Le Royaume des Rats

Chapitre 21 : Le Flamboyant

9564 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/04/2020 17:02

Filles et Fils du Rat Cornu,

 

Je voudrais vous dire que je suis vraiment désolé, j’ai pris du retard par rapport au rythme que je m’étais fixé. Le fait est que ces dernières semaines ont été très longues. Mon travail est de plus en plus pénible, la situation en termes d’employés, d’ambiance et de moyens s’est dégradée, et ça ne va pas s’arranger. Et donc, je m’applique à passer du temps avec ma famille et mes amis, à me promener pour me détendre, ou me défouler sur les jeux vidéo, ce qui fait que l’écriture a tourné un peu au ralenti.

 

Je vais tâcher de maintenir un rythme soutenu. Je comprendrai que vous puissiez être un peu frustrés en voyant les parutions s’espacer. Surtout, n’hésitez pas à m’envoyer des retours, positifs ou négatifs, pourvu qu’ils soient constructifs, ou à poser des questions. J’ai l’impression d’en recevoir moins qu’avec L’Enfant Terrible. Et je me ferai un plaisir d’y répondre. N’oubliez pas non plus de consulter la page DeviantArt ChildrenOfPsody, voire de me proposer vos dessins – les meilleurs pourront même devenir canoniques, à l’instar de la peinture de Pixpins qui a donné son visage à Schwanlin Finston.

 

Je vous remercie toutes et tous pour votre compréhension. Je vous invite à déguster ce nouveau chapitre, en espérant pouvoir vous servir les suivants sans trop vous faire attendre.

 

Merci pour votre fidélité. Longue vie au Prince Steiner, et Gloire au Rat Cornu !

 

 

Le vent soufflait, emportait avec lui les premiers pétales des fleurs des cerisiers. Le temps était splendide, le soleil au beau fixe. L’air se réchauffait, et annonçait un été qui promettait d’être radieux. Les habitants de Vereinbarung avaient pris l’habitude de la douce chaleur de cette brise, venue du Golfe Noir, à l’ouest. C’était jour de marché, et les rues débordaient d’activité. La grande place Karl Franz, en particulier, offrait un spectacle particulièrement vivant, deux fois par semaine. Les enfants jouaient à se poursuivre ou à courir après les poules, les oies et les moutons, les adultes faisaient leurs achats, et les marchands qui venaient de reprendre le travail après leur dîner rechargeaient leurs étals.

 

Trois jeunes roturières, les bras chargés de paniers pleins à craquer de fruits et légumes, plaisantaient gaiment. L’aînée parlait de la maladresse de son mari, trop balourd pour être en position de force la nuit venue, au lit. La deuxième racontait la dernière bêtise de son jeune fils qui avait cru bon d’aider son père en tentant de colorer le chien avec la peinture destinée à la porte d’entrée. La troisième, un peu rêveuse, confiait qu’un jeune garçon de courses avait attiré son attention. Devait-elle répondre à ses avances ? Assurément, répondit la plus âgée, elle-même mariée depuis une douzaine d’années.

 

La deuxième allait ajouter une petite blague salace, mais quelque chose attira soudainement son attention. Son regard se focalisa sur une forme qui avançait lentement dans leur direction. Ses deux amies distinguèrent à leur tour la silhouette pour le moins étrange.

 

Les têtes pivotèrent, les voix se turent progressivement, l’atmosphère parut soudainement bien plus fraîche.

 

Les claquements réguliers des sabots ferrés du cheval ricochèrent sur les murs des hautes maisons qui délimitaient la place publique. C’était un superbe étalon alezan, racé, en excellente condition physique. Sur son dos, installé sur la selle ouvragée avec un soin exceptionnel, un grand personnage tenait les rênes. On ne pouvait voir son visage, dissimulé sous une capuche de cuir tanné, tout au plus son menton fin et imberbe. Il paraissait toutefois très grand, et mince. Les murmures autour de lui se firent plus inquiets lorsque les habitants de Steinerburg virent qu’il n’était pas seul sur la monture. En effet, un Skaven au pelage sombre était allongé sur la croupe du cheval, complètement nu, avec de solides menottes aux poignets et aux chevilles, et un sac de toile sur la tête.

 

Sans la moindre considération pour les habitants de Steinerburg, l’étranger avança, et dépassa la place du marché. Il repéra une petite ruelle entre deux pâtés de maison. Il y arrêta son cheval. Il tendit l’oreille, et n’entendit plus que quelques rumeurs au loin. Il pivota sur sa selle, se pencha vers son « passager », et murmura en queekish :

 

-         On est bientôt arrivés. Continue à être bien sage-sage, et tu ne souffriras peut-être pas.

 

Le prisonnier remua, et poussa un petit gémissement de terreur. L’homme eut un petit ricanement satisfait. Il talonna son cheval.

 

Il arriva au Quartier du Calice. Cet endroit rassemblait les principaux temples de Steinerburg. Dans le Royaume des Rats, on priait les mêmes dieux que dans l’Empire, mais seules les principales divinités Humaines avaient leurs temples. Six d’entre elles étaient ainsi privilégiées :

 

En premier lieu, le voyageur en quête de spiritualité était accueilli par le temple de Shallya. Ce grand bâtiment de pierre blanche était sobre, à l’image de la déesse qu’il honorait. Il disposait cependant d’un grand dortoir, de cellules séparées pour la douzaine de prêtresses qui y séjournaient en permanence – généralement les célibataires, les membres du temple mariés avaient la possibilité d’habiter dans une bâtisse prévue à cet effet deux rues plus loin. Le plus souvent, les malheureux qui avaient besoin des services de ce temple venaient du Quartier du Marteau, où les artisans travaillaient et pouvaient avoir un accident, ou bien ils venaient du Quartier de la Colombe, plus modeste et moins bien fréquenté. Les plus pauvres et les plus mal en point n’osaient pas quitter la Souricière, mais ceux qui bravaient cette peur n’étaient pas contraints de traverser tout le Calice. Devant le temple se trouvait une grande fontaine bénie par la Matriarche de Shallya, une vieille femme nommée Mère Luana. Cet équipement avait la réputation de toujours prodiguer de l’eau saine.

