Brian Westhouse backstory

Chapitre 3 : Rencontre

1886 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 14/12/2025 12:28

10 octobre 1933

Port de Bombay - Inde


Le cargo s’amarra au port de Bombay parmi des dizaines d’autres navires. Sur les quais, les grues à vapeur s’affairaient à décharger les précieuses marchandises que les dockers transféraient ensuite sur des wagons de la compagnie ferroviaire. La passerelle du cargo fut abaissée et quelques minutes plus tard, Brian foulait à nouveau le sol indien. Ramon Godó l’avait déjà envoyé en Inde il y a cinq ans, pour rencontrer des personnes considérées par les locaux comme de grands sages spirituels aux pouvoirs mystiques. Mais ceux-ci n’avaient guère impressionné Brian : avec leurs silences hautains et leurs phrases indigestes, ils ressemblaient plutôt à des bêtes de foire qu’à des sages ! Mais cette fois-ci, Brian pensait avoir trouvé une personne bien plus intéressante. Après plusieurs semaines de négociations, il avait réussi à convaincre Ramon de lui permettre de faire à nouveau ce long et coûteux voyage jusqu’en Inde.

Brian descendit du bus bondé qui l‘avait amené jusqu’à la gare de Bombay et regarda sa montre : « Merde, moins de deux minutes pour attraper mon train ! » s'affola-t-il. En toute hâte, il localisa rapidement le bon quai sur le tableau d’affichage et s’y dirigea. À peine était-il monté à bord de la rame que les portes se refermaient. Brian s’assit et essuya la sueur sur son front. Il n’y avait qu’un train toutes les vingt-quatre heures, pour rejoindre la ville d’Ahmedabad, au nord de Bombay. Soulagé d’avoir pu attraper celui-ci et d’éviter une nuit d’hôtel à Bombay, il se détendit et ferma les yeux. Dix heures de train étaient nécessaires pour rejoindre Ahmedabad et il allait pouvoir récupérer de son épuisant voyage en cargo depuis Barcelone : trente jours à dormir dans une cabine plus que spartiate, bruyante et sur un matelas dur comme du bois ! En comparaison, les banquettes du train étaient d’un confort luxueux et il sombra rapidement dans un sommeil profond.


***



— Mahoday ! Ham pahunche ! s’écria une voix aiguë tandis qu’on lui secouait l’épaule.

Brian ouvrit difficilement les yeux : un Indien en uniforme de la compagnie ferroviaire se tenait en face de lui. Pourquoi fallait-il qu’il se fasse toujours contrôler quand il avait besoin de dormir ? Il allait sortir son titre de transport de son sac, mais l’employé secoua la tête et montra quelque chose à l’extérieur.

— Mahoday ! Ham Ahamadaabaad mein hain ! cria-t-il.

Brian prit alors conscience que le train était arrêté et qu’il était le seul passager encore présent dans le wagon. En regardant par la fenêtre, il lut le nom de la gare avec étonnement : Ahmedabad. Dix heures de trajet sans se réveiller, on peut dire qu’il était vraiment fatigué ! Il fit un signe à l’Indien qu’il avait compris le message et celui-ci partit vérifier les autres wagons. Brian bâilla sans retenue, puis se leva. Après avoir pris sa valise et son sac à dos, il descendit du train et se dirigea vers la gare routière.


***



« Sabarmati ashram ! » lança le chauffeur du bus de sa forte voix tout en ouvrant les portes.

Avec quelques autres passagers, Brian descendit et traversa la route. Il sourit en reconnaissant les différents bâtiments rudimentaires en bois qu’il avait vus en photo. D’après ces recherches, l’ashram Sabarmati était un lieu d’ermitage, créé par le Mahatma Gandhi en 1917. La plupart des gens venaient ici pour étudier l’agriculture ou l’alphabétisation, soutenir le mouvement pacifiste de Gandhi ou tout simplement pour se retirer du monde quelque temps. Mais évidemment, tout ceci n’intéressait guère Brian. S’il avait entrepris un si long voyage de l’Espagne, c’était parce qu’une de ces sources les plus sures, lui avait rapporté qu’au sein de cet ashram vivrait une personne capable de faire léviter son corps par la simple puissance de son esprit. En creusant le sujet, Brian avait réussi à obtenir d’autres témoignages qui confirmaient ses dires.

Plein d’espoir et d’enthousiasme, le reporter pénétra dans l’ashram et se dirigea vers le plus grand bâtiment. Il toqua à la porte, mais personne ne vint ouvrir. Tout semblait étrangement calme, aussi décida-t-il de faire le tour de la bâtisse. Derrière celui-ci se trouvaient de grands champs cultivés où plusieurs personnes étaient en train de semer des graines ou de travailler la terre. Il s’approcha d’une vieille femme indienne à la peau très sombre et habillée d’un pagne blanc. Quand elle le vit, elle courut à sa rencontre.

— Namasté ! Namasté ! lança-t-elle en souriant.

Puis elle prit Brian dans ses bras, le faisant sursauter.

— Mere dost ka svaagat hai ! continua-t-elle en relâchant son étreinte, tandis que le journaliste reculait mal à l’aise.

— Désolé, je ne comprends pas l’hindi, s’excusa-t-il en secouant la tête.

À quelques mètres de là, un homme grand et blond d’une quarantaine d’années lâcha sa bêche et s’approcha d’eux.

— Neela vous souhaite la bienvenue.

Brian l’observa avec intérêt :

— Vous êtes américain ?

Il hocha la tête.

— Je m’appelle Edward et je viens d’Indianapolis. Et vous l’ami ?

