Horrortale : Pomme Pourrie

Chapitre 2 : L'ange déchu

2790 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 21/11/2020 10:25

Frisk courait. Il dévalait les pentes de la montagne aussi vite que ses jambes le lui permettaient, faisant fi des branches et des rochers qui le faisait tomber régulièrement. Il devait rejoindre le village le plus vite possible, trouver de l’aide et repartir aider les monstres. Il se sentait coupable d’être parti sans rien dire, sans prévenir au moins Sans ou Alphys, mais il n’avait pas vraiment eu le choix. A la fin de son combat contre Flowey, il avait compris qu’il ne pouvait pas revenir en arrière. Avec la mort d’Asgore, personne ne lui ferait confiance. Il devait prouver sa valeur par lui-même et aller chercher de l’aide.


Seul réconfort, il n’était pas tout seul. Pour passer la barrière, il avait absorbé l’âme du roi de la montagne. Effet indésirable de l’opération, Asgore pouvait désormais parler dans sa tête, juste comme Chara. Les deux “fantômes” fêtaient leurs retrouvailles, même si ce n’était sans doute pas de cette manière que le vieux monarque les avait imaginés. Frisk n’avait pas eu le temps de s’excuser pour ce qui était arrivé, mais il ne s’en inquiétait pas. Avec son aide, ils allaient pouvoir libérer les monstres, une bonne fois pour toutes !


Pourtant, lorsque la ville apparut dans son champ de vision, Frisk ralentit progressivement l’allure, alors qu’une angoisse sourde montait au plus profond de son âme. Il y avait quelque chose qu’il n’avait pas prévu dans son plan du dernier espoir : ici, parmi les humains, il n’était personne. Et même pire, il était un indésirable. Il s’arrêta aux abords de la forêt et resta un moment à observer. Il sentit une présence derrière lui et se retourna légèrement. Chara avait repris sa forme fantomatique, dans son éternel pull rayé de vert. Elle n’était plus seule. Asgore se trouvait là lui aussi, flottant à quelques centimètres au-dessus du vide.


— Pourquoi est-ce qu’on s’arrête ? demanda Chara. Il n’y a pas de temps à perdre, Frisk !

— Je sais… Mais… 


Il prit une inspiration.


— Ici, ce ne sont pas les Souterrains, Chara. Il y a une raison pour laquelle je suis parti me perdre sur le Mont Ebott. Et cette raison, c’est que je ne suis pas Frisk ici. A l’orphelinat, les nonnes ont toujours refusé que… Que je me fasse appeler comme ça. Et comme j’ai décidé de résister, ils ont dit que j’étais un cas irrécupérable et… Ils voulaient me sacrifier à leur dieu. Je me suis enfui la nuit où ils m’ont emprisonné et ensuite… La suite, tu la connais déjà.


Chara garda le silence et lui sourit doucement. Asgore, horrifié, resta lui aussi muet. Toujours perturbé par sa condition, il avait encore un peu de mal à accepter que Frisk ait été guidé par sa fille décédée pendant tout son voyage. Alors apprendre en plus ce que l’enfant avait vécu était un peu trop pour lui pour le moment. La petite fille s’approcha de lui et posa une main sur sa joue.


— Je sais ce que ça fait d’être différent parmi eux, répondit-elle d’une voix plus douce. Moi aussi, il y a une raison pour laquelle je suis montée sur cette montagne. Mais pour l’instant, ce qui importe, c’est que les autres comptent sur nous. Toriel, Papyrus, Undyne, Alphys… Et même ce foutu comédien et ses blagues moisies. On a déjà fait un long chemin tous les deux, tu dois réussir là où j’ai échoué. Sauve-les. Pour moi. Pour Papa.

— Elle a raison, intervint Asgore. Tu ne peux pas abandonner, Frisk. Tu es l’espoir de notre peuple.


