Le masque, l'art de cacher

Chapitre 4 : Test de confiance

3294 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 09/11/2016 02:39

 

« Quelque chose ne va pas ? », demande la pauvre fille qui n'a aucune idée à qui elle parle.

Il nous est bien clair que quelque chose ne va pas, depuis le moment où il s'est arrêté, comme à cours de piles.

Sûrement attend t-il patiemment que sont dîner lui vienne d'elle-même.

 

Nous nous approchons juste assez d'eux pour ensuite contourner le jeune homme et se tenir devant lui, en tentant de déceler une quelconque expression de son visage.

C'est bien comme s'il manquait d'énergie car il ne semble même pas en avoir suffisamment pour parler.

Elle arrive dans notre direction, et elle se place aussi devant lui.

Elle le regarde attentivement, on dirait qu'elle commence à s'agacer du silence qui commence à perdurer.

 

« J'ai faim », finit-il par dire, mécaniquement.

A ce moment, les battements de notre cœur frappent à la vitesse supérieure, tellement vite, tellement fort qu'il semble que notre cœur pourrait transpercer notre poitrine.

 

Nous le savons.

 

Il n'y a plus aucun doute, il en est bien une.

 

Et nous maudissons donc de toutes nos forces notre incapacité à agir, car nous allons peut-être assister directement à un spectacle épouvantable.

 

Elle s'approche de lui un peu plus près, puis lorsqu'enfin moins d'un mètre ne les sépare, elle se met sur la pointe des pieds.

Elle tente d'observer ce qui se cache en-dessous de ces lunettes, sans perturber celui qui les porte.

Il recule d'un pas, secouant la tête et finit par dire :

« Qu'est-ce que tu fais ?

 

- Je voulais juste voir ce que cachaient ces lunettes mystérieuses. Lui répond t-elle en riant.

 

- Il faut demander avant…

 

- Peu importe ! Tu disais avoir faim ? On pourrait passer chez moi si tu veux.

 

- Je ne sais pas… Mais, tu as le temps d'écouter une histoire avant ?

 

- Si tu veux ! Répond la jeune fille, sans le moindre soupçon.

 

- Imagine… un homme avare qui ne peut absolument pas vivre sans argent.

 

- J'en connaissais un… Dit Mae en riant.

 

- Bien… Disons que l'argent pour lui est une addiction, et tellement il ne peut pas s'en passer, il va exploiter des pauvres gens pour récolter plus de fonds dans son entreprise.

 

- C'est classique comme histoire.

 

- En effet, mais attends la suite. Remarque t-il tout en réajustant ses lunettes.

 

- Vas y… Dit Mae, tout en croisant les bras.

 

-Il les exploite tellement qu'on pourrait même dire qu'il les mange pour assouvir ses besoins… Il ronge toute l'énergie de ses ouvriers au travail.

 

- C'est le principe de ce genre d'homme. Réplique t-elle en se frottant les mains qui commencent à geler par cette nuit d'Hiver.

 

- Les remarques après…

 

- Oui d'accord… Répond t-elle, un peu gênée.

Reprends, alors ce sale type exploite des gens jusqu'à presque les tuer et ?

 

- Et bien, ce salaud a peur que ses ouvriers le dénoncent.

 

- C'est un peu normal… Remarque Mae.

 

- Oui, mais ce n'est pas tout. Cet homme a aussi besoin de tout cet argent pour financer sa femme.

Disons que… sa femme est une croqueuse de diamants. Il l'aime à en mourir et si elle le quitte, il mourra sûrement.

Tu comprends ?

 

- Ouais, jusques là ça va… Répond t-elle, concentrée.

Donc, cet homme n'est pas si mauvais au fond, c'est ça que tu veux dire ?

 

- Je ne sais pas… Mais, je récapitule, cet homme aime beaucoup l'argent mais il en a surtout besoin pour sa femme, car sans elle, il mourrait. Et pour ça, il va jusqu'à exploiter des pauvres gens.

 

- Oui, ça, j'ai compris… Et où est la question ?

 

- Une question, une réponse claire et nette. Pigé ? Déclare le jeune homme l'air sérieux.

 

- Bien… Je promets de répondre comme il convient… Répond Mae, perturbée.

