Souhaits Scellés

Chapitre 1 : Souhaits Scellés

Chapitre final

4777 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 17/08/2023 23:30

Cette fanfiction participe au Défi d’écriture du forum Fanfictions .fr : Une bouteille à la mer - (juillet août 2023).


21 hautzénith, ère 4, an 201, Bordeciel.

Quelque part entre Blancherive et les montagnes.


Deux torchons de lin, bleus et propres, s’agitaient pour chasser les dernières miettes sur la table de bois sombre. Résistantes, elles s’accrochaient également aux manches de ceux tentant de s’en débarrasser. Les repas avaient été engloutis, les couverts lavés et rangés. Les estomacs de chacun semblaient satisfaits d’avoir pu se délecter d’un gourmand gâteau roulé en guise de dessert.

« Il n’y a pas à dire, lança une Brétonne tout en laissant apparaître une fossette au coin de sa joue, Démétrius sait charmer nos papilles !

– Tant qu’il se contente de nos papilles et pas de toi ma belle Andrée, je dévorerai avec plaisir ce qu’il nous préparera »

Ledit Démétrius se retourna à son nom.

« Je te remercie, Paul, j’avoue ne pas être peu fier de ce gâteau. Néanmoins, tant que je n’aurais pas maîtrisé le Gâteau du Jubilé de Donolon, je ne pourrai pas me considérer comme pâtissier accompli. Peut-être est-ce la farine qui me fait défaut… Serait-ce le miel ? Il faut que je persévère.

– Ces gâteaux ne sont qu’une légende, pauvre ami ! Jamais je n’en ai vu de toute ma longue vie, ni même entendu parler autrement qu’à travers de vieilles rumeurs répandues par des mendiants aussi saouls qu’abrutis ! 

– Peut-être bien, mais il est impossible que je me résolve à abandonner. »

Laessidia pouffa face à la discussion menée par trois de ses amis. Paul ne mâchait pas ses mots, et face à lui, le Rougegarde conservait constamment un grand calme. Elle lâcha un soupir de contentement en sortant du grand chalet par la porte de derrière.

Le quotidien paisible de la Nordique changeait de ce à quoi elle s’était habituée les années précédant son retour à une vie sédentaire. Deux ans de longs et laborieux travaux de constructions furent requis pour ériger son ultime but. Ces mois écoulés ne se révélèrent pas de tout repos, bien au contraire. Cependant, une fois atteint, Laessidia avait vu sa résidence et son cœur se remplir rapidement grâce aux cinq personnes qui emménagèrent chez elle. Depuis, de nouveaux mois avaient défilé, magnifiés par leur présence.

La Nordique bientôt trentenaire, dont la longue chevelure laissait d’amples ondulations argentées flotter au vent, jouissait de la fraîcheur du soir pour cueillir les fruits nécessaires aux repas du lendemain. Un panier au creux du bras droit, ses pas légers malgré son passé d’aventurière se glissaient sur le chemin du sentier. Le silence absolu l’environnant ne venait être perturbé que par les éclats de rire de ses cinq amis, égayant l’obscurité du ciel endormi. Elle imaginait tous les visages se déridant autour d’une belle bouteille d’hydromel et s’en réjouissait.

L’ensemble de ses journées gravitait désormais autour de ces cinq personnes. Démétrius, le Rougegarde désirant à tout prix réaliser un gâteau dit de légende, conservait son sang-froid en permanence, se laissant toutefois aller à quelques notes d’humour surprenant l’ensemble de ses compagnons, Paul le premier. Avec son épouse Andrée, Paul et elles furent les premiers à rencontrer la Nordique. Le couple de Brétons s’accommoda bien rapidement à la vie en communauté. Cela se révéla plus difficile pour Teegli, un Argonien qui était le dernier arrivé du petit groupe. Il ne se révélait pas le plus bavard des compagnons même s’il s’habituait peu à peu à ce nouvel environnement. Une Nordique septuagénaire, Agate, venait clore la liste de résidents de la Givreboise des deux vallées.