Frisk se mordit la lèvre et hocha la tête. Chara avait raison. Ce n’était pas pour lui qu’il y allait. Après tout, s’il s’écoutait, il serait resté là-bas pour toujours, quitte à y rester coincé jusqu’à sa mort. Mais les monstres n’en pouvaient plus d’être enfermés, ils n’en pouvaient plus de subir leur quotidien et ne rêvaient plus que de liberté, encore plus depuis que l’enfant était entré dans leur vie. Le désir de ne pas les décevoir et de se battre pour une cause juste remplit son âme de détermination. Après un dernier regard pour la gigantesque montagne derrière lui, il s’engagea d’un pas hésitant dans la ville.


Celle-ci était terriblement figée. Après tout ce qu’il avait découvert sous Mont Ebott, les vieux bâtiments de béton lui parurent ternes, ennuyeux et tristes. Il était encore tôt, presque sept heures du matin, lui apprit l’horloge qui surmontait la mairie, et pourtant, le trafic était déjà important. Les voitures roulaient sans faire attention à lui, même si quelques regards curieux glissèrent dans sa direction. Il était vrai qu’il n’avait pas très fière allure. Son pantalon était déchiré au niveau des genoux, une manche de son pull pendait misérablement et il devait avoir de grosses poches de fatigue sous les yeux. Le voyage dans les Souterrains avait laissé quelques traces. Il erra sans but dans les rues de la ville pendant près de deux heures, sans savoir trop quoi faire, avant qu’une dame joufflue ne le remarque alors qu’il passait devant sa boulangerie.


— Bonjour, mon ange, dit-elle en s’accroupissant devant lui. J’ai vu que tu faisais le tour du pâté de maisons depuis un moment. Tu es perdu ? Où sont tes parents ?


Frisk baissa la tête. Chara l’encouragea vigoureusement derrière lui, mais ça ne changeait rien au problème. Comment amener la situation des monstres dans la conversation ? Il y a encore quelques jours, lui-même ne connaissait pas leur existence ! Il savait aussi qu’ici, l’imaginaire des enfants apparaissait comme une excentricité aux yeux des adultes. Personne ne le croirait. 


— Je… Je reviens de Mont Ebott, tenta-t-il maladroitement. Je suis tombé dans la montagne, et j’y ai rencontré des… des gens. Ils ont besoin d’aide, ils sont coincés, et ils m’ont envoyé pour que j’aille chercher de l’aide.


Ce n’était ni un mensonge, ni entièrement la vérité, mais il espéra que ce soit suffisant. Les yeux de la boulangère s’écarquillèrent de surprise. Elle se leva, hésita, puis retourna à l’intérieur de sa boutique. L’enfant lui emboita le pas avec détermination. Il le sentait : elle voulait l’aider. Il ne pouvait pas laisser passer cette chance. 


La boutique sentait le pain chaud et les bonbons. Son ventre gargouilla à la simple pensée qu’il n’avait pas mangé quelque chose de chaud depuis quelques temps maintenant. Il avait certes encore les spaghettis de Papyrus sur l’estomac, mais cela ne valait certainement pas un croissant chaud et une tasse de chocolat chaud. Son cœur se serra en apercevant dans la vitrine une tarte bien cuite qui lui rappela celle de Toriel. Savait-elle qu’il avait quitté les Souterrains ? Si Sans avait bien trouvé son message et ne lui en voulait pas trop d’être parti sans dire au revoir, il avait sans doute fait le nécessaire. Il avait bien essayé d’utiliser son téléphone pour appeler Papyrus en sortant de la montagne, mais le réseau avait été coupé net après le passage de la barrière magique.


La boulangère allait et venait dans la grande cuisine entrouverte, un téléphone à la main. Frisk ne comprit pas tout ce qu’elle dit, mais il réussit à capter l’essentiel : la police arrivait pour en savoir plus et le prendre en charge. Elle raccrocha et lui sourit pour le rassurer. Elle le fit rentrer dans la cuisine et lui donna un croissant pour le faire patienter. Enthousiaste, l’enfant croqua dedans avec soulagement, tentant d’ignorer le regard envieux de Chara et celui un peu trop insistant d’Asgore. Des clients se présentèrent à l’accueil et la dame le laissa seul quelques instants.