 

Le deuxième dieu à bénéficier de la reconnaissance des habitants de Vereinbarung était Morr. Son temple et son grand jardin étaient en face du temple de Shallya. La vie et la mort sont toujours étroitement liés, et les vies qui s’éteignaient dans la maison de la déesse de la Compassion trouvaient rapidement refuge dans l’immense parc protégé qui recueillait les enveloppes charnelles. L’édifice était encore plus austère que le temple de Shallya. Il était également plus sombre, bâti de pierres sombres, avec un toit recouvert d’ardoise noire. Peu de prêtres occupaient ce bâtiment de taille moyenne, dirigé avec froideur et précision par le prieur Wenceslas.

 

Taal et Rhya, le fameux couple de dieux affiliés à la Nature et à ses forces, occupaient une place de choix dans le Quartier du Calice. En vérité, ils étaient les dieux vénérés par la majorité des habitants du Royaume des Rats. Des fermiers, des agriculteurs, des pisteurs… toutes les professions qui se rapprochaient de la campagne, en somme. Ludwig Steiner était lui-même originaire de Talabheim, la ville de l’Empire où se trouvait le plus grand temple connu dédié à ces deux divinités. Même s’il jurait lui-même davantage par Verena, il avait choisi de favoriser les dieux les plus adorés par le peuple. La topographie du Quartier du Calice avait cette gigantesque bâtisse comme point central ; le Temple de Taal et Rhya avait même un grand mur de pierre, et une rivière en circuit fermé entourait le secteur. Il y avait dans l’enceinte de ce domaine un bosquet d’arbres où les prêtres et les prêtresses pouvaient pratiquer leurs rites, une ménagerie, un jardin de fleurs aux couleurs et aux parfums incroyables. Le temple lui-même était imposant, ses hautes tours étaient recouvertes de plantes grimpantes. Son clocher, en particulier, disparaissait presque sous une masse tentaculaire de branches.

 

Dans le Quartier de la Balance, le quartier le plus riche de la ville où se trouvait le domaine Steiner, le pèlerin pouvait rendre hommage à Verena, la déesse de la Justice et de la Vérité. Le Grand Tribunal faisait office de temple, comme le voulaient les usages, et toutes les affaires, des plus bénignes aux plus graves, pouvaient trouver leur résolution en ces lieux. L’étranger savait que ce temple abritait quelques membres de la secte des Gardiens de la Vérité, entre autres le prévôt Tomas. Les Gardiens de la Vérité rassemblaient toutes les connaissances qu’ils pouvaient, et aucun savoir ne devait être délibérément détruit. Cela impliquait parfois de prendre le risque de conserver des artefacts dangereux, corrompus par le Chaos. Un souvenir plutôt pénible revint en mémoire de l’homme cagoulé, mais il n’y resta guère. Cette cicatrice, bien que toujours présente dans son esprit, ne le gênait plus depuis longtemps.

 

Restait un dieu qui n’avait pas la même reconnaissance que les autres à Vereinbarung. C’était Sigmar, le plus jeune dieu du panthéon des Humains. Les prêtres de Sigmar étaient connus pour être le bras armé des dieux face aux hérétiques et aux créatures impies. Les Orques, les Mutants, les Gobelins étaient autant d’ennemis jurés pour le Premier Empereur devenu le Dernier Dieu. Sigmar était réputé pour son extrémisme. Autant Ulric était détaché des affaires mortelles, préférant juste s’adonner à la brutalité du combat, autant les saintes écritures présentaient Sigmar Heldenhammer comme un dieu sévère et intolérant. Les fidèles modérés tâchaient de voir Sigmar comme un défenseur, un rempart face à toutes les menaces, mais les plus zélés étaient des fanatiques prêts à exterminer sans jugement ni hésitation tout ce qui leur paraissait un tant soit peu hérétique.

 

Il était donc difficilement concevable d’avoir des Sigmarites dans un royaume où Humains et Skavens vivaient ensemble. Cependant, pour éviter de contrarier l’Empereur Karl Franz, et par respect pour les Humains qui l’avaient suivi, le Prince Ludwig avait accepté de faire restaurer un petit bâtiment pour le consacrer à Sigmar au Quartier du Marteau, près de la caserne des militaires. Il avait toutefois imposé la ferme condition pour ses prêtres de ne jamais considérer les hommes-rats comme inférieurs aux Humains. Jusqu’ici, il n’y avait pas eu de problème, mais aucun Skaven n’était encore entré dans cet ordre.

 

D’autres dieux comme Myrmidia, Ulric, Manann ou Ranald étaient régulièrement invoqués, mais aucun n’avait de temple officiel. Ce qui restait normal pour Ranald, le dieu des voleurs. Il y avait très probablement un temple secret dans chaque grande ville de Vereinbarung. Hé oui, les réseaux de bandits existaient partout, y compris et surtout dans les Royaumes Renégats.

