Le Sixième Elément

           CHAPITRE XXXI : LE POIDS DE L’EAU

           Le lendemain, les WITCH allèrent en cours mais le cœur n’y était pas. Irma n’était pas venue. Will s’inquiétait pour son amie mais aussi pour Eric qui n’était toujours pas revenu. Elle savait d’expérience qu’il pouvait passer plusieurs jours de suite à traquer sa proie sans se reposer. Cornelia était si inquiète pour Irma qu’elle n’entendit pas quand un professeur lui posa une question et se retrouva avec des devoirs supplémentaires.

           A la récréation de 10 heure, Taranee, qui se dirigeait vers la cour pour rejoindre les autres, entendit la voix d’Hay Lin. La chinoise parlait au téléphone.

« Il faut qu’on en parle, dit-elle… Je comprends mais… Non ne raccroche pas ! »

Taranee perçut un sanglot. Elle décida de signaler sa présence à son amie.

« Hay Lin, souffla t-elle. »

La gardienne de l’air avait les yeux rougis par la peine. Des perles de cristal ruisselaient sur ses joues d’albâtre. Elle sécha maladroitement ses larmes d’un revers de manches.

« Ça va, fit-elle. C’est cette histoire avec Hanabi et Irma, ça me fout les boules.

-Tu es sûre ? J’ai entendu la fin de ta conversation téléphonique et…

-Ça n’a rien à voir, coupa immédiatement Hay Lin. Ce n’est pas important. L’important pour le moment c’est de sauver Hanabi et de rassurer Irma.

-Comme tu voudras. Mais si tu as besoin de parler à quelqu’un, nous sommes toutes là. Ne l’oublie pas.

-Je sais. »

           Eric cherchait toujours des traces de Kazero. Il enrageait de ne rien trouver. Il voulait le trouver au plus vite pour le ramener à Irma. Il lui avait promis. La jeune gardienne de l’eau n’irait sûrement pas jusqu’à le tuer mais elle voulait voir à quoi ressemblait le bourreau de sa petite amie. Elle voulait peut-être même le voir mourir sous ses yeux. En attendant, Eric espérait qu’elle arriverait à ramener Irma parmi les conscients. Elle ne redeviendrait pas comme avant, mais elle serait là. Et il était sûr qu’avec Irma à ses côtés, elle remonterait la pente.

           Hanabi ignorait où elle se trouvait. Et pourtant, ce lieu lui semblait étrangement familier. Une forêt sombre où soufflait un vent glacial. Aucun astre ne pointait au travers des feuillages et pourtant, elle percevait le monde qui l’entourait comme par une nuit de pleine lune.

           Elle se mit à marcher. Elle savait où elle devait aller. Tout droit. Tout droit à travers la forêt. Sur ce sentier serpentant entre ces arbres qui la regardait de leurs auras vides. Elle crut les entendre murmurer dans le vent. Elle ne comprenait pas un traitre mot de ce qu’ils disaient. Elle les ignorait et continuait de marcher tout droit.

           La forêt s’ouvrit sur une clairière. La forme géométrique n’en était pas naturelle. Jamais clairière n’aurait été si ronde. En son centre, un petit temple de bois s’élevait. Deux statues représentant un lion et un dragon en gardaient l’entrée. Elle s’avança sans peur entre les deux gardiens. Elle ne s’arrêta que lorsqu’elle perçut une présence derrière elle. Elle se retourna vivement. Un homme en tenue de shinobi noire se dressait à l’orée de la forêt. Bien que ne pouvant l’identifié à cause du foulard qui lui masquait le visage, elle savait qu’elle le connaissait. L’homme avait le regard vide. Ils restèrent à s’observer durant un long moment.

           Soudain, le ninja tendit les mains vers la kunoichi. Une volée de shuriken fusa vers Hanabi. Cette dernière tendit les paumes vers le sol mais rien ne se produisit. Un arbre aurait dû pousser et la protéger. Cela faisait parti de ses pouvoirs. Mais là rien. Elle dut plonger sur le côté pour éviter les projectiles tranchants. Depuis des années, ses pouvoirs de Dragon du bois ne lui avaient jamais fait défaut. Elle avait peur. Puis elle se rendit compte que ce n’était pas d’avoir perdu ses dons qui lui faisait peur. L’effroi venait de cet homme. Elle n’arrivait toujours pas à savoir qui il était mais il lui faisait peur. Une peur profonde et ancienne. Cet homme lui avait fait mal par le passé. Qui était-il donc ?

           Cette peur la paralysa totalement. Elle se recroquevilla sur elle-même. Son corps était pris de tremblements incontrôlables. Elle attendait sans pouvoir réagir que son ennemi lui assène le coup de grâce. Le coup qui la libèrerait. Mais il ne vint pas. Une voix se fit entendre. Une voix qu’elle connaissait, celle de quelqu’un qui ne l’avait jamais abandonnée, celle de son grand frère.

« Que fais-tu Hanabi ?

