Time Squad & the Time Travel

Chapitre 1 : Où sont les glaçons ? (1912)

6391 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/03/2022 21:21

Défi : Quelques gouttes d’O.S. dans l’océan (mars/avril 2022)

Niveau 1 : Ocean’s eleven « l’océan terrible »

Niveau 2 : La scène manquante (ou pas)

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Fandom : Time Squad, la patrouille du temps

 

Synopsis : En l’an 100 000 000, le monde est enfin parfait, sans conflit, ni maladie, ni pollution (et même le bacon est bon pour le cœur). Les gardiens de cette utopie sont les membres de la Time Squad, chargés de restaurer l’Histoire quand celle-ci dévie de son fil initial. L’officier Tuddrussel, son robot Larry et leur jeune assistant Otto sont expédiés sur le Titanic en 1912. Leur mission ? S’assurer que le paquebot coule à la date prévue et au bon endroit…


« It’s go time ! » - Buck Tuddrussel

 

Où sont les glaçons ? (1912)

 

An 100 000 000 après Jésus-Christ, station orbitale TS CN2001.

 

Lawrence 3000, robot protocolaire réaffecté au corps des patrouilleurs du temps passait l’aspirateur dans le salon cosy mais bordélique avec un manque d’entrain flagrant. Il arrêta son mouvement. Dans un geste las, il ramassa une canette de bière vide qui trainait par terre. Le vrombissement du moteur de l’aspirateur reprit. Il s’arrêta quelques secondes plus tard devant une autre canette. Le robot soupira et jeta le détritus dans le sac poubelle qu’il trainait avec lui. La mélodie du ménage reprit jusqu’à ce qu’il tombe sur un slip sale, taille adulte. Cette fois, ses focales variables se rétrécirent sur les ampoules bleues qui lui servaient d’yeux dans un « yeurk ». Profondément agacé, il traversa toute la pièce pour rejoindre la cuisine. Son partenaire et colocataire, Beauregard Tuddrussel, alias « Buck », une armoire à glace de près de deux mètres à la mine patibulaire mal rasée, était en train de farfouiller dans le réfrigérateur.

« J’en ai plus qu’assez Tuddrussel ! La station ressemble de plus en plus à une porcherie !

- Mais non, c’est toi qui es maniaque, répliqua le policier en congé avec son accent texan en ouvrant une autre canette de bière en aluminium toute fraiche.

- Premièrement ce n’est pas hygiénique, deuxièmement je perds du temps à ramasser tes ordures au lieu d’enregistrer nos comptes rendus de missions et troisièmement c’est un exemple déplorable pour Otto.

- Ouais ouais, tu sais compter jusqu’à trois, c’est bon j’ai vu. Et il est où Otto ? On devait s’entrainer au laser.

- Tu sais que je suis contre le fait que tu lui apprennes à se servir de ces engins de mort.

- Eh, s’il veut faire partie de la Time Squad, il n’a pas le choix ! J’vais t’en faire un vrai mec moi de ce crâne d’œuf ! »

Larry le robot ferma ses objectifs et massa ses tempes métalliques. Comment un simple humain pouvait-il être aussi fatiguant ? Larry avait décidément tiré le mauvais numéro côté partenariat.

 

Assis sur son lit, le petit Otto Osworth âgé de neuf ans lisait assidument un ouvrage sur l’histoire du Japon. Il sursauta lorsque Tuddrussel ouvrit la porte à la volée et entra en trombes dans sa chambre en renversant une haute pile de livres posée par terre.

« Debout gamin ! On va au stand de tir !

- Là maintenant ? Laisse-moi encore deux minutes, le temps que je finisse ce chapitre.

- Pas question ! Ta tête est bien assez grosse comme ça, on va passer aux muscles maintenant !

- Bon… J’arrive… » Soupira Otto en refermant son ouvrage.

A peine étaient-ils sortis de la pièce que l’alarme rouge s’enclencha et se mit à leur vriller les tympans. Tuddrussel pesta quelque chose d’inaudible avant d’emboiter le pas à Otto en direction de la salle des commandes où se trouvait le gigantesque ordinateur central de leur satellite.

« Où va-t-on cette fois Larry ? » Demanda gentiment Otto en s’approchant de son ami robot.

A l’écran s’afficha en grosses lettres jaunes et vertes : [TITANIC 1912 ATLANTIC SEA] avec en arrière-plan une photo en noir et blanc du célèbre paquebot prise dans la baie de Southampton avant son départ.

