Brian Westhouse backstory
11 octobre 1933
Hyatt Regency Hotel – Ahmedabad - Inde
Tôt le matin, Brian regardait le plafond alvéolé et taché, allongé dans sa chambre d’hôtel miteuse. Pour une fois qu’il avait, semble-t-il, un vrai gourou sous la main, celui-ci l’empêchait d’accomplir son travail ! Habituellement, pour les faire parler, il suffisait de les flatter sur leurs supposées capacités extraordinaires ou leur notoriété. Mais ce Manny Chavez échappait à cette règle. Brian resta de longues minutes à réfléchir, puis un sourire apparut sur ses lèvres. Le journaliste se leva et alla se débarbouiller dans la minuscule salle de bain . Après avoir enfilé des vêtements propres, il prit son sac à dos et sortit de l’hôtel.
***
Arrivé à l’ashram, il fila vers le petit bâtiment carré et poussa la tenture de la main. Il se figea, car à l’intérieur se trouvaient déjà deux Indiens au torse nu en train de méditer avec Manny Chavez. Avec une pointe d’agacement, il resortit et tira un cigare de son sac à dos. Il fuma en silence tout en observant le ciel parsemé d’épais nuages.
Au bout d’une demi-heure, Brian commençait à s’agiter et regardait sa montre sans arrêt. Ici tout le monde semblait ignorer que le temps c’était de l’argent ! Les deux Indiens finirent par sortir et le saluèrent chaleureusement. Brian se contenta d’un signe de la tête à leur égard. Il pénétra dans le bâtiment et s’assit à nouveau en face de Chavez.
— J’ai réfléchi à ce que vous m’avez dit hier…
Ses mains s’agitaient nerveusement tandis que Manny le scrutait de ses yeux perçants.
— J'ignore comment vous l’avez deviné, mais j’ai effectivement voyagé aux quatre coins de la planète ses dix dernières années. J’ai visité les lieux les plus exotiques, rencontré les tribus les plus reculées et pourtant…
Hésitant, il se mordit la lèvre en regardant le sol.
— Il y a toujours ce vide intérieur en moi ! Je sais pourtant qu’il y a quelque chose de plus à découvrir. Mais j'ignore où chercher...
— Oui, señor Brian ! s'exclama Chavez avec un sourire. Vos mots énoncent une vérité profonde. Je vais donc répondre à certaines de vos questions.
Tandis que le gourou allumait une nouvelle cigarette, le visage du journaliste s’éclaira et il sortit en vitesse son calepin.
— Pour commencer, comment vous définiriez-vous ?
— Je vous ai déjà donné mon nom. Le reste n'a que peu d’importance.
Brian devint rouge de frustration, mais ne voulant pas rater cette opportunité, il réfléchit à une autre question.
— J’ai entendu des rumeurs sur des pouvoirs mystérieux que vous détiendriez. Comme faire de la lévitation. Est-ce la vérité ?
— La plupart d'entre elles sont vraies.
— Et… pourriez-vous le prouver ?
Chavez le regarda pendant un long moment sans rien dire, et Brian crut qu’il allait de nouveau le congédier. Mais le gourou leva sa main gauche à la verticale, devant son visage, puis murmura quelques mots dans une langue inconnue. En les entendant, un frisson parcourut l’échine du journaliste tandis qu’une lueur rouge apparaissait autour du corps de Chavez. Puis celui-ci s‘éleva de quelques centimètres au-dessus du tapis, comme tiré vers le haut par une force invisible. Le cœur battant la chamade et les mains tremblantes, Brian s’empressa de sortir son appareil photo. Il réussit à prendre deux clichés avant que Chavez ne revienne au sol et que la lueur rouge ne disparaisse. Après un silence, Brian regarda au plafond si il y avait un éventuel système caché qui aurait permis au gourou d’être soulevé de la sorte, mais ne vit rien de tel.
— Vous pouvez fouiller cette pièce de fond en comble, dit Manny. Je ne suis pas un prestidigitateur qui fait son spectacle.
— Comment… Comment avez-vous fait ça ? balbutia Brian.
Manny tira sur sa cigarette, puis relâcha la fumée avec lenteur.
— Grâce à la magie qui coule en moi, répondit-il avec profondeur.
— La magie ? s’écria Brian avec émotion. Je… Je crois que c’est ce que je cherche depuis si longtemps.
