Le masque, l'art de cacher

Chapitre 8 : Un café remixé

3346 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/11/2016 22:30

Il cherche son mot à dire mais à l'instant ne trouve rien, alors il s'avance encore et se rapproche au plus près, jusqu'à que ce que la distance les séparant ne soit réduite qu'à quelques centimètres.

La jeune fille, un peu innocente, ne saisit pas le sens des expressions faciales de son soit disant « ami ».

Elle ne se doute pas vraiment de sa gêne ni de son incompréhension, si bien qu'elle laisse évacuer un petit rire, la tête penchée de côté et les mains jointes.

La goule la regarde, perplexe, et d'un geste nerveux passe la main dans ses cheveux noirs de jais. Nerveusement, cette main osseuse et tatouée parcoure son visage. Alors la fille s'assoit, et tente de comprendre la raison de l'agitation du jeune homme.

La tête maintenant posée entre ses mains, la goule se penche en arrière et émet un long soupir.

Alors la fille lève la tête et le questionne, car elle veut savoir ce qui l'irrite autant : « quelque chose ne va pas ? »

Les deux mains fines se tortillent et se resserrent, et sa voix résonne de la pièce jusqu'aux entrailles de la goule. Nous pouvons le dire car nous sommes à présent introduit en lui, ce genre comportement attise beaucoup notre attention.

Puis nous nous en évacuons, et nous nous asseyons à côté d'eux.

Une phrase s'échappe en fin de la bouche percée d'Uta, brisant le silence pesant qui venait de s'installer dans la boutique des masques.

« Pourquoi es-tu venue ? »

Mae sursaute au timbre de cette voix irritée, alors les doigts vernis rosés se tortillent davantage. Elle tremble un peu.

Nous ne savons pas si les frissons qui la parcourent résultent des courants d'air ou de l'atmosphère actuelle régnant dans la pièce.

Elle se décide à répondre, hésitante, se rendant finalement compte qu'elle s'était rendue dans sa boutique à l'improviste.

« Je…Je suis désolée. Je sais que ça ne se fait pas, j'aurais dû te prévenir avant de venir… Mais…mais j'avais envie de te revoir et…euh je…

- Arrête un peu de bavasser je te prie…C'est un peu usant. » –Dit-il de manière si froide que cela en glace nos propres oreilles.

Un sentiment rancunier s'émane en nous en voyant comment cette dernière phrase affecte Mae. Il nous semble à présent tellement moins commode !

« D'accord… Désolée… », répond la jeune fille dont le visage a cessé de rayonner.

La goule pousse un deuxième soupire et lève les yeux au ciel.

Il semble d'autant plus exaspéré.

« Je…Je ne voulais pas te vexer. –Dit-elle alors.

- Tu ne me vexes pas, je suis juste un peu fatigué. –Lui répond la goule en grimaçant.

- Ah…Je vois…

- Ne t'inquiètes pas, j'ai juste passé une journée assez mauvaise et épuisante.

- Je…Je vois. Désolée.

- Ne t'excuse pas, c'est aussi un peu usant… -Répond t-il avant de se lever.

- Où vas-tu ? »

Elle s'apprête à se lever mais dès lors, nous ressentons son corps frissonner, deux mains rigides et tatouées ont en effet saisi ses épaules. Uta la rassoit et lui dit : « Installe-toi. Je reviens, je vais te chercher quelque chose. »

La fille s'exécute et observe la goule disparaître derrière un imposant mur peint de noir. Il s'en est sans doute allé dans une autre pièce, pensons-nous donc, en espérant que celui-ci ne lui ramène pas quelque chose comme un morceau de chair humaine à manger.

Mae l'attend sagement assise sur le tabouret mais commence très rapidement à s'ennuyer, même si deux minutes viennent seulement de s'écouler. Elle se met à gesticuler, puis s'étire en poussant des petites plaintes, puis se lève et se rassoit à nouveau.

Elle se lève encore, refait son lacet et se rassoit.