 

L’étranger n’eut pas besoin de beaucoup s’enfoncer dans le quartier. Il approcha du temple de Shallya. Il vit trois silhouettes devant les portes grandes ouvertes : deux prêtresses vêtues de la robe blanche des « colombes », une rousse et une blonde, et un petit garçon blond âgé d’une poignée de saisons. Quand il obliqua vers le bâtiment, il vit la prêtresse rousse pousser l’enfant vers l’intérieur du bâtiment, et son oreille perçut le chuchotement de celle-ci : « Jehan, va m’attendre dans le réfectoire. Dépêche-toi ! ». Il ne put réprimer une moue ironique. Il inspirait visiblement la méfiance, et ça ne lui déplaisait pas. Sans descendre de sa monture, il inclina poliment la tête et parla d’une voix claire et mélodieuse.

 

-         Bonjour, mes sœurs.

 

La prêtresse blonde fit un sourire légèrement crispé.

 

-         Soyez le bienvenu au temple de la Déesse Shallya ! Je suis Sœur Astrid, et voici Sœur Judy !

 

Sœur Judy Hoffnung était rentrée d’Hoffnungshügel avec les derniers orphelins de la dernière Récolte, et avait regagné sa place au temple de Steinerburg. Elle avait retrouvé non sans émotion son mari et leur enfant.

 

-         J’ai l’impression de vous avoir déjà vu, messire ? murmura la femme rousse.

-         En effet, répondit tranquillement le personnage cagoulé. Il y a quelques années, je suis venu rendre visite au Prince. Je le connais depuis des années, ma sœur. Vous m’avez sans doute aperçu à ce moment-là ?

-         C’est bien possible. Alors, que pouvons-nous faire pour vous ?

-         Je suis venu voir le prieur Romulus. Il faut recalibrer sa balance.

-         Plaît-il ? demanda sœur Astrid.

 

La réaction de Sœur Judy fut toute autre.

 

-         Bien sûr ! Les plateaux de cuivre ont toujours besoin d’un coup de cire !

-         Dois-je aussi épousseter les poids ?

-         Absolument, l’encre du parchemin vient de sécher.

 

Les deux interlocuteurs firent chacun un petit signe de tête, et l’étranger cagoulé demanda :

 

-         Alors, puis-je le voir ?

-         Vous ne le verrez pas ici, messire. Il travaille avec le Maître Mage Prospero, au manoir du Prince. Vous devrez vous y rendre.

-         Je connais le chemin. Mes sœurs, je vous salue.

 

Puis il fit faire demi-tour à son cheval, et la monture quitta la place et repartit au pas vers le Quartier de la Balance.

 

Une fois disparu de leur champ de vision, Sœur Astrid demanda à Sœur Judy :

 

-         Vous connaissez donc cet individu ?

-         Oui, enfin… De loin.

-         Et vous avez réussi à le reconnaître malgré le temps et la cagoule ?

-         C’est justement la cagoule. Si je ne me trompe pas, il s’agit d’un Mage du Collège du Feu.

 

La jeune fille blonde eut un petit frisson.

 

-         Il me fait un peu peur…

-         Si ce personnage est bien celui auquel je pense, alors heureusement que vous ne connaissez pas son histoire. Là, vous auriez peur.

-         Il y avait quelque chose d’anormal chez lui. Sa taille, sa carrure, cette voix… Il avait l’air physiquement jeune, mais avec un vécu beaucoup plus long dans sa manière de se tenir et de parler.

-         Ce n’est guère étonnant, il doit avoir plus d’un siècle d’existence.

-         Un siècle ? Mais aucun Humain ne pourrait vivre aussi longtemps sans être une ruine !

-         Je n’ai pas dit que c’est un Humain, Sœur Astrid. Vous n’avez jamais vu d’Elfe ?

 

La jeune fille écarquilla les yeux.

 

-         Un Elfe ?

-         Cela m’étonne que vous ne l’ayez pas vu, d’ailleurs. Vous habitez le Royaume des Rats depuis plus longtemps que moi, vous auriez dû le croiser ?

-         Il faut croire que Shallya a jugé qu’il n’était pas important pour ma mission d’être en contact avec cet individu ?

-         C’est une façon de voir les choses.

-         Et que signifiait ce charabia ?

-         Charabia ? Ah oui ! Notre petit échange ? Oh, trois fois rien. C’est un moyen de reconnaissance des Gardiens de la Vérité. Une succession de quatre phrases qui ne peuvent être prononcées par hasard, et suffisamment absconses pour dérouter celui qui ne les connaîtrait pas.

-         Ah, je vois. Une réponse du tac au tac signifie donc que vous faites tous deux partie de cet Ordre ?

-         Oui, c’est même grâce aux Gardiens de la Vérité que j’ai été impliquée dans le projet de constitution du Royaume des Rats.

-         Vous avez vu ? Il avait un prisonnier.

-         Oui, j’ai vu, mais j’ai appris à ne voir que ce qui me concerne.

-         Hum… J’espère que cet étranger n’apporte pas le malheur avec lui.

 

Sœur Judy ne répondit pas, mais elle ne put s’empêcher de penser la même chose.

 

 

L’étranger se dirigea lentement mais sûrement jusqu’au sommet de la colline. Au fur et à mesure qu’il se rapprochait de son objectif, le personnage cagoulé appréciait le changement d’architecture. Il remonta des rues dont les maisons étaient de plus en plus grandes, de plus en plus ouvragées et solides. Les fers du cheval claquèrent, les pavés remplaçaient la terre battue sous ses sabots.

