brigands jouaient aux dés et discutaient avec animation. Ils se turent lorsqu’il passa devant eux, la feuille précieusement serrée contre son cœur, Svanhild sur les talons.

—   Viggo, tu peux me dire ce que tu fiches ? réclama-t-elle.

Il s’enferma dans sa cabine sans guère lui donner de réponses. Leurs camarades rejoignirent la jeune femme, tout aussi déconcertés qu’elle.

—   Il lui arrive quoi ? demanda l’un d’entre eux.

—   Si je le savais… soupira-t-elle. J’ai trouvé un message, il l’a lu, ça l’a fait pleurer et…

—   Quoi ? s’exclama une autre nordique, les yeux écarquillés. T’es sûre que c’était pas un parchemin magique, ton truc ?

—   On parle bien de Viggo Cognefer, là ? rajouta un autre. Notre Viggo, l’un des nordiques les plus insensibles que Tamriel ait vu naître ?

—   Je vous assure, il a versé une larme.

Un autre se mit à rire.

—   Tu nous fais une blague, Svanhild, avoue. C’est impossible.

—   Puisque je te dis que si ! s’énerva-t-elle. Il l’avouera pas, mais je l’ai vu, je t’assure.

—   J’aimerais bien savoir ce qui l’a mis dans cet état…

—   On le saura sûrement quand il sortira de sa cabine, supposa l’autre guerrière. Il finira bien par nous le dire.

Le groupe de brigands retourna donc vaquer à ses occupations, dans l’attente du retour de leur chef parmi eux. Les minutes s’égrenèrent avant de se transformer en longues heures. Inquiets, les nordiques jetaient de temps à autres des regards à la porte, qui restait close. Aucun son ne leur parvenait depuis l’autre côté du panneau de bois. Viggo pouvait aussi bien dormir qu’avoir disparu dans les limbes de l’Oblivion. Personne n’osa toutefois le déranger, par crainte de son courroux.

La nuit prit la place du jour sans qu’il n’eût reparu parmi eux. Les tours de garde s’enchaînèrent, les étoiles tournoyèrent sans voir le nordique, puis l’aube caressa le monde de ses doigts rosés. A cet instant seulement, Viggo décida de sortir de son repaire. Il trouva Svanhild toujours levée, qui s’empressa de le rejoindre dès qu’elle entendit ses pas résonner sur le plancher de bois. Sans un mot, il lui tendit un morceau de papier enroulé avec soin.

—   Trouve un messager qui pourrait ramener ça à Solitude, pour un gosse qui s’appelle Arnleif.

La guerrière le prit par automatisme.

—   Et qui c’est ce mioche ? Tu vas enfin m’expliquer ce qu’il t’arrive, oui ? réclama-t-elle.

Viggo lui adressa un sourire mélancolique.

—   Tu ne comprendrais pas, Svanhild. Tu ne peux pas comprendre.

Sans un mot de plus, il se détourna pour regagner sa cabine. La jeune femme entraperçut, accroché avec soin au-dessus du bureau, un dessin enfantin. La porte se referma alors, lui coupant toute visibilité. Avec un soupir agacé, elle se décida à quitter le campement pour aller quérir un voyageur quelconque pour remplir sa mission.

En chemin, elle ne put s’empêcher de le dérouler pour le lire afin de percer ce mystère. L’écriture régulière de son chef l’étonna. D’ordinaire, il se contentait de gribouiller des choses à peine lisibles. Mais le contenu du texte la chamboula davantage encore :


« Mon petit Arnleif,

Je suis touché par ton joli message. J’ai hâte de te rencontrer, tu sais. Tu as l’air d’être un petit garçon exceptionnel et très courageux. Je ne sais pas si je pourrai te ramener un crâne d’homme-serpent, mais je ferai de mon mieux pour trouver quelque chose qui te fera plaisir. Que dirais-tu d’un beau bouclier à accrocher dans ta chambre ?

