Time Squad & the Time Travel

Chapitre 2 : La quatrième loi de la robotique (1942)

8080 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 28/04/2022 00:02

La quatrième loi de la robotique (1942)

 

« Aller Otto…

- J’ai dit non ! Débrouillez-vous sans moi. »

Recroquevillé sur son lit, Otto gardait le visage enfoui dans ses genoux. Il ressassait en boucle l’épisode traumatisant du Titanic, la majeure partie de sa famille avait trouvé la mort dans le naufrage. Planté sur le seuil de la porte, Larry le regardait avec une lueur plus faible que d’habitude dans les ampoules bleues de son regard. Il traina ses pieds d’acier jusqu’à la salle de contrôle de la station orbitale où se trouvait déjà Tuddrussel. L’officier de la Time Squad inspectait consciencieusement son arme de service. Il caressait la crosse avec une tendresse particulière.

« Ma petite chérie, papa te promet de ne plus te laisser t’échapper… Otto ne t’a pas malmenée j’espère ?

- Tu es au courant que ton arme n’a pas d’IA ? Contrairement à moi.

- Pourquoi ? T’es jaloux ? Lâcha Tuddrussel en se retournant vers Larry et en raccrochant son arme à sa ceinture.

- D’une vulgaire arme à feu ? Ça ne risque pas… »

La mine contrariée et les bras croisés, Larry s’approcha de Buck. Leur alarme temporelle avait été mise en sourdine, mais le gyrophare rouge et bleu continuait de tourner.

« Tu peux aller parler à Otto ?

- Parler ? Répéta Buck en haussant un sourcil. C’est pas ton truc ça normalement ?

- Il refuse de venir avec nous. Je crois qu’il n’arrive pas à digérer notre dernière mission.

- Quoi l’autre coquille de noix ? Bah j’dois lui dire quoi ?

- Quel balourd… Soupira Larry. Tu lui dis que tu es désolé, qu’il est un garçon fort et courageux, qu’il est important pour toi, des choses comme ça.

- Désolé pour quoi ?

- Tuddrussel va lui parler ! » Ordonna Larry qui s’impatientait.

Le flic du temps se gratta le sommet du crâne avant de rendre visite à Otto dans sa chambre. Le gamin n’avait pas bougé depuis le départ de Larry, il était toujours prostré au-dessus de la couverture, dos à la porte et face contre le mur, de cette façon Buck ne pouvait pas voir son visage.

« Debout gamin, il est l’heure de repartir à l’aventure ! It’s go time yeah !

- Non.

- Aller Otto, on va bien s’amuser !

- S’amuser ? Tu trouves ça amusant les enfants qui meurent dans d’atroces souffrances ?

- Ça non, mais on s’est bien marré avec la bande de Abe ou quand il a fallu enfiler le pantalon de Churchill à Larry.

- Larry a raison : t’es vraiment puéril.

- Qu… Quoi ?!? Gronda Buck en durcissant le regard. D’abord c’est c’lui qui dit qui y est ! Espèce de petit morveux ! »

Buck sortit de la chambre en claquant la porte, vexé tout en marmonnant :

« Quant à Larry, il va goutter au Tuddrussel style… »

Le pas lourd, il retourna dans la salle de contrôle. Larry était assis devant l’unité centrale et Buck donna un coup de poing sur le crâne métallique de son coéquipier robotique. Il frotta machinalement l’endroit de l’impact malgré l’absence de douleur physique.

« Qu’est-ce qui te prends ?

- Ramène ta rouille ! Le passé n’va pas se corriger tout seul !

- Et Otto ?

- Pas besoin d’Otto. »

Larry soupira, résigné à partir en mission sans son petit génie de l’Histoire. Il avait un très mauvais pressentiment, la dernière fois qu’ils avaient voyagé dans le temps sans le petit garçon, ils avaient lamentablement échoué. Il pianota sur son bras gauche et lut à voix haute pour Tuddrussel :

« Isaac Asimov, 1942.

- C’est qui ça I. Zazamof ?

- Isaac Asimov espèce d’inculte, pesta Larry. L’un des plus célèbres écrivains de Science-Fiction, c’est lui qui a établi les trois lois de la robotique. Il est un peu comme un père spirituel pour moi et tous les autres androïdes.

- Ah, c’est à cause de lui que tu te comportes en lavette ? Bien, j’ai hâte de le rencontrer pour lui montrer ma façon de penser, répliqua Buck en faisant craquer ses doigts.

- Tu ne toucheras pas un cheveu de maître Asimov pauvre babouin primitif ! »

Les deux agents de la Time Squad grimpèrent dans le téléporteur et Buck cria :

« It’s go time ! »

Il attendit le flash et le bruit d’explosion mais rien n’arriva, il était toujours sur l’un des plots de la salle de téléportation, le bras brandit dans les airs, Larry à ses côtés. Il se tourna vers son partenaire qui n’en finissait pas de régler le time-travel de son bras.

« T’attends quoi ?

- Un peu de patience que diable ! » Râla le robot en train de programmer l’algorithme.

Larry avait beau avoir la date et la ville, New-York restait une ville immense. Il y avait de nombreux Asimov à New-York, leur nombre ne faisait qu’augmenter depuis les années 1900. De plus, le robot restait perturbé par l’attitude d’Otto, il s’inquiétait pour lui, il avait du mal à se focaliser sur son travail et les grognements agressifs de Buck ne l’aidaient vraiment pas à se concentrer.


ooOooOoo


Après le flash habituel ouvrant le vortex temporel, Buck et Larry se retrouvèrent dans le jardin d’un pavillon d’une grande banlieue de New-York plutôt cosy.