-Je ne sais pas. J’ai peur. Peur comme jamais. Je veux mourir.

-Pourquoi ?

-Parce que je suis sale. Il m’a salit. Je sens la souillure à même ma chair.

-Et tu crois que la mort arrangera ça ?

-Je ne vois pas d’autres solutions.

-Es-tu égoïste au point d’oublier que tu n’es pas seule ? Tu as des gens qui tiennent à toi.

-Que penseront-ils de moi quand ils sauront ?

-Pourquoi cela nous pousserait à te tourner le dos ? »

Cette autre voix était celle de sa première amie parmi les WITCH, celle de Will.

« Hanabi, tu es qui tu es, continua t-elle. Jamais nous ne t’abandonnerons. Tu es devenu une amie précieuse pour nous. Cette histoire va au contraire resserrer les liens entre nous.

-Et Irma ? Voudra t-elle encore de moi ? pleura Hanabi. »

La kunoichi sentit deux bras chaleureux l’entourer. Elle n’eut pas besoin de lever les yeux pour savoir qui l’étreignait. Elle reconnut son parfum.

« Je t’aime Hanabi, fit-elle. Et ça, rien ni personne ne me l’interdira. Si tu doutes de moi, je te prouverais que je resterais avec toi. Tu es ce qui m’est arrivé de mieux dans ma vie. Je veux être heureuse. Et il n’y a qu’avec toi que je le serais. »

Hanabi sentit les lèvres douces d’Irma se poser sur sa joue humide de larmes. Elle tourna enfin le visage vers elle et l’embrassa.

           Serrant la gardienne de l’eau dans ses bras, Hanabi se releva. Elle remarqua Eric en tenue de combat, le Kuroken à sa hanche et Will en gardienne. Tout deux souriaient, heureux de la voir se relever. Hanabi s’écarta un peu de son amante pour mieux la contempler. Elle pleurait. Hanabi en était heureuse, elle savait qu’elle pleurait pour elle. Elle l’embrassa encore. Puis elle se tourna vers le shinobi. Toute peur avait disparu. Elle se souvenait de son passé. Mais celui-ci ne devait pas influer sur son avenir. C’était à elle de se forger son bonheur.

« Tu ne me vaincras pas Kazero, dit-elle. Tu ne me fais plus peur. C’est toi qui a perdu. Tu as perdu car je ne suis pas seule. »

           Hanabi tendit une main vers le sol. Un bâton jaillit et se logea entre ses doigts. Elle se mit en garde. Une volée de shuriken vola vers elle. Tout en s’élançant vers le ninja, elle écarta les projectiles en faisant tournoyer son arme. Elle parvint jusqu’à lui et frappa d’un coup d’estoc au creux de l’estomac, le pliant en deux. Elle tourna sur elle-même et abattit le bâton sur la nuque de Kazero. Le ninja s’effondra dans la terre. Il s’évapora ne laissant aucune trace.

           Hanabi se tourna vers Irma, Eric et Will.

« Il faut rentrer maintenant, dit Eric.

-Je sais. »

           Irma ne souhaitait pas quitter Hanabi. Ses yeux ne lâchaient plus de larmes mais on sentait que ce n’était que parce qu’elle n’en avait plus à fournir. Cornelia était venue directement du lycée pour voir son amie. Hay Lin préparait du thé à la cuisine. La gardienne de la terre s’assit à côté de son amie et la prit par l’épaule.

« Tu vas bien ? demanda t-elle.

-Non, répondit Irma. Plus le temps passe, plus je me dis que jamais elle ne se réveillera.

-Je suis sûre que si. Elle n’est pas faible. Elle se réveillera, te sourira et t’embrassera. Tu verras.

-Merci. Je croyais que tu n’aimais pas Hanabi.

-Toi tu l’aimes non ?

-Plus que tout.

-Alors ça me suffit pour que je veuille qu’elle revienne. Je n’aime pas te voir pleurer. Je préfère quand tu ris et que tu te moques de moi.

-Merci.

-Je peux bien faire ça pour celle qui m’a appris ce que c’était que d’embrasser une fille.

-C’était bien ?

-Pas désagréable. Mais je préfère quand c’est Caleb qui m’embrasse. Tu devrais aller prendre une douche. Ça te délasserait.

-C’est ta façon de me dire que je sens mauvais.

-Tu ne t’es pas lavé depuis quand ?

-Tu as raison. Tu peux veiller sur elle en attendant.

-Sois tranquille. »

           Irma déposa un baiser sur la joue d’Hanabi avant de se rendre à la salle de bain. Lorsque l’eau chaude de la douche ruissela sur son corps, elle se rendit compte que cela lui procurait un bien fou. Elle n’oubliait pas ce qui lui arrivait, mais son corps se détendait imperceptiblement.

           Hay Lin apporta un plateau avec trois tasses et des gâteaux. Elle fut surprise de ne pas voir Irma.

« Elle est allée prendre une douche, renseigna Cornelia.

-Je vois. Comment va-t-elle ?