— Brian de Boston. Je suis reporter pour un journal espagnol.

Les deux hommes serrèrent la main, puis le journaliste regarda aux alentours et demanda :

— On m’avait dit que des centaines de personnes venaient ici pour rencontrer Gandhi. Comment se fait-il qu’il y ait si peu de monde ?

Edward afficha un air désolé.

— Oh, vous n’êtes pas au courant ? Il y a quelques mois, le Mahatma a décidé de dissoudre l’ashram de Sabarmati. Mais si vous voulez le voir, je pense qu’il est possible de…

— Non, je ne suis pas ici ça, coupa Brian.

Il hésita un instant, puis décida qu’il était inutile de tourner autour du pot.

— Je fais des reportages sur l’ésotérisme et le paranormal. On m’a rapporté qu’au sein de cet ashram, une personne aurait développé des… pouvoirs particuliers.

— Oh, je vois… dit Edward.

Il se tourna vers Neela pour lui traduire. La vieille Indienne perdit son sourire et observa Brian avec intensité, mettant le journaliste mal à l’aise. Puis elle secoua la tête et s’adressa à Edward d’un ton très sérieux.

— Elle connait la personne dont vous parlez, traduisit ce dernier. Mais qu’elle n’est pas sûre que vous deviez la rencontrer. D’après elle, le surnaturel peut s’avérer dangereux.

Brian piqua un fard, puis énonça avec une colère contenue :

— Écoutez, dites-lui que je suis un journaliste professionnel qui étudie ses sujets depuis plus de dix ans. Et que j’ai fait un très long voyage depuis l’Espagne pour venir jusqu’ici. Si elle sait où se trouve cette personne, il faut que la rencontre !

Edward traduisit et la femme lâcha un soupir et désigna avec dédain un petit bâtiment carré au bout du champ cultivé. Brian remercia Edward pour son aide et i marcha dans cette direction. Mais Neela lança avec force quelque chose qui le poussa à s’arrêter. Edward hésita, puis traduisit :

— Elle dit que vous ne devriez pas prendre à la légère son avertissement. Et que… vous vous dirigez vers un avenir très sombre.

Brian resta interdit quelques instants, puis haussa les épaules et continua son chemin. Une simple tenture multicolore faisant office de porte au petit bâtiment. À l’intérieur, on sentait une forte odeur de tabac et le sol était entièrement recouvert d’un tapis rouge. Au centre de celui-ci, un vieil homme à la longue chevelure noire était assis en tailleur, les yeux fermés. Il était habillé d'un pagne noir et à ses pieds se trouvait un cendrier débordant de mégots.

— Señor Brian, venez vous asseoir en face de moi, murmura l’homme sans ouvrir les yeux.

Il avait un fort accent espagnol.

— Comment connaissez-vous mon nom ? s’étonna le journaliste.

L’homme se contenta d'allumer une cigarette et de tirer dessus. Après un moment de flottement, Brian s’assit sur le tapis en face de lui.

— Comment vous appelez-vous ? demanda-t-il.

— Ici on me nomme Manny Chavez.

Brian le regarda, et ressentit un mélange de fascination et de crainte. Ce gourou était-il vraiment différent de tous ceux qu’il avait rencontrés jusqu’à présent ? À présent qu’il l’avait en face de lui, il redoutait qu’il n’ait fait ce voyage pour rien. L’intéressé ouvrit les yeux et scruta Brian de ces petits yeux sombres. Pour échapper à la gêne, il sortit son calepin.

— Je suis journaliste et je réalise des reportages sur le paranormal. Est-ce que…

— Je sais pourquoi vous êtes ici, coupa Manny. Même si au fond, ce n‘est pas la véritable raison de votre présence.

Brian resta interdit et Manny ferma à nouveau les yeux et le bout de sa cigarette rougeoya dans la pénombre.

— Quelque chose vous a amené jusqu’ici. Car, malgré toutes ces années de voyages, vous n’avez toujours pas trouvé ce que vous cherchiez. N’est-ce pas señor Brian ?

Un mélange de satisfaction et de crainte l’habitait à présent. Au moins ce gourou semblait plus compétent que les autres !

— Je ne sais pas comment vous avez pu deviner mon nom et la raison de ma présence ici, mais c’est impressionnant. J’ai entendu beaucoup de rumeurs vous concernant maître et…

— Je ne suis le maître de personne, coupa Manny. J’aide simplement les gens qui sont perdus à être aiguillés. Comme vous Brian.

— Je ne pense pas avoir besoin d’être aiguillé, je cherche juste à…

— Votre recherche est sur le point d’arriver à son terme. Mais vous n’êtes pas encore tout à fait prêt.

Frustré, le journaliste posa son calepin et son stylo.

— Bon, écoutez monsieur Chavez. Le journal « La Vanguardia » à Barcelone a accepté de dépenser une somme d’argent considérable pour que je vienne jusqu’ici faire mon reportage. J’ai passé trente jours dans un cargo pour rejoindre Bombay, puis dix heures de train jusqu’à Ahmedabad et enfin j’ai pris un bus bondé pour arriver ici. Je ne suis pas ici pour une psychanalyse, mais parce qu’on m’a parlé de capacités particulières que vous détiendriez.

Agacé, il reprit son calepin et son stylo, mais Chavez murmura :

— Je répondrais à vos questions, mais pas aujourd’hui, señor Brian. Lorsque vous serez prêt à parler de ce que vous cherchez réellement, revenez me voir.

Il referma les yeux et fit un geste de la main, indiquant que l’entretien était terminé.


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