La fille aux yeux rouges
Je rentrais au manoir les jambes flageolantes. J’étais encore sous le choc.
J’eus quand même la présence d’esprit d’éviter de rentrer par le hall d’entrée. Je bondis sur mon balcon et me réfugiais directement dans ma chambre.
J’ignorais si Edward était rentré ou pas. Si c’était le cas, il devait déjà savoir ce qu’il s’était passé entre Desmond et moi. Mon esprit se repassait en boucle le baiser. Je n’essayais même pas de penser à autre chose.
Il m’avait serré si fort contre lui que j’avais cru un instant sentir mon cœur battre à nouveau. En fait, il s’agissait du sien. C’était comme si nous avions eu un cœur pour deux.
Après notre baiser, il m’avait relâché et m’avait murmuré : « Maintenant, je peux mourir. » J’avais failli tomber à la renverse. D’où je venais, les hommes ne disaient pas ce genre de choses.
Je me dévêtis comme dans un rêve et pris une douche. J’avais espéré que cela me sortirait un peu de ma torpeur mais ce fut pire. L’eau chaude me rappelait l’étreinte brûlante de Desmond.
J’entendis frapper à ma porte. Je me dépêchais d’enfiler mon peignoir.
Qui que ce soit, la personne avait la décence d’attendre derrière la porte.
_ « J’arrive ! » lançais-je.
Quand j’ouvris la porte, le visage de marbre de Carlisle apparut.
_ « Pardonnes moi si je te dérange, j’ai entendu que tu étais rentrée … »
_ « Non, euh oui, que se passe-t-il ? »
Il avait l’air grave. Encore une mauvaise nouvelle, songeais-je.
_ « Je voulais juste te parler. Mais je peux revenir plus tard.»
_ «Non, non. Entres.»
Il entra dans ma chambre. Je récupérais deux trois fringues qui traînaient sur le fauteuil et l’invitait à y prendre place. Carlisle s’y installa avec une grâce indescriptible.
Il avait beau me dire le contraire, j’étais sûre que je ne me déplaçais pas de cette manière.
_ « Je voulais te parler d’Aro. » commença-t-il.
_ « Ah ! » fis-je.
Après les événements de la nuit, je l’avais complètement oublié. Redescendre sur terre me fit l’effet d’une chute brutale.
_ « Je le connais bien car j’ai vécu auprès des Volturis pendant plusieurs dizaines d’années. »
_ « Ah bon ? Pourtant ta philosophie de vie semble radicalement différente de la leur. » remarquais-je.
_ « Oui, c’est pour cette raison que j’ai quitté leur clan. Leur mode de vie a fini par être intolérable pour moi. »
Je hochais la tête en signe de compréhension.
_ « Alice semble sûre que les Volturis vont nous aider avec les loups garous. Mais ce qu’elle n’arrive pas encore à entrevoir avoir certitude, c’est la réaction d’Aro face à notre famille. » reprit-il.
_ « Comment ça ? »
Il soupira.
_ « Eh bien, pour t’expliquer, il faut que je remonte le temps. Il y a quelques années, nous avons, en quelque sorte, défié l’autorité des Volturis. Tu connais la règle concernant les enfants vampires ? »
_ « C’est interdit. » acquiesçais-je.
_ « En effet. Lorsque Bella a eu sa fille, les Volturis ont cru que nous avions enfreint la règle. Ils sont alors venus nous punir. Mais nous étions innocents. Renesmée n’était pas un enfant transformé en vampire, elle était moitié vampire moitié humaine. Nous avons dû faire appel à tous nos amis et alliés. Car à la vérité les Volturis se fichaient pas mal de l’enfant vampire. Nous étions devenus simplement trop puissant au goût d’Aro. Il se servait de ce prétexte pour nous éliminer. Mais, avec nos alliés, nous étions effectivement plus puissants. Et Aro a dû faire marche arrière. »
_ « Il a dû être vexé. » soulignais-je.