« Le Titanic ! S’exclama Otto en écarquillant les yeux. Comment peut-il y avoir un problème sur le Titanic ? Enfin, un problème pire que ce qu’il lui est déjà arrivé.

- Un rafiot ? Peuh ! Je déteste la mer.

- C’est vrai que c’est dangereux… On ne devrait pas emmener Otto pour cette mission, reprit Larry.

- Foutaises ! Le gamin n’a pas peur d’un p’tit naufrage de rien du tout ! Brailla Buck en frottant vigoureusement la tignasse clairsemée d’Otto.

- Euh… »

Otto était mal à l’aise. Il devait bien admettre qu’il n’était pas tranquille à l’idée d’embarquer sur un bateau qui allait couler, mais il savait pertinemment que sans son aide la mission de Buck et Larry allait tourner au fiasco, comme toujours.

« Ouais, allons-y. »

Le trio improbable monta sur le téléporteur.

« It’s go time ! » Beugla Tuddrussel.

Larry pianota sur le moniteur de son bras gauche contrôlant leur appareil temporel et en un éclair ils furent expédiés dans le passé. Dans un flash aveuglant et un léger bruit d’explosion, ils apparurent sur le pont supérieur du Titanic au milieu d’élégants gentlemen et de ladies en jupes longues et corsets de la Belle Époque. Les regards des aristocrates et autres magnats de l’industrie de la première classe se posèrent sur eux avec circonspection.

« Quels drôles d’accoutrements ! C’est extravagant !

- Vous pensez à une nouvelle mode parisienne très chère ?

- Ou encore des orientaux, ces gens-là sont d’une fantaisie déplacée. Mon dernier voyage en Inde m’a laissée pantoise. »

Otto tira sur le bras mécanique de Larry.

« Je crois qu’on fait un peu tâche dans le décor…

- Tu as raison, répondit le robot à voix basse. On va s’éclipser une minute, le temps de changer d’allure. »

 

ooOooOoo

 

« J’vois pas pourquoi vous m’obligez à porter ça ! J’ressemble à un pingouin là-dedans ! » Râla Buck en tirant sur son nœud papillon blanc trop serré.

Devant un large miroir, Larry admirait son immense chapeau et son écharpe en peau de bête épaisse enroulée autour de son cou, il souriait de toutes ses LED en se trouvant belle. L’équipe n’avait malheureusement pas trouvé de vêtements de rechange pour Otto, mais ils pensaient pouvoir se débrouiller sans. Entre la carcasse métallique de Larry et la combinaison moulante d’un blanc immaculé de Tuddrussel, il fallait bien reconnaître que le petit garçon en t-shirt bleu marine était beaucoup plus passe-partout que les deux agents de la Time Squad.

De retour sur le pont promenade des premières classes, Larry fut à nouveau dévisagé par ces dames : il était le seul à porter une fourrure, il remarqua que les femmes de la haute étaient en robe d’été. Le robot était doté d’un odorat et de sentiments, il était même capable de rêver, mais il ne sentait ni le froid, ni la chaleur. Le trio cherchait désespérément le commandant de bord : le commodore Edward John Smith. Grâce à son uniforme noir aux multiples décorations et son képi de marin, il aurait dû être facilement reconnaissable, même pour Tuddrussel et Larry qui ne brillaient que rarement par leur perspicacité. Otto finit par le reconnaître, mais en lieu et place de sa tenue officielle, il portait une veste de kimono en soie, colorée et ornée de fleurs, ressemblant beaucoup à une chemise hawaïenne, ainsi qu’un chapeau de paille. En apercevant Larry, vêtu de son élégante jupe et d’un chemisier en dentelle, le visage du vieux capitaine s’illumina. Il se saisit du gant blanc du robot pour lui faire un baisemain. Larry le gratifia d’un « Uh uh uh… » embarrassé.

« Mes hommages my lady.

- C’qu’il fait chaud… L’est pas sensé y avoir un glaçon géant ou un truc comme ça ? Lança Buck en triturant encore et toujours son col.

- C’est vrai. Où sont les icebergs ? Demanda Otto.

- Quels icebergs ? Nous naviguons dans les Bermudes ! Annonça joyeusement le commandant.

- Ce n’est pas du tout le trajet initial ! S’écria Otto.

- J’ai décidé de mettre le cap vers les Bahamas.

- Mais enfin pourquoi ?