 

Il faudrait quand même qu’ils pensent à ouvrir des Collèges de Magie ici…

 

C’était une chose qui manquait cruellement à une ville digne de ce nom, dans l’esprit de l’Elfe. Il n’avait effectivement vu aucune construction qui se rapprochait de près ou de loin à une école de magie. Or, si le Maître Mage Prospero Steiner était connu comme étant l’unique Skaven apte à utiliser la magie, il pouvait y avoir des Humains présentant de telles dispositions ? Et si d’autres Skavens se révélaient aptes ? Tant d’interrogations dont il comptait bien faire part au Prince.

 

Enfin, quand il arriva à la grande grille qui délimitait le Quartier de la Balance, l’homme arrêta sa monture, et s’adressa directement aux gardes d’une voix claire.

 

-         Bien le bonjour, messieurs.

 

Les deux soldats se sentirent immédiatement mal à l’aise, mus par un mauvais pressentiment.

 

-         Que voulez-vous, citoyen ?

-         Je voudrais voir le Prieur Romulus.

-         Il doit être au temple de Shallya.

-         J’en viens, on m’a assuré qu’il travaillait chez son excellence le Maître Mage à cette heure.

-         Qui êtes-vous ? répliqua l’autre.

 

Sans mot dire, l’individu tendit sa main droite, et s’apprêta à retirer son gant. Immédiatement, les deux gardes reculèrent, arquebuse braquée vers le visiteur. Celui-ci s’immobilisa, et chuchota avec un petit sourire :

 

-         Pas d’inquiétude, je vous montre juste un sceau officiel que sa sainteté la Grande Prêtresse Marieka van der Perssen du Temple de Verena d’Altdorf m’a confié.

 

Il tira doucement le gant de cuir, et présenta son doigt. Le premier garde avança, plissa les yeux, et contempla fixement l’anneau, et le petit disque métallique sculpté qui l’ornait.

 

-         C’est bien le sceau de Verena. Je ne vous ai jamais vu auparavant, par ici ?

 

Quand il releva la tête, il distingua les yeux de l’étranger. Ils étincelèrent d’un éclat violet. L’homme à cheval se passa la main dans les cheveux. L’espace d’un instant, le garde crut voir une mèche de cheveux sous le tissu de la capuche réverbérer la lumière du soleil d’un éclat orangé, comme une pièce de soie cuivrée.

 

L’autre garde appela :

 

-         Pat !

 

Un troisième homme d’armes plus jeune arriva aussitôt.

 

-         Va chercher le prieur Romulus. Monsieur dit qu’il est avec le Maître Mage. Et grouille-toi !

 

 

La lame sinusoïdale fendit l’air en sifflant et s’abattit sur le mannequin d’entraînement. Une fois, deux fois, trois fois. En tête, puis sur le côté droit, puis dans la jambe gauche.

 

-         Il a dû avoir bien mal ! ironisa la voix de Bianka.

 

Sigmund baissa sa fidèle épée et s’essuya le front du revers de la main. Il se tourna vers sa sœur qui le regardait s’entraîner, assise sur une barrière.

 

-         Tes coups sont précis, aussi. Tu arrives à toujours taper aux mêmes endroits. Comme quoi, tu es vraiment appliqué, quand tu ne perds pas la tête à cause de la Rage Noire.

 

Le jeune homme-rat s’approcha de la fille, ramassa une outre posée sur une caisse, et but quelques gorgées d’eau. Puis il murmura tranquillement :

 

-         T’as encore rien vu, sœurette.

 

Il inspira profondément, puis fit volte-face en envoyant son bras en avant, comme un fouet. Cœur de Licorne fendit l’air en tournoyant et se planta d’un coup sec en plein dans le torse du mannequin. De nouveau, il regarda Bianka. Celle-ci avait perdu toute trace d’indifférence. Elle applaudit franchement.

 

-         Bravo, bravo !

-         T’es mignonne quand tu souris.

 

Bianka cessa aussitôt, et fit la grimace.

 

-         Imbécile ! N’empêche que tu es vraiment très doué !

 

Le jeune homme-rat retira son épée du mannequin.

 

-         Dis, ça te dirait de savoir te battre aussi bien que moi ?

-         Quoi ? Tu plaisantes ! répondit la fille-rat d’un ton pincé.

-         Absolument pas. Si tu veux, je peux te donner quelques conseils, histoire que tu saches au moins par quel bout prendre une arme.

 

Elle se laissa tomber de la barrière, et rajusta sa robe.

 

-         Oh, ce ne serait pas convenable.

-         De quoi ?

-         Une jeune fille bien élevée, de mon rang, ne se roule pas dans cette boue.

-         Marjan est de haut rang, elle aussi, et ça ne l’empêche pas de savoir se battre. Ce n’est pas parce que tu es une fille que tu dois rester dans ta bibliothèque ou sur ton métier à tisser !

 

Bianka se mordit la lèvre inférieure.

 

-         Franchement, j’aurais l’air de quoi ?

-         D’une femme forte, et belle. Ça peut être très beau, une femme qui sait se battre. T’as jamais pensé à plaire aux garçons ?

-         Oh, espèce de…

 

Ils éclatèrent de rire ensemble. Sigmund regarda sa sœur des pieds à la tête et ajouta :

 

-         Il faudra que tu sois habillée pour ça. Pas question que je t’entraîne avec cette tenue.