Pourquoi un tel nom pour ce chalet chaleureux monté sur deux étages ? Les cinq occupants l’ignoraient, la bâtisse longeant seulement le flanc d’une seule montagne. Certes, des givreboises poussaient non loin de là, mais si Blancherive pouvait se discerner en plissant les yeux, il ne fut jamais question de deux vallées. Quoi qu’il en fût, le nom finit par paraître naturel à l’oreille de chacun, même à celle de Paul, qui taquina longuement la prioritaire à ce sujet, sans que jamais elle répondît. La Givreboise des deux vallées devint leur propre petit coin d’Aetherius absolument isolé de toute perturbation.

Son panier tressé rempli de raisins, d’aromates qu’elle avait ramassés sur le chemin et d’autres fruits dégageant un doux parfum, Laessidia entamait nonchalamment sa marche du retour. Le plafond nocturne se dévoilait, entre quelques nuages, ponctué d’étoiles. La Nordique se permit d’inspirer à pleins poumons l’air frais qui l’environnait tout en fixant ces astres aussi brillants qu’éteints. Immobiles, attachées à l’infini et à rien du tout, elles lui tenaient compagnie lors de toutes ses balades nocturnes, même celles éclairées par les deux lunes. Cependant, qu’en était-il de ces étoiles mouvantes, si rapides qu’on les surnommait les étoiles filantes ? Laessidia n’en avait eu connaissance que récemment, Agate lui ayant narré ses voyages d’ancienne couturière itinérante, ayant forgé sa grande affection pour ces étoiles attirées par la terre. Seulement, la jeune femme pouvait-elle réellement croire qu’apercevoir un de ces astres choir pouvait exaucer des vœux ? La Nordique aux cheveux d’argent demeurait dubitative quant à ce sujet. Les miracles et les vœux, des éléments qui somme toute demeuraient assez étrangers à l’esprit de Laessidia, semblant y avoir été imperméable. Dame Mara et le labeur que la jeune femme fournissait ardemment de ses propres mains constituaient les seules choses en quoi elle avait cru, ne rentraient en compte ni la chance ni les souhaits !

Lorsque la porte se referma derrière le pas léger de Laessidia, celle-ci s’arrêta alors pour faire face à un silence total. Il avait suffi du temps nécessaire à la récolte, pourtant brève, pour que ses cinq compagnons décidassent d’aller s’aliter. Une source de lumière lui indiqua nonobstant que la décision ne fut pas unanime.

« Teegli ? »

L’Argonien accoudé au fond d’un confortable fauteuil leva simplement les yeux vers elle. Elle songea pour une énième fois que Teegli paraissait plus jeune que son âge, puis se corrigea intérieurement en admettant qu’elle avait de sérieuses difficultés à attribuer un âge correct aux Argoniens.

« Tu veilles encore ?, demanda-t-elle en lui souriant.

– Effectivement », souffla Teegli en un murmure.

Entre ses mains écailleuses reposait un ouvrage épais aux dorures rappelant les broderies ornant la robe brune et crème de Laessidia : de petites feuilles vertes virevoltantes. Il s’agissait d’un volume de jardinerie aussi précieux qu’ancien. Teegli racontait qu’il l’avait obtenu de la part d’un Hist lui-même. Toutefois, ses compagnons en doutaient tous autant qu’ils étaient tant le livre semblait traiter d’une jardinerie commune, mais sophistiquée. Néanmoins, ils taisaient n’importe quelle pensée de ce genre, laissant à l’histoire mystique le soin d’offrir une atmosphère mystérieuse lorsque l’Argonien l’évoquait.

« Tu as de nouveaux projets de culture ?, souffla Laessidia à son résident

– Tout à fait, tu as vu juste. Des fleurs de mana. De somptueuses fleurs d’une beauté sans égale à mes yeux. Tu dois tout ignorer d’elles, j’imagine, jusqu’à leur apparence.