« Euh… »

Larry n’était pas sûr de son coup, il croyait avoir programmé 1942 sur son panneau de contrôle, mais le décor lui semblait beaucoup plus tardif, sans qu’il sache vraiment dans quelle décennie du vingtième siècle il se trouvait. Tuddrussel, lui, ne se posait pas toutes ces questions. Il se dirigea vers la maison, tira la moustiquaire, puis la porte de derrière et entra dans la demeure. Immédiatement à sa droite, il tomba sur un atelier ouvert. Il y avait quelqu’un à l’intérieur, un homme brun à lunettes installé sur une table, en train de regarder sous une loupe un circuit intégré.

« Eh ! Beugla Tuddrussel en faisant sursauter l’électronicien. Isaac Momov c’est vous ?

- Aaah ! Vous m’avez fait peur ! Et vous qui êtes-vous ? » Demanda l’homme en se levant brutalement de son tabouret.

Buck empoigna le quadragénaire par le col de son pull et le souleva à plusieurs centimètres du sol.

« Réponds racaille ! Est-ce que t’es bien Isaac Zizove ?

- Lâchez-moi ! Au secours ! » Cria le type en début de panique.

Buck se mit à grogner et il traina l’homme dehors de force. Les yeux synthétiques de Larry brillaient d’inquiétude en voyant son partenaire en train de malmener un nouveau personnage historique.

« Mais qu’est-ce que tu fais ?

- Refus d’obtempérer et de décliner son identité ! »

Il balança le pauvre homme par terre avant de dégainer son arme laser et de le mettre en joue.

« Pour la troisième fois : est-ce que c’est toi Isaac Mimof ?

- Non : Isaac Asimov ! A-S-I-M-O-V ! S’agaça Larry.

- Ou-oui c’est moi ! C’est moi, mais par pitié ne me faites pas de mal ! Je n’comprends pas ce que vous me voulez ! Pleurnichait le scientifique à genoux dans sa pelouse.

- La ferme ! Tu vas faire ce qu’on va te demander et c’est tout, toi comprendo ?

- Il est russe, pas espagnol.

- Vous voulez quoi à la fin ?!? Couina l’homme terrorisé.

- Ce qu’on veut ? Ben que tu fasses ce que tu dois faire ! C’est-à-dire, euh… C’est-à-dire… Larry ! Beugla Tuddrussel.

- Vous devez écrire des romans, à commencer par le cycle des robots et poser les trois lois de la robotique.

- Les trois… Mais pourquoi ? Elles existent déjà… »

Tuddrussel et Larry se tournèrent l’un vers l’autre dans un même réflexe, même dans la cervelle de pois chiche de Buck, il y avait comme un doute. Larry s’empressa de pianoter sur le clavier de son bras pour vérifier les informations dans sa base de données. En attendant une réponse, Buck décida de remettre une couche d’intimidation en se saisissant à nouveau du col du scientifique.

« Si tu nous raconte des cracks…

- Papa ! »

Larry n’eut pas le temps de terminer son analyse, lui et Tuddrussel levèrent les yeux vers le perron de la maison. Une adolescente en salopette et chemise verte avec des lunettes à hublot opaques de soudeur sur les yeux se tenait sur le seuil de porte.

« Ann ne reste pas là ! Appelle la police !!! S’écria l’otage de la Time Squad.

- La ferme ! Ordonna Tuddrussel en lui collant une gifle de la force d’un coup de poing.

- Eh ! Ne touchez pas à mon père espèce d’ordure !

- Ça sent le roussi, on va devoir l’emmener avec nous et régler ça plus tard. » Marmonna précipitamment Larry en programmant leur retour au satellite sur son bras gauche.

La jeune fille traversait le jardin quatre à quatre avec la dégaine d’un ours en colère en direction de Tuddrussel. L’agent de la Time Squad pointa alors son arme sur elle.

« Stop ! Un pas de plus et je tire !

- Non Ann !!!

- Arrête ! Tu es devenu fou ?!? » S’exclama Larry en attrapant brutalement le bras de son coéquipier.

Le scientifique à genoux bondit pour faire de même et essayer de sauver sa fille. Buck agita frénétiquement son bras pour se libérer des deux poids morts pendus à lui. Il tira accidentellement deux jets de laser ; le premier brûla les feuilles d’un arbre et fit exploser une triade de pommes mures. De la compote gicla sur les lunettes de Buck et l’aveugla au moment où il pressait une nouvelle fois la gâchette. Le second tir éborgna le bras de Larry qui appuya par inadvertance sur un bouton du time-travel et Asimov disparut dans un flash lumineux sous leurs yeux. Larry et Buck se figèrent instantanément. Les focales variables du robot s’élargirent, il ne savait pas comment il avait fait son compte, il ne savait même pas qu’il était possible de téléporter une personne sans l’accompagner.

« Oups.

- Papa !!! » Hurla l’adolescente à s’en arracher les cordes vocales.

Hors d’elle, elle profita de l’instant de flottement hébété des deux agents de la Time Squad pour se jeter sur Tuddrussel et lui coller son poing dans la mâchoire qu’il avait protubérante. Elle enchaina aussitôt avec un deuxième coup. Sous l’effet de surprise, Tuddrussel lâcha son pistolet laser et la jeune fille le ramassa dans la foulée. Larry réalisa ce qui se passait avant Buck et il leva immédiatement les bras en l’air tandis qu’elle braquait l’arme sur eux.

« Qu’est-ce que vous avez fait à mon père ?!? Vous l’avez tué ?!?

- N-Non ! Du calme mademoiselle… » Balbutia Larry.

