Le souvenir commence avec une cicatrice

Chapitre 2

1441 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 19/01/2019 19:21

La nouvelle arrivée à Bon Temps passa finalement son après‑midi au lac non loin du Merlotte, où elle eut le temps de lire deux des livres qu'elle avait fourré dans son sac en partant et dont elle avait raffolé étant adolescente. Gwenn avait tenu à sortir un peu malgré la chaleur. Elle avait passé des heures dans des bus à entendre des moteurs, de la musique trop forte et pas forcément agréable, des gens parler, râler, ronfler aussi... et avait besoin de calme. Le clapotis de l'eau contre les piliers en bois du ponton remplaçait la musique qu'elle avait pensé à mettre dans son baladeur mp3. En fait, les bruits de la nature, c'était encore mieux.

Le retour au restaurant se fit sur le tard. Sam (qui avait tenu absolument à l'accompagner) et Gwenn s'était mis d'accord pour aller au Fangtasia à la fermeture du Merlotte, aux alentours de minuit. L'intention avait été vraiment gentille, mais Gwenn s'en était sentie gênée.

Il y avait, logiquement, plus de monde que quelques heures plus tôt et, toutes les tables étant occupées, ce fut Arlene qui suggéra à la jeune étrangère d'aller s'installer au bar.

— Ce n’est pas l'endroit le plus confortable, mais comme il n'y a plus de places...

Son interlocutrice eut du mal à ne pas rire en voyant son comportement plus ou moins survolté.

— Ça ira très bien.

— OK. Je vous laisse vous installer. On est débordés ! conclut Arlene en faisant demi‑tour.

Gwenn se posa sur un tabouret en bout de bar. Sam, qui terminait de nettoyer des verres, échangea un regard amusé, suivi d'un :

— C'est Arlene. Elle est toujours comme ça.

Ne sachant quoi répondre, Gwenn se contenta d'acquiescer, avec un petit sourire.

— Comme tout à l'heure ? lui demanda le patron du Merlotte.

— Comme tout à l'heure.

— Ça marche.

Sam s'éclipsa pour faire passer la commande à Terry, qui était venu prendre son service entre‑temps. Gwenn sortit la chaine de sa poche pour la énième fois depuis qu'elle l'avait trouvée ­ ou plutôt retrouvée. Et plus elle l'observait, plus elle se demandait ce que ça allait lui apporter de savoir...

— Il a décidément l'air de vous intriguer ce bijou, lança Sam en le montrant vaguement du doigt.

— C'est le moins qu'on puisse dire, répondit Gwenn en le remettant à sa place.

Sam s'était retenu de lui demander si ça avait appartenu à Eric : il y avait trop d'oreilles qui trainaient dans le coin, et puis ça ne le regardait pas, même si ça ne serait pas partie d'une mauvaise intention. Cependant, il n'était pas dupe. Après avoir servi deux bières à des clients habitués du bar, il alla proposer à Gwenn de l'accompagner au bar des vampires quand elle aurait fini son repas, ce que la jeune fille refusa poliment.

— Je peux très bien attendre. C'est déjà gentil à vous de m'y accompagner.

— Il n'y a pas de soucis. Mangez tranquillement et on y va.

Sam ne laissa pas le temps à Gwenn le temps d'éventuellement refuser de nouveau pour aller continuer de servir des clients pour ou moins... exigeants. Et cette fois encore, ce fut Sookie qui servit la jeune Française.

— Apparemment vous aimez beaucoup ce plat, plaisanta la serveuse en déposant le plat.

— C'est maintenant que tu arrives ? gronda son patron, le regard sévère. Non mais tu as vu l'heure qu'il est ?

— Je suis désolée, Sam, j'avais une chose urgente à faire.

— Très bien. Alors maintenant que tu en as fini, ça ne te gênera pas de fermer le bar avec Tara ?

— Euh...

— Merci, trancha Sam.

— Qu'est‑ce qu'il a ? demanda Sookie à sa cliente quand son chef fut assez loin.

Gwenn ne voulait pas dire de quoi il s'agissait à voix haute, puis elle se souvint que Sookie était télépathe. Elle tenta le coup.

Vous m'entendez ?

La jeune blonde hocha la tête le plus discrètement possible, un peu étonnée qu'une personne qu'elle connaissait depuis l'après‑midi‑même savait ce qu'elle était. La serveuse se garda de lui demander qui lui avait dit. Ça n'avait pas d'importance, après tout.