– Effectivement, je refuse cependant de me gâcher le plaisir de découvrir tes nouvelles plantations dans notre jardin en regardant les illustrations de ton ouvrage ! »

Teegli esquissa un sourire en levant les yeux vers elle. Du moins, c’est ce qu’elle avait cru percevoir. Elle nota alors qu’elle était également dénuée de don pour décrypter le visage de son ami Argonien.

« Ce ne sera pas une mince affaire. À vrai dire, si jamais elles parviennent à pousser ici, je n’en reviendrais pas. Je suis en possession de pas mal de graines pourtant, si, si ! Or, les fleurs de mana sont des plantes provenant de Cyrodiil…

– Comment es-tu parvenu à te procurer des graines de ces fleurs ?, le coupa Laessidia surprise. Est-ce grâce à l’ami que tu retrouves parfois près de Blancherive pour aller nager dans la rivière ?

– Là n’est point le sujet, mon amie, offrit pour seule réponse l’Argonien. Pour en revenir à Cyrodiil… Je sais bien que tu n’y as jamais mis les pieds, même si tu sais tout comme moi que leur climat diffère bien du nôtre. Je ne perds pas espoir pour autant, je leur apporterai tout le soin nécessaire !

– Cela promet d’être complexe, mais je n’en doute pas, tu feras de ton mieux Teegli ! »

Elle marqua une pause, avant de lui proposer :

« Je ne me sens pas encore assez fatiguée pour aller dormir. Voudrais-tu m’accompagner le temps d’une balade ?

– C’est parce que tu n’as pas nos vieux os, Laessidia ! Je m’excuse de décliner ton aimable invitation, mais il est temps à mon tour de rejoindre mes compagnons dans le sommeil réparateur.

– De quels vieux os parles-tu donc ?!, pouffa la Nordique. Je te souhaite une bonne nuit Teegli, je serai discrète en revenant.

– Tu l’es toujours. Belle promenade, sois prudente », lui souhaita l’Argonien.

Elle le vit emprunter l’escalier pour grimper à l’étage rejoindre sa chambre et disparaître dans l’ombre. La jeune femme se saisit de son châle ainsi que d’une lanterne puis rejoignit le chemin terreux. Dans sa manche, au fond de sa poche, deux dagues enchantées d’un sort de dégâts de feu. Même si ces deux dernières années l’avaient éloignée de son passé d’aventurière, il existait des réflexes qui ne se perdaient jamais. Le chemin emprunté menait jusqu’à la grande route pavée qui rejoignait la Rivière Blanche, vers laquelle ses pas la guidèrent au fil de sa promenade.

Alignant ses pieds, marchant lentement proche du lit de la rivière, Laessidia sombrait dans de nostalgiques pensées, où sa mère apparaissait, auxquelles se greffaient d’autres idées plus farfelues. Elle s’imagina prendre des cours de magie pour apprendre à utiliser le sort d’Illumination, qui pourrait alors se révéler bien pratique lors de telles promenades quand les lunes venaient à quitter le tableau nocturne. Quelle ironie pour une Nordique, une des ethnies dont l’affinité à la magie se révélait des plus médiocres !

Tandis qu’elle s’en amusait encore, son pied buta sur un objet. Bien qu’ancienne aventurière, Laessidia ne faisait pour autant pas partie des plus adroites : elle eut beau tenter de se rattraper à d’invisibles prises dans le vide, elle embrassa finalement le sol dans un fracas de galets. Fichue robe ! Elle se doutait bien qu’elle aurait dû conserver le port de ses pantalons en toute circonstance… Se relevant, mouillée à certains endroits, humide à d’autres, elle se frotta la tête en grommelant. Quel était l’objet qu’elle allait pouvoir accuser d’avoir causé sa chute ?