- Parce qu’il y fait plus chaud pardi ! C’est une croisière ! Les passagers ont le droit de s’amuser et de profiter du beau temps ! Vous savez qu’il fait encore un froid de canard sur la côte Est en cette saison ?

- Alors vous n’allez plus à New-York ?

- Pfff, non ! J’en ai assez de New-York, c’est sale et trop peuplé désormais ! J’ai voyagé partout dans le monde grâce à la White Star Line, je connais les recoins les plus mystérieux et les plus pittoresques du globe. Vous allez voir, vous m’en direz des nouvelles ! »

Il éclata de rire et s’éloigna de la Time Squad tandis que les huit musiciens de l’orchestre du navire se mettaient à jouer de la musique jamaïcaine avec des banjos, des maracas et des nyabinghi. Eux aussi avaient troqué leurs costumes trois pièces guindés pour des chemises en chanvre légères.

 

Larry s’était assis avec sa jupe cintrée encombrante sur une chaise dans le salon de première classe, Buck à sa gauche et Otto à sa droite, ils sirotaient des cocktails servis dans des noix de coco tranchées. Pensif, il croisait ses bras d’acier, sa mine robotique paraissait contrariée.

« Hum… Le problème est plus épineux que prévu.

- Eh Barman ! T’as oublié l’ombrelle ! Beugla Buck après un serveur en pointant du doigt son verre.

- Ça n’existe pas encore Tuddrussel. Le premier parasol à cocktail a été inventé par Ernest Raymond Beaumont-Gantt dans les années trente, intervint Otto avant de se tourner vers Larry. Je ne comprends pas bien… Le Titanic est sensé avoir coulé le 15 avril 1912 à 2 h 20 du matin au large de Terre-Neuve. S’il est ici, il ne coulera peut-être pas, c’est plutôt une bonne nouvelle non ?

- Sauf qu’on n’a aucune idée des répercussions que cela peut avoir sur l’avenir… » Répliqua Larry en retroussant son long gant blanc pour regarder discrètement l’ordinateur intégré à son bras.

Pendant qu’il parcourait les informations disponibles dans sa base de données, Otto se lança dans ses explications de petit génie féru d’Histoire.

« Eh bien, après le naufrage du Titanic toutes les règles de sécurité à bord des bateaux vont être revues et l’ingénierie navale va faire d’énormes progrès. L’économie américaine a également été chamboulée suite à la disparition de plusieurs industriels très riches.

- Alors le Titanic doit couler, mais il doit couler plus au nord, pour être sûr que le Carpathia et le Californian réceptionnent les rescapés, asséna Larry en lisant le nom des deux navires affichés sur son avant-bras.

- On peut peut-être convaincre le capitaine de reprendre la route vers New-York.

- Tu as une idée ?

- Oui. » Répondit Otto avec un grand sourire malicieux.

 

L’idée d’Otto était peut-être la bonne, mais elle n’était pas au goût de Larry. Otto le traina de force jusqu’à la piste de danse et il tira timidement sur la chemise d’Edward Smith.

« Commandant, accepteriez-vous d’accorder une danse à mon amie ?

- Oh mais très certainement ! »

L’élégant marin dévoila ses dents blanches dans un large sourire de don juan, niché sous sa barbe impeccablement lissée. Il attrapa Larry de sa main gauche et posa son bras droit sur son épaule avant de l’emporter dans une valse.

« Aurais-je l’audace de vous dire que vous êtes absolument resplendissante ?

- Oh vous… Vous me flattez commodore, balbutia Larry en forçant sa voix numérique vers les aigus.

- Vous me rappelez ma chère Sarah.

- Sarah ?

- Mon épouse, je l’ai laissé en Angleterre… »

Le ton du sous-entendu et le clin d’œil assorti ne plaisaient pas du tout à Larry. Dans un coin de la salle, Otto lui faisait des grands signes. Il devait lui demander, le temps pressait.

« Ah hem oui… Euh… Dites, m’accorderiez-vous une faveur ?

- Tout ce que vous désirez my Lady.

- Pouvez-vous remettre le cap vers New-York comme il était convenu ?

- Vous n’aimez pas les plages tropicales ? S’étonna le commandant. Je vous assure, c’est magnifique ! Nous pourrions nous retrouver tous les deux à l’ombre des palmiers pour un bain de minuit…

- Non… Non sans façon, je préfèrerais euh… Une balade romantique à Central Park.

- Vous le voulez vraiment ?

- Oh oui. Oui oui… Et… Et si vous pouviez vous dépêcher pour arriver avant le dix-sept ce serait parfait.