Aussitôt, l’adolescente tira aux pieds de Larry et le robot poussa un cri strident à la limite du couinement en resserrant ses bras contre lui. Tuddrussel qui jusque-là se massait la joue le regard dans le vide réagit enfin. Il fit un pas en avant dans l’intention de se précipiter sur la jeune fille et de la désarmer, mais elle changea aussitôt de cible et tira trois fois devant Buck. Le malabar leva les pieds l’un après l’autre, il donnait l’impression de danser un quadrille ridicule.

« Où est mon père ? » Répéta la jeune femme en colère.

Ses lunettes de soudeur aux verres noirs lui donnaient un air inquiétant, les deux flics du temps ne pouvaient pas voir ses yeux.

« Il… Il a été téléporté à notre quartier général, lui dit Larry en croisant mentalement les doigts pour qu’il soit bel et bien à la station orbitale. Nous sommes la Time Squad, nous venons du futur pour protéger le passé.

- Vous avez pris de la drogue ?

- Montre lui ta plaque. »

L’officier Tuddrussel sortit de sa poche son badge doré de la police temporelle serti dans un feuillet de cuir. Derrière ses verres teintés, la jeune fille balaya son regard de la plaque à l’écusson accroché à la combinaison de Buck. C’était difficile à croire, pourtant cela n’avait pas l’air d’être un canular, mais ce qui finit de convaincre la jeune fille, c’était la haute technologie de Lawrence 3000.

« Pourquoi avoir attaqué mon père ?

- Isaac Asimov est sensé devenir un écrivain célèbre, nous sommes là pour nous assurer qu’il va bien poser les trois premières lois de la robotique.

- Les lois de… »

L’adolescente secoua vigoureusement la tête avant de se remettre à hurler.

« Mais vous êtes débiles ou quoi ?!? On est en 2003 ! Isaac Asimov est mort en 1992 !

- Mais… Mais qui est votre père dans ce cas ? Geignit Larry en réalisant son erreur.

- Zach ! Zach Asimov !

- Oh. Eh eh… C’est… Une petite confusion, eh eh… Ça arrive de temps en temps, ricana Larry avec une énorme gêne.

- Une petite confusion ?!? Vous allez ramener mon père immédiatement !

- Eh morveuse ! Tu n’nous donnes pas d’ordres et tu vas me rendre mon flingue ! » Gueula Tuddrussel.

Elle tira à nouveau à plusieurs reprises devant ses bottes pour l’obliger à sautiller sur place.

« Et moi j’ai pas d’ordre à recevoir d’une boîte de conserve et d’un abruti en slip et combi moulante ! »

Larry fronça les sourcils en répétant dans un marmonnement : "boîte de conserve", il n’osa toutefois pas le prononcer trop fort et s’abstint de faire un commentaire, pourtant les mots lui brûlaient la prothèse vocale. Le robot observa son bras, il grésillait et plusieurs éclairs crépitaient sur sa tôle.

« Oh-oh, fit-il alors qu’un message d’erreur s’affichait sur son écran. Tuddrussel, le time-travel est cassé.

- Cassé ? Comment ça cassé ?

- Il y a un court-circuit, la procédure d’urgence s’est enclenchée, on va être téléportés chez nous dans moins de dix secondes.

- Tant mieux ! Bye-bye la terreur, tu m’manqueras pas ! » Se railla Buck en toisant l’adolescente face à lui.

L’officier avait retrouvé son sourire confiant, mais la jeune fille analysa rapidement la situation.

« Vous n’allez pas vous en tirer comme ça ! »

Elle agrippa férocement la combinaison de Tuddrussel. Elle faisait deux têtes de moins que lui, mais elle était tellement en rogne qu’elle ne faisait plus attention à ces détails. Elle fut téléportée en même temps que le duo de patrouilleurs du temps jusqu’au satellite de la Time Squad.

« Oh non… » Se lamenta Larry en apercevant l’adolescente toujours accrochée à Buck.

Sur le bras du robot, un énorme warning rouge clignotait et il finit par s’éteindre dans un grésillement peu engageant, le time-travel était désormais hors service. Larry balaya des yeux la salle de téléportation, pas de trace de Zach Asimov dans le secteur, c’est ce qu’il craignait. Dans son dos, Tuddrussel était aux prises avec la petite furie. Il avait profité du trouble généré par le premier voyage dans le temps de l’adolescente pour récupérer son arme. Cramponnée à son cou, elle essayait de le faire tomber par terre en lui donnant des coups de pieds dans ses côtes. Buck était beaucoup plus costaud qu’elle, il eut très vite le dessus. Il l’immobilisa entre ses bras musculeux, mais elle se débattait toujours.

 « Lâchez-moi ! Papa ! Papa !

- Mais arrête de gueuler ! Tu vas faire un tour au trou ça va te calmer, foi d’Tuddrussel ! »

Attiré par le raffut généré par Buck et Ann, Otto sortit mollement de sa chambre et se traina jusqu’à la salle du téléporteur. Il aperçut Buck en train d’emmener de force une jeune fille brune vers la prison de la station spatiale. Il soupira, blasé. Sans surprise, la mission en binôme était un désastre. Otto s’approcha de Larry.

« Qu’est-ce que vous fabriquez encore ? C’est qui cette fille ? Demanda-t-il.

- Oh, hum… C’est… Compliqué.

- Vous avez kidnappé un autre enfant ?

- On ne t’a pas kidnappé, on t’a adopté, objecta Larry.

- Il a quoi ton bras ? »

Otto avait fini par remarquer les étincelles qui jaillissaient occasionnellement du bras à moitié éventré de Lawrence 3000 et d’où pendait un fil électrique arraché.

