Bienvenue à bord du Nautilus !

Chapitre 1 : Rencontre inattendue et premier vœu

2652 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 20/10/2025 15:01



« On dit si facilement: ‘‘la foi déplace des montagnes’’. On dit cela et vous le savez aussi. Eh bien, vous en êtes-vous déjà persuadés ? » (Bruno Gröning)






Août 1867, à bord du Nautilus, quelque part dans l’océan Atlantique.



Le Capitaine Nemo, un grand homme vers la quarantaine, à la peau pâle, aux yeux clairs et aux cheveux blond foncé, regarda la direction vers laquelle il dirigeait d’une main sûre son sous-marin. Il n’avait heurté aucune roche ni aucun poisson. Fier descendant de Polonais, desquels il avait hérité le courage quasi héroïque, il bombait son torse lorsqu’il effectuait une manœuvre complexe. Ce courage lui avait permis d’affronter les nombreux dangers sous-marins ; donné la force de lutter et de tenir tête à quiconque s’opposait à lui. S’opposer contre tous par haine pour l’espèce humaine. Il ne voulait plus avoir de contact avec l’humanité. C’étaient des méchants hommes qui, autrefois, avaient tué ce qui lui avait été le plus cher : sa famille, sa femme, ses enfants, ses parents, son frère et sa sœur. Le capitaine, qui était alors un comte polonais, avait pris la fuite et portait en son cœur cette terrible rancœur contre l’être humain. Ces hommes sans cœur avaient tué les siens et pillé ses biens. Et il ne leur pardonnait jamais. À son tour, il devait venger cette injustice. Œil pour œil, dent pour dent, voire même deux yeux pour un œil. Un point c’était tout. D’homme hospitalier qu’il était, le comte s’enferma dans un mutisme mystérieux, s’étant forgé un masque de froideur pour ne pas laisser paraître ses pensées. Il voulait passer pour le plus cruel des apatrides que la Terre avait vu.


Devenu ingénieur pour surmonter sa peine douloureuse, le comte polonais avait construit, avec l’aide d’autres ingénieurs de son coin natal et des environs, un sous-marin très révolutionnaire, qu’il baptisa Nautilus, en l’honneur du mollusque marin — auquel il voulait ressembler par le mystère et le silence. Voilà des années que le Capitaine Nemo et son équipage, composé de trois ingénieurs, de leurs épouses, d’un cuisinier — dans leur jargon, le coq — , d’un mousse et d’une bonne, exploraient toutes les eaux du globe.

Il y avait eu des mariages, au cours des différentes haltes pour approvisionner le sous-marin : le coq avec une Nymphe grecque ; le mousse avec une fée française ; la bonne avec un Djinn d’Arabie. À chaque mariage, le Capitaine officiait en tant que prêtre qui avait béni les unions selon le rituel catholique. D’ailleurs, il tenait un registre des mariages du Nautilus. Depuis un an, l’équipage accueillit le professeur Pierre Aronnax, son domestique Conseil et le harponneur canadien Ned Land. Ces trois hommes étaient des naufragés de l’Abraham Lincoln, un navire qui avait suivi de trop près leur sous-marin. Le Capitaine les retint prisonniers pour être certain qu’ils ne trahissent point le secret du mystérieux monstre marin recherché par tous les navires. Même ces nouveaux membres s’étaient mariés : le professeur avec une Naïade, Conseil avec une fée allemande et Ned Land avec une Néréide. Évidemment, des enfants s’y étaient ajoutés, égayant un peu les journées monotones à bord du sous-marin et augmentant la population. Et les enfants avaient été baptisés, inscrits dans le Registre des naissances du Nautilus, et ainsi officiellement reconnus par le Capitaine Nemo. Malheureusement, ces cris enfantins rappelaient douloureusement la perte des siens, de sorte qu’il demeurait plus dans sa cabine le temps qu’ils grandissaient pour pouvoir garder son sang-froid. 


En 1867, le Capitaine était le seul célibataire du submersible.



