«Explique-moi la Vie.»

Chapitre 6 : Yuka

1624 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/11/2015 10:32

Avachie sur mon lit, abrutie au café froid, un bien piètre spectacle me dévoilait. Je ne comptais plus combien de canettes j'avais consommées, ni les meubles renversés. Aucune importance : mon esprit totalement occulté par un seul désir m'obnubilait. Ce désir ? C'était celui des représailles. Chaque millimètre de ma peau criait vengeance et mes poches Rc palpitaient. Ma cible ? Cet homme de 1m95, environs 90 kg avec la légère barbe. Age mûr.

 

Je n'avais alors strictement aucune idée de la manière de le débusquer. Mais peu m'importait, j'étais prête à patrouiller tous les jours, toutes les nuits, s'il le fallait.

 

En y repensant, ce fut une rencontre assez particulière, encore aujourd'hui je ne saurais la définir. Mais... Peut-être m'a-t-il fait changer. Pfff… Quel abruti.

 

Bref, demain je vais au lycée.

 

*****

 

Ce matin, c’était histoire puis physique-chimie. Durant tout le cours d’histoire, je fixais mon cher Ren -nom de code : Senpaï- qui se trouvait à deux places de moi… Au détriment de la dictée du prof. Me raidissant, je me suis alors rendue compte d’une chose grave : il donnait une feuille à une autre fille.

 

Ikuko croisa alors mon regard, et lui souffla :

« Hé, j’peux avoir une feuille moi aussi s’il te plait ? »

 

Il ouvrit ses grands yeux bleus -magnifique, et s’étonna :

« Mais, Ikuko… Tu viens de commencer ta feuille. »

 

Elle lui répondit en souriant :

« Mais nan ! C’est pour Yuka, elle vient de finir la sienne ! »

 

Ikuko lui prit la feuille des mains alors que je braquais mon regard sur la table, tout en rougissant fortement. Je n’aurais jamais pensé qu’une table pouvait être autant passionnante à fixer. Elle me passa la feuille que j’attrapa fébrilement malgré-moi, tout en articulant silencieusement : « Tu pourrais faire un effort, quand même Yuka. ».

 

A cet instant là, la prof d’histoire réclama le silence, et Ikuko se redressa sur sa chaise tout en faisant mine d’être passionnée par le cours. Elle était décidément incorrigible… Mais ! J’ai une feuille de Ren ! Cependant, je ne vais pas l’utiliser pour un cours quand même… Je ne sais même pas de quoi on parle, là.

 

Je pris donc très discrètement une autre feuille, afin d’essayer de saisir quelques mots de la mélasse incompréhensible qu’était ce cours. Histoire du Japon, Hiroshima, etc… J’avoue qu’avec les derniers évènements, y compris Ren, je peine trop à me concentrer…

 

Dix minutes plus tard, la cloche sonna : libération. Je saisis mon sac d’une seule main avant de foncer vers la sortie, talonnée par Ikuko. Pour ma part, je suis vraiment un cancre selon les périodes, tandis que ma chère amie obtient de bonnes notes en toute matière sans trop se fouler. Il faut dire qu’elle, elle ne se questionne pas le soir, avant de dormir si elle sera encore libre le lendemain. Elle ne doit certainement pas ressentir en permanence la peur d’être découverte, ni l’impression d’avoir le ventre vide à perpétuité. Elle en a de la chance, je trouve. J’aurais bien aimé être une vraie humaine, moi.

 

« Hé, tu veux un gâteau ? J’en ai deux ! »

M’interrompit Ikuko, en me saisissant par l’épaule.

 

Ho non, pas encore me dis-je… Puis le sourire éclatant d’Ikuko me toucha le cœur. Comme toujours. J’ai donc soupiré :

« Ouais aller passe, mais c’est juste pour te faire plaisir ! Je n’ai pas faim… Mais merci ! »

 

Prenant le petit gâteau –que semblaient tant affectionner les humains, entre mes mains, je l’ai porté à la bouche tout en me préparant au goût infect qu’il représentait pour nous, les goules. Décidément… Je ne pourrais jamais m’y habituer. La sensation de nausée m’envahit aussitôt, ainsi qu’un affreux mal de ventre. Il faudrait que j’aille aux toilettes…

 

La cloche sonna. Et zut. Tant pis je vais devoir me retenir. En plus c’est physique-chimie, la prof ne rate personne quoi. Retenant un juron, je me suis dirigée vers la salle de physique au côté d’Ikuko, qui répondait rapidement à un SMS. En effet, Madame Kurata nous attendait avec son éternelle règle dans la main.

 

J’avoue que je trouve cette prof originale. Elle n’est clairement pas japonaise, ayant les yeux verts clairs et les cheveux châtains, même si elle garde les yeux bridés. Plutôt d’origine scandinave, européenne je suppose… Car elle s’appelle Natalia, c’est un beau nom. Là-bas, il parait que les études sont bien moins sévères et bien plus faciles. Elle doit vraiment avoir l’âme d’une sadique pour devenir prof au Japon, croyez-moi.

 

Vu son nom, elle a du se marier avec un Japonais. Elle a peut-être des enfants. Je l’aime bien : elle est jolie et toujours emplie d’énergie. Cependant, elle est d’une sévérité et d’une rigueur hors normes… Ne serait-elle pas autant humaine qu’elle n’y parait ? Non, je ne parle pas de goules là, mais d’extra-terrestre.

 

Alors que je sortais distraitement mon classeur de physique, la prof m’appela ce qui me fit sursauter :

« Yuka ! As-tu justifié ton absence ? »

 

Oups… J’avais totalement oublié ce « léger » détail. Je me suis levée, tout en l’implorant du regard :

« Heu… Non, excusez-moi. Je le fais pour demain. Puis-je tout de même assister à votre cours, je vous prie ? »

 

Les règles de politesse ? Oui, on en mange tous les jours à nos petits déjeuners avec ces cours. Madame Kurata me jaugea pour ce qui me sembla une éternité, puis finalement lâcha :

« Ok, pour demain sans faute. Rasseyez-vous. »

 

Soulagée, je me suis rassise sans commentaires et en ignorant tous les chuchotements. Madame Kurata tapa violemment sur sa table à l’aide de sa règle, faisant sursauter toute l’assemblée. Le cours commença… Et je fis de mon mieux pour me concentrer, afin de ne pas culpabiliser. Je l’aimais bien cette prof quoi. Cependant mon regard ne cessait de glisser vers Ren, ce qui n’arrangea pas mon niveau de compréhension pitoyable en physique.

 

Finalement, la fin du cours arriva. Alors que je rangeais mes affaires, Madame Kurata s’approcha de moi et me dit d’un air grave :

« Yuka. Si tes absences sans raison valable persistent, j’appellerais tes parents. »

 

J’ai hoché la tête en silence, la gorge sèche. Elle parut très légèrement se radoucir, en m’annonçant :

« Mais si tu as des problèmes, tu as tes professeurs disponibles pour en parler. »

 

Je l’ai remercié à nouveau de la tête : elle est vraiment sympa cette prof. Cependant, je ne peux m’appuyer sur personne du fait de ma différence… Même si souvent j’en aurais bien besoin.

 

Sortant de la salle, je me suis soudainement rappelée d’un détail. Le numéro de téléphone de mes parents ? C’est un faux. Je vis seule depuis longtemps maintenant. Mais… Si Madame Kurata dit qu’elle songe à faire quelque chose sans fixer de dates définies, soyez-en sûrs qu’elle exécutera cette chose le soir même.

 

Natalia Kurata est vraiment d’une rigueur hors norme…

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