La fille aux yeux rouges
Je m’appelle Lucy Stern et voici mon histoire.
Je vivais avec mon frère jumeau, Josh, dans un coin perdu de
Nous habitions dans une petite exploitation agricole à cinq kilomètres De la ville d’Arcadia. La ferme comprenait une maison d’habitation en bois blanc, deux hangars en taule ondulée et un enclos où autrefois quelques vaches paissaient.
La ferme était à l’abandon depuis que notre grand père était décédé. A l’époque, nous avions 12 ans et notre mère n’avait pas fait le moindre geste pour entretenir l’ensemble.
Ainsi les hangars et le matériel agricole qu’ils contenaient tombaient en ruine. La ferme nous appartenait puisque notre grand père nous l’avait légué mais nous ne pouvions en disposer qu’à nos 18 ans. Aussi quand nous prîmes réellement possession des lieux, en janvier dernier, soit 6 ans après la mort de notre grand-père, la rouille et l’usure avait endommagé tout ce qui avait eu une quelconque valeur.
Nous étions en terminale et puisque Josh était un élève brillant, nous envisagions de vendre ce matériel afin de payer en partie ses études à l’université. Mais nous constatâmes rapidement que nous ne pourrions rien espérer de ce côté là.
Nous vivions jusque-là des loyers que les fermiers du coin nous versaient pour exploiter nos terres. Durant notre minorité, notre mère avait utilisé cet argent pour boire et jouer. Mais lorsqu’en janvier nous avions soufflé nos 18 bougies, nous avions enfin pu toucher directement les sommes.
Je me souvenais d’avoir pleuré d’amertume lorsque nous avions découvert que si notre mère n’avait pas gaspillé cet argent, nous aurions pu aller tous les deux à l’université. Elle s’en fut, sans même un adieu, le matin de nos 18 ans, en volant au passage toutes nos économies. C’était arrivé en janvier, nous étions en mai et elle n’était toujours pas revenue. Il valait mieux pour elle d’ailleurs.
Après cela, nous avions épluché les papiers de notre grand père afin de mieux évaluer notre situation financière. C’est alors que nous avions découvert que notre cher papy avait un coffre dans une banque.
C’est le cœur battant que nous nous y étions présenté. Dans le coffre il y avait 15 000 $. Les économies de toute une vie. Ca ne suffisait pas à payer l’université mais c’était déjà en début.
Par la suite, la période des inscriptions dans les universités avait débutée. Pour ma part, je n’avais pas postulé. Je n’avais pas les moyens financiers et intellectuels pour entrer à l’université. Pour résumer, on pourrait dire que Joshua avait pris l’intelligence et moi, eh bien, le reste.
M. Stanley, notre professeur de mathématique, avait pris en affection Joshua. Il était réellement impressionné par ses capacités et souhaitait vraiment l’aider à s’en sortir. A deux, ils avaient effectué des tas de démarches afin d’obtenir une bourse pour mon frère. Et cela avait marché au delà de nos espérances. En mars dernier, Joshua avait été invité à passer quelques jours dans la prestigieuse université de Darthmouth dans le New Hampshire. Là-bas, on lui avait fait passer des tests et divers entretiens de motivations. Quelques semaines plus tard, la nouvelle était tombée. Joshua avait obtenu une bourse pour intégrer l’école de médecine de Darthmouth.
Je n’ai aucun souvenir de moments plus heureux que celui qui avait suivi l’ouverture de la lettre provenant du New Hampshire.
Nous attendions la fin de l’année scolaire avec une impatience croissante. J’avais eu l’idée de vendre la ferme afin de permettre à Joshua de se consacrer entièrement à ses études. Sans cet argent, il aurait été obligé de travailler en même temps. Joshua avait été difficile à convaincre. Il ne voulait pas m’obliger à partir de la maison. Mais je n’avais pas l’intention de rester moisir dans ce trou qu’était Arcadia. Moi aussi je désirais partir et découvrir le monde. J’avais projeté de m’installer à Boston avec la moitié de l’argent provenant de la vente de la ferme et d’y trouver un job.
La ville n’étant pas trop loin de l’université de Darthmouth, nous pourrions nous voir le week-end et pendant les vacances.
Tout s’était arrangé parfaitement. Jusqu’à l’accident.
Ce jour-là, le bus scolaire m’avait laissé à un kilomètre de la maison. Je marchais sur la route qui traversait la forêt en prenant soin de bien rester sur le bas côté car les voitures allaient très vite sur cette ligne droite. Je marchais tranquillement, sans me presser, les écouteurs de mon lecteur MP3 sur les oreilles. Je n’avais donc rien entendu lorsque le chauffeur d’un camion qui passait par là avait perdu le contrôle de son véhicule et avait foncé sur moi.