 

- Um…Prends en compte que cet homme ne peut pas faire autrement pour gagner de l'argent que d'exploiter ces ouvriers, et que s'il fait une exception pour l'un de ces ouvriers, l'ouvrier risquerait de le dénoncer à la police.

 

- Oui…

 

- Alors, imaginons… Imaginons que je sois cet homme avare et que toi, tu sois un de mes ouvriers, et que je t'ai épargné.

Me dénoncerais-tu ? »

 

A ce moment, son stratagème nous paraît claire comme de l'eau de source.

Nous avons décodé chacun de ses mots, et cela nous met d'autant plus en garde.

Tout dépend à présent de ce que Mae Lin répondra, si nous ne pouvons dire que c'est sa vie qui en dépend.

 

Elle recule de deux pas, soupire profondément, et pince le bout de son menton machinalement.

Peut-être est-ce là sa façon de réfléchir ?

 

Tandis que le jeune homme lui, semble espérer au plus profond de son être qu'elle n'ait rien intercepté du double-sens de son histoire.

Il semble préparé à la réponse de Mae.

Il sait ce qui suivra une mauvaise réponse.

Or le fait qu'il lui ait laissé une chance nous prouve d'une certaine façon les pensées enfouies de Mae.

Il ne semble pas être mauvais.

 

« Mais ça dépend d'encore une chose… Remarque Mae sur un ton réfléchi.

 

- Laquelle … ? Demande t-il alors.

 

- Et bien… Je le dénoncerais à coup sûr si…

 

- Si ? »

 

Notre sang ne fait qu'un tour.

Sa réponse a l'air de déplaire le prédateur tatoué.

 

Il se rapproche d'elle et empoigne fermement une des épaules de Mae Lin, tout en la fixant intensément du regard.

« Si je ne savais pas la vraie raison pour laquelle tu exploiterais les autres ouvriers jusqu'à l'épuisement total. Déclare Mae sérieusement.

 

- Et si tu le savais ?

 

- Si je le savais, je ne te dénoncerais pas… Même si tu devrais en payer les conséquences, parce qu'on ne peut pas exploiter des gens juste pour entretenir une femme.

Mais à partir du moment où tu en mourrais toi aussi, d'un côté, j'aimerais bien me venger mais d'un autre, je ne voudrais pas avoir une mort sur la conscience. Plaisante alors Mae.

 

- Tu es un peu égoïste… Plaisante alors de même le jeune homme, tout en retirant sa main de l'épaule de son ancienne proie.

 

- Dis moi plutôt, j'espère que tu n'es pas réellement cet homme ?!

 

- Non, ne t'inquiètes pas… Rit alors le jeune homme.

Viens donc, il faudrait tout de même que tu rentres. »

 

Sur ces quelques mots, les battements cessent, et notre âme s'apaise soudainement.

Nous reprenons notre calme petit à petit, rassurés, tout en observant les deux jeunes personnes s'éloigner.

 

Le prédateur détourne Mae Lin, et contourne ce que nous avons cru être une impasse, car il guide à présent Mae dans une petite ruelle cachée par l'obscurité.

Nous interrompons notre séance de yoga pour les suivre.

 

Ils discutent en marchant, alors que cette ruelle prend fin.

Il tourne encore à gauche, une grande rue, plus propre, plus fréquentable.

Cela s'indique par un grand nombre de voitures garées au bord du trottoir. Or cela est aussi du au fait que cette rue est beaucoup plus large et détient la place nécessaire pour se garer.

Enfin, la place nécessaire…

Il n'y a pas de place à Tokyo, ne l'oublions pas.

Juste assez de place pour se garer, mais la rue est en fait bien remplie de voitures, longeant les divers appartements.

Des appartements qui semblent être habités par des gens de classe moyenne ou juste convenable, à en juger par leur état.

 

Occupés à observer le paysage, nous en oublions presque l'existence de nos deux amis, et nous remarquons alors qu'ils s'installent tous deux dans la voiture.

Sa voiture a l'air plutôt couteuse, et contraste un peu avec les autres.

Nous nous y installons de même, en occupant les places à l'arrière.

C'est une voiture japonaise, évidemment.

« C'est une Honda ?

