Tiré à quatre épingles

Chapitre 8 : Épilogue

Chapitre final

1842 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 26/03/2025 11:54

                          Epilogue

 

 

 

Le Goéland, maître sorceleur de l’école de l’Aigle avait des journées chargées en cette fin de belle saison. Entre le mur d’enceinte extérieur sud qui menaçait de s’affaisser, le vieux Vespert malade qu’il fallait veiller et les quatre apprentis sorceleurs qu’il avait la charge d’éduquer, le centenaire usé ne trouvait guère de moments libres. Le voilà pourtant, usant de son précieux temps et de ses forces déclinantes pour monter tout en haut de la tour Est, couronne massive de l’imposante forteresse de Kaer Seren.

Le fort des sorceleurs rapaces, qu’ils aimaient appeler le Nid, s’élevait majestueux, parmi les montagnes nord du Kovir.

Niché au cœur des monts Talgar, l’immense construction dominait une vallée sauvage, tantôt verdoyante tantôt glacée.

 

C’est sur ce paysage paisible que se posait en ce moment même le regard acéré de celui que l’on avait toujours appelé le Goéland. Il en ignorait la raison mais ce sobriquet faisait partie de lui, aussi loin qu’il puisse s’en souvenir. Essoufflé comme une vieille forge, il reposait là sa carcasse faites de genoux grinçant, d’articulations rouillées et de vertèbres déplacées. L’ensemble branlant était censé supporter le poids des années et de sa taille ventripotente. 

Ses joues barbues fouettées par un vent sec il se décala pour s’abriter, portant son regard sur le Soufflant. C’est comme cela qu’on nommait le redoutable chemin suspendu reliant le sommet du Nid à une série de pics jouxtant la forteresse que l’on appelait, les Dents.

Les bâtisseurs avaient choisi cet emplacement à dessein. Ils avaient fait installer au sommet de la tour Est de Kaer Seren un pont suspendu découpé en plusieurs parties.

La structure, faite de corde et de bois solidement harnachés et fixés dans la roche reliaient ensemble cinq petites corniches.

 

Des dizaines de jeunes sorceleurs y avaient fait leurs armes, y testant leur équilibre et la maîtrise de leurs émotions. Certains y avaient dompté la peur, d’autres trouvé la mort.

Le Goéland le regrettait mais un Aigle se devait de survivre à l’épreuve du Soufflant. Le jour fatidique les maîtres sorceleurs allaient accrocher les médaillons à tête de rapace sur les pitons rocheux qui marquaient la fin du parcours. Les aspirants sorceleurs devaient aller les décrocher et revenir avec le précieux sésame.

C’était à cette condition qu’ils gagnaient le droit de parcourir le Continent, leur médaillon autour du cou. 

 

Le vieux briscard n’avait pas gravi la centaine d’escalier juste pour admirer le paysage. Il attendait avec impatience le retour de Zélie, l’un des deux rapace messager des sorceleurs de l’Aigle. Les volières étaient vides depuis la dernière saison des pluies. Zélie qui avait parcouru le Continent pendant tout ce temps afin d’avertir les maîtres des autres écoles de sorceleur de la maladie de Vespert, aurait dû être rentré depuis longtemps. Colbert, un jeune busard qu’il avait recueilli et dressé depuis peu, effectuait en ce moment même son premier entraînement avant d’être tatoué de runes. Ces modifications magiques rendaient les volatiles infertiles tout comme leurs maitres que l’épreuve des herbes rendaient incapable de procréer. Il leur revenait donc la charge de traquer et d’élever de jeunes rapaces blessées ou tombé du nid.

 

Il y’a trois semaines de cela, à la surprise générale, la cloche runique avait retenti dans la grande salle à manger au rez de chaussée du Nid. Un de ses frères chasseur de monstre était en mauvaise posture et avait dû faire appel à l’oiseau pour leur transmettre un message urgent. Difficile de dire lequel. La plupart des Aigles vaquaient à leur mission aux quatre coins du Continent. Seul Vespert alité, Garibald qui ne quittait jamais son laboratoire, Jérome un sorceleur un peu simplet et lui se trouvait à Kaer Seren. S’y ajoutais trois aspirants sorceleur qui avaient survécu à la terrible épreuve des herbes. Chanceux enfants, eux qui avaient vu leurs camarades mourir dans d’atroces souffrances. En effet l’épreuve des herbes, nom du rituel d’absorption d’une potion mélangeant mutagènes et herbes de toutes sortes, tuait en moyenne sept enfants sur dix. 

 

Ce son si particulier ne signifiait qu’une seule chose. Un habile système de communication magique, perfectionné par Garibald avertissaient les occupants de la bâtisse lorsque la messagère à plume était appelée au secours. Une sonorité différente les prévenait lorsque l’animal se trouvait à proximité de Kaer Seren. Ce matin la cloche avait émis le tintement caractéristique annonçant le retour de l’oiseau de proie incessamment sous peu. 

 

Le Goéland fixait le Soufflant en se remémorant la peur viscérale qu’il avait ressenti la première fois qu’il était monté au sommet du promontoire, près d’un siècle plus tôt.