« Cette bourrique de Tuddrussel m’a tiré dessus avec son arme.

- Quoi ? »

C’était une catastrophe. Il avait beau le savoir, Otto était toujours affligé, voire horrifié, de l’incompétence crasse de ses amis quand il n’était pas avec eux.

Tuddrussel maintenait en respect d’une seule main l’adolescente débarquée par accident, de l’autre il tapa le code 527425 pour ouvrir la porte blindée de la prison de la station spatiale. Il s’approcha d’une cellule libre et jeta littéralement Ann à l’intérieur, comme il aurait balancé un sac de pommes de terre. La jeune fille se releva en grimaçant et foudroya Tuddrussel du regard. Il referma la grille en acier et Ann se cramponna aussitôt aux barreaux.

« Vous êtes des grands malades ! Vous ne pouvez pas m’enfermer ici ! Je suis mineure et innocente ! Et j’ai des droits !

- Ouais ouais, ils disent tous ça ! Ricana Tuddrussel en sortant de la prison.

- Bien dit jeune fille ! Ces malotrus de la Time Squad ne respectent rien ni personne ! »

Ann chercha d’où venait la voix et elle capta la présence d’un homme typé dans la cellule en face de la sienne. Il devait avoir entre cinquante et soixante ans et n’était vêtu que d’une légère tunique blanche. Ann écarquilla légèrement les yeux.

« Mahatma Gandhi ?

- J’ai écrit une chanson sur eux, tu veux l’écouter ? »

Le vieil hindou s’éclaircit la voix et souffla quelques notes dans son harmonica avant de se mettre à chanter :

« There is a house way down in infinite Space. They call the Timing Squad ! And it's been the ruin of many a poor guy, and God I know I'm one…

- Par Turing, j’vais me réveiller… Obligé j’vais me réveiller… »

Tuddrussel s’épousseta les mains avec satisfaction en revenant dans la salle de contrôle où Otto et Larry l’attendaient avec des mines renfrognées.

« Tout va bien les gars ? Demanda-t-il avec désinvolture.

- Tout va bien ? Tu es sérieux ? S’affligea Larry en exhibant sous son nez son bras gauche à moitié démoli.

- Quoi ? C’est trois fois rien ça, tu vas réparer ça vite fait.

- D’accord… Et on en parle du type qui a disparu et de la gamine en cellule ? Renchérit Larry en exorbitant un objectif sur deux.

- Vous l’avez mise en prison ? Mais pourquoi ? S’écria Otto, choqué.

- Il faut bien qu’on l’installe quelque part en attendant de remettre de l’ordre.

- Et on n’en serait pas là si tu étais venu avec nous ! » Ronchonna Tuddrussel en pointant un doigt accusateur vers Otto.

Le petit garçon fronça les sourcils. Il était toujours contrarié et triste, alors malgré la colère qui montait en lui, il n’avait pas la force morale pour se disputer avec ses deux amis et puis ça sentait la discussion stérile à plein nez. Otto préféra se rendre à la cuisine pour préparer une collation pour la jeune captive. Tant que Larry n’avait pas réparé son bras, il était impossible de reprendre la mission Asimov, quitte à se rendre utile, il fallait commencer par vérifier que la fille allait bien et lui poser quelques questions sur les dégâts éventuels – très probables – de Larry et Buck au vingt-et-unième siècle.


ooOooOoo


Otto prépara avec beaucoup de minutie un sandwich garni selon la recette originale du Comte John Montagu de Sandwich. Il le posa sur une assiette et plaça celle-ci sur un plateau, accompagné d’un verre de lait, de deux cookies et d’une orange, cadeau standard pour un prisonnier. Il emporta le déjeuner jusqu’à la prison. Il se hissa sur la pointe des pieds pour pouvoir atteindre le clavier numérique de la porte de la prison. Il désactiva le verrou et les pièges avant de pénétrer dans le petit centre de détention.

« Bonjour Monsieur Gandhi. » Fit Otto au passage, avant de se présenter timidement devant la grille de la cellule de Ann. L’adolescente avait retiré ses lunettes de soudeurs, elles étaient désormais accrochées à son front. Elle posa ses grands yeux verts pénétrant sur le petit garçon.

« T’es qui toi ?

- Je m’appelle Otto. Tiens, je t’ai apporté de quoi manger. »

Le gamin posa le plateau repas au sol et il prit l’assiette du casse-croûte pour la tendre vers Ann à travers les barreaux. L’adolescente faisait la moue, mais elle se força à sourire pour remercier Otto.

« Merci, c’est gentil. Tu peux m’expliquer ce que c’est que tout ça ? On est où ici ? »

Elle croqua un morceau du sandwich, elle n’avait pas vraiment faim, mais elle devait reconnaître qu’il était très bon. Otto hésitait à répondre, parler de la Time Squad à une anonyme du vingt-et-unième siècle ne lui semblait pas être une bonne idée, mais de ce qu’il avait compris des échanges entre Larry et Tuddrussel, cette fille allait rester avec eux un petit moment. En plus, elle lui plaisait bien et il n’avait pas souvent l’occasion de côtoyer d’autres enfants, alors il voulait lui faire plaisir.

« Nous sommes dans le futur, sur la station orbitale de la Time Squad.

- Ok… J’ai rien compris. Quel futur ? C’est quoi la Time Squad ?