Elle bascule son corps légèrement en arrière et examine la constitution ainsi que l'ensemble de la pièce : petite, sombre, étouffante, étrange... plafond et murs peints de noir, et le carrelage quadrillé, noir et blanc comme un échiquier.

Un bureau assez vieux est disposé à côté d'elle, une table de travail devant et un atelier tout au fond de la pièce.

Quelque chose attire soudainement son regard, au fond de la pièce.

C'est à côté de son atelier. Elle ne l'avait pas remarqué en arrivant car elle s'était trop obstinée à faire bonne impression devant Uta et à parler à l'autre dingue, celui à la chevelure violette.

La curiosité de la jeune fille nous gagne en même temps, comme si elle venait de nous contaminer, alors nous la suivons. Elle marche pour atteindre le fond de la salle, comme hypnotisée par cette exposition de choses étranges.

Ces choses étranges que sont en fait des bustes de mannequins alignés parallèlement entre eux. Deux, trois mannequins sont recouverts de draps blancs, fraîchement repassés. Tous ces mannequins portent des masques, tous fabriqués de la main de cette goule, tous d'un style différent, témoignant de l'étrangeté de celui-ci. Les murs du fond sont aussi parsemés de masques et d'autres sont exposés en vitrine.

Ses talons claquent sur le carrelage alors qu'elle se balade en examinant chacune des petites œuvres exposées ici même. L'admiration la prend, son regard s'intensifie et s'arrête sur chaque détail. Elle essaie de deviner le sens caché derrière l'apparence de chaque masque.« Oh », fait-elle en remarquant un masque qui semble bien lui plaire.

Elle s'abaisse et tapote toniquement la vitrine recouvrant l'objet. Il s'agit d'un masque bien particulier, particulier à ses yeux, car aux nôtres, tous ces masques font l'objet d'une particularité si singulière que cela nous en effraie. Pour nous, ces masques sont effectivement bien jolis et bien conçus, mais sont tous très étranges et si glauques qu'ils semblent tous manifester une forme de rancœur.

Elle s'agenouille devant la vitrine et esquisse un radieux sourire, « ce masque-là est si original, oh vraiment…C'est si beau ».

Nous n'y trouvons vraiment rien de plus original, franchement.

Puis, nous nous impatientons.

Cela fait déjà une bonne demi-heure que nous regardons Mae traînasser en attendant la goule, et cela nous use bien fort désormais.

A quoi donc joue t-il, c'est la question qui se répète sans cesse dans nos cervelets respectifs.

C'est pourquoi, nous détournons les talons assez rapidement et quittons la pièce d'un pas affirmé mais silencieux, car nous vous le rappelons, nous sommes des êtres partiellement inexistants dans ce monde.

Ainsi de l'autre côté du mur, nous pouvons finalement nous apercevoir du fiasco que la goule est en train de causer dans la « cuisine »…

La goule frotte et frotte énergiquement le parquet, et si nous focalisons notre regard au plus près, nous voyons qu'il s'extrait un liquide rouge et des bulles du torchon qu'il manipule.

C'est du sang.

Du sang, du sang, du sang !

Du sang du plan de travail au plancher !

Nous pensons donc :

« Mais pourquoi diable nettoie t-il du sang ? »

Puis aussi ironique que cela paraît, il se trouve que la réponse se situe sur le plan de travail. Une machine à café démantelée y traîne tandis que jonchent des débris de tasse à café sur le plancher.

Nous tentons d'examiner plus attentivement las scène du crime : du sang frais et coulant sur le plan de travail, sur le parquet et un peu dans l'évier. Les débris de tasses et la cafetière sont aussi tâchés de sang. Or il est impossible de déceler une quelconque morceau de chair humaine dans la cuisine, ce qui réfute l'hypothèse d'assassinat à la dernière minute.

Cela n'est pas logique, cela n'a pas de sens. Il aurait été assez logique d'avoir passé autant de temps dans la cuisine pour tuer un humain, mais les preuves inexistantes...