Son ouïe fine lui permettait d’entendre le battement d’aile de Zélie se rapprocher. Sa silhouette se dessina haut dessus du Soufflant et le Goéland profita du spectacle. Il adorait ses oiseaux et transmettait ce dévouement aux futurs chasseurs de monstres qu’il devait former.

Il la regarda se poser lentement sur son perchoir. Si vive lorsqu’elle avait quitté le Nid elle revenait exténuée de son périple. Les gravures magiques de Garibald permettaient à l’oiseau de parcourir de plus grande distance, plus vite et avec plus d’endurance. Sa dernière course, qui avait duré plus de deux pleines lunes, avait éprouvé la fidèle messagère. Le vieux Sorceleur s’approcha doucement tout en sortant de sa poche un morceau de viande séchée. Zélie le toisa en lâchant un petit cri fatigué mais se radoucit quand il lui tendit la douceur. Elle se laissa caresser puis le Goéland entreprit une observation de l’animal. Elle se portait globalement bien, malgré un épuisement évident. Il saisit sa patte gauche où l’on avait fermement accroché un vélin prévu pour résister aux intempéries. 

Il desserra les liens et déplia le message. 

 

Le vieux sorceleur n’eut pas à finir la missive pour savoir qui en était l’auteur. Dès les premières lettres qui composaient le texte codé, il reconnut l’écriture de Kaehl, franche et impatiente.

Assez simple étant donné que c’était auprès de lui que Kaehl avait appris à écrire. Il avait d’ailleurs été son premier élève et même si de tels relations étaient proscrites, le Goéland se surprenait encore parfois à ressentir d’incontrôlables élans paternels à son égard.

 

Ce qu’il lut le stupéfia. Le contenu de la note était des plus alarmants. En seulement quelques caractères Kaehl avait bien failli à provoquer une crise cardiaque à son vieux maître. L’un des sorceleurs les plus doués de sa génération avait perdu l’usage de ses Signes. Inconcevable. Sauf peut-être pour ceux qui connaissaient les origines du Sorceleur aux cheveux de jais. Une seconde information, certainement plus inquiétante encore faisait état d’une cabale impliquant des elfes, des mages, des enfants humains et des suprémacistes rédanniens. Il avait pourtant martelé à tous ses disciples de toujours rester en dehors des affaires politiques. Qu’est-ce qui était passé par la tête de Kaehl pour qu’il accepte un tel traquenard, lui d’ordinaire si prudent ? 

 

Le Goéland n’était pas au bout de ses surprises. Kaehl avait invoqué le droit du Choix auprès d’un marchand zerikannien en paiement d’un contrat.

Il avait confié au maure le soin de récupérer l’élixir pour Vespert. Cette fois le Goéland vit rouge. S’impliquer dans un conflit de race était déjà condamnable mais rien en comparaison de cette initiative démissionnaire et inconsidérée. Confier une tâche de cette importance à un étranger. Un non guerrier qui plus est ! 

Kaehl dépassait les bornes et il prévoyait de lui faire vertement savoir. Certes le Cormoran avait ses raisons. Perdre l’usage des Signes devait le plonger dans une grande confusion mais cela n’excusait en rien sa démarche.

Ce n’était pas tout, la missive finissait par ces mots :

« J’ai eu une vision. La mer. Les falaises de Bremervoord. C’est là que je vais. En direction de mes origines et de mon Destin. » 

 

Le Goéland, dont le flegme était légendaire, s’était décomposé à la lecture de cette missive. Prenant sur lui et réussissant vite à se calmer, il rangea le morceau de papier dans sa poche. Après une nouvelle caresse à Zélie qui fermait les yeux par intermittence, il ouvrit la porte de la volière. Alerté par le couinement des gonds, le rapace y bondit avec gourmandise, avide d’un repos amplement mérité. 

Soudain excessivement las, le vieux sorceleur ouvrit la porte de la tour. En descendant la première rangée des cents trois marches de la tour il ne put s’empêcher de penser au désarroi de Kaehl et au poids du secrets qui entouraient ses origines. Il restait en colère contre son protégé mais comprenait mieux que quiconque ce qui était en train de lui arriver. Son disciple favori n’avait jamais été un enfant ordinaire. Il l’avait recueilli dans d’étranges circonstances, lui avait offert un toit, une écuelle et en avait fait un chasseur de monstre respecté.

A l’époque déjà la filiation de l’enfant avait inquiété les maitres sorceleur mais Garibald était intervenu, assurant qu’on pouvait, sans problème, en faire un sorceleur tout à fait puissant. Des remords l’assaillaient désormais. Il était présent lorsque Vespert, Garibald et Rolf décédé depuis, avaient décidé qu’on ne révélerait le pot au rose à Kaehl qu’en cas d’urgente nécessité. Les maîtres et le mage avaient trouvé préférable de taire l’identité de ses géniteurs ou qu’il les trouve par ses propres moyens. 

Plus de cinquante ans plus tard, Kaehl était devenu un sorceleur modèle de l’école de l’Aigle. Le Goéland pensa amèrement que le temps était venu pour celui qu’il avait lui-même baptisé le Cormoran, de découvrir la vérité.

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