*****



Depuis un an, des frégates étaient à leurs trousses, mais la détermination du capitaine ne se laissait pas décourager par ses poursuivants. Évidemment, personne à bord ne connaissait les véritables motifs du mystérieux capitaine. Même les verres d’alcool n’avaient pas délié sa langue. Il refusait de dire la raison de ses voyages sous-marins. Par ailleurs, personne ne l’avait jamais vu ivre, de sorte que les autres membres pensaient que leur chef était plus résistant à l’alcool.



*****



Le Capitaine remarqua des bancs de poissons au loin. Bien que le Djinn pouvait faire apparaître tout ce que les membres de l’équipage désiraient, il ne fallait pas trop exagérer avec ses pouvoirs, car il ne réalisait que trois souhaits par jour. Et ce, il ne réalisait que des vœux pacifiques, de sorte que le chef du Nautilus abandonna depuis un certain temps de faire directement sa vengeance absolue contre l’humanité. Comme cette journée-là ils avaient dépensé les trois vœux, le Capitaine Nemo donna le signal de lancer les filets de pêche. Aussitôt dit, aussitôt fait, il tira les filets et vit parmi des poissons comestibles, un petit poisson doré. Il le prit délicatement entre ses mains et le déposa dans un petit aquarium sur une minuscule table en bois doré près de la barre.

Il pensa avec nostalgie il me semblait que le Poisson d’or n’était que dans les contes… Pourtant, il existe réellement… Ça me rappelle les contes que ma nourrice me lisait…


Un souvenir lui revint à la mémoire, celui d’une autre vie, quand il était un petit enfant insouciant, vie dans laquelle il avait un prénom et un nom ; vie dans laquelle il était un être humain.


Il est dans un salon richement décoré, assis sur un fauteuil. Il entend une jeune femme blonde aux yeux clairs, vêtue d’une ample robe bleu ciel ornée de la dentelle, parler en polonais d’un air énergétique, pleine de vie : « Il était une fois un pêcheur qui était très pauvre… »


Le Capitaine ne se souvint pas du tout des détails du conte, mais seulement du résumé : un pauvre pêcheur qui attrapa un jour un Poisson d’or qui réalisa trois vœux, puis qui disparut dans la rivière. Il se souvint de la formule pour l’invoquer : « Poisson d’or, viens à moi, la queue dans la mer, la tête tournée vers moi. »

Il se dit à lui-même Bizarre de rencontrer ce poisson légendaire, mais s’il peut m’aider, pourquoi pas faire appel à lui en dernier recours ?

Un large sourire illuminait son visage, tandis que ses yeux étincelaient de joie. Il ne se souvenait plus de la dernière fois où une telle émotion avait réchauffé son cœur glacé, lui qui avait cru ne plus jamais rire.

Enfin mon heure de gloire ! J’accomplirai ma vengeance ! Ô combien cruelle ! Puisque le Djinn est sélectif dans les vœux qu’il réalise ! Mon heure arrivera bientôt ! Pour tous ceux qui ne m’ont pas laissé en paix, je ne les laisserai pas en paix !

Le Poisson d’or était tranquille dans son bocal, comme n’importe quel poisson ordinaire.

Le quarantenaire regarda vers sa direction, soupira et pensa Et s’il ne s’agit pas du Poisson d’or des légendes de mon enfance ? Pourtant, il ne ressemble pas au Doré jaune… D’ailleurs, que viendrait faire un doré jaune dans l’océan Atlantique ? Il me semble que j’ai aperçu cette espèce de poissons dans le fleuve Saint-Laurent… Ou bien il ne serait pas par hasard un poisson rouge, qui vit plutôt dans les eaux douces d’Asie ?

Il s’approcha du bocal pour observer attentivement l’animal. Il comptait bien sur ses années d’exploration de la vie sous-marine — qui n’avait plus de secret pour lui — pour identifier le mystérieux poisson.