- Pas un mot de plus ma colombe, vos désirs sont des ordres ! »

Ils s’arrêtèrent de danser et il tira sur la main gantée de Larry pour l’emmener avec lui jusqu’à la passerelle. Otto les suivit au pas de course. Le commandant Edward John Smith prit la barre en main et cria :

« A tribord toute ! Finies les vacances, on retourne à New-York !

- Oooooh… » Se désolèrent tous ses contremaitres.

Ils obéirent néanmoins à leur capitaine, ils arboraient tous des colliers de fleurs exotiques.

Larry et Otto se faufilèrent hors de la cabine de navigation et se rapprochèrent de la poupe pour mieux observer les mouvements du paquebot. Le Titanic opérait bien un demi-tour en direction du nord-ouest, vers la côte de l’état de New-York. Larry consulta son ordinateur interne et son GPS. Ils étaient encore loin de la route normale, le flux temporel était toujours perturbé et pas le moindre iceberg en vue. En revanche, il y avait des récifs.

Sifflotant joyeusement avec la barre en main, le commandant Smith zigzaguait entre les rochers saillants avec une agilité déconcertante et le monstrueux paquebot de luxe fendait les flots comme une sirène habile. Larry était nettement contrarié. Il soupira.

« Il faut passer à autre chose.

- Qu’est-ce que tu veux dire par autre chose ? Couina Otto avec une pointe d’inquiétude dans la voix.

- Je ne sais pas encore, mais on va trouver. »

 

ooOooOoo

 

Accoudé sur une table ronde, Buck Tuddrussel chantait une vieille chanson texane en agitant son verre vide au-dessus de sa tête.

« Tuddrussel ! Tonna Larry 3000 les poings sur ses hanches cambrées en réalisant que son acolyte était à moitié saoul. Puis-je savoir ce que tu fabriques ? On est en pleine mission là !

- Ah les bonnes-femmes ! Toutes les mêmes ! » Meugla Buck en frappant violemment dans le dos de son voisin de table dans ce qui aurait dû être une tape amicale. Le vieux lord anglais en perdit son monocle et son cigare.

Otto et Larry extirpèrent de force leur collègue du fumoir. Il n’arrêtait pas de triturer son nœud papillon.

« Il faut trouver un moyen de couler nous même le bateau, annonça Larry.

- Quoi ?!? S’écria Otto horrifié.

- T’en as de bonnes Larry ! Tu veux qu’on s’y prenne comment ?

- Je n’en sais rien moi ! C’est toi l’expert en brutalité et en destruction, c’est bien pour ça que je suis venu te chercher ! » S’agaça le robot en agitant les pattes griffus de son vison sous le nez de Tuddrussell.

L’officier de la Time Squad se mit à grogner en écartant d’un geste rustre l’animal mort, puis il dégaina son arme de service.

« Ok, on va opter pour la méthode du gruyère.

- Mais tous ces gens vont mourir ! C’est atroce ! On ne peut pas faire ça ! Protesta le jeune Otto.

- Souviens-toi ce qu’on t’a expliqué, reprit posément Larry : pour que le futur reste parfait, le passé doit rester inchangé. Nous n’avons pas le choix.

- Mille-cinq-cent personnes vont mourir, y compris des enfants ! Je refuse d’être complice de ça ! »

Otto s’empara du pistolet laser de Buck et s’enfuit à toutes jambes.

« Mais qu’est-ce que tu attends ? Rattrape-le ! » Ordonna Larry à son collègue.

Buck avait l’esprit ralenti par son coup dans le nez, s’il était encore possible de ramollir son cerveau à 78 points de QI. Il grommela à nouveau, mais ne bougea pas d’un pouce. Il enfila sa main dans son pantalon et dégaina une deuxième arme.

« Tu en as combien comme ça ? » Demanda Larry dans une mimique rappelant un haussement de sourcil.

 

Epuisé, le pistolet du futur grossièrement planqué sous son t-shirt, Otto s’appuya contre le parapet pour reprendre son souffle. Il était très intelligent et il avait le cœur sur la main, alors il avait du mal à réfléchir posément sur ce dilemme d’ordre moral. Aux côtés de Larry 3000 et Tuddrussel, il était déjà intervenu pour corriger des évènements historiques violents, comme les guerres napoléoniennes ou le siège de Fort Alamo, mais il n’y avait pas d’enfant en danger et jamais leur team n’avait été obligée d’intervenir physiquement pour se salir les mains.

