Le souvenir commence avec une cicatrice

Chapitre 1

2210 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 19/01/2019 19:18

« Bienvenue à Bon Temps ». C’est ce qui était inscrit sur le panneau à la peinture écaillée, après avoir dépassé Shreveport. Gwenn fut une fois de plus surprise de voir écrit en français sur le continent américain, même si c’était de la Louisiane qu’il s’agissait. Le front collé à la vitre du car, elle tentait de repérer l’endroit où elle devait descendre ­ profitant au passage de la vue ­, mais n’en savait en fait rien. C’était la première fois qu’elle venait dans le pays. Quand elle était montée dans le bus, environ une heure plus tôt, le chauffeur s’était proposé de lui indiquer son arrêt, mais Gwenn tenait tout de même à se repérer. Être assise à l’avant était un avantage. Ce qui l’était moins, pensa la jeune fille, c’était la faim qui commençait à prendre le dessus, et l’estomac qui rouspétait pour avoir sa ration du midi, qui allait finalement devenir celle du goûter étant donné qu’il n’était pas loin de quinze heures.

— Mademoiselle ?

— Oui ?

Gwenn avait machinalement répondu en français mais le chauffeur du bus ne fit pas la remarque, ayant lui‑même attiré son attention dans la langue de Molière. La jeune fille se leva péniblement, son sac à dos au bout du bras. Le conducteur ralentit pour finalement s’arrêter en lisière de forêt.

— Voilà, dit‑il en tendant son bras sur la droite. Le restaurant dont je vous ai parlé est à seulement quelques mètres, après le parking. On peut voir un peu de la devanture.

Gwenn ne prit pas la peine de vérifier. Elle le verrait bien une fois dehors. Elle remercia le chauffeur du bus de l’avoir aidée et sortit. La chaleur était presque étouffante et l’air humide lui rendit la peau collante.

Ça doit être dû aux marais.

Derrière elle, le car redémarra, emmenant les passagers restés à son bord. Gwenn ajusta son sac sur son dos puis avança d’un pas lourd de fatigue. Une semaine à passer de bus en bus, elle n’en pouvait presque plus et aurait dormi à même le sol si ça avait été possible. Quelques pas de plus et effectivement, le bar‑restaurant lui apparut : « Merlotte’s ­ Bar and Grill ». Il fallait savoir qu’il était là, se dit la jeune Française en entrant, remerciant mentalement la personne qui avait pensé à mettre la climatisation. Une jeune serveuse blonde guère plus grande qu’elle, mais qui paraissait un peu plus âgée, s’approcha avec un grand sourire fréquemment appelé « commercial » mais qui ne semblait pas hypocrite pour autant. Sur le pas de la porte, la nouvelle venue avait eu le temps d’entendre son prénom, Sookie.

— Bonjour, et bienvenue au Merlotte.

Gwenn manqua de répondre dans sa langue maternelle. Elle se rattrapa de peu.

— Merci.

— Vous voulez vous installer à une table ?

— Euh... Oui, je veux bien. Merci.

— Suivez‑moi.

Sookie emmena Gwenn sur la droite, dans un box. La jeune étrangère retira son sac de ses épaules et le posa sur la banquette, près de la fenêtre, puis s’installa avec un soupir de soulagement non dissimulé.

— Vous venez de loin ? demanda Sookie en lui donnant la carte des menus, essayant de garder son esprit fermé aux pensées des gens qui l’entouraient.

— Plutôt, oui, répondit Gwenn en se calant confortablement avant de saisir la carte. Je viens de Montréal.

— De... de Montréal ? s’étrangla Sookie. Au Canada ?

— Québec, corrigea machinalement Gwenn. Oui. En bus.

La serveuse s’assit en face de sa cliente.

— Mon Dieu... Ça devait être vraiment important pour vous de venir ici au point de faire le chemin par ce moyen‑là. Pourquoi ne pas avoir pris le train ou...

— Question de finances, répondit Gwenn, avec un haussement d’épaule. Je suis partie du jour au lendemain et les billets de train sont hors de prix.

— Ah ! oui, je vois.

Un homme au bar appela son employée sur un léger ton de reproche. Cette dernière se leva soufflant discrètement un « Il m’énerve. » puis dit à Gwenn qui repasserait prendre sa commande.