— C’est un bon début, l’encouragea Chara une fois qu’elle fut hors de vue. Je ne sais pas si la police pourra réellement nous aider, mais on peut toujours essayer.

— La police, est-ce l’équivalent de la garde royale ici ? demanda Asgore.

— Plus ou moins, répondit Frisk. Ils n’ont pas de lances comme Undyne.

— Et ils ne cherchent pas à tuer des enfants, railla son double fantomatique.

— Je vois.


Son visage s’étira d’un sourire coupable. Frisk lui aurait bien tapoté l’épaule en signe de soutien, mais tout comme ses mains transperçaient le corps de Chara, il en était de même pour le roi des Souterrains sous cette forme. Si seulement l’enfant avait réagi plus tôt, Flowey ne lui aurait pas fait de mal. Même s’il avait fait des choses condamnables, personne ne méritait de terminer de cette façon.


Une sirène à l’extérieur le sortit de ses pensées. La porte de la boulangerie s’ouvrit sur deux hommes aux cheveux grisonnants et au visage rigide. Le premier avait une moustache, le second une barbe. Frisk se sentit immédiatement intimidé par leur uniforme bleu nuit et l’arme attachée à leur ceinture. Il déglutit et se leva lorsqu’ils entrèrent dans la pièce. Mal à l’aise, il recula de quelques pas pour mettre un peu d’écart entre eux et lui. Il n’aimait pas beaucoup les agents de police. Ils lui rappelaient de mauvais souvenirs.


— C’est lui, précisa la boulangère comme si ce n’était pas assez évident. 


L’homme à la moustache s’approcha de l’enfant et s’accroupit devant lui. Il retira son chapeau et renifla bruyamment. Frisk n’osa pas relever la tête. L’homme le dévisageait de la tête au pied, comme s’il n’était qu’une vulgaire preuve.


— Bonjour, gamin. Je suis l’inspecteur Tyler Cassano, et lui c’est l’officier Frank Morris, mon collègue. Madame Howze nous a dit qu’elle t’a trouvé errant dans la rue et que tu avais l’air perdu. Comment tu t’appelles ?


L’enfant releva la tête vers lui. La première fois qu’il s’était retrouvé face à Flowey, dans les Souterrains, il n’avait ressenti aucune peur, seulement de la curiosité. Pourquoi un humain l’effrayait-il tant alors qu’il était “normal” ? La main fantomatique d’Asgore se posa sur son épaule pour lui donner le courage de parler. Il le fallait bien, après tout. Il prit une inspiration, rabattit une mèche de cheveux derrière son oreille et leva doucement les yeux vers le visage ridé de l’inspecteur.


— Je m’appelle Frisk, et j’ai besoin de votre aide.

— D’accord, Frisk. Comment est-ce que je peux t’aider ?

— Je… Je viens de Mont Ebott. Il y a quelques jours, je suis tombé dans la montagne. J’ai découvert que des… des gens y sont prisonniers. Ils ont été gentils avec moi, ils m’ont aidé à sortir. Mais je leur ai promis de les aider à sortir eux aussi.


Le policier derrière lui sortit un calepin et gribouilla quelques notes. Le visage de l’inspecteur Cassano se fit plus soucieux.


— Nous allons les aider, ne t’inquiète pas. Est-ce que ce sont des touristes ? Tu peux me dire combien ils étaient ?

— Ils sont beaucoup, au moins deux cents. Même plus, se corrigea-t-il suite à une remarque d’Asgore.

— Deux cents ? s’étonna l’officier. Tu es sûr que tu as bien compté ? Où sont-ils dans la montagne ? 

— Ils sont dans toute la montagne, ils habitent dans des villes. Mais si on passe par là où je suis sorti, il y aura quelqu’un pour prévenir les autres. Il y a Undyne, la chef de la garde royale, et aussi Sans peut-être. Ils sauront quoi faire.