J’ai peut-être une idée pour que maman te laisse aller jouer sur l’eau : attachez votre embarcation avec un beau nœud à une corde et attachez l’autre bout de la corde à un ponton. Comme ça, vous ne vous éloignerez pas trop du quai et vous ne risquerez pas d’être emportés par la mer. Même si elle ne te fait pas peur, tu dois faire attention : une fois, avec mon bateau, j’ai été pris dans un courant très violent qui nous a emmenés jusqu’à Morrowind. Nous avons eu de la chance de retrouver notre route, tu sais. Fais bien attention à toi lorsque tu joues sur l’eau. Ou alors, demande aux marins s’ils acceptent de t’emmener faire un tour sur un bateau de pêche. Mais n’en veux pas à maman d’avoir peur pour toi : la mer est très dangereuse et pourrait t’emporter très très loin de la maison.

Quand je reviendrai à la maison, je t’emmènerai en mer avec moi. Je suis sûr que mon équipage sera ravi de faire ta connaissance aussi. On pourra aussi emmener Eldrid avec nous si elle le souhaite et si ses parents sont d’accord. Je t’apprendrai aussi à utiliser une hache, si tu veux. Tu verras, c’est très facile de se battre. En attendant, reste bien sage avec maman, mange bien tout ce qu’elle te donne pour devenir grand et fort comme tu en rêves.

En attendant que je rentre, propose à ta maman d’apprendre à chasser ou d’aider à la scierie ou à la forge. Dis-lui que tu préfères travailler le bois ou le métal plutôt que de faire de la musique. Tu seras sûrement mieux accueilli que par ces méchants enfants et tu deviendras beaucoup plus fort et intelligent qu’eux. Et promis, quand je rentrerai, je ferai tellement peur à Thorald qu’il se fera pipi dessus et n’osera plus jamais t’embêter. Cela dit, je ne suis pas tout à fait d’accord avec maman : s’il ne comprend pas qu’il te fait mal ou qu’il s’y amuse, c’est qu’il ne comprendra que si tu lui fais beaucoup plus mal en retour. Tu as bien fait de lui casser ce luth sur la tête. Même si, personnellement, j’aurais plutôt utilisé un gros marteau.

A ce propos, maman ne t’a jamais appris à te défendre ?

Je ne sais pas quand je pourrai rentrer à la maison. J’ai encore beaucoup de choses à explorer, ici, et de gros monstres à combattre. Mais je te promets de revenir le plus vite possible pour te rencontrer, mon chéri. Et je te raconterai moi-même mes exploits, si tu veux.

Je te fais plein de gros bisous,

Ton papa qui t’aime.

 

PS : Merci pour ton dessin. Il est magnifique, et je pense sincèrement que tu pourrais envisager une carrière d’artiste si tu t’entraînes suffisamment. Je l’ai accroché dans ma cabine.

 

Svanhild fronça les sourcils. Elle ne comprenait pas à quel jeu jouait Viggo. Un nouveau soupir quitta ses lèvres. Il devait avoir une bonne raison d’offrir une telle réponse à un enfant qu’il ne connaissait pas. Peut-être lui expliquerait-il, à l’occasion, l’origine de son geste.

Elle s’empressa de trouver un voyageur en route vers Hjaalmarche et lui confia le rouleau de papier. Elle retourna ensuite au campement, pressée de demander des comptes à son chef.


*****


Le printemps commençait tout juste à s’éveiller lorsque l’homme parvint aux abords de Solitude. Pressé par le temps, il se contenta de donner le message à un garde en lui précisant le nom du destinataire. Le gardien de la paix, à son tour, parcourut les rues de la ville jusqu’à l’Académie des Bardes, où il trouva le jeune garçon en pleine bagarre avec un autre enfant tandis que leurs camarades les encourageaient à grands cris.

—   Arnleif, Thorald, ça suffit ! les réprimanda une vieille altmer au visage sévère. Vous vous rendez compte de l’image que vous donnez à l’Académie ?

—   C’est Thorald ! s’exclama Arnleif. Il m’embête encore !