La musique se tut brutalement et tout devint noir.
Lorsque je revins à moi, il me fallut du temps pour rassembler mes esprits. J’étais sonnée et confuse.
Et J’avais froid. Je tentais de bouger mais mon corps demeurait immobile. Je me rendis compte que j’étais coincée sous quelque chose de très lourd. J’essayais de distinguer la chose mais ma vue était brouillée. Il me semblait que j’étais dans la forêt mais comme je n’arrivais pas à bouger la tête, je ne pouvais rien voir d’autres que des ombres qui ressemblaient à des troncs. J’entendais un bruit étrange. Je mis du temps à me rendre compte qu’il s’agissait du crépitement d’un feu.
La dernière chose dont je me souvenais c’était que je marchais sur la route. Le scénario se déroulait lentement dans ma tête tandis que mes idées s’éclaircissaient. Une voiture avait dû me percuter et, maintenant, je gisais par terre, paralysée.
Paralysée. La terrible vérité me parcourut tel un courant glacé. Il n’y avait rien sur moi qui m’empêchait de bouger. Mon corps ne répondait tout simplement plus. J’aurais du souffrir pourtant je ne ressentais rien. Pas de douleur. C’était comme si mon corps n’existait plus.
J’ordonnais mentalement à chacun de mes membres de bouger. Pendant Combien de temps je m’évertuais ainsi ? Je ne saurais le dire. Mais mes efforts furent vains. Au bout d’un moment, j’abandonnais.
Je comprenais qu’il n’y avait plus rien à faire. Ma colonne vertébrale était probablement brisée. Le choc avait du être très violent, les voitures allaient si vite sur cette route. Le désespoir m’envahit.
Je pensais à mon frère. Nous étions si proches, la nouvelle de mon accident l’anéantirait. Penser au mal que je lui faisais même involontairement me brisait le coeur. Si je mourrais, il serait tout seul.
Je détestais qu’il puisse souffrir par ma faute.
Une sorte de torpeur confortable commençait à m’envahir. Je savais ce que cela signifiait, si je fermais les yeux, je ne les rouvrirais probablement jamais.
Je m’enfonçais dans l’inconscience lorsque j’entendis un bruit étouffé près de moi. Je rouvris les yeux difficilement et les posaient sur un visage d’une blancheur diaphane.
Un autre blessé peut être.
Que faisait-il là ?
Il me regardait sans broncher. Il avait l’air calme. Etrangement calme. Quelque chose dans cet homme était bizarre. Il n’essayait même pas de me parler. Il se contentait de me contempler avec une drôle d’expression sur le visage.
Il n’avait pas l’air d’un sauveteur. D’ailleurs, il ne faisait rien pour m’aider. L’image de l’ange de la mort s’imposa à mon esprit.
_ « Je crains que tu n’en ai plus pour longtemps » me dit-il d’un voix presque chantante.
Le fait que ma fin approcha n’avait pas l’air de le perturber beaucoup.
Il me sourit.
_ « On dirait que j’arrive juste à temps. Tu es une sacrée veinarde ! Et moi aussi par la même occasion ! »
Je ne voyais pas en quoi ma situation actuelle pouvait lui laisser croire que j’étais une veinarde. Ca n’avait aucun sens. Personne ne dirait ça à une personne agonisante. Mais tout ça n’avait plus d’importance car je me sentais sombrer dans une obscurité chaude et accueillante.
J’étais bien. Je savais que j’étais en train de mourir mais je ne m’en souciais pas, je n’avais plus peur. Soudain , il me sembla entendre un murmure. Je m’enfonçais encore plus vers l’obscurité pour entendre. C’était une voix, une voix familière qui m’appelait. Grand père. Je me sentais entourée d’amour et de tendresse. Une clarté nouvelle émergea et m’engloba. J’allais m’y dissoudre quand je fus tirée en arrière violemment.
La lumière s’éteignit et une douleur fulgurante se répandit à travers de mon corps.
Je n’avais jamais ressenti de douleur aussi intense. Un feu incroyable me rongeait. Désormais, je sentais même la plus infime partie de mon corps. Je n’étais plus que souffrance et terreur. Je n’arrivais plus à réfléchir, à penser à autre chose qu’au feu qui me dévorait. J’étais terrifiée par une telle puissance et un tel déferlement d’horreur après avoir vécu ce moment de pur bien être.
Le brasier de l’accident m’avait-il atteint ? Il était maintenant clair que je ne survivrais pas longtemps à ça. A moins que je sois en enfer. Je hurlais. Ca ne me soulagea pas.