-         Ha ! Tu me vois à moitié nue comme les saltimbanques strigany ? Ah, oui, ça, pour aguicher les garçons…

-         Non, plutôt avec des vêtements pratiques et solides qui protègent bien. Regarde Marjan : quand elle porte son armure avec son casque, pas moyen de faire la différence avec un homme !

-         Moi, en armure ? T’es trop drôle ! Comment veux-tu que je tienne debout avec des dizaines de livres sur le dos ?

-         Il y a des vêtements de cuir rembourré. Je suis sûr que ça t’irait à merveille !

 

Bianka fit une moue réflexive.

 

-         Après tout… j’ai peut-être intérêt à savoir me défendre ? La prochaine fois qu’un assassin Eshin tentera d’entrer chez nous…

 

Le Skaven Noir eut un sourire satisfait. Il allait chercher une épée en bois sur le râtelier, lorsqu’il entendit un serviteur l’appeler.

 

-         Maître Sigmund ?

-         Ouais, Andreas ?

-         Votre père, ainsi que son Altesse le Prince, requièrent votre présence dans le laboratoire.

-         Ah… D’accord.

 

Il pivota vers Bianka. Sa sœur eut un petit mouvement d’épaule.

 

-         Une autre fois, peut-être, grand guerrier ? En attendant, je devrais peut-être me coudre des vêtements plus… adaptés ?

-         Excellente idée, approuva le grand Skaven Noir.

 

Il rengaina son épée, et se dirigea d’un bon pas vers le laboratoire de son père.

 

 

Quand il entra dans le petit bâtiment, il vit Psody et Steiner parler à une troisième personne qu’il n’avait jamais vue auparavant. C’était pour lui une certitude, car jamais il n’aurait pu oublier une personne avec de tels traits.

 

Devant lui se tenait un homme, grand, très grand, plus grand que son grand-père. Il était anormalement mince, sans pour autant paraître rachitique ou malade. Au contraire, il paraissait être en pleine forme. Il portait une tunique faite d’étoffes précieuses abondamment décorée de fils dorés, de clous de cuivre polis, de lanières de cuir, et de motifs où revenait régulièrement un symbole que l’homme-rat ne sut identifier – une sorte de clef stylisée avec un panneton arrondi. Son pantalon était assorti, et ses bottes étaient impeccablement cirées.

 

-         Ah, te voilà ! Voici mon deuxième petit-fils, Sigmund. Je lui confierais ma vie sans la moindre hésitation. Mon enfant, je te présente Maître Brisingr Mainsûre.

 

Maître Brisingr Mainsûre s’inclina avec un petit geste de la main. Ses mouvements étaient précis et racés, ses doigts souples et gracieux. Il releva la tête, et ses yeux améthyste soutinrent le regard méfiant du Skaven Noir. Ce qui troubla le plus ce dernier était les cheveux de l’étranger. Ils étaient d’un roux flamboyant. Oui, le mot n’était pas trop fort. Des reflets plus ou moins vifs semblaient parcourir la crinière ébouriffée de l’invité, et les mèches remuaient légèrement d’elles-mêmes, comme les flammes d’un feu de cheminée.

 

-         Vous n’êtes pas d’ici ? se hasarda à demander Sigmund.

-         En effet, répondit son grand-père. Notre ami habite Altdorf, mais il est né sur l’île d’Ulthuan, le pays des Hauts Elfes.

 

Ce fut à cet instant que Sigmund repéra les oreilles de l’individu, légèrement pointues. Plus de doute, cet homme n’était pas humain. Psody enchaîna :

 

-         Maître Mainsûre est Magister pour le Collège du Feu, c’est l’école de magie où l’on apprend à canaliser-utiliser le vent d’Aqshy.

-         C’est un expert en qui j’ai une confiance absolue, ajouta le Prince. Il fait partie des quelques personnes qui ont trouvé et amené à moi ta mère, il y a des années.

-         Oh… enchanté, murmura Sigmund, de moins en moins à l’aise.

-         Il est venu pour apporter quelques documents à Romulus, qui permettront de m’aider à écrire-composer un enchantement pour purifier le sol du domaine Nichetti, expliqua le Skaven Blanc.

-         Et j’en profite également ici pour vous apporter un cadeau, jeune homme.

 

À ces mots, Sigmund haussa franchement les sourcils. Pour la première fois, il venait d’entendre la voix de l’Elfe. C’était un timbre doux, léger, mélodieux, presque chantant. En fait, il allait bien en accord avec la grâce du personnage. Même sans être Humain ou Elfe lui-même, le Skaven Noir comprit qu’il avait devant lui quelqu’un dont la physionomie troublerait sans doute plus d’une personne sensible à la beauté du corps. Cela ne le rassura pas, il avait entendu parler de la beauté qui pouvait dissimuler la pire des noirceurs, comme celle des esclaves de Slaanesh.

 

Psody recula vers un coin du laboratoire, en direction d’un rideau. Le rideau dissimulait un petit réduit où il entreposait ses instruments et ses feuilles de parchemin. Sigmund sentit son cœur se crisper quand il réalisa autre chose : la vue de l’Elfe l’avait distrait jusqu’à présent, mais il flottait une odeur caractéristique dans la pièce. Une odeur à la fois familière et désagréable. Le glissement des anneaux de bois sur la tringle à rideau refixa son attention vers son père.

 

Le Skaven Blanc avait tiré le rideau, et révélé le réduit, ainsi qu’un tabouret sur lequel était assis un Skaven complètement nu, menotté aux poignets et aux chevilles, avec un sac en toile qui lui couvrait la tête.