Pourtant, celui-là semble être trop petit pour être un poisson rouge… Je serais assez curieux de savoir s’il réalisera mes trois vœux… 

Le Capitaine s’éloigna du bocal pour ne pas effrayer l’animal. En revenant à la barre de son Nautilus, il pensa, perplexe, les yeux dans le vague, Et si ce n’est qu’un poisson ordinaire ? Ne nous réjouissons pas trop tôt… Laissons-nous le temps de comprendre… Dans tous les cas, il est des plus bizarres… À moins qu’il s’agit d’une nouvelle espèce ? 


Un cri paniqué le sortit de ses pensées : « Capitaine, on est attaqué ! »

Il reconnut immédiatement la voix du professeur Pierre Aronnax, tellement caractéristique avec son accent français.

Le Capitaine Nemo demanda d’un ton froid : « Qui ? »

— Une pieuvre géante ! hurla Conseil, en serrant fermement la main de sa femme.

Le professeur le corrigea sévèrement : 

— Un kraken !

Le Capitaine ordonna :

— Ne bougez pas ! Mettez les femmes et les enfants en sécurité !

— C’est fait ! dit le professeur.

Des cris de panique des enfants retentirent, ce qui brisa le cœur du célibataire, qui se dit à lui-même en polonais : Ne vous inquiétez pas, mes enfants, oncle Nemo arrive ! Aucun mal ne peut vous arriver tant que je suis vivant ! C’est ma promesse solennelle !

Il pensa tristement, la main gauche dans la poche de son pantalon d’uniforme, fermée en poing, si au moins j’ai échoué avec mes anges, je n’échouerai pas pour ces enfants dont j’en suis le parrain…


Le chef du Nautilus arrêta la marche du submersible pour rejoindre Conseil et le professeur Pierre Aronnax. Les deux hommes regardaient, les yeux agrandis d’effroi, vers le hublot, qui laissait voir une pieuvre géante agitant ses tentacules surdimensionnées vers eux. L’un des membres frappa violemment la vitre, faisant sursauter le Flamand, qui courut se cacher dans sa cabine. Le monstre frappa une autre fois la vitrine du Nautilus, qui demeura aussi immuable que son chef. 

Le professeur murmura :

— Il paraît agressif, Capitaine… Qu’est-ce qu’on peut faire contre un kraken enragé ?

— Pour l’instant, rien, répondit calmement l’interpellé sans sourciller.

— Faut-il appeler Monsieur Ned Land ?

— Non, laissez-le tranquille ! ordonna sèchement le Capitaine Nemo. 

Il fit un geste vers l’universitaire et ajouta : 

— Et vous, professeur Aronnax, ne bougez pas d’ici !

Et le Polonais ôta prestement sa casquette d’uniforme et revint dans sa cabine. Il s’approcha du bocal et murmura dans sa langue maternelle : « Poisson d’or, viens à moi, la queue dans la mer, la tête tournée vers moi. »

Peu après, le poisson sortit sa tête du bocal, sous le regard étonné de l’homme, et questionna dans la même langue : 

— Que puis-je faire pour vous ?

Les yeux écarquillés de surprise, le Capitaine Nemo balbutia, incrédule : 

— Un poisson qui parle ?... Ne serai-je pas plutôt en train de rêver ?

— Non, vous ne rêvez pas, répliqua son interlocuteur, sa nageoire droite appuyée sur le bord du bocal.

— Alors j’hallucine…

— Non plus… 

Le Capitaine Nemo pensa, encore plus perplexe de la tournure que prenaient les événements, est-ce le verre de vodka de tout à l’heure qui me cause une telle hallucination ?

Il prit sa bouteille d’alcool, qui se trouve dans le petit réfrigérateur de sa cabine. Ouf ! Elle est à trois quarts pleine. Rassuré, il revint vers le bocal, où le poisson tapa avec impatience sur le bord en criant en polonais : 

— Alors, Monsieur l’incrédule, dépêchez-vous de formuler un vœu ! Je ne peux pas rester longtemps à la surface !  