Une voix tonitruante s’éleva dans son dos, il bondit de peur face au steward chargé de la surveillance du pont promenade des premières classes.

« Qu’est-ce que tu fais là toi ?

- M… Moi ? Euh, eh bien je… Bafouilla Otto en cherchant désespérément une explication crédible.

- Encore un de ces sales petits rats de troisième classe qui s’est faufilé ici ! Aller ouste !

- Aaaah ! »

Sans ménagement, le membre de l’équipage balança Otto par-dessus le bastingage et il atterrit sur le pont supérieur, au milieu de la plèbe des migrants européens. Affalé à plat ventre sur les planches de bois lisses et humides, il se redressa tant bien que mal en grimaçant de douleur.

« Oh goodness, rien de cassé ? Lança une voix juvénile aux accents irlandais par-dessus son épaule.

- Non… Non ça va. »

Otto réajusta ses lunettes avant de relever la tête. Il tomba nez à nez avec son sosie : les mêmes cheveux roux foncés frisés, les mêmes tâches de rousseurs et le même petit nez de cochon. La similitude portait jusqu’à la paire de binocles rondes.

« Ah ! Tant mieux, je suis soulagé. Mais… Ça alors… »

Le petit garçon en salopette brune et chemise en coton rapiécée cligna des yeux étonnés en remarquant la ressemblance troublante entre lui et Otto.

« On se ressemble comme deux gouttes d’eau ! S’écrièrent les gamins en même temps, avant d’enchainer sur la même intonation un :

- Woh…

- C’est… Incredible !

- Qui… Qui es-tu ?

- Je m’appelle William Henry Osworth Junior, mais tout le monde m’appelle Willy.

- Osworh ?!? Tu as bien dit Osworh ?!? S’exclama Otto.

- Euh… Oui. Pourquoi ? »

Otto était troublé. Il se mit à cogiter, ses méninges chauffaient dans sa tête d’ampoule. Il ne savait quasiment rien de ses origines. Il avait fait des recherches en cachette sur son nom de famille lorsqu’il était à l’orphelinat de Sœur Thornly dans le Bronx. Tout ce qu’il avait trouvé comme information, c’était que la plupart des Osworth de New-York étaient d’origine irlandaise et avaient immigré entre 1840 et 1910. Il hésita avant de répondre.

« Je m’appelle Otto, Otto Osworth.

- Oh mo dhia ! Tu penses que nous sommes de la même famille ?

- Il y a des chances.

- Great ! Viens ! Je vais te présenter aux autres ! S’excitait Willy en agrippant la main d’Otto.

- Aux autres ? Quels autres ? »

Willy guida Otto à travers la petite foule, puis il lui désigna une femme rousse obèse au visage grêlé avec un bébé dans les bras.

« Voici ma mère, Mary, et Jerry mon petit frère.

- Bonjour ! Tu es drôlement mignon toi ! Lança la mère de famille en souriant à Otto.

- Là-bas c’est ma grande sœur Jane avec mon cousin Tommy. Il y a aussi mon oncle Alfred, mes cousins Terry, Jack et John. Il y a aussi tatie Violet, oncle Kevin, cousine Rosy, Amy, Penny, Big Tom avec Suzy et Jim… »

Otto se mit à grimacer avant la fin de la liste, il avait l’impression que tous les passagers de la troisième classe étaient de sa lignée. Malgré son rictus, il était heureux. Lui qui était orphelin et qui ne se rappelait absolument pas de ses parents, il découvrait une famille oubliée. La larme à l’œil, il demanda à Willy :

« Et où est ton père ?

- Oh, lui il est resté en Irlande avec sa nouvelle femme et sa bouteille de gniole.

- Oh. »

 

ooOooOoo

 

« On devrait récupérer Otto avant de s’occuper de ça.

- Arrête de jacter comme une gonzesse, je ne m’entends plus penser !

- Tu penses ? C’est nouveau ça. » Ironisa Larry.

L’officier Tuddrussel et son partenaire robot descendaient les escaliers de métal menant jusqu’à la salle des machines. Les graisseurs et les matelots afférés à l’alimentation des énormes moteurs du Titanic ne se préoccupèrent pas de cet étrange couple d’aristocrates loufoques déambulant dans les cales.

Buck chercha un coin isolé. Il pointa son arme en direction de la coque et tira un jet de laser. Un trou parfaitement circulaire perforait désormais la plaque de métal épaisse, pourtant rien ne se produisit. Larry et Buck restèrent un bon moment immobiles devant le trou béant avant d’enfin se décider à s’en approcher. Par l’ouverture, ils aperçurent une autre salle vide et fermée.