 

C’est lui qui pue comme ça !

 

L’Elfe s’approcha du prisonnier.

 

-         Je l’ai trouvé en train de dévorer la carcasse d’une vache. Il n’a pas pu courir bien loin, vu toute la viande qu’il avait dans l’estomac.

 

Et il arracha le sac d’un geste vif. Sigmund sentit son sang s’embraser dans ses veines quand il reconnut le faciès de Larn. Celui-ci écarquilla de grands yeux terrifiés, et essaya de hurler. Le bâillon à chaîne coincé dans sa bouche l’en empêcha, il put juste émettre un mugissement étouffé.

 

-         Toi !

 

Sigmund leva les mains, ses ongles tendus comme des griffes, et avança d’un pas nerveux vers le Skaven Sauvage. Aussitôt, Brisingr leva la main, et une épée à lame de feu jaillit dans un crépitement d’incendie. Le Skaven Noir fit un bond en arrière, bras en croix devant son visage.

 

Sans perdre son sang-froid, l’Elfe murmura d’une voix doucereuse :

 

-         Votre Altesse, je vous prie de pardonner mon audace, mais je préfère prévenir un accident fâcheux plutôt que de devoir réparer les dégâts, si c’est même possible.

-         Vous êtes absous, Mainsûre. En vérité, je voulais éviter de vous le dire, mais mon petit-fils a juste un petit défaut : il a tendance à privilégier l’action à la réflexion.

 

L’Elfe répondit par un petit hochement de tête, puis l’épée de feu s’évanouit en un claquement de doigt. Sigmund reprit son souffle, et sentit la honte lui monter aux joues. Il voulut faire diversion en recentrant la conversation sur le misérable.

 

-         Vous avez dû le suivre longtemps ?

-         Il ne m’a pas fallu plus d’une demi-journée pour retrouver ce fuyard. Oh, ça fait partie de mon métier de Magister ; je suis entraîné à traquer les proies que le Collège du Feu recherche. Je lutte contre le Chaos sous toutes ses formes, mais quand un ami me demande un coup de main, je peux le lui apporter. Celui-ci ne m’a donc pas posé de problème, j’ai connu des adversaires bien plus redoutables.

-         Vous êtes un chasseur professionnel ?

-         Mon gibier est tout ce qui menace l’Empire et ses alliés, mon terrain de chasse n’a pas de limites. J’irai jusqu’au bout de Naggaroth pour retrouver ma cible.

 

La bouche de Brisingr se plissa en un petit sourire étrange. Le malaise du Skaven Noir augmenta d’un cran. La voix de son grand-père fit pivoter son oreille.

 

-         Avez-vous dû affronter ses complices, Maître Mainsûre ?

-         Aucune inquiétude à avoir, votre Altesse : il n’a pas eu le temps de retrouver d’autres individus de son terrier. Les siens ont dû l’abandonner.

-         Et… y a-t-il eu des dégâts-pertes ?

-         J’ai bien peur que oui, Psody. Plusieurs têtes de bétail ont été massacrées, un sac de grains de blé souillé, l’un des valets de ferme s’est pris un méchant coup, sans parler du préjudice moral… J’ai donné au fermier une centaine de couronnes d’or de dédommagement.

-         Tu sais ce que ça signifie, Sigmund ?

 

Le Skaven Noir baissa la tête.

 

-         Oui, Père. Maître Mainsûre, je vous rendrai cet argent tout à l’heure.

-         Je n’en attendais pas moins de vous.

-         Hum… Père, je peux te parler en privé ?

 

Le Skaven Blanc lança un petit regard interrogateur vers l’Elfe, qui haussa juste les épaules. Les deux Skavens se retrouvèrent dans le parc.

 

-         Comment il a pu retrouver Larn aussi facilement ?

-         Il est très doué dans l’art de chasser les individus indésirables. Sa spécialité est les créatures magiques-magiques. Ce n’est pas le cas de celui-là, mais comme je m’y attendais, il a manqué de prudence.

-         Oui, mais quand même ! Ça tombait plutôt bien !

 

Psody eut un petit soupir agacé.

 

-         En fait, dès que nous avons capturé Larn, je lui ai tout de suite envoyé une missive par le biais de Frère Tomas. Brisingr Mainsûre fait aussi partie de l’Ordre des Gardiens de la Vérité. Je lui ai demandé de te suivre discrètement pour veiller à ce que tu accomplisses ta mission, tout en lui précisant dans quelle direction tu étais parti-parti, afin qu’il te retrouve directement.

 

Sigmund sentit un violent coup de fouet dans sa moelle épinière.

 

-         Tu m’as fait suivre par cet Elfe ?

-         Oui.

-         Tu ne m’as pas fait confiance !

-         Je t’ai fait confiance en te laissant emmener Larn ! Brisingr serait rentré sans se montrer à toi si tu avais été jusqu’au bout, et je l’aurais accueilli normalement. Ou il t’aurait aidé si les complices de Larn avaient été trop nombreux pour toi. Mais tu as échoué, et tu as laissé filer un Eshin ! Heureusement que cet Elfe était là, il a minimisé les dégâts ! Bien, tu as fini avec tes questions ?

-         Oui.

-         Très bien. Maintenant, va chercher deux gardes. Tu vas leur ordonner de conduire-mettre Larn au cachot, où il restera jusqu’au jour où il sera décapité publiquement.

 

Le Skaven Blanc leva alors un index autoritaire vers son fils.