Notre regard se focalise à nouveau sur la jeune goule : elle s'emble s'alarmer de plus belle à frotter des tâches de sang qui refusent de partir. Il est de plus si nerveux qu'il se met à en geindre.

« Ah…Ca ne part pas ! Si…seulement…j'avais fais plus…attention… putain… »

Très vite, il ramasse les débris et les jette dans un sac poubelle qu'il fait disparaître avec le torchon. Il empoigne une éponge, et se met à nettoyer la cafetière énergiquement. Nous pouvons déceler l'aura de stress qui s'émane de lui et qui s'élève dans la cuisine. Nous n'aurions jamais cru qu'une goule puisse stresser…

« Qu'est-ce qu'il m'a pris de verser du sang dans la cafetière ? Franchement… », marmonne t-il donc.

A ces mots, la scène du crime se dévoile au grand jour dans nos esprits. Nous sommes maintenant en mesure de reconstituer ce qu'il s'est sans aucun doute produit les quarante dernières minutes.

Uta entre dans la cuisine vers seize heures trente-sept.

Il souhaite préparer une tasse de café pour l'étrange humaine qu'est Mae, ainsi prévoit-il de mettre la cafetière en route. Du frigidaire, il sort les deux bouteilles qui y étaient dissimulées et les dispose sur le plan de travail à côté de deux tasses à café.

Le crime débute à ce moment-même et se déroule par la suite, jusqu'au moment présent.

Seize heures trente-neuf et cinquante et une secondes : il sort le réservoir de la cafetière et prend une des deux bouteilles en main.

Seize heures quarante et dix-sept secondes : il vient de finir de remplir une des deux tasses de sang de l'une des deux bouteilles.

Seize heures quarante et quarante secondes : il oublie la seconde bouteille, et rempli le réservoir de la machine à café de sang avec la bouteille qu'il a gardé en main.

Seize heures quarante-deux : la machine à café est mise en marche.

Seize heures quarante-huit : le café est servi dans la seconde tasse, du moins ce qui est pour lui sensé être du café, or il est servi à la place un drôle de mélange.

Seize heures quarante-neuf : il goutte la « somptueuse mixture » dans la tasse numéro deux. Il manque de tout recracher.

Seize heures cinquante et une : après avoir finalement tout recraché dans l'évier, il se rend compte de sa bêtise. Il s'est trompé de bouteille. Il tente de nettoyer la machine à café et en jetant un coup d'œil furtif au cadrant, se rend compte de l'amont de temps écoulé dans la cuisine et deviens nerveux. D'un coup de coude, il bouscule sa tasse.

Seize heures cinquante-trois : la tasse tombe et se brise en morceaux sur le paquet, du sang coule et s'y éparpille.

Dix-sept heures cinq et trente-trois secondes : nous faisons irruption dans la cuisine et y surprenons Uta en flagrant délit.

Ainsi tout nous paraît plus clair, la fatigue était telle qu'il avait confondu les deux bouteilles. Et cette fatigue, nous avons la capacité de la ressentir, car nous pouvons, à souhait, respirer cette fumée invisible aux créatures vivant dans ce monde qui englobe les sentiments de chacun. Nous décidons donc d'en inspirer un peu plus en ce moment précis.

Il n'est pas question pour Uta de servir à cette humaine une tasse de sang remixé café. La raison semble évidente : c'était la première humaine à part Kaneki à ne s'être jamais introduite dans sa boutique. Et encore…Kaneki n'est plus vraiment humain alors que Mae est humaine à part entière… C'est ce qui le rend si nerveux.

Cela s'intensifie... Les sentiments de la goule sont assez confus car celle-ci ne sait pas vraiment comment se comporter...

Et de cette fumée regorgeant de sentiments...Plus on en respire, plus ils affluent en nous, accompagnés de ses souvenirs et de ses impressions.

Alors nous voyons.

En temps habituel, si un humain venait ici, en bon client ou en bonne entente, il les traitait comme il se devait et l'humain repartait vivant, et il les mangeait dans le cas contraire. Or jamais encore un humain ne s'était lié d'amitié avec lui, jamais un humain n'était entré dans cette boutique non pas pour ses masques mais pour le voir, lui. Pour finir, jamais un humain ni même une goule ne lui avait encore dit : « j'avais envie de te revoir ».