_ « Plus que nous le soupçonnions. Les années qui suivirent, les clans qui nous avaient soutenus dans cet affrontement furent attaqués et tués par de mystérieux vampires. Nous avons perdu beaucoup d’amis. »
Son expression était la tristesse incarnée. Cela me fendit le cœur.
_ « Ils vous ont attaqués aussi ? »
_ « Non. Aro cherche à nous isoler avant de donner le coup de grâce. De plus, il sait qu’avec Alice et Edward, nous avons toujours un coup d’avance. »
_ « C’est vraiment horrible » fis-je littéralement dégoûtée.
_ « Ta présence parmi nous nous renforce. Il en sera extrêmement désappointé. Et encore plus si tu refuses ses propositions. »
_ «Alors je risque de vous mettre en danger » compris-je, atterrée.
Son visage se crispa.
_ « Tu ne pourras pas nous mettre plus en danger que nous ne le sommes déjà. » fit-il dans un sourire « Au contraire, c’est nous qui allons te mettre en danger. Personne ne sait comment Aro va réagir à l’annonce ta présence parmi nous. Pour ma part, je ne vois que deux possibilités : soit il ne fera rien n’osant pas s’attaquer à un clan qui risquerait de détruire le sien, soit il fera tout pour t’éliminer avant que tu ne maîtrise ton pouvoir. »
Je déglutis difficilement.
_ « Vous ne m’aviez pas dit ça quand vous m’avez proposé de faire appel aux Volturis. »
_ « Nous te protégerons, toi et les tiens. Pour ma part, je ne pense pas qu’Aro soit suffisamment fou pour s’attaquer à nous. »
_ « Mais ils vont venir ici. Ils vont voir que je ne maîtrise pas mon pouvoir ! » m’écriais-je, paniquée.
_ « Les Volturis observent avant de passer à l’attaque. Ils essaieront d’en apprendre le plus possible sur toi avant de décider quoi faire. Ils apprendront bien vite que ton pouvoir se déclenche à chaque fois que tu es menacée. A partir de là, ils réfléchiront à deux fois avant de s’en prendre à toi. »
_ « Mais et mon frère ? Et Desmond ? S’ils enquêtent sur moi ils vont découvrir leur existence ! »
_ « C’est pour cela que je suis venu te voir ce soir. Il va falloir que tu cesses d’aller à Hanover le temps que cette histoire soit terminée. »
_ « Oh ! » fis-je désappointée.
_ « Et nous allons aussi t’inventer une nouvelle histoire, sans frère jumeau ni petit ami loup-garou. » me dit-il avec un sourire en coin.
Je le regardais, les yeux ronds. Ma bouche s’ouvrit puis se referma sans qu’aucun son ne puisse sortir.
Il me jeta un coup d’œil et rigola.
_ « Je vais te laisser. Nous partons dans une heure. »
Il me laissa là, pantoise. Edward avait dû vendre la mèche. Il allait m’entendre, celui-là.
Je passais l’heure suivante à finir de me préparer et à rager contre Edward.
Enfin l’heure du départ sonna et je rejoignis les autres dans le hall d’entrée. Je vis le traître en premier, mais sa tête m’empêcha de me déchaîner mentalement sur lui. Il avait l’air malheureux comme les pierres.
Je décidais de remettre à plus tard le flot de reproche que j’avais à lui faire. Il me jeta un coup d’œil, soupira et sortit dehors.
Nous prîmes les deux berlines Mercedes. Je m’installais dans celle avec Carlisle, Esmée, Alice et Jasper. L’avion décollait de Boston, nous avions une longue route devant nous.
Même si le plan émanait d’Alice, je pouvais voir que l’idée d’envoyer son homme chez les Volturis l’angoissait terriblement.
Puisque nous avions plusieurs heures devant nous, j’en profitais pour interroger Carlisle.