 

-         Et je t’interdis-défends formellement de l’approcher. Je ne veux pas que tu te trouves à moins de cent yards de lui jusqu’à son exécution. Si jamais tu t’avisais de me désobéir, tu le regretterais ! C’est compris ?

 

Sigmund ne répondit pas, il grommela juste dans sa barbe.

 

-         Est-ce que c’est compris ? articula Psody, deux tons plus fort.

-         Oui, Père, c’est compris ! Voilà ! Moi pas approcher petite vermine avant exécution ! Très clair-limpide ! Aller chercher gardes !

 

Le Skaven Noir partit vers la résidence principale d’un pas rageur.

 

*

 

Le soir, le Prince invita Brisingr Mainsûre à sa table pour le souper. Le Magister fut ainsi présenté aux sœurs de Sigmund. Gabriel, une fois de plus, avait bien trop peur pour oser descendre au même étage que le nouveau venu, et n’était pas présent.

 

-         En vérité, cela est vraiment très plaisant de voir deux peuples si dissemblables construire une histoire commune main dans la main. J’ai l’impression de voir un prodigieux développement de ce que nous avons commencé avec Heike il y a des années.

-         Ce n’est peut-être pas si simple, observa alors le Prince. Cela fait maintenant six ans que le Royaume des Rats est en place, et nous avons dernièrement observé des tensions entre Humains et Skavens. Nous nous efforçons de régler les problèmes de communication, mais nous devrons rester vigilants.

-         Il faudra en effet veiller à ce que ces « problèmes de communication » ne prennent pas trop d’ampleur pour devenir hors de contrôle. Et puisque nous parlons de « contrôle », votre Altesse, je me permets d’attirer votre attention sur les questions d’ordre magique.

-         C’est-à-dire, Mainsûre ?

 

Le Magister prit son inspiration, et expliqua d’une traite :

 

-         Votre royaume semble bien se développer, et Humains comme Skavens ont l’air d’y vivre harmonieusement, si l’on excepte les petits soucis dont vous venez de parler. Mais depuis mon arrivée, j’ai constaté que si les dieux ont bien leur maison, il n’en est pas de même pour les personnes pouvant percevoir et apprivoiser les vents de Magie. Tout au long de mon chemin jusqu’à vous, j’ai régulièrement senti la présence de ces vents, ils soufflent bien en vos frontières. Et donc, je suis à peu près sûr qu’il y a des gens capables de manier ces énergies. C’est mathématique.

-         Vous pouvez être sûr, mon ami, répondit le Prince. Figurez-vous qu’un couple de Skavens est venu voir mon fils il y a quelques jours. Ils lui ont présenté leur premier-né. Le bébé avait une fourrure blanche et deux petites cornes.

-         Oh… les signes caractéristiques des Skavens qui n’ont pas besoin de malepierre pour dompter les vents du Warp !

-         Exactement. S’il y en a eu un, il y en aura probablement d’autres, et je ne parle pas, notez bien, de mes concitoyens Humains qui pourraient également devenir des mages !

-         L’enfant dont vous me parlez… c’est un garçon ?

-         Oui.

-         Hum… dommage, j’aurais été curieux de voir une fille avec les caractéristiques des Skavens Blancs.

-         Patience, ce n’est que le premier. Il y en aura d’autres, peut-être du beau sexe ?

-         En attendant, je vous pose la question, votre Majesté : comptez-vous ouvrir des collèges ?

-         Ce n’est pas encore une priorité, mais j’y pense de plus en plus régulièrement. J’ai pu louer les services d’un druide pour enseigner à Psody la magie de Ghyran, or pour un royaume entier, ça ne suffira pas. Je devrais écrire une missive à l’Empereur Karl Franz pour avoir son accord. Peut-être qu’il accepterait de m’envoyer quelques mages volontaires ?

-         Si j’appuie votre demande auprès de lui, ce sera une certitude, votre Altesse.

 

Alors qu’ils finissaient le dessert, Psody se leva.

 

-         Si vous le permettez, je vais me coucher. La journée a été longue-longue. En plus, demain, je devrai me lever tôt. Un long travail nous attend, Maître Mainsûre.

-         Je vous souhaite une bonne nuit, mon ami.

 

Le Skaven Blanc quitta la salle à manger sans ajouter un mot. Le grand Humain bâilla.

 

-         Je vais aussi y aller. Les dieux me pardonnent, mais avec l’âge, je fatigue plus vite.

 

Et le Prince sortit à son tour. Isolde avait retenu le « les dieux me pardonnent », et cette expression réveilla en elle une furieuse poussée de curiosité. Elle demanda sans hésiter :

 

-         Et quel dieu priez-vous, Maître Mage ?

 

Cette interrogation peu subtile ne manqua pas de contrarier Heike.

 

-         Voyons, Isolde ! Tu ne dois pas poser ce genre de question ! C’est très malpoli !

 

Isolde sursauta, et resta figée, surprise par le brutal haussement de ton de sa mère. Elle prit conscience que l’affaire était sérieuse lorsqu’elle la vit demander au magicien, toute confuse :

 

-         Je vous en prie, Maître Mainsûre, pardonnez l’indiscrétion de ma fille.

 

Heureusement, l’Elfe était ne sembla pas offusqué.

 

-         Ce n’est pas grave, petite souris. J’apprécie la curiosité quand elle n’est pas entachée de mauvais sentiments. Il est vrai que certaines personnes pourraient être fâchées si on aborde ce sujet de cette façon, mais je sais à quel genre d’interlocuteur j’ai affaire, en l’occurrence une enfant, certes un peu directe, mais innocente comme tout.