« Shit, c’était pas la coque. »

Tuddrussel brandit à nouveau son arme devant l’orifice qu’il avait créé et tira deux fois sur la gâchette. Il créa ainsi une autre perforation dans la nouvelle paroi. Là encore, pas une goutte d’eau ne mouilla la cale.

« C’est une blague ? »

La paroi suivante était trop loin pour la viser depuis leur emplacement, Buck fut obligé de s’acharner avec son laser sur la première plaque de métal pour élargir le trou et se faufiler par le passage. Larry enjamba la brèche à son tour, non sans une certaine anxiété.

« Tuddrussel, il faudrait peut-être consulter le plan du navire avant de poursuivre.

- T’as ça sur toi un plan du navire Larry ?

- Euh, non…

- Alors la ferme. »

Le gros malabar réarma son laser et fusilla la paroi suivante. Le trou fumant était magnifiquement net et arrondi, mais il restait incontestablement sec. Buck se mit à grogner comme un chien enragé en serrant les dents. Au bord de la crise de nerfs, il arracha son costard et l’abandonna sur le sol. Il avait gardé sa combinaison moulante blanche et noire de patrouilleur du temps sous son complet. Il se mit à tirailler dans tous les sens, un de ses tirs déchira la soute à charbon près de la chaufferie numéro six. Le laser frôla le crâne d’un mécanicien en lui brûlant une touffe de cheveux. D’autres gueules noires de charbon se retournèrent en apercevant des jets de lumières inexpliqués traverser la cloison.

« C’est quoi ce machin ? »

Avec ses seize compartiments étanches, le Titanic était réputé insubmersible. Buck traversa chacun d’entre eux avec l’obstination d’un terminator. Il atteignit enfin la véritable coque du paquebot. La couche de métal était beaucoup plus épaisse que les parois précédentes, une sorte de boss final de la métallurgie britannique. L’officier hargneux s’acharnait sur la coque, encore et encore, à s’en faire mal aux doigts sur la gâchette. Il se maudissait intérieurement de ne pas avoir pris avec lui un plus gros calibre et d’avoir laissé Otto se barrer avec son deuxième flingue.

« J’y suis presque ! » Gronda Buck crispé.

Il était en train de perdre son sang-froid, la patience n’avait jamais été son fort. Encore un coup de laser supplémentaire et un mince filet d’eau coula de la fissure.

« Eh ben pas trop tôt ! Hurmf… » S’écria Buck dans un bref élan de triomphe.

Il regarda les gouttelettes s’écouler, quand brusquement la coque de métal s’écartela et un puissant geyser jaillit, le projetant à l’autre bout de la soute. Larry avait déjà de l’eau jusqu’aux genoux.

« Il faut qu’on sorte d’ici tout de suite ! » Cria le robot en retirant rapidement sa robe avant d’attraper Buck, complètement sonné, par le haut de sa tunique et de le trainer avec lui en direction de l’escalier remontant vers le pont des deuxièmes classes.

 

Otto et Willy bavardaient sans discontinuer, assis côte à côte sur une bitte d’amarrage près de la poupe.

« A l’orphelinat pour enfants difficiles de Sœur Thornly, on n’avait qu’un seul repas par jour. Je devais récurer les treize toilettes et pelleter le charbon de la chaudière. Mais le plus dur c’était de ne pas avoir de copain à qui parler…

- Tu as vraiment souffert, c’est affreux. La vie n’était pas toujours funny en Irlande, mais au moins on était tous ensemble.

- J’ai quand même eu de la chance de tomber sur Larry et Tuddrussel. Tous les trois on est un peu comme une famille maintenant.

- C’est comment New-York alors ? L’interrogeait Willy avec des étoiles plein les yeux, il avait hâte d’arriver à bon port à Manhattan.

- Je ne connais pas bien la ville, je sortais rarement de l’orphelinat et notre quartier n’était pas vraiment…

- Otto !!! »

Larry 3000 déboula en portant le lourd et encombrant Buck sur ses épaules, son squelette en acier inoxydable tremblait sous l’effort. Quand l’officier de la Time Squad se réveilla et s’aperçut qu’il était dans les bras du robot, il le cogna si violemment qu’il fit pivoter sa tête sur trois rotations complètes et le crâne métallique de Larry termina sa course en toupie tourné vers son dos.