Je pensais à mon frère, je me raccrochais à son souvenir telle une moule à son rocher. Je me remémorais nos moments heureux pour tenter d’échapper à la douleur. La lettre de l’université de Dartmouth, ses victoires au Base-Ball. La lettre et le cri de joie. Son sourire quand il soulève la coupe. La lettre. Le rire.
C’était si loin. C’était comme l’écho d’une ancienne vie. Je me revoyais heureuse mais je n’arrivais plus à ressentir aucun bonheur. La douleur estompait tout.
Pendant ce qui me parut une éternité, le feu me brûla. Mon cœur battait la chamade. J’aurais voulu lui dire d’arrêter de se battre et de me laisser mourir. Mais il ne semblait pas vouloir cesser le combat. Je voulais que ça s’arrête, je voulais retourner auprès de grand père dans la clarté.
Peu à peu je me rendis compte que si l’incendie de l’accident m’avait atteinte, j’aurais dû succomber depuis bien longtemps. Or ça devait bien faire des heures, voir des jours, que je brûlais. J’en concluais que je devais être morte et que j’avais été envoyée en Enfer où je brûlais dans les feux éternels.
Qu’est-ce que j’avais fait pour mériter ça ? Je me remémorais toutes mes mauvaises actions. Je demandais pardon pour chacune d’entre elles. Pardon d’avoir tiré les cheveux à Lizzie Baker. Pardon d’avoir volé les billes de Jason Finnigan. Pardon d’avoir menti. Pardon.
Mais les bons sentiments ne menaient à rien. La douleur ne s’atténuait pas. C’était injuste. Quelqu’un avait dû se tromper. Je ne pouvais pas être vouée aux enfers, je n’avais jamais rien fait de mal. C’était l’homme étrange qui était responsable de ça. J’en étais sûre, maintenant. Il m’avait extirpé du ciel pour m’envoyer sur ce bûcher. Je le haïssais.
Je m’accrochais à cette haine pour éviter de sombrer dans la folie.
Tout d’un coup, je sentis une présence près de moi. Quelque chose de froid toucha ma joue mais ça ne me soulagea pas du feu. Quelqu’un s’était rendu compte de son erreur et était venu me sauver. Mon cœur se gonfla d’espoir.
_ « Je sais que c’est douloureux » me murmura une voix claire et chantante que je reconnus sans peine.
Un flot de rage m’envahit. Comme j’aurais voulu lui faire subir ce que je vivais en cet instant.
_ « Ca va passer » continua t-il « Tu es en train de te transformer. Bientôt, tu me remercieras pour le cadeau que je t’ai fait »
Que racontait-il ? Ca devait être un être démoniaque qui m’avait kidnappé. Je le haïssais d’autant plus. J’imaginais mille et une façons de le tuer. Ces pensées me soulageaient un peu, la haine balayait mes peurs.
J’ouvris les yeux. Le soleil était déjà haut dans le ciel et je pouvais apercevoir la ramure des arbres. Un doute gonfla ma poitrine. Etais-je toujours vivante ? Peut-être. Je ne pouvais pas bouger mais il me semblait entendre des bruits tout autour de moi. Les bruits de la forêt compris-je … mais à un volume si fort qu’il me semblait presque entendre la respiration des mulots.
Les heures passaient et la douleur était toujours plus forte. Mon cœur continuait de se battre et je ne pouvais m’empêcher d’avoir de l’admiration pour la résistance dont il faisait preuve.
Et puis, alors que je m’étais résignée à brûler dans les feux de l’enfer pour le reste de l’éternité, je me rendis compte que le feu ne brûlait plus mes orteils ni le bout de mes doigts. Il semblait même qu’il remontait tout doucement le long de mes membres. Et mieux encore, j’arrivais à sentir les parties de mon corps libérées du feu.
Je me mis à penser que j’allais peut être survivre. Mon cœur battait toujours avec vigueur. Mentalement, je l’encourageais. Le feu remontait vers lui inexorablement. Il était en train de gagner la bataille j’en étais sure. De plus en plus de parties de mon corps étaient libérées de la douleur. Bientôt, le feu ne ravageait plus que mon thorax.
Mon vaillant cœur battait de plus en plus vite. Tout le feu convergeait maintenant vers lui. C’était un assaut en règle. Les battements de mon cœur s’accéléraient encore. Soudain, le doute me rongea. Il avait été mis à dur épreuve ces derniers temps. Allait-il tenir le coup ?
Je compris alors qu’il allait finir par flancher. Aucun cœur ne pouvait survivre à un tel déferlement de violence. Quelques instants plus tard, il me donna raison. Il eut quelques soubresauts et il se tut à jamais.