-Elle est effondrée. Mais dés qu’Hanabi ira mieux, elle s’illuminera comme d’habitude. Elle est comme ça notre Irma. Forte à l’extérieur, mais fragile malgré tout. La c’était le coup de trop.

-Ça fait plaisir de te voir te préoccuper d’elle ainsi.

-Elle est ma meilleure amie avec Elyon. Mais ça, je t’interdis de lui dire.

-D’accord, rit la chinoise. »

           Un vent glacial s’insinua dans la cave. Cornelia et Hay Lin frissonnèrent de concert. L’été n’était pourtant plus très loin. Quelque chose éveilla leurs sens de gardienne. Ce courant d’air n’avait rien de naturel. Elles sentirent une présence derrière elles. Elles se retournèrent vivement et découvrirent un ninja aux yeux totalement blancs. Même en ne l’ayant jamais vu, elles savaient qu’il s’agissait de Kazero, le Dragon du vent. Ce dernier tendit les mains vers elles. Un vent puissant les fit volées jusqu’au mur, les y plaquant. Sonnées, elles s’effondrèrent au pied du mur quand il les lâcha. Le premier réflexe d’Hay Lin fut de porter sa main à son ventre comme ci elle avait pris un coup à l’estomac.

           Kazero s’approcha d’Hanabi. Il la toisait de son regard vide.

« Ainsi tu es encore en vie, fit-il. Je pensais que tu te laisserais mourir. Je t’ai sous-estimée. Tu es la seule que je n’ai pas tuée. Ça m’a toujours dérangé. Mais ton grand-frère et l’ancien maître ne m’aurait jamais laissé faire. Maintenant c’est différend. Je vais pouvoir finir ce que j’avais commencé. »

Niryu sortit un couteau de lancé. Il allait l’abattre sur Hanabi quand une bouteille de gel douche lui percuta la tempe. Il se tourna vers la lanceuse. Irma, les yeux furieux, le toisait. Kazero sourit.

« Voici donc la petite amoureuse de cette trainée, dit-il.

-Traite-la encore de trainée et je te jure que tu vas souffrir avant de mourir, lança Irma.

-Tu n’as aucun pouvoir sans le Cœur de Kandrakar. Je voulais d’abord en finir avec Hanabi, mais vu que tu veux te battre, je vais t’exhausser. Viens. »

           Irma ne se le laissa pas dire deux fois. Elle bondit vers Kazero, tentant de lui asséner un coup de pied. Mais le ninja l’esquiva allègrement et la plia en deux d’un coup de poing au creux de l’estomac. Elle se releva mais fut renvoyer au sol d’un coup à la mâchoire. Il était trop fort pour elle. Il avait raison, sans ses pouvoirs, elle n’était rien. Et pourtant, elle pensa à Eric, ses pouvoirs avaient les mêmes origines que les siens. C’étaient les pouvoirs d’un gardien de la Muraille. Mais lui pouvait les activer quand il voulait. Pourquoi ? Comment y arrivait-il ?

           Kazero se détourna d’Irma.

« Je vais tuer celle que tu aimes sous tes yeux, dit-il. Ça te plairait, n’est-ce pas ? »

Irma sentit la fureur monter en flèche en elle. Une force nouvelle venait de s’enflammer dans son âme. La gardienne se releva. Les tuyauteries fixées au mur de la cave se mirent à trembler dangereusement. Kazero se retourna vers Irma. Jamais il n’avait ressenti autant de haine chez quelqu’un depuis le jour où Eric avait failli le tuer. Les tuyaux éclatèrent. De l’eau jaillit mais ne se déversa pas sur le sol. Elle resta suspendue en l’air, venant entourer Irma comme une aura liquide. Kazero était impressionné. Il lança une volée de shuriken. Ils furent tous arrêtés par la masse d’eau. Lui qui n’avait jamais raté une cible. L’eau se rassembla en une boule devant la jeune fille. La masse d’eau fusa vers le ninja, le percutant dans l’abdomen. Il fut repoussé contre le mur avec violence. Mais cela ne suffirait pas pour le tuer. Il allait réagir quand il sentit l’eau s’étaler sur son corps. Alors il comprit. Immobilisé par la pression, il ne pouvait plus bouger. Il ne put empêcher l’eau de recouvrir son visage, empêchant l’air d’entrer dans ses voies aériennes. Il pouvait retenir sa respiration un long moment, mais il savait que la gardienne ne relâcherait pas son étreinte. Quelle honte de mourir ainsi. Plusieurs minutes plus tard, le manque d’air se fit sentir. Il s’agita inutilement. Il hoqueta. Le temps était venu. Par un réflexe incontrôlable, il inspira. De l’eau se déversa dans ses poumons. Il allait mourir. Et durant ses longues minutes d’agonie, les yeux froids et furieux d’Irma ne l’avaient pas lâché. La dernière chose qu’il vit fut la haine dans son regard. Puis un voile noire tomba sur ses yeux. Et la mort le prit.