« Ne me touche pas ! »

Alors que Larry remettait sa tête en place, Tuddrussel se frotta les yeux en regardant Otto et Willy.

« J’ai pas encore dessoûlé : je vois double.

- Mais non sombre idiot ! Il y a bien un deuxième Otto !

- C’est Willy. Probablement un de mes ancêtres, ajouta Otto dans un murmure.

- Tout est réglé gamin ! Annonça Tuddrussel. Le bateau va couler comme prévu et on va…

- What ?!? Comment ça le bateau va couler ?!? S’exclama Willy.

- Qu’est-ce que vous avez fait encore ?!? » S’égosilla Otto avec la même voix que Willy.

Larry tenta de le calmer en agitant doucement ses bras.

« Il faut qu’on aille mettre ton euh, ton cousin dans un canot de sauvetage et vite.

- Et ma famille ?

- Vous êtes combien ? »

Willy pointa du doigt la légion derrière lui. A vue de nez ils étaient plus de trente, peut-être même beaucoup plus encore… Larry se décomposa en pièces détachées.

« Oh bon sang… »

 

ooOooOoo

 

L’Histoire reprenait peu à peu son cours normal, approximativement. Mais la Time Squad ne pouvait pas repartir sans s’assurer que William Osworth survivrait bien au naufrage. Le bazar généré par les incohérences temporelles pouvait partiellement se résorber, mais si l’ancêtre d’Otto venait à disparaître, la Time Squad perdrait son orphelin génial. Or, au-delà de l’attachement personnel entre les membres de l’équipe, le sort du monde parfait de l’an 100 000 000 était en jeu, car Otto était le seul à avoir les connaissances historiques suffisantes pour corriger les anomalies détectées. Dans le meilleur des cas, Larry et Buck se retrouveraient au chômage, et dans le pire des scénarios la terre du futur serait détruite.

 

Les premières et les secondes classes étaient situées plus près des canots, elles étaient donc avantagées lors de l’évacuation. Cependant, le déplacement du clan Osworth au grand complet eut l’effet d’un troupeau de moutons ou d’un joueur de flûte d’Hamelin sur les passagers de la troisième classe, ils se dirigeaient en masse vers le pont des embarcations. L’équipage eut une sueur froide en voyant cette marée humaine s’approcher des quelques canots encore disponibles. Les passagers allaient fatalement se rendre compte qu’il n’y avait pas assez de place pour tout le monde.

« Qui veut faire un limbo ? » Proposa Charles Lightoller, le responsable des canots de bâbord, pour tenter de détourner l’attention, pendant que les membres de l’orchestre jouaient « I've Been Working on the Railroad » au ukulélé avec leurs chemises fleuries.

« Larry ! Il ne reste que les canots pliables ! C’est déjà trop tard ! Il faut les emporter avec nous ! S’affola Otto.

- Avec nous où ça ?

- Dans le futur pardi !

- Non. Non, non et non, on ne peut pas faire ça.

- Vous l’avez bien fait pour moi ! »

Gêné mais pressé, Larry se retourna pour ouvrir discrètement son petit coffre ventral avec la pudeur d’une femme qui rehausse son soutien-gorge, il n’allait certainement pas exhiber ses rouages et ses circuits à la vue de tous. Il en sortit une bouée flamand-rose gonflable qu’il tendit à Buck en détournant les yeux.

L’officier de la Time Squad souffla de toutes ses forces dans le petit embout en plastique et gonfla la grosse baudruche fuchsia en quelques secondes. Il attacha ensuite le crochet de son pistolet à crampon d’alpiniste au bastingage. Il descendit d’abord avec la bouée et les trois enfants Osworth agrippés à son large dos en laissant dérouler la corde le long de la coque jusqu’à l’eau. Il remonta avec l’enrouleur automatique pour récupérer la mère de Willy. Il grimaça sous le poids de l’irlandaise massive.

« J’ai connu des semi-remorques plus légers… Marmonna Buck sans desserrer les lèvres.

- Mon héros ! » Souffla Mary Osworth en déposant un baiser affectueux sur sa joue mal rasée.

Tuddrussel tira la langue de dégoût. La bouée manqua de se renverser quand la grosse dame monta dessus à côté de ses enfants, mais le flamand rose se stabilisa et commença à dériver.

« Willy ! Prend ça ! » Cria Otto en lui jetant sa lampe torche du vingt-et-unième siècle afin qu’il puisse lancer des SOS de lumière.