Une bouteille ? Au premier abord, la Nordique crut à une bouteille d’hydromel qui avait pu se retrouver, laissée derrière par un chasseur ou tout autre bandit. Lorsqu’elle la saisit, elle s’aperçut de la transparence de son verre permettant de distinguer son contenu. La jeune femme se releva alors, intriguée, et ôta le bouchon hermétique de la bouteille échouée pour s’emparer du bout de papier brunâtre. Plus précisément, elle tenta de le saisir à de multiples reprises avant de parvenir à l’extraire du contenant. Tremblotants d’excitation, de curiosité et d’intrigue, ses doigts peinaient à défaire le nœud si soigneusement serré et à dérouler le morceau de papier enroulé sur lui-même. Sous la lumière blafarde des astres de Nocturne, elle put décrypter un message gravé en tamrielique d’une encre d’une couleur qu’elle n’aurait su décrire :

« Chère voyageuse guidée par les étoiles,

Les vagues murmurent d'anciennes légendes et les étoiles brûlent avec les secrets de l’Oblivion et de l’Aetherius. Je ressens ton désir, ton besoin de trouver un port pour ton cœur fatigué, toi qui n’as pas laissé de place dans ton âme pour les vœux et les souhaits.

Messagère d’ailleurs, d’autrefois et de jamais, écho de l'univers, j’inscris ici ces mots pour t'apporter un souffle d'espoir. Laisse les courants de la rivière emporter ton fardeau et porter tes aspirations vers des horizons neufs.

Permets à cette lettre d'être un phare dans l'obscurité, une lueur incarnée dans les mots que tu liras.

Avec douceur, »

La courte lettre s’achevait ainsi, ne portait aucune signature. Laessidia demeura interdite quelques instants. Bien qu’aucun nom ne fût inscrit sur le papier, il ne lui nécessitait rien de plus pour comprendre qu’elle lui était exclusivement destinée. Non, bien sûr qu’elle ne voulait pas croire aux vœux et aux souhaits, tout cela était exempt de sens, pas plus que cette lettre et son contenu. Une messagère ? Pourquoi s’adresser à Laessidia de la sorte ? Peut-être était-ce une simple farce ? Les coïncidences des termes gravés ne laissaient pourtant aucun doute subsister…

Des vœux. Il était vrai que maintenant qu’elle considérait la chose, ils l’entouraient. Chaque résident voyait son cœur brûler de certains souhaits, dont elle avait connaissance, malgré leurs âges plus avancés. N’avait-elle donc pas de miracles à vouloir réaliser au fond de son cœur de Nordique ? Cela lui semblait si vain. Tout comme le Gâteau du Jubilé de Donolon que voulait réaliser Démétrius, la culture des fleurs cyrodiliennes de Teegli. Andrée, elle, désirait devenir une experte du luth, n’ayant pour autant de sa vie joué d’un instrument. Concernant Paul, le Bréton aspirait à forger un marteau aux propriétés exceptionnelles, qu’il rêvait de devenir brandi par un futur héro. Quant à Agate… Laessidia releva la tête. Agate, Nordique doyenne de la Givreboise des deux vallées, souhaitait maîtriser la magie. Dire que Laessidia avait ri à cette idée lui ayant paru saugrenue, elle se retrouvait alors penaude face à ses pensées. Tous les six s’étaient mutuellement confiés leurs rêves, leurs désirs. Avait-elle gardé le silence ? Qu’avait-elle pu penser lors de ce tendre moment ?

L’esprit davantage focalisé sur le mot qu’elle tenait entre ses doigts que sur le chemin qu’elle empruntait, elle parvint finalement à rejoindre l’entrée de la Givreboise des deux vallées. La Nordique fut relativement étonnée d’y être déjà arrivée tant elle songeait à ce mystérieux message. Elle rejoignit sa couche avec la discrétion d’une ombre, et plongea en quelques instants dans un sommeil sans rêve.

Les rayons du soleil pénétrant sa chambre ne la réveillèrent pas, contrairement à la voix posée et pourtant tout excitée d’Agate. Celle-ci avait frappé plusieurs coups à la porte avant de lui adresser :

« Laessidia, tu es debout ? File te préparer, il faut absolument que tu nous rejoignes et que tu voies ça ! »

Voir quoi donc ? La Nordique émergeant de son sommeil repoussa les draps tout en se frottant les yeux. À la suite de deux impressionnants bâillements, elle s’interrogea sur ce qui avait pu se passer avant qu’elle ne se réveille. Rien de grave, certainement, sinon la voix de son amie n’aurait pas été teintée d’une telle mélodie. La curiosité l’emporta alors et elle commença à se presser.