- Tu as fait un bond dans le temps de cent millions d’années. Le monde est parfait : il n’y a plus de guerre, plus de maladie et même le chocolat est bon pour les dents ! Alors la Time Squad surveille le passé, pour vérifier qu’il n’y a pas d’anomalie temporelle. »

La jeune fille restait figée dans une grimace sidérée. Évidemment, à seize ans, elle était plus sceptique et terre à terre qu’Otto lorsque Tuddrussel lui avait expliqué les mêmes choses. Elle finit par se pincer fermement le bras.

« Aïe ! Visiblement ce n’est pas un rêve…

- Non, je t’assure que c’est la réalité. Moi aussi je viens du vingt-et-unième siècle tu sais ? Je vivais dans un orphelinat à New-York.

- Et qui sont les deux idiots qui m’ont amené ici ?

- Tuddrussel et Larry ? Ils font partie de la Time Squad.

- Comment l’avenir de l’humanité peut reposer sur des crétins pareils ?

- Euh… Il leur arrive de faire quelques erreurs mais…

- Quelques erreurs ?!? S’égosilla brusquement l’adolescente. Ils ont confondu mon père avec Isaac Asimov et l’ont fait disparaître !

- Je savais que j’aurais dû aller avec eux… Marmonna Otto pour lui-même avant de reprendre à voix haute. Ne t’en fais pas : on va retrouver ton père. L’alarme des anomalies temporelles va finir par se déclencher.

- Et ça va prendre combien de temps ?

- Ça je ne peux pas te dire… »

Ann relâcha les épaules, dépitée. Cette annonce lui coupa l’appétit. Pris de pitié, Otto tenta de la réconforter.

« Je vais aller voir où en est Larry, il a peut-être une piste. A toute à l’heure !

- Non attends Otto ! Dit précipitamment la jeune fille en se ruant vers les barreaux. Ne me laisse pas ici toute seule, fais-moi sortir.

- Tu n’es pas toute seule ! Je suis là moi ! S’écria joyeusement Gandhi dans la cellule d’en face, il remit dans la foulée son harmonica à sa bouche.

- S’il te plaît Otto… Glapit Ann.

- Je vais avoir des problèmes si je fais ça.

- S’il te plaît ! Je te promets que je me tiendrai à carreau. »

Elle s’accroupit pour être à sa hauteur, le regard suppliant et l’intonation suave de la jeune fille firent frissonner Otto. Amadoué, il ouvrit la porte de la cellule pour libérer l’adolescente. Elle le gratifia d’un grand sourire.

« Merci Otto. Au fait, moi c’est Ann.

- Enchanté Ann. »

Leurs présentations furent écourtées par de nouveaux éclats de voix résonnant jusqu’à eux dans les couloirs du satellite. Otto se hâta de rejoindre Tuddrussel et Larry, Ann le suivait de près.

« Arrête de me mettre la pression ! Couinait Larry d’une voix aiguë.

- J’ai pas envie de voir, murf, tu-sais-qui débarquer ! C’est ce qui va s’passer si on ne règle pas le problème Zizimov.

- Asimov, c’est Asimov ! Soupira Larry en tapotant le manche de son tournevis sur son front avec lassitude.

- Grouille-toi Larry !

- J’aimerais bien t’y voir à réparer un engin aussi complexe avec une seule main… Oups, j’avais oublié : même avec tes deux mains tu es incapable de réparer quoi que ce soit ! »

Buck grogna comme un chien enragé, il mourait d’envie d’arracher le deuxième bras de Larry. Il agrippa le robot et le leva de son siège avec un regard menaçant. C’est alors qu’Otto pénétra dans l’atelier de Larry en compagnie d’Ann.

« Bor… Bon sang Otto ! Qu’est-ce qu’elle fait là ? Gronda Buck en apercevant la jeune fille.

- Oh, je… Je l’ai laissé sortir, elle n’a rien fait de mal.

- Otto ce n’est vraiment pas le moment de faire des bêtises pareilles, Tuddrussel a déjà rempli notre quota pour la journée !

- Qu’est-ce que tu sous-entends Larry ?

- Que c’est de ta faute ! C’est toi qui as abimé le time-travel !

- Ma faute ? Non, c’est TA faute Larry ! Si tu n’t’étais pas trompé d’époque et que tu m’avais laissé gérer la mission à ma façon, on n’en serait pas là ! ELLE ne serait pas là !

- Tu as laissé une gamine te désarmer ! Ah il est beau le grand officier Tuddrussel ! Impuissant !

- Les gars, calmez-vous ! » Tenta de s’interposer Otto, en vain.

Tandis que le trio se disputait violemment, Ann s’approcha du membre détaché de l’androïde et jeta un coup d’œil sur les circuits et les puces électroniques étalés sur la table. Les cris et les noms d’oiseaux fusaient, Ann se saisit discrètement d’un tournevis et d’une pince à bec qui trainaient à côté.

« Tu sais quoi ? Puisque c’est comme ça, je vais appeler du renfort…

- Je te défends de l’appeler Larry ! Rugit Tuddrussel en serrant les dents.

- Et pourquoi pas ? Elle comme moi on passe notre vie à nettoyer derrière toi ! J’ai l’impression d’être une motocrotte parfois !

- C’est donc ça l’odeur ? »

Le robot agitait son bras unique en faisant de grands moulinets. Otto s’était assis sur le siège derrière eux, avec une mine dépitée. Quand ils étaient dans cet état-là, il n’y avait plus grand-chose à faire à part attendre qu’ils s’épuisent ou que l’un des d’eux sorte de la pièce. Il aurait voulu s’isoler, mais il ne pouvait pas laisser Ann sans surveillance. Il réalisa à cet instant qu’il l’avait déjà quitté des yeux et il la chercha du regard. Il la trouva penchée sur le bras démonté de Larry, il avait l’impression qu’elle y touchait mais il ne voyait pas bien de là où il était. Il fronça les sourcils et murmura pour lui-même :

« Qu’est-ce qu’elle fait ? »

Sa phrase était inaudible, couverte par le flot continu des injures que s’échangeaient Buck et Larry.