_ « Il y a une chose que je ne comprends pas. » commençais-je. «Si nous représentons une menace pour les Volturis, pourquoi viendraient-ils nous aider ? »
_ « Pour plusieurs raisons, d’abord à cause de Caius, le frère d’Aro. Il éprouve une haine farouche envers les loups-garous. Quand il apprendra qu’une meute est en train de se former, il n’aura qu’une seule idée en tête : l’exterminer. Et Aro ne pourra pas ouvertement s’opposer à cela. Les loups-garous sont une menace bien plus sérieuse qu’une rivalité entre clan. »
_ « Et ensuite, à cause de toi. » poursuivit Alice. « Il ne résistera pas à l’idée d’envoyer des hommes à lui dans notre clan pour te rencontrer et se renseigner sur toi et ton pouvoir. La curiosité est un vilain défaut ! »
_ « Aro ne viendra donc pas lui même ? »
_ « C’est à envisager. » répondit Alice.
_ « Cela dit, s’il vient, tu ne dois pas le laisser te toucher, sous aucun prétexte. » rajouta Carlisle.
J’acquiesçais.
Le reste de la route se fit en silence. Nous atteignîmes l’aéroport de Boston en beaucoup moins longtemps que je ne l’avais escompté. Il faut dire que l’aiguille du compteur de vitesse n’était jamais descendue en dessous de 160 km/heure.
Au moment de l’embarquement, les adieux se firent sans trop d’effusion. Les regards échangés parlaient d’eux mêmes.
Je m’approchais de Bella.
_ « Ecoutes, tu peux encore renoncer. Je ne veux pas que tu prennes des risques pour moi... »
Elle me sourit avec douceur.
_ « J’ai beaucoup de raisons qui me poussent à faire ça. » me rassura-t-elle. «A la vérité, ma fille n’est pas en voyage de noces. Nous l’avons caché, elle et son compagnon, car nous craignions pour leurs vies. Je fais ça, entre autres, pour qu’elle puisse vivre en toute sécurité. »
La jeunesse apparente de Bella me faisait oublier qu’elle était mère.
Jasper et elle s’éloignèrent vers les portes d’embarquement en nous faisant un dernier signe de la main. Ma gorge se serra. Comment Bella, si frêle, pouvait se mesurer au terrifiant Aro ? Maintenant qu’ils s’éloignaient de nous je prenais la mesure du danger qu’ils encourraient.
Je récitais une prière dans ma tête pour qu’ils reviennent sain et sauf.
Notre Père, qui êtes aux cieux,
Préservez nous des ténèbres,
Protégez nos valeureux chevaliers,
Qui porte haut Vos couleurs vers le danger.
Mon dieu, bénissez-nous dans notre quête,
Accordez-nous Votre miséricorde,
Sur la terre comme dans les cieux.
Quand j’eus fini, ils avaient disparu. Je me retournais vers les autres et croisais le regard d’Edward, mélange de souffrance et de soulagement. Il passa son bras autour de mes épaules. Nous avions autant besoin de soutien l’un que l’autre.
Nous dirigeâmes vers le parking et nous reprîmes les voitures pour faire le trajet en sens inverse. Cette fois, je montais avec Emmett, Rosalie et Edward. Ce dernier avait pris le volant. J’étais assise sur le siège passager à l’avant et Rosalie et Emmett s’étaient installés à l’arrière.
Je réfléchissais à la situation. Je comprenais mieux l’attitude de Bella. Après des années à vivre dans la crainte de voir ceux qu’elle aimait disparaître, elle avait décidé de se battre. Elle avait pris son destin en main.
Et je devais faire pareil. Jusque là, je m’étais contentée de subir les événements qui m’arrivaient.
_ « Je veux apprendre à me battre. » lâchais-je dans la voiture.
_ « Nous t’apprendrons. » répondit Edward d’une voix neutre.
_ « Et il faut que j’arrive à maîtriser ce fichu pouvoir. »
_ « Eh bien, il était temps qu’elle se réveille ! » fit Rosalie sur un ton méprisant.
_ « Voyons, bébé, ne la décourages ! Elle aura besoin de tout son courage pour les séances que je lui prépare… »
Je me retournais vers lui, il me fit un clin d’œil. Même Rosalie souriait.