— OK.

En fait, la jeune fille savait ce dont elle avait envie mais rester un peu seule n’allait pas lui faire de mal. Maintenant qu’elle était arrivée en Louisiane, elle se demandait si elle n’avait pas fait une bêtise. L’impulsivité n’était pas son pire défaut, mais il tenait une place importante dans son caractère. Seulement là, elle devait bien reconnaître qu’elle avait fait fort. En regardant une vieille carte des États‑Unis pour se faire une idée de son trajet, elle en avait conclu qu’il lui faudrait passer par New York, la Pennsylvanie, l’Ohio, le Kentucky, le Tennessee, le Mississippi pour enfin arriver en Louisiane. Entre les changements de cars, le peu de repos qu’elle avait pris, les pauses repas... elle en avait eu pour une semaine de voyage. Effectivement, c’était vraiment important. Du moins pour Gwenn, ça l’était. Sookie, qui revint prendre la commande de sa cliente, la sortit de sa rêverie, et s’en excusa.

— C’est rien. Je suis encore un peu décalée.

— C’est compréhensible, la rassura la serveuse. Vous avez choisi ?

— Euh, oui. Je pourrais avoir des œufs et du bacon, s’il vous plaît ?

— Bien sûr.

Sookie nota la commande sur un petit calepin.

— Et vous voulez boire... ?

— Du lait, je veux bien.

— Très bien.

La jeune blonde s’éloigna vers les cuisines donner le repas commandé à Lafayette. Gwenn replongea dans ses pensées, le visage tourné vers l’extérieur mais le regard dans le vague. L’espace d’un instant, elle voulut se lever et partir, reprendre un car et foncer jusqu’au Québec pour essayer de continuer à vivre sa vie comme elle l’avait fait jusqu’à présent. Jusqu’au jour, en fait, où elle avait trouvé cette chaîne avec ce pendentif. Gwenn le sortit de la poche de son jean et l’observa pour la énième fois. Il représentait une ancre, ou bien une espèce de marteau. Ça ressemblait à un bijou Celte ou Nordique. Si elle n’avait pas réussi à trouver son origine, Gwenn savait parfaitement de qui elle le tenait.

— Mademoiselle ?

Gwenn leva les yeux de son bijou pour les poser sur l’homme qu’elle avait aperçu au comptoir du bar.

— Bacon et œufs, c’est ça ?

— Ah ! oui, merci.

Tandis qu’il posait le plat encore fumant devant la nouvelle cliente, Sookie s’approcha pour dire à son patron qu’elle s’absentait.

— Je suis désolée, Sam, mais c’est vraiment important.

— C’est toujours important, avec toi, répliqua Sam.

Sookie s’excusa de nouveau puis s’éclipsa, gratifiant Gwenn d’un « Au revoir » aussi chaleureux que l’avait été son accueil. La jeune Française tiqua sur un détail dont elle fit part à Sam, quand il revint avec un grand verre de lait frais.

— Excusez‑moi, mais... comment elle sait que je m’appelle Gwenn ?

— Oh... Euh...

Sam hésita, gêné puis, après avoir jeté un regard circulaire dans le bar quasi-vide, il reprit :

— Vous pouvez garder un secret ?

— Oui, bien sûr.

Sam s’installa là où était Sookie quelques minutes plus tôt.

— En fait, elle est télépathe. Elle a dû deviner votre prénom grâce à son don.

— Ah, OK. Je vois.

Gwenn saisit sa fourchette, la chaîne toujours calée dans son autre main, pour crever les jaunes des œufs et les laisser couler sur les blancs, comme elle le faisait depuis toute petite.

— Je ne voudrais pas être indiscret, mais Gwenn... ce n’est pas un prénom courant, même par ici.

La Française leva le visage vers le jeune patron qui avait, trouva‑t‑elle, un visage bienveillant qui mettait en confiance.

— C’est breton, expliqua‑t‑elle. Je ne suis pas Bretonne mais mes parents aimaient tout ce qui était celtique.

— « Aimaient » ? releva Sam. Ils sont... ?

Gwenn hocha la tête, les lèvres serrées.

— Je suis désolé. Il y a longtemps ?

— Dix‑neuf ans.

Après un court silence, Gwenn reprit :

— Je n’avais que cinq ans, donc je ne me souviens pas beaucoup d’eux.