« Carcasse recyclée !

- Pervers narcissique !

- Ton père s’est tapé un grille-pain !

- Homo stultus !

- C’est bon c’est réparé. »

La dispute s’interrompit. Très lentement, Larry et Tuddrussel tournèrent la tête en direction d’Ann Asimov. Les mains dans les poches, elle les fixait avec un certain dédain.

« Qu’est-ce qui est réparé ? Finit par demander Lawrence 3000.

- Ton bras, enfin ton navigateur temporel. »

Il y eut un nouveau silence. Ann soupira et tendit le bras démonté à Larry le manchot. Incrédule, le robot regarda son membre détaché avant de l’attraper avec sa main droite et de l’emboiter dans l’articulation de son épaule gauche. Une fois vissé, il pianota sur le clavier numérique de son avant-bras pour réinitialiser le time-travel. Le son électronique était engageant, tous les voyants étaient verts, son appareil était parfaitement opérationnel.

« Impossible… Souffla lentement Larry.

- Il est réparé ton machin oui ou non ? Grommela Buck les bras croisés.

- Oui mais… Comment a-t-elle réussi une telle prouesse ? Une humaine du vingt-et-unième siècle ne peut pas maitriser une technologie aussi avancée, c’est impossible… »

Lawrence s’empressa de pianoter sur son bras fraichement réparé pour consulter sa base de données universelle. Une photo d’Ann apparut sur le petit écran avec un pavé de texte interminable dans la colonne de droite sous son nom. Un avertissement clignotant dans un « bip » sonore indiquait qu’il s’agissait d’un personnage important dans la trame historique du monde, le message était en vert, ce qui signifiait qu’il n’y avait pas d’anomalie temporelle à signaler sur la jeune fille pour l’instant.

[Ann Asimov. Née le 5 juin 1987. QI 141. 66,9 inch. Professeure de robotique à l’université de Harvard. Prix nobel de physique en 2056. Prix Turing en 2045.]

Buck regarda l’écran d’un œil morne par-dessus l’épaule de Larry qu’il dépassait largement, Otto au contraire se cramponna fermement au bras de Larry et se hissa sur la pointe des pieds avec une curiosité avide.

« La classe ! Alors tu es un génie de l’électronique ? S’enthousiasma Otto, ravi de rencontrer une de ses pairs surdoués.

- Le mot est un peu fort, mais j’me débrouille, répliqua modestement Ann en enfonçant plus profondément ses mains dans ses poches de salopette.

- Cette morveuse est importante ? Marmonna Buck à voix basse près des capteurs sonores de Larry.

- Apparemment, dit platement Larry en refermant le clapet de son bras. Il faut la renvoyer au vingt-et-unième siècle.

- Quoi déjà ? Elle pourrait nous aider ! Objecta Otto.

- C’est une fille ! A part aider Larry à passer le balai, je ne vois pas à quoi elle nous servira.

- Plus elle passera de temps avec nous, plus on risque de créer une anomalie temporelle, répondit Larry en ignorant l’intervention stupide et sexiste de son partenaire.

- Si vous la renvoyez chez elle, je refuse de retourner en mission avec vous !

- Je rêve ou tu nous fais du chantage ? » Dit Larry en écarquillant une ampoule et en rétrécissant l’autre.

L’alarme criarde se déclencha et les interrompit dans leur discussion. Sur l’écran de l’unité centrale, le nom d’Isaac Asimov s’afficha à nouveau.

« C’est un problème majeur on dirait. Si ça continue on va nous envoyer une autre équipe. »

Les mots de Larry firent réagir Tuddrussel, il paraissait brusquement beaucoup plus consciencieux et préoccupé par sa mission.

« Il faut régler ça avant qu’elle débarque. On y retourne Larry !

- Euh, oui… »

Le robot tourna son regard lumineux vers Otto. Le petit garçon croisait les bras, il affichait un air borné derrière ses grosses lunettes rondes. Il était bien décidé à ne pas bouger d’un millimètre tant que Larry n’aurait pas cédé à ses exigences. Le robot protocolaire soupira, résigné.

« Ok… On l’emmène avec nous.

- Ouais !!! » Jubila Otto avant de se mettre à courir.

Il tira Ann par le poignet pour la conduire jusqu’au téléporteur. Larry et Tuddrussel lui lancèrent un regard hostile.

« Tu ne dis pas ta phrase ? Demanda Otto à Buck.

- It’s go time… » Marmonna le flic du temps avec un manque flagrant de conviction.


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Larry les téléporta tous les quatre, au bon endroit et au bon moment cette fois, grâce aux indications d’Otto.

« Voici l’université de Columbia, Isaac Asimov devrait s’y trouver, annonça Otto.

- Je connais bien l’université de Columbia, mon père y travaille, mais j’ai du mal à reconnaître les lieux.

- Normal : on est en 1942.

- Il se passe quoi en 1942 ?

- Isaac Asimov doit publier sa nouvelle "Cercle vicieux" dans le magazine Analog. Et dans cette nouvelle…

- Il établit les trois lois de la robotique, compléta Ann qui venait de comprendre.

- Isaac Asimov est sensé étudier la biochimie.