Quel est ce sentiment ? Il est si étrange, et si frustrant, il ne nous est incapable de le décrire alors que la fumée envahit nos poumons, car elle nous étouffe et cela nous frappe si fort de l'intérieur...

Une goule peut-elle être émue ?

Il est à présent dix-sept heures quinze, tout est nettoyé, et le café cent pourcent café est prêt à servir.

Uta vérifie l'heure, il grimace. Il semble quelques peu gêné de l'avoir fait attendre aussi longtemps à cause de ses bêtises.

Alors que la goule s'apprête à déposer les boissons sur la table, il remarque la disparition de l'humaine, et c'est le cadet de ses soucis. Il la cherche du regard et la voit au fond de la pièce.

Il ne tarde pas à la rejoindre et la surprend entrain d'admirer une de ses œuvres dans une position assez singulière : la jeune fille, les genoux posés au sol, la tête et les mains entièrement calqués contre la vitrine, est en train de fixer un masque.

« J'ai l'impression que celui-ci te plaît », dit la goule.

La jeune fille lève furtivement la tête et se retourne, interpellée. Une empreinte se démarque sur son visage, et cela suscite un éclat de rire chez le jeune homme.

« Tu as dû rester assez longtemps dans cette position pour avoir une telle trace !

- Hein ? Euh… Oui… Désolée, c'est que…Je trouve ce masque-ci très réussi. –Répond Mae.

- Moi aussi. Je suis assez satisfait de ce masque-là, pourtant le concept est très simple.

- Uuuum. Vraiment ? Je suis restée longtemps à me creuser la tête et je n'ai rien trouvé !

- C'est pas si compliqué tu sais…Il ne faut pas toujours trouver de signification derrière une œuvre d'art. –Déclare alors la goule.

- Ah bon ? Je ne savais pas… Après tout, je ne suis pas une artiste !

- C'est vrai… –Dit-il alors que la jeune fille se met à rire, ce masque a été fabriqué sur la commande d'un gars super fan des jeux de cartes. C'est juste pour cette raison qu'il a un design si étrange.

- Oh oh ! Franchement ! Ha ah…Tu… tu as vraiment des clients timbrés ! –Dit Mae entre deux rires.

Comme l'autre dingue de l'Europe-là… Ha ha ha…ha ! J'en peux plus… »

Par un début de soir d'hiver, dans la grande métropole internationale qu'est la ville de Tokyo, on peut remarquer dans le quartier de Shinjuku à quel point les gens sont pressés.

Les personnes traînassant dans ces quartiers viennent de tout milieu social et sont de toutes sortes. Mais peu d'entres eux considèrent et saisissent les instants tels qu'ils le sont vraiment, car ils sont trop pressés.

Un flux imposant de ces personnes-là circule en permanence à cette heure dans les rues, et comme tous les soirs à Shinjuku, ces rues s'animent jusques quatre heures du matin.

Certaines personnes s'en vont dans les magasins, obnubilées par les marques dernier cri, comme ces lycéennes à la sortie de l'école ou ces espèces de femmes bimbo obsédées par la mode.

D'autres filles, comme les GYARU, à cette heure-ci commencent à se bourrer la gueule dans les cybercafé. Des SALARY MEN les imitent sagement assis à la table voisine, si ce n'est pas pour entrer dans un quelconque Love hotel.

Or ce soir-là, on peut ressentir un peu de chaleur dans l'atmosphère stressante de Shinjuku, un peu de rouge dans la teinte grise qui se démarque dans ce flux population…

On peut l'apercevoir dans une des rues reculée de ce quartier de Tokyo, dans le sous-sol d'une petite boutique, où une goule et une humaine assis autour d'une table partagent ensemble un moment délectable.

Ces deux personnes, pourtant si différentes, semblent être ce soir les seules à profiter de chaque instant qui s'écoule en ce monde.

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