 

- Ouais… C'est assez confortable, tu trouves pas ?

 

- Oui ! J'aime beaucoup les Honda, j'aimerai bien en avoir plus tard !

 

- C'est vrai ? Tu n'as pas encore ton permis ? Demande t-il tout en démarrant la voiture.

 

- Non… Trop occupée à étudier… Boude Mae, en appuyant la tête contre la fenêtre.

 

- Les études, c'est vrai haha… », se moque alors le jeune homme.

 

Il démarre, et n'a aucun mal à se dégager de cette rue.

Aurait-il une certaine expérience ?

 

Mae déverrouille son portable, il affiche maintenant vingt et une heures, et cinquante-trois minutes.

Elle le verrouille à nouveau.

 

Nous roulons à présent sur une grande route suspendue.

Nous roulons assez vite, en se mêlant à l'énorme flux de véhicules.

 

Au fur à mesure que nous avançons défilent de nombreux buildings, tous illuminés, parfois aussi des appartements moins hauts.

 

Un feu rouge, un grand passage piéton.

Toutes les voitures s'arrêtent, presque en même temps, en harmonie.

Le feu vert pour les piétons affiche son compte à rebours, ainsi la masse de population traverse, dans un sens, dans l'autre, d'un pas hâtif ou non.

 

« Tu ne mets pas de musique quand tu conduits toi ? Ou la radio, quelque chose de ce genre… Demande alors Mae pour briser le silence.

 

- Parfois, mais jamais la radio.

 

- Pourquoi ? Redemande t-elle, comme pour passer le temps.

 

- Je n'aime pas écouter les infos, et je préfère mettre les musiques que j'aime. Répond t-il calmement en tapotant du doigt sur le volant.

 

- Ah… Mon père mettait toujours la radio…

 

- Il ne la met plus ? Lui demande t-il en dirigeant son regard vers Mae Lin.

 

- Il… Euh… On, on va dire ça, oui… Répond t-elle d'une voix tremblante alors que la voiture avance de nouveau.

Tu… Tu mets quel genre de musique ?

 

- Um… Tu veux que je te montre ? », lui répond t-il, comme pour détourner un point sensible.

 

Ainsi, à l'aide de sa main gauche, il cherche quelque chose dans la poche de sa veste tandis qu'il tient le volant de sa main droite.

Nous nous rappelons que le volant se situe à droite au japon.

Il sort alors une petite clef USB de sa poche et la branche au poste de sa voiture.

Mae, un peu alarmée, lui demande si elle ne peut pas lui prêter main forte. Le jeune homme refuse, et sa main gauche s'occupe de choisir un morceau.

 

Dans la nuit noire éclairée par lumières de la capitale, dans une voiture Honda de couleur noire, se fait donc entendre une musique folklorique, à l'air Punk/Rock, un peu jazzique.

Le chanteur de sa voix claire et légère fait durer les notes en prononçant les paroles d'une façon rythmée.

C'est un japonais un peu inarticulé parfois, un style de chant qui n'est pas inconnu à Mae.

« Ce ne serait pas le groupe connu de Visual Rock, The GazettE ?

 

- « Yeahhh… »

 

- Tu aimes bien ce groupe ?

 

- Plutôt oui. Répond t-il tout en se concentrant.

 

- Je me disais bien que tu as ce style un peu…

 

- Un peu quoi ? Demande t-il, curieux.

 

- Un peu particulier, je veux dire, avec tous ces tatouages et ces piercings, je me disais que tu étais peut-être de ces gars qui aiment bien le Visual Kei… Répond t-elle, tout en l'analysant.

 

- Ouais… On peut dire ça. Répond t-il en souriant.

J'aime bien écouter ce genre de chanson, mais mon style n'est pas Visual Kei.

 

- Bah… Si c'est pas Visu alors c'est quoi ? Gothique, Punk ? Demande Mae, perplexe.

 

 

- Haha… Mon style, c'est artistique. », répond t-il fièrement, affichant toujours ce petit sourire.