- Je dois pouvoir vous emmener au bon département, si les bâtiments n’ont pas changé. »

Tuddrussel et Larry regardèrent les deux enfants prendre la tête de la marche, ils se sentaient complètement inutiles. Ils étaient déjà contrariés par la présence d’Ann, mais cette impression d’être totalement superflus ne fit qu’amplifier leur animosité. Ils avançaient d’un pas lourd et mécontent en suivant leur guide du jour.

Même en tenant compte du voyage dans le temps, le décor du laboratoire de biochimie de l’université paraissait totalement loufoque à Ann. Otto et Larry partageaient son point de vue, même Buck avec son quotient intellectuel de macaque se grattait l’arrière du crâne avec circonspection.

« T’es sûr qu’il n’est plus cassé ton bidule Larry ? » Finit par demander Tuddrussel.

Le quatuor croyait être revenu au Moyen-Age : les fioles alignées sur la paillasse carrelée étaient tarabiscotées dans tous les sens, une partie d’entre elles étaient reliées pour former un circuit de verre. Des liquides suspects, aux couleurs peu engageantes, étaient en train de bouillir dans des cuves en cuivre chauffées au charbon. Des lézards empaillés étaient suspendus au mur, plusieurs grimoires anciens écrits en latin étaient ouverts sur le bureau et il y avait même un pentacle runique griffonné au sol.

« Il est complètement fou ! Moi j’me tire !

- Ouais moi aussi ! »

La Time Squad fut bousculée par deux étudiants en blouse blanche se dirigeant vers la sortie. Otto les interpella.

« Attendez ! Nous cherchons Isaac Asimov, est-ce que vous…

- Ah ne parlez plus de lui hein ? Il est barge et stupide !

- Isaac Asimov, barge et stupide ? Répéta Ann incongrue. C’est l’un des auteurs les plus terre à terre et pragmatique du vingtième siècle.

- Mais où est-il ? Insista Larry auprès de l’étudiant.

- Au fond. Bon courage avec ce dingue ! »

Les trois humains et leur partenaire bionique avancèrent dans la direction indiquée par le déserteur. Au fond du laboratoire de l’étrange, un homme brun aux cheveux légèrement ondulés avec des lunettes aussi épaisses que celles d’Otto semblait afféré autour d’un appareil de distillation archaïque. Au lieu de sa blouse blanche, suspendue à un crochet de porte-manteau sur le mur, il portait une grande robe noire à broderies rouge et or comme celle d’un sorcier.

« Monsieur Asimov ? Fit timidement Otto.

- Vous êtes les nouveaux étudiants ?

- Euh, non Monsieur Asimov.

- Nous sommes la Time Squad, police du temps, intervint Tuddrussel en montrant sa plaque.

- Oh vous venez du futur ? Chantonna joyeusement le scientifique comme si tout cela lui paraissait normal. Cela signifie que mes travaux vont porter leurs fruits !

- Oui c’est le cas, mais ce ne sont pas vos travaux sur la biochimie qui auront le plus d’impact.

- J’ai renoncé à la biochimie, je me suis lancé dans l’alchimie.

- Mais enfin vous êtes un homme de science ! S’exclama Ann qui était pour l’instant restée en retrait. Vous savez bien que l’alchimie n’a aucun fondement scientifique ! C’est un truc de charlatan.

- Précisément ! Aucun vrai scientifique ne s’est jamais essayé à l’alchimie, voilà pourquoi aucune expérience n’a jamais fonctionné, mais moi j’y arriverai.

- Je ne vous suis pas.

- En utilisant toutes mes connaissances scientifiques, je vais transformer le plomb en or, le rêve ultime de tous les alchimistes !

- Pourquoi vous voulez transformer le plomb en or ? Demanda Otto circonspect.

- Tu as une idée de ce que ça gagne un enseignant ?

- Mais l’argent ce n’est pas important par rapport à toute la connaissance que vous pouvez apporter à l’humanité !

- C’est drôle ça, dans la bouche d’un enfant nourri, logé et blanchi gratuitement. »

Otto fronça les sourcils, avant d’être recueilli par la Time Squad il avait vécu toute son enfance dans un orphelinat sordide. Malgré ces conditions spartiates, l’amour lui manquait plus que l’argent à l’époque.

« Et vous comptez y arriver avec ça ? Intervint Ann en pointant un doigt sceptique vers l’appareillage archaïque aux fioles multicolores. C’est complètement idiot. Il vous faudrait un accélérateur de particules pour commencer. Ça va couter une fortune et consommer beaucoup trop d’énergie.

- Je vois que j’ai affaire à une connaisseuse ! »

Isaac Asimov bouscula Buck et Larry pour se ruer sur Ann et l’assommer avec son discours d’alchimiste farfelu.

« Je pensais opérer avec du mercure pour commencer, mais l’université refuse de financer mon expérience, ces rats !

- Et vous ne vous intéressez pas à la robotique ?

- C’est hors de mon champ de compétence.

- Vous vous sous-estimez ! »

Ann se précipita sur Larry.

« Regardez cette merveille splendide de la technologie, elle ne vous inspire pas ? » Demanda-t-elle d’une voix tentatrice en désignant l’androïde à deux mains comme une présentatrice de téléachat.

Larry 3000 replia vers lui sa main dans un geste flatté, elle venait vraiment de l’appeler merveille splendide de la technologie ? En une seconde, il oublia le coup de la boîte de conserve et tout le reste, il se sentait émoustillé, ce compliment le comblait de joie. L’émoi d’Isaac Asimov était beaucoup plus léger.

« Ça me paraît surtout dangereux. Vous ne pensez pas qu’un jour ces machines se révolteront et remplaceront les humains ?

- Si seulement… Murmura Larry dans un petit soupir rêveur recouvert par la voix d’Ann.