— C’était à vos parents ? demanda Sam en désignant le bijou en argent toujours dans la main de Gwenn qui demanda, à son tour, s’il était de la PJ.

— De la quoi ? demanda‑t‑il les sourcils froncés.

Gwenn eut un peu honte de rire de cette ignorance pourtant logique mais elle ne put s’en empêcher.

— Désolée. PJ signifie Police Judiciaire, c’est un service de police français.

— Oh !

Ce fut au tour de Sam de se mettre à rire.

— Non, je ne suis qu’un patron de bar. C’est que... c’est assez rare de voir des personnes étrangères à Bon Temps. Et c’est une petite ville, donc...

— Je plaisantais. Je comprends. Et pour vous répondre, non, ça n’appartient pas à mes parents. C’est à quelqu’un que je n’ai pas revu depuis des années. C’est d’ailleurs pour ça que je suis là. Mais je ne sais pas précisément où la trouver. Ou plutôt, où le trouver. Si ça se trouve, je suis venue pour rien.

— Qui est‑ce ? Peut‑être que je le connais.

Gwenn allait répondre mais une femme bien en chair appela Sam d’un ton plus qu’autoritaire.

— J’arrive, Maxine, j’arrive, soupira Sam en se levant.

— Wouah...

Gwenn rangea le bijou dans la poche de son pantalon.

— On voit de tout, ici, et on ne s’y habitue jamais vraiment. Si vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas.

Sam s’éloigna pour retourner au comptoir où s’impatientait Maxine Fortenberry – ce qui ne l’avait pas empêché de détailler la jeune étrangère comme si elle n’avait été qu’une vache dans une foire aux bestiaux. Gwenn prit sur elle pour faire comme si elle n’avait rien remarqué et entama son repas qui était, jugea‑t‑elle mentalement, vraiment délicieux. C’est la panse pleine qu’elle resongea au but de ce voyage. C’était risqué, c’était de la folie, mais c’était nécessaire.

Quand elle eut fini, Gwenn demanda l’addition à Sam qui passait près d’elle et en profita pour lui demander autre chose.

— Oui, quoi ? demanda‑t‑il en se penchant pour s’accouder sur la table.

— Est‑ce qu’il y aurait un vampire qui s’appelle Eric, dans le coin ? Si mes souvenirs sont bons, il est blond avec des yeux très clairs...

Sam se redressa, l’expression de son visage durcie à l’entente de ce prénom. Gwenn se sentit mal à l’aise et en regretta d’avoir posé la question, même si elle se doutait avoir visé juste.

— Venez avec moi.

La jeune se leva pour le suivre, empoignant d’abord son sac, puis ils passèrent devant les cuisines ­ où une forte odeur de chili monta aux narines de Gwenn ­ après quoi ils tournèrent sur la droite et entrèrent dans le bureau du jeune patron ­ qui se trouvait sur la gauche. Sam ferma la porte derrière eux et s’y cala. Gwenn resta face à lui, droite comme un « i ».

— Je sais que ce ne se sont pas mes affaires, mais... pourquoi voulez‑vous voir Eric ?

— J’ai quelque chose à lui rendre, et une autre à lui demander. Enfin, si c’est bien celui que je cherche.

— Des vampires comme vous me l’avez décrit, reprit Sam en se fourrant les mains dans les poches de son jean, je n’en connais pas d’autre à part lui, par ici. Il tient un bar à Shreveport, le Fangtasia. Mais bien entendu, c’est fermé la journée. Si vous voulez vraiment le voir, il faudra attendre la tombée de la nuit.

— Bon, répondit Gwenn d’une voix enjouée, j’ai plus qu’à trouver de quoi m’occuper, alors.

— Vous pouvez rester ici, si vous voulez. Je vous emmènerai au Fangtasia. C’est assez loin et...

— Vous n’avez pas l’air très confiant, devina sans mal Gwenn.

Sam eut un petit rire sans joie.

— Effectivement, je ne fais pas confiance aux vampires. Je les tolère. Mais ça s’arrête là. Et, Eric n’est pas le plus tendre. Mais vous devez le savoir, si vous le connaissez un minimum.

Gwenn acquiesça, mais elle avait un doute là‑dessus.

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