—   Si tu continues à lui répondre, il ne s’arrêtera jamais, grogna l’elfe. Tu mériterais presque que je ne te donne pas le message que je viens de recevoir pour toi.

Des étoiles illuminèrent aussitôt le regard du petit nordique.

—   Un message ? Pour moi ?

Le garde hocha la tête et lui tendit le bout de papier.

—   Je ne sais pas de qui il provient, mon garçon. C’est un voyageur de passage qui m’a demandé de te le transmettre.

Arnleif le saisit d’une main tremblante et le déroula sans plus attendre. Au fil de sa lecture, un immense sourire se dessina sur son visage tandis que des larmes se mettaient à couler sur ses joues. Jamais, de toute sa vie, il ne s’était senti aussi heureux.

—   C’est mon papa… parvint-il à articuler à l’attention de ses camarades. Il faut que j’aille prévenir maman !

—   Hé ! attends ! cria la vieille altmer.

Trop tard, cependant. L’enfant était déjà parti.

—   Laissez-le, tempéra alors le garde. Ne seriez-vous pas heureuse, à sa place, d’apprendre que l’homme qui vous a donné la vie vous a enfin envoyé de ses nouvelles après tant d’années passées loin de Tamriel ?

—   Ce n’est pas une raison pour quitter les cours sans autorisation, grommela l’elfe. Et personne ne vous a demandé votre avis. Retournez faire votre boulot et ramenez-moi cette tête brûlée !

Le garde se contenta de lever les yeux au ciel. Il ne comptait pas troubler la joie d’Arnleif. Sans un mot, il quitta l’Académie des Bardes pour reprendre sa ronde à travers les rues de Solitude, un sourire aux lèvres sous son casque. L’allégresse du petit garçon lui réchauffait le cœur. C’était pour ce genre de petites choses qu’il appréciait son poste : voir les enfants sourire et lui faire confiance. Comment pourrait-il gâcher sa journée en le forçant à retourner suivre un cours ennuyeux à souhait après une telle nouvelle ? Cette vieille mégère ne comprenait donc rien à la beauté de la vie. Une altmer, quoi. Et, en plus, elle n’avait pas d’ordres à lui donner.

Sa ronde le mena, des heures plus tard, aux abords des portes de la ville. Il y croisa l’enfant, une bouteille de bière dans les bras.

—   Petit ! le héla-t-il. C’est ta maman qui t’a envoyé chercher ça ?

Arnleif se figea, les larmes aux yeux. Le garde choisit de s’agenouiller devant lui pour lui parler sans l’intimider. Il retira même son casque pour qu’il puisse mieux le voir.

—   Tu n’es pas autorisé à boire de l’alcool, reprit-il d’un ton plus doux.

—   Il n’y en a plus dedans, répondit l’enfant de sa voix fluette.

—   Alors pourquoi est-ce que tu la tiens si précieusement ?

Le garçon baissa les yeux sur la bouteille. Il en serra le goulot avec précaution, comme s’il craignait de la casser.

—   J’y ai mis un message pour papa, expliqua-t-il. Ça a marché une fois, je suis sûr que les Divins vont encore la ramener jusqu’à lui, comme ils sont gentils.

La lueur d’espoir dans ses yeux convainquit le garde de ne pas l’en dissuader. Il se contenta de se redresser et posa une main sur son épaule avec un sourire encourageant.

—   Que Talos t’entende, petit. Allez, file. Tu ne ferais pas attendre ton papa, n’est-ce pas ?

Arnleif secoua la tête.

—   Non, monsieur. Au revoir !

Il s’éclipsa aussitôt en direction de l’océan. Le garde le regarda se glisser à travers la porte, puis présenta son visage au vent.

—   Mara, Kynareth, merci d’offrir votre aide à cet enfant.

Il recoiffa ensuite son couvre-chef avant de reprendre son chemin. Quelque part, en contrebas, Arnleif déposait avec soin sa précieuse bouteille entre les bras de la mer et se prépara à une nouvelle attente, le cœur empli d’espoir et de réconfort à l’idée, qu’un jour, son père reviendrait.

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