Quand ses pas eurent fini de faire grincer les marches de l’escalier, elle ne put entendre qu’un silence. Elle s’attendait à ce qu’ils jacassassent, ne perçut pas un souffle. Les cinq regards se posèrent sur elle, puis se redirigèrent, de conserve avec le sien, sur la grande table de bois. Laessidia comprit immédiatement et se joignit au silence.

Majestueusement dressé se tenait face à eux une pâtisserie digne des banquets impériaux. Plusieurs couches, d’où émanaient d’alléchantes effluves de bananes et de miel, se superposaient harmonieusement.

« Le Gâteau du Jubilé de Donolon… , articula Laessidia en rompant le silence. Comment est-ce possible ? »

Elle ne quitta guère le gâteau des yeux tandis que les dix autres se posèrent sur elle puis sur Démétrius. Des explications semblaient être attendues de la part du Rougegarde.

« Eh bien, toussota-t-il, à vrai dire… À vrai dire, je l’ignore. J’ai pris le même miel que lors de mes deux premières tentatives, celui que nous gardons dans le placard. J’y ai ajouté les bananes cueillies par Laessdia sur le bananier de Teegli, remué avec la farine… c’est tout. 

– Qu’en est-il du saladier ?, questionna Andrée, les yeux encore écarquillés

– Je l’ai acheté il y a quelques jours, lorsque nous sommes allés au marché de Blancherive avec Paul. Il me paraissait avoir la bonne taille et une praticité convenable. Attendez, vous ne sous-entendez pas qu’il s’agirait d’un saladier enchanté, par hasard ? 

– Démétrius, j’ai vu tout comme toi ton mélange se former de lui-même en se superposant, couche par couche. Comment veux-tu expliquer ça autrement ?

– Je peine à le réaliser, admit le Rougegarde la voix emplie d’émotions. J’ai finalement maîtrisé cette recette… C’est trop beau pour le croire !

– Moi j’y crois, s’exclama Paul, peut-être devrions-nous le déguster pour y croire tous ? »

Un miracle. Comment pouvait-elle traduire ce qui venait de se passer par d’autres mots ? Une singulière coïncidence ? Laessidia voyait en ce succulent gâteau qu’elle prenait plaisir à déguster une réalisation tangible du message porté la bouteille ramassée la veille. Elle se vit incapable de réprimer le sourire naissant sur son visage. La Nordique trouvait cela étrange, certes, elle ne comprenait pas vraiment, toutefois rien ne se révélait plus beau à ses yeux que le bonheur inscrit sur le visage de ses amis. Le visage de Démétrius portait les couleurs de l’accomplissement et de la fierté ; Laessidia songea qu’elles lui allaient très bien. Tous les six s’extasiaient tout en se régalant.

La journée se déroula dans la tranquillité sereine habituelle de la résidence. Quand elle décida qu’il était temps de se retirer pour offrir sa place à la nuit, la jeune Nordique ressentit l’appel de cette dernière : aujourd’hui non plus elle ne se coucherait pas de bonne heure. Elle serra chaleureusement les mains de Démétrius avant qu’il monte rejoindre sa chambre, enlaça Andrée et Agate, offrit une accolade affectueuse à Paul et demeura aux côtés de Teegli jusqu’à ce que le sommeil ne l’appelât également. Lui aussi cheminait vers un succès mérité, poursuivant l’étude des fleurs de mana. Grâce à ses connaissances et son considérable labeur, le jardin de la Givreboise des deux vallées aurait eu l’étoffe d’impressionner plus d’un bordecéleste.