 

A ce moment même, la voix du chanteur s'accélère et de ce fait commence à chanter le jeune homme, tout en accélérant de même au volant, ce qui semble être le refrain :

« ただ あなたには ただ あなたには

Juste pour toi juste pour toi »

Alors, Mae se joint à lui :

« 秘め事一つさえしたくないけど

Je ne veux pas même un secret

わかって欲しい たった一度だけ

Ce n'est qu'une fois que je veux que tu saches

苦し紛れの嘘を目を瞑って 抱いて

Je tiens les mensonges du désespoir les yeux fermés … »

 

Nous commençons à reconnaître le lieu qui nous entoure, on dirait bien que nous sommes déjà dans le vingtième.

La voiture tourne et s'enfonce dans une rue plus étroite.

« Tu connais cette chanson ?

 

- Oui ! C'est « 生暖かい雨とざらついた情熱 ».

Je n'en ai pas l'air, mais j'aime bien aussi tout ce qui est de ce genre. Répond Mae timidement.

 

- Disons que ton apparence ne colle pas avec ce que t'écoutes.

 

- Bien sûr que si ! Rétorque alors Mae.

J'aime beaucoup Amuro Namie et …pleins d'autres !

 

- Ah…? Fait-il tout en tournant la tête, surpris.

 

- Quoi ?... Demande Mae en fronçant les sourcils.

 

Amuro Namie hein … Dit-il sur un ton moqueur.

Tu sais qu'il y a une dizaine d'années, on la voyait partout. Je le sais parce que j'étais gosse et même si je ne l'aimais pas forcément, j'étais obligé de la connaître.

 

- Comment ça ? Demande Mae en pouffant.

 

- Et bien, c'était une diva. On la voyait partout, elle passait tout le temps à la télé et sur tous les écrans de ville.

 

- Pourquoi tu dis ça ?

 

- Parce que c'est vrai. Dit-il en tournant le volant.

Mais après, elle a eu un enfant, et il y a eu d'autres histoires, alors elle a arrêté un moment.

 

- C'est vrai ? Comment tu sais ça ?

 

- Tout le monde le sait, ou presque. Et maintenant, c'est devenu un dinosaure, ta chanteuse.

 

- Hé ! Je t'interdis d'insulter mes bons goûts ! Rétorque t-elle en boudant.

 

- Je ne l'insulte pas. C'est juste qu'elle est oubliée, elle se fait vieille.

 

- Ah bon ? Et …Hamasaki Ayumi ?

 

- Hein ? Fait-il encore en se retournant avant de rire.

Alors elle, elle s'est complètement cassé la figure.

 

- Vraiment ? Pourtant… quand j'étais en France, pour eux, la chanteuse Japonaise à succès, c'était bien Hamasaki Ayumi

 

- Comme quoi, il y a des clichés des deux côtés.

J'ai aussi du Namiechan, si tu veux…

 

- Oh oui ! Jubile alors Mae.

 

-Ce sont des vieilles, je ne connais pas les nouvelles, elle chante toujours en anglais et je ne comprends pas. » dit-il en esquissant un petit sourire.

 

Alors à nouveau, de sa main gauche, manipule le poste et arrive à choisir un morceau de la fameuse Amuro Namie, « Dreaming I was dreaming ».

C'est sur cette chanson que se termine le « voyage ».

 

Nous sortons de la voiture en même temps que Mae.

 

Mae fait signe, et la vitre s'abaisse.

« Tu as toujours faim ? »

A travers la fenêtre entrouverte, nous apercevons clairement son visage dont les yeux sont toujours cachés par ces lunettes.

Il penche la tête d'un côté, lance un regard fixe, il semble hésiter.

Après quelques secondes de silence, il produit enfin quelques sons.

« Je n'ai plus trop faim finalement… »

 

Cette réponse nous laisse pensifs.

Pour la première fois, nous allons prendre une décision de nous même.

 

Mae recule alors, et s'abaisse, elle le remercie.

A notre grand dépourvu, elle demande si une autre rencontre est possible.

Il hésite encore.

Deux mots sortent de sa bouche percée, « peut-être ».

Sur-ce, Mae rentre dans l'appartement, monte les quelques escaliers et arrive chez elle.

 

Nous sommes encore dehors.

Nous voulons savoir.

Alors nous entreprenons enfin, juste pour une fois, de changer de sujet d'observation.

Alors nous embarquons de nouveau dans sa voiture, avant qu'elle ne démarre sans nous.

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