Le célibataire remit sa casquette d’uniforme pour reprendre son sérieux et dit :

— Je voudrais vaincre le kraken qui attaque mon sous-marin.

— Votre vœux sera exaucé à l’instant ! s’exclama son interlocuteur en plongeant dans l’aquarium.

Intrigué, l’homme suivit le poisson du regard. Il fit trois fois le tour du bocal puis, au milieu, agita sa nageoire droite comme s’il claquait des doigts.


Le Capitaine n’eut même pas le temps de dire un seul mot que le professeur cria d’un air enjoué : 

— Dieu soit loué ! Le kraken est parti !

— Sérieux ? questionna le Polonais, qui ne pouvait pas croire de ses oreilles.

Impossible, pensa-t-il, probablement qu’un requin l’a effrayé… À moins que Monsieur Ned Land l’a attaqué avec son redoutable harpon… Mais disparaître comme ça sans raison, ce serait trop incroyable et très peu probable…

— Venez voir par vous-même, Capitaine !

En se dirigeant vers la porte de sa cabine, il vit le Poisson d’or remonta à la surface de l’aquarium et cria :

— Monsieur, avant de formuler votre prochain vœu, n’oubliez de changer l’eau de mon aquarium ! Merci !

Et il replongea dans l’eau. 

Le Polonais pensa : La légende ne précise pas que le Poisson d’or était si exigeant ! Mais bon, je changerai son eau après avoir vérifié s’il a vraiment réalisé mon vœu…


Il rejoignit le professeur Pierre Aronnax, qui était près du hublot qui avait été attaqué par le monstre marin.

En faisant un geste des mains vers la vitre, l’universitaire s’exclama :

— Monsieur le Capitaine, le kraken a disparu comme cela !

Il fit un claquement de doigts et ajouta :

— Je vous le dis que tout s’est passé ainsi ! Au risque de faire un pléonasme, j’ai vu de mes yeux vu !

Le harponneur canadien accourut vers eux, haletant. Il balbutia, en promenant son regard du professeur au capitaine et inversement :

— Qu’est-ce qui se passe ? Y-est où, le monstre ?

— Il a simplement disparu, comme si une main invisible l'avait emporté, répondit Pierre Aronnax.

Nemo pensa, perplexe, ne serait-ce pas lié au claquement de doigt…ou plutôt, de… nageoire du poisson ? Ça semble concorder avec cet événement… Quelle coïncidence bizarre !... Donc il est vraiment le Poisson d’or légendaire ! Ou bien la vodka est trop forte ! Juste pour ça, je devrai prendre un verre de plus !

Il toussota, puis répondit :

— Êtes-vous certain, Monsieur le professeur, qu’une phoque, un cachalot ou un oiseau de mer n’aurait pas emporté le kraken ? À moins que ce ne soit un Poisson d’or qui l’a effrayé ?

L’interpellé haussa les épaules pour toute réponse en pensant que les hypothèses du phoque, du cachalot ou de l’oiseau de mer avaient du sens. Ce sont tous des prédateurs des pieuvres… Et le kraken est le cousin phylogénétiquement moins évolué de la pieuvre. De sorte qu’ils peuvent très bien avoir les mêmes prédateurs… Mais un Poisson d’or, ce serait très peu probable… Comment un si petit être puisse effrayer un géant ?

— L’important reprit le Capitaine d’un air sérieux, est que nous avons éviter un danger.

Il pensa, la mine assombrie, Zut ! Je me suis privé d’un nouvel exploit ! Sérieusement, je dois faire attention à ce que je désire…

— Exactement, approuvèrent à l’unisson Ned et Pierre.

— Puisque tout est tranquille, reprenons la route ! fit le Polonais. 




Les deux hommes s’éclipsèrent rapidement et le Capitaine Nemo revint à la barre. Avant de reprendre la route, il changea l’eau de l’aquarium du Poisson d’or, qui le remercia en agitant ses nageoires.


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