La jeune femme posa le pied hors de la résidence. Ses longues ondulations argentées lui offraient un air ectoplasmique à cette heure tardive. Ses yeux tout aussi gris que la nuit se confrontaient à l’obscurité avant d’accepter de s’y soumettre et de s’y accommoder. Fredonnant un air aux sonorités chaleureuses, Laessidia prenait conscience qu’elle se rendait d’elle-même vers le lit de la Rivière Blanche. Elle ignorait ce qu’elle comptait trouver, une fois arrivée là-bas, une fois en tête-à-tête avec la mélodie de l’eau. Que recherchait-elle, que poursuivait-elle ?

Elle ôtait ses bottes, offrit à ses pieds le contact rude et franc des galets lisses et du courant au froid mordant malgré le mois de hautzénith. Les nuages glissaient au-dessus d’elle, transportant avec eux d’innombrables images abstraites. La Nordique rejoignit bien vite la rive, songeait que la rivière n’aurait aucun scrupule à lui dérober ses pieds et ses mollets dont elle avait pourtant encore besoin. Pas de signe de quelconque bouteille, ni d’un autre message quelque part ailleurs. Un soupir s’échappa de ses poumons sans qu’elle s’en rendît compte.

Un rocher sec et stable l’accueillit tandis qu’elle désirait se poser à terre. Dans une poche de sa robe, la bouteille recueillie hier accompagnait un morceau de papier ainsi qu’un crayon emprunté à Agate, qui l’utilisait pour étudier sa magie. Laessidia n’avait pas cru aux miracles, aux souhaits que l’on prononçait ainsi. Son cœur ouvert à la nouveauté, à l’inconnu et au changement ne résistait pas à l’appel de ce mystère qui la menait à prendre de nouveaux points de vue. Elle se saisit du crayon tout en fixant les remous créés par le courant et se pencha sur son papier. Que confier, à présent ?

Elle permit à ses mots de quitter ses épaules pour rejoindre la fraîcheur du courant, tenta d’apercevoir la bouteille jusqu’à ce que celle-ci échappa à son champ de vision. Elle lui adressa un signe de la main, un dernier au revoir dans le silence de la nuit.

Devant Laessidia, une luciole se mit à tourbillonner avec effervescence près du courant. La jeune femme supposa du moins qu’il s’agissait d’un de ces insectes luisants d’après la lumière émise. Néanmoins, ses ondulations argentées se rapprochèrent du sol pour l’observer davantage quand elle remarqua la couleur bleue de la lueur. Au même instant, une seconde lueur apparût. Laessidia envoya en Oblivion l’hypothèse des lucioles et recula d’un pas lorsque les lueurs bleutées, désormais multiples, se muèrent en un tourbillon grandissant. Il s’élevait lentement, imposant, constitué de ces fragments azur et de multiples gouttes d’eau. Alors, il sembla à la Nordique distinguer une silhouette au centre du tourbillon. La décrire relevait d’une complexité intense, elle paraissait humanoïde, tout éthérée de son être entier. Lumineuse grâce à la réfraction de l’ensemble des fragments en orbite, cette silhouette mystérieuse revêtait un aspect fluide et grâcieux. Elle apparaissait comme délicate et pourtant empreinte de force, tout en portant le réconfort d’une affection maternelle malgré la fraîcheur des gouttes.

La jeune Nordique crut percevoir un rire chaleureux. Simultanément, l’éclat bleuté des fragments s’intensifia à l’endroit qui représentait certainement la poitrine de la silhouette. Cette soudaine apparition aurait pu la pousser à s’enfuir, nonobstant, la jeune femme ne ressentait ni frayeur ni besoin de s’en aller.

« Je te salue, Laessidia. Je vois que tu as, à ton tour, bien reçu mon message. Tu as même pris la peine de me répondre. »

La voix que percevait Laessidia portait un timbre grave et chaud. Elle ne lui parlait guère, elle s’adressait à elle directement dans son esprit. Au centre du tourbillon, elle distingua alors la bouteille utilisée pour leur correspondance, mise en évidence par les reflets dont elle rayonnait. Ainsi la Nordique rencontrait-elle l’auteur du fameux message.