Willy remercia son descendant avec de grands signes de la main et Buck remonta sur le pont.

« Bon ben à nous maintenant.

- Ah, euh…

- Larry ? »

Le robot jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, l’une des cheminées du paquebot s’écroula dans l’océan, emportant avec elle des passagers parqués au mauvais endroit. Une vague de panique envahit la foule derrière eux.

« Larry ? Répéta Otto.

- Viens pas me dire que c’était ta seule bouée de sauvetage. » Grogna Tuddrussel.

Le robot tapota nerveusement ses deux index l’un contre l’autre avec un sourire confus.

« Espèce de… »

Buck empoigna son coéquipier dans l’intention de lui fracasser sa caboche métallique. Otto essaya de garder son calme, il dégaina le pistolet laser qu’il avait volé à Tuddrussel. Il se concentra pour se commémorer ses leçons de tirs avec Buck. Les quelques fois où il s’était servi de l’arme futuriste, ça n’avait pas été glorieux. Il plissa les yeux, ébloui par cette lueur vive déchirant la nuit et encaissa la force du recul, puis il découpa d’un geste mal assuré un carré de planches dans le ponton de bois pour faire un pseudo radeau.

« Accroche-toi bien gamin ! » Beugla Tuddrussel en claquant Larry et Otto sur les planches arrachées.

Avec sa force de mammouth, il souleva le radeau et le balança à la flotte. Larry et Otto s’égosillèrent à s’en arracher les cordes vocales dans leur chute. Ils atterrirent sur l’eau dans un grand « Splash ! », tandis que Buck descendait à nouveau en rappel en s’aidant de son crampon. Avant qu’il n’atteigne la ligne de flottaison, le bastingage fragilisé céda. Son harpon se décrocha et il tomba à l’eau.

« Au secours ! Je ne sais pas nager !!! S’époumonait Buck d’une voix de crécelle radicalement différente de son ton bourru habituel.

- Quel crétin… » Souffla Larry.

Lui et Otto attrapèrent la corde de son pistolet d’escalade flottant à proximité de leur radeau et ils s’en servirent pour le tirer jusqu’à eux.

 

ooOooOoo

 

« Ah ! Ça fait du bien ce sentiment du devoir accompli quand tout rentre dans l’ordre ! » Déclara Buck avec satisfaction, debout sur le radeau entre Larry 3000 et Otto. Il était enroulé dans le châle rose de Madame Osworth, aussi large qu’un parachute.

Un silence consterné lui répondit, silence relatif puisque dans le froid polaire résonnait au loin les hurlements désespérés des passagers n’ayant pas pu quitter le navire en perdition. Comme pour amplifier le cynisme de la situation, les lumières du paquebot s’éteignirent brusquement sous leurs yeux, avant qu’il ne se brise en deux dans un craquement sinistre entrecoupé de cris stridents d’épouvante.

A quelques mètres d’eux, Mary, Jane, Willy et Jerry Osworth étaient lovés les uns contre les autres sur la bouée flamand-rose. Willy se tourna vers Otto.

« Thank you for your help Otto.

- Je suis désolé qu’on n’ait pas pu sauver le reste de ta famille Willy…

- Au moins je sais que tu existes toi, alors ça ira je pense. »

Coincé dans son gilet de sauvetage, Willy se débrouilla pour tendre la main à Otto. Son arrière-arrière-petit-fils s’en saisit et la serra avec ferveur, les deux petits garçons se forcèrent à sourire. Quand ils se relâchèrent, l’embarcation de fortune de la Time Squad commença à dériver dans l’obscurité.

Le cœur lourd et le regard amer, Otto fixait ses ancêtres qui n’étaient plus que des silhouettes ténébreuses à l’horizon. Larry donna un violent coup de coude dans les côtes de Buck. Enfin, le flic attardé réalisa que son petit protégé avait le vague à l’âme. Il posa une main sur son épaule pour tenter de le réconforter.

« Ce job n’est pas drôle tous les jours gamin.

- Ce n’est pas juste…

- C’est toi l’historien, tu sais bien que l’Histoire n’est pas faite que de bons moments. L’important, c’est de conserver une fin heureuse, dit Larry.

- Et elle est où la fin heureuse là ?

- A la maison. »

Son ami robot lui adressa un sourire triste avant d’appuyer sur le bouton de son bras. Dans un flash crépitant, la Time Squad disparut, ne laissant derrière elle qu’une auréole noire brûlée sur leur radeau.

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