Il y a un vampire que je dois aller voir à Shreveport. Sam veut m'y accompagner.

Sookie fronça les sourcils.

Il s'appelle Eric.

— Quoi ?

Sookie avait parlé un peu trop fort, ce qui ne manqua pas d'attirer l'attention de plusieurs personnes, dont certaines qui savaient le pouvoir qu'elle possédait et qui la croyaient folle. Celle qui allait vite devenir le nouveau sujet de conversation afficha un sourire facilement qualifiable de « niais » pour tenter de rattraper le coup puis se pencha vers Gwenn, la voix la plus basse possible.

— Mais enfin, pourquoi vous voulez aller le voir, lui ?

C'est personnel.

— Sookie, tu n’as pas du travail ?

— Ah ! Euh... Si. J'y vais. Pardon, Sam.

Gwenn mangea enfin, regardant sans trop la voir la télévision qui diffusait les infos. Elle eut un petit pincement au coeur quand le journal diffusa un reportage sur des soldats tués en Afghanistan. Elle réalisa alors que, même si elle aimait le Québec, la France commençait sérieusement à lui manquer. Et pourtant, elle n'avait pas que de bons souvenirs dans ce pays. Mais c'était le sien. Et voir des compatriotes morts dans une guerre qui n'était pas la leur la mettait hors d'elle ­ bien qu'elle intériorisait tout, comme elle le faisait depuis des années en ce qui concernait ses parents.

Gwenn avait été élevée par ses grands‑parents pendant un an, puis seulement par sa grand‑mère à la mort de son grand‑père. Après un échec scolaire qui aurait pu être évité à peu de choses, Gwenn avait fait plusieurs boulots plus ou moins stables. A la mort de sa grand‑mère, quelques mois plus tôt, elle avait décidé de quitter son pays natal pour aller en Amérique du Nord. En rangeant ses affaires, une fois sous son nouveau toit, qu'elle partageait avec une Mexicaine trentenaire, elle était tombée sur un bijou auquel elle n'avait même pas fait attention en faisant ses cartons pour son départ de France. Si elle n'avait pu oublier l'essentiel, là, tout lui était revenu, et lui avait pris l'envie de remonter le temps, à sa façon. Elle s'estimait aussi heureuse d'avoir visé juste, même si rien n'était encore sûr à cent pour cent.

Sam revint la voir, quand la dernière tranche de bacon eut disparu, pour lui demander si elle était prête. Gwenn régla ses deux repas, empoigna son sac et suivit le jeune patron à l'extérieur, jusqu'à une camionnette aux roues crottées. La nuit était tombée, et bien tombée. On pouvait entendre les grillons. Tous deux s'installèrent à l'avant. La jeune fille cala son sac à dos entre ses jambes avant d'attacher sa ceinture. Sam démarra puis gagna la route avec une allure raisonnable. Après seulement quelques mètres, Gwenn demanda :

— Comment il est ?

— Qui ?

— Eric.

Sam hésita longuement avant de répondre. Que pouvait‑il dire ? Il ne portait pas Eric dans son cœur, et c'était réciproque. Il tenta d'être objectif.

— Disons qu'il est spécial. Il ne cache pas que pour lui les humains ne sont que son repas, et quand il veut faire de l'humour, le moins qu'on puisse dire c'est qu'on en sait pas comment prendre ses allusions.

— A vous entendre il est tordu, ria Gwenn.

Sam sourit, répondant qu'à son sens, ça n'était pas loin d'être le cas, avant de continuer, plus sérieusement :

— S’il y a une chose que je dois bien lui reconnaître, par contre, c'est qu'avec lui, une parole est une parole. Je pense qu'il lui est déjà arrivé d'y faire une entorse, mais, pour autant que je sache, il tient ses engagements.

Cette phrase rassura quelque peu Gwenn qui avait toujours cette appréhension de revoir cet homme.

Le reste du trajet se déroula calmement, et quand Sam annonça, au bout de minutes interminables, à sa passagère qu'ils étaient arrivés, cette dernière ne broncha pas de son siège. Elle était impatiente mais aussi très effrayée. Sam le remarqua et lui proposa de faire demi—tour.

— Non. Je... j'angoisse un peu mais ça va aller.

Enfin, je crois.


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