— Je sais. C’est elle qui vous a mené jusqu’à moi.
Avec empressement, Brian reprit son calepin et lança impatient :
— S’il vous plaît, dites-m’en plus ! D’où vient-elle et qui vous a appris à l’utiliser ?
Chavez resta silencieux, se contentant de tirer à nouveau sur sa cigarette. Puis il murmura :
— Pour le moment, vous devez juste savoir qu’il y existe un autre monde que celui-ci. Un monde de magie que l’on nomme Arcadia.
***
14 octobre 1933
Ashram Sabarmati - Ahmedabad - Inde
Comme tous les matins depuis trois jours, Brian arriva à l’ashram pour s’entretenir à nouveau avec Manny. Celui-ci lui avait fait d’autres démonstrations de ses dons, comme la télékinésie ou la lecture dans les pensées. Mais le gourou restait silencieux sur l’origine de ses capacités mystérieuses. Cependant il avait donné à Brian quelques détails sur ce supposé autre monde, Arcadia. Là-bas, la magie serait monnaie courante et seules quelques personnes, appelées franchisseurs, pouvaient s’y rendre. Brian demeurait encore sceptique quant à son existence, mais Manny avait certifité qu’il en aurait bientôt la preuve. Le journaliste avait hâte de voir ça et de rentrer à Barcelone. Ce serait à coup sûr le meilleur reportage de sa carrière !
Il poussa avec enthousiasme la tenture de la hutte de Manny, mais ses sourcils se levèrent en la découvrant vide. Le tapis rouge avait disparu, tout comme le cendrier. Paniqué, il se dirigea aussitôt vers le bâtiment principal et tomba sur Neela, la vieille Indienne, qui en sortait. Elle lui donna une enveloppe, puis s'en alla sans un mot. Perplexe, Brian l’ouvrit en vitesse et trouva à l'intérieur un petit papier : « Si tu es prêt à découvrir d’où vient la magie, rends-toi au monastère Dirapuk au Tibet - Manny ».
***
20 novembre 1933
Hyatt Regency Hotel – Ahmedabad - Inde
On toqua à la porte et Brian, qui sortait de la douche, passa une chemise et alla ouvrir. L’employé Indien le salua et lui tendit un colis que le journaliste attendait avec impatience. Il donna un pourboire puis s’assit sur son lit, ouvrit le colis sans tarder et lut la lettre de Ramon Godó :
« Mon cher Brian,
J’ai lu avec attention ta lettre et je dois avouer que dans un premier temps, je me suis demandé si tu n’avais pas perdu la raison. Mais les photos que tu m’as transmises, accompagnées des descriptions des dons de ce Manny Chavez m’ont convaincus du contraire. Brian, je te connais depuis plus de dix ans maintenant, et je sais que tu n’aurais pas menti à ton vieil ami Ramon. J’ai le nez pour ça et tu le sais ! Alors, je me suis dit : « Caramba, Brian a peut-être bien trouvé ce qu’il cherchait finalement ? »
Aussi ai-je décidé de t’accorder par la présente à te rendre dans ce monastère tibétain, afin que tu puisses terminer ton reportage. Je joins à cette lettre de l’argent pour que tu puisses t’y rendre le plus rapidement possible.
Mais je te demande de ne prendre aucun risque inconsidéré. Je ne veux pas perdre un ami et l’un de mes meilleurs reporters ! Et je te demande de revenir à Barcelone au printemps prochain. Il y a d’autres sujets que tu devras traiter et je ne peux les confier à personne d’autre.
En te souhaitant bon voyage au Tibet, mon ami.
Ramon Godó »
Tout sourire, Brian reposa le courrier et soupesa la bourse pleine présente dans le colis. Celui faisait plus d’un mois qu’il avait envoyé sa lettre à Ramon et, en attendant sa réponse, il était allé à la rencontre d’autres gourous dans les environs. Mais tous avaient été décevants en comparaison des dons de Manny. À tel point que le journaliste avait été constamment de mauvaise humeur, tournant en rond dans sa chambre d’hôtel la majorité du temps.
À présent que le Tibet l’attendait, il retrouvait son enthousiasme. Brian regrettait juste que Manny n’ait pas spécifié quand il devait se rendre à ce monastère Dirapuk ni ce qu'il y trouverait, ce qu’il avait évidemment omis de dire à Ramon.