« C’est toi qui as accompli un miracle pour le gâteau du Jubilé pâtissé par Démétrius, j’imagine ? Qui es-tu ?, interrogea Laessidia sans détour.

– Aucunement, nia la silhouette en ignorant sa seconde question. Je n’ai eu aucun rôle dans son acquisition du saladier nécessaire à la concoction et à la réussite de ce gâteau. Tout ce que j’ai pu faire, c’est offrir à ton ami la protection de son espoir.

– L’espoir… Les vœux et les souhaits. Pourquoi souhaites-tu à tout prix que je conserve cela au fond de moi ?

– Il le faut, car tu n’as aucune raison d’y renoncer. Comment es-tu parvenue jusque-là où tu en es aujourd’hui ? Grâce à ta persévérance, tes efforts, et la foi en ta réussite, le souhait que tu accomplisses ce que tu désirais. »

Laessidia garda le silence sans pouvoir réprimer le fin sourire qui étirait ses lèvres. Cette présence mystique l’instiguait à poursuivre une chose qu’elle n’avait point osé considérer, les vœux.

« Je suis apparue pour te transmettre mon dernier message, Laessidia. Ce dernier concerne le premier vœu que tu avais formulé, il y a quelque temps déjà.

– Le premier vœu ? »

Ce fut en prononçant ces dernières paroles que tout lui apparut aussi limpide que le courant de la rivière. Cette chaleur, cette bienveillance ressentie, tout s’expliquait. Bien qu’elle eût appris dans l’histoire que cette apparition fut impossible, bien qu’elle tentât de se convaincre qu’elle ne faisait qu’imaginer, comment renier l’évidence lorsque Mara se présentait face à soi.

« Reçois ma bénédiction, Laessidia, fille de Jolinne. Recevez ma bénédiction, toi, la Givreboise des deux vallées, ainsi que tes cinq amis. Teegli, l’Argonien désireux de cultiver le plus impressionnant jardin de Bordeciel. Démétrius, le Rougergarde pâtissier. Agate, la Nordique voulant dépasser sa nature. Andrée et Paul, le couple de Brétons brûlant de l’envie de maîtriser la musique et la forge. Je t’accorde la rédemption. Poursuivez ce bienheureux chemin que vous empruntez tous les six, ton second souhait se réalisera de lui-même. Prends soin d’eux et soyez heureux. »

Des larmes avaient point aux caroncules de ses nostalgiques yeux gris. Laessidia imagina que son cœur déborderait d’émotions, mais il en fut au contraire apaisé et calmé. La Nordique ne sut que répondre, elle fut uniquement capable de balbutier quelques sincères remerciements.

Comment imaginer que l’esprit d’un Aedra, censé être imaginaire et disparu de Nirn, se rendît en ces terres recluses pour s’adresser à elle ? Cette lettre rédigée avec tous les regrets et l’espoir que la Nordique avait pu ressentir avait atteint l’Aedra. Mara, déesse de l’amour et de la famille, répondit ainsi à son appel tout en lui assurant une protection des plus précieuses.

Semblant porter un doux sourire, la silhouette de Mara se ternissait et l’éclat de la lumière s’affaiblissait. Ce qui apparaissait tel son bras se tendait vers la jeune Nordique. Laessidia répondit à son sourire et tendit la main vers la sienne. Sa paume abîmée rencontra celle immatérielle, éthérée et humide de Mara tandis que de son autre main, au fond de la poche de sa robe, elle serrait l’amulette qui lui était dédiée.

Tandis que l’image de l’Aedra s’atténuait devant ses yeux, elle crut distinguer au loin le hurlement d’un loup. Laessidia songea à sa bouteille qui dérivait, portée par le courant. Elle pensait à ses cinq amis, à Jolinne. Elle revoyait partir son souhait à la rivière, l’âme emplie d’amour et de félicité. Une bouteille à la mer, une bouteille pour sa mère.

 


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