- Non : c’est précisément pour ça que les trois lois de la robotique ont été conçues. »

Isaac cligna des yeux.

« Les trois lois de la robotique ?

- Oui ! Répondit Ann avant d’énoncer les dites lois. Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, y compris par son inaction face au danger. Un robot doit obéir aux ordres donnés par les êtres humains, sauf si ces ordres entrent en contradiction avec la première loi. Et un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'entre pas en contradiction avec les deux autres lois. »

Asimov semblait réfléchir, la main posée sur son menton.

« C’est conceptuel… »

Pendant qu’Ann tentait de convaincre Isaac Asimov, Otto furetait dans le laboratoire à la recherche de quelque chose leur permettant de reprendre la main sur le destin et l’Histoire. Il ouvrit plusieurs tiroirs et placards. Au bout du cinquième essai, une pile de manuscrits dactylographiés se déversa du placard ouvert pour ensevelir le petit Otto. Le garçon s’extirpa au mieux de cette avalanche de papier et se saisit d’un feuillet pour regarder le titre de la première page : The Kite That Won the Revolution.

« Eh c’est quoi ça ? Demanda Otto.

- Oh ça, rien. Ce n’est qu’un petit mémoire de rien du tout que j’ai écrit quand…

- C’est une biographie de Benjamin Franklin ! S’extasia le petit garçon. Et là c’est un livre sur les Romains et il y en a un autre sur les Grecs !

- Veux-tu bien remettre ça où tu l’as trouvé ? S’agaça Asimov.

- Vous avez écrit des tas de livres de vulgarisation de science et d’histoire, pourquoi ne pas les publier ?

- A quoi bon ? Soupira Asimov.

- Pour inspirer les enfants comme nous ! Renchérit Ann en désignant Otto du doigt avant de se pointer elle-même. Avec vos ouvrages de vulgarisation scientifique, vous donneriez envie à des milliers d’enfants de faire de la science et de devenir vos étudiants. Peut-être qu’un jour l’un d’entre eux trouvera un moyen de transformer le plomb en or.

- Eh mais oui ! Bravo ! C’est une idée de génie ! S’écria Isaac avant d’être encore interrompu par Otto.

- Et ça c’est une lettre de relance d’un certain John W. Campbell. De qui s’agit-il ?

- John est rédacteur en chef pour une revue de science-fiction. Il me harcèle depuis que j’ai publié une petite historiette dans son magazine.

- C’est l’occasion parfaite pour publier une de vos œuvres ! Vous n’avez pas besoin de transformer le plomb en or si vous devenez auteur à succès. C’est le gros avantage de la littérature sur l’histoire et la science : tout ce que vous inventez peut devenir réel, plus besoin de vérité ou de preuve. C’est ça la science-fiction. » Déclara Otto.

Isaac Asimov avait des étoiles dans les yeux en écoutant les deux enfants.

« C’est bon : vous m’avez convaincu ! J’appelle John de suite ! »

Otto regarda avec satisfaction Isaac jeter négligemment sa robe d’alchimiste sur le sol et attraper sa veste de costume pour filer hors du laboratoire. Puis, le petit garçon sur tourna vers son ami robot.

« Tu respectes vraiment les trois lois de la robotique ?

- Bien sûr ! Répliqua Larry d’une voix hautaine en plaquant sa main sur sa poitrine de métal.

- Pourtant je t’ai déjà vu faire du mal à Tuddrussel.

- Lui faire du mal ? Tuddrussel est ignare, brutal, vulgaire et violent, mais il reste un humain. Même s’il ne mérite pas mon respect, je le protègerai au péril de ma vie car telle est ma mission !

- Il fait toujours sa drama queen comme ça ? Susurra Ann à l’oreille d’Otto.

- Pour votre gouverne, mes chers enfants perdus du vingt-et-unième siècle, il existe une quatrième loi de la robotique.

- Vraiment ? S’étonna Otto.

- Un robot peut être doté de libre arbitre, mais doit faire passer l’intérêt de l’humanité avant le sien.

- C’est pour ça que tu nous obliges à manger des fibres et à changer de sous-vêtements ?

- Yeurk… Grimaça Ann.

- Le libre arbitre jeune homme est essentiel. Je peux évaluer les limites à ne pas dépasser avec Tuddrussel. Si je peux le faire, c’est que ce n’est pas nuisible, mais bénéfique pour lui et le reste de l’humanité. Chacune de mes remarques, même les plus acerbes, le pousse à se remettre en question et à s’améliorer.

- On ne doit pas parler du même Tuddrussel… Marmonna Otto plein de scepticisme.

- Enfin bref ! Mission accomplie, on peut rentrer à la maison ! » Chantonna l’androïde en pianotant joyeusement sur son bras.

L’humeur de Larry s’était grandement améliorée en quelques heures, le compliment d’Ann et sa rencontre avec Asimov avaient suffi à le réconforter. Buck, lui, boudait toujours. A peine rentrés au satellite, il commençait déjà à passer ses nerfs sur Larry. Ann suivit Otto hors de la salle de contrôle et posa gentiment sa main sur son épaule avec un joli sourire.

« Eh… Tu as été brillant Otto.

- Merci, répondit le gamin en rougissant de plaisir sous la flatterie. Toi aussi tu es du genre futé.

- Il paraît. »

Elle détourna les yeux et son sourire vacilla lorsque son regard se posa sur Larry et Buck en train de se disputer au bout du couloir.

« Par contre eux deux ils ne sont ni brillants, ni futés.

- Ils ne sont pas si mauvais que ça, tu verras. »


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