Les sourcils broussailleux de l’homme se plissèrent, recouvrant presque ses yeux. Frisk comprit rapidement qu’il ne le croyait pas.


— D’accord, dit-il d’un ton plus incertain. Est-ce que tu peux me décrire ce… “Sans” ?


L’enfant réfléchit. Devait-il parler immédiatement d’à quoi ils ressemblaient ? Il se tourna légèrement vers Chara et Asgore. La petite fille se rongeait les ongles avec inquiétude. Asgore, lui, hocha de la tête pour l’encourager à en dire plus. Du moins, ce fut de cette façon qu’il interpréta.


— Sans est petit, mais un peu plus grand que moi. Il porte une veste bleue, un short de sport et des pantoufles roses. En moumoute. Il est gentil et il fait des blagues tout le temps. C’est lui qui m’a protégé pendant que je voyageais, parce que les autres n’aimaient pas beaucoup les humains avant que j’arrive. 

— Ils n’aimaient pas les humains ? répéta l’homme au visage de shar-peï. Comment ça ?

— Ils… Ils ne sont pas humains, avoua Frisk d’une petite voix. C’est le peuple des monstres. Ils sont coincés sous la montagne par une barrière magique. Il faut les aider, ils ont besoin d’aide.


L’inspecteur claqua de la langue, stupéfait par sa révélation. Mais ce n’était pas le claquement de langue de quelqu’un qui vient de découvrir un autre peuple sous la montagne, plutôt celui de quelqu’un à qui on a fait perdre du temps inutilement. Il se releva et dévisagea sévèrement Frisk. La mine de l’enfant se décomposa alors qu’il comprenait peu à peu qu’il ne le croyait pas. L’homme se tourna vers son collègue, qui lui adressa un signe de tête discret et un froncement de sourcils.


— Ecoute, Frisk, je pense que tu subis un contrechoc de ton expédition à la montagne. Tu t’es peut-être cogné la tête ou…

— Non ! s’emporta l’enfant. Vous devez me croire ! Ils attendent que je revienne, je ne peux pas les laisser tomber ! Vous devez les aider !

— Ça suffit ! le coupa Cassano d’un ton sec. Nous n’avons pas que ça à faire, gamin, et ton histoire est ridicule. Tu vas venir avec nous au poste et on va essayer de trouver tes parents.

— J’en… J’en ai pas, avoua-t-il d’une petite voix en détournant le regard.


L’homme se radoucit et posa une main sur son épaule.


— Ne t’inquiète pas, je connais un endroit où l’on va s’occuper de toi. Mais tu dois nous suivre. Oublie cette histoire de montagne, personne ne s’y rend depuis des dizaines d’années et ce n’est pas près de continuer.


Il lui prit la main. Frisk se dégagea d’un grand mouvement d’épaule. S’il ne voulait pas le croire, tant pis, il irait rejoindre les autres sous la montagne et trouver une solution. Il passa entre les jambes de l’inspecteur et se rua vers la porte. L’air frais emplit son âme de détermination et il courut vers le sud, droit vers la montagne. Des pas ne tardèrent à retentir derrière lui, de plus en plus proche. Il avait réussi à échapper à Undyne, ce n’était pas eux qui l’arrêteraient !


Il atteignait le bout de la rue, mais un passant, voyant que les policiers couraient après l’enfant, l’attrapa par réflexe par le pull. Déséquilibré, Frisk bascula en avant, ce qui permit aux deux vieux policiers de couvrir l’écart qu’il restait. L’inspecteur Cassano lui attrapa les deux bras avec vigueur. Frisk commença à se débattre en criant sa colère et en donnant coups de pied et coups de dents dans tout ce qu’il pouvait. Malheureusement, face au poids et à la force des deux officiers, il ne put rien faire. En quelques secondes, il était jeté à l’arrière d’une voiture de police. Il eut beau crier, taper sur les vitres, hurler après Sans et Toriel… Personne ne vint.



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