 

Brisingr s’adressa directement à la petite fille.

 

-         Rappelle-toi ce que vient de dire ta mère : il est des sujets dont tout le monde ne peut librement parler, et la religion en fait partie. Tu dois donc être sûre d’être suffisamment proche de quelqu’un avant de le questionner à ce propos. Tu as bien compris ?

 

Isolde hocha nerveusement la tête. Le sourire de l’Elfe s’élargit un peu.

 

-         Allez, je peux répondre à ta question : je crois en Hoeth. C’est le dieu de la connaissance et de l’érudition de mon peuple. Pour les magiciens, c’est également le dieu le plus proche de la magie. Les Humains connaissent Shallya, Ulric, Verena ou Taal, mais ils n’ont pas de dieu qui soit directement lié à la magie. Tu sais pourquoi ?

-         Euh… non.

-         Parce que les Humains ne connaissaient pas la magie, quand ils ont commencé à entendre les voix de leurs dieux. Si je ne me trompe point, Sigmar est le dieu des Humains le plus jeune. C’était un homme si exceptionnel que les dieux ont décidé d’en faire un des leurs. C’était il y a plus de deux mille cinq cents ans.

-         Oh, ça fait longtemps !

-         Pour toi, peut-être, et pour moi aussi, mais pour les dieux, ce n’est pas si long.

 

L’Elfe se racla la gorge et leva un index savant.

 

« Les dieux des Elfes sont apparus un peu avant les dieux des Humains. Et depuis toujours, les Elfes savent utiliser la magie bien mieux que tous les autres peuples. C’est comme ça. Donc, les Humains ne savaient pas utiliser la magie. Et puis, un jour, il y a eu une très grande bataille, il y a deux cents ans. L’Empereur des Humains s’appelait Magnus le Pieux. Il a dû affronter une énorme armée, composée de démons, de guerriers enragés, et de monstres féroces. Cet empereur a alors demandé de l’aide aux Nains, pour qu’ils lui fabriquent des armes, des armures et des machines de guerre. Et il a supplié les Elfes d’envoyer des renforts. À cette époque, à part quelques villages dans les forêts, les Elfes n’habitaient pas dans l’Empire, mais sur une grande île au milieu de la mer l’île d’Ulthuan, où sont nés mes parents. Les Hauts Elfes, comme on les appelle, avaient bien une petite armée à envoyer, mais surtout, ils avaient la magie. Le Roi Phénix envoya toute une troupe de magiciens. Ils étaient menés par l’Archimage Teclis, le plus grand des magiciens que les Elfes n’aient jamais connu. »

 

Les yeux de la fillette subjuguée par le récit brillaient comme une paire d’étoiles filantes. Heike elle-même fut surprise de voir le magicien raconter l’histoire avec une conviction que n’aurait pas dénigrée Yavandir Pâlerameau. Brisingr continua :

 

-         Teclis était tellement puissant qu’il était capable d’invoquer les plus grandes tempêtes, de faire trembler la terre, ou de faire pleuvoir des flammes. Ils se jetèrent dans la bataille aux côtés des guerriers des Humains et des Nains, tous ensemble contre l’armée des monstres du Chaos.

-         Et… qui a gagné ?

-         Les Humains, bien sûr, sans ça, tu ne serais pas là aujourd’hui, et moi non plus. L’Empereur Magnus a compris l’utilité de la magie. Il a demandé aux mages Elfes de rester un peu pour apprendre aux Humains à s’en servir. C’est comme ça qu’ils ont créé les Collèges de Magie qui sont à Altdorf. Chaque magicien qui pratique la magie d’un des huit Collèges peut donc remercier les Elfes.

-         Même mon père ? Il n’utilise plus la magie des Skavens Sauvages.

-         En effet, intervint Heike. Ton père a appris à utiliser la magie de Jade.

-         La magie de la vie… oui, c’est mieux que celle du Warp. Et donc, la magie n’est dans l’Empire que depuis deux cents ans. Ce n’est pas beaucoup, par rapport à l’existence de cet Empire. Et les Humains ont toujours considéré Hoeth comme un dieu d’Elfe. Ils n’ont pas voulu le vénérer, même s’ils tolèrent sa présence chez eux. Moi, je le remercie pour tout ce que j’ai pu accomplir grâce à la magie. Et c’est pour ça que je trouve qu’il est important d’ouvrir des écoles de magie ici.

-         Ma fille va vous emmener à votre chambre, Maître Mainsûre. Bianka, peux-tu conduire notre invité à la chambre des Coquelicots ?

-         Certainement, Mère.

-         Moi, je vais coucher ta sœur, et… rejoindre ton père.

-         Bonne nuit, Mère, bonne nuit, Soso !

 

 

Quelques minutes plus tard, la jeune fille-rate finissait de présenter à l’Elfe la chambre à coucher.

 

-         Si vous avez besoin de quoi que ce soit, tirez le cordon, un serviteur viendra dans la minute.

-         Merci bien, jeune fille.

 

Bianka fit une petite révérence, et s’apprêta à quitter la pièce, lorsqu’elle entendit la voix de Brisingr.

 

-         Tes parents ont l’air de bien se porter, souricette.

 

Elle s’arrêta net, et pivota sur ses talons. Elle demanda d’un ton pincé :

 

-         Oui, et alors ?

-         Alors, m’est avis qu’ils sont vraiment heureux.

-         Ils sont contents de s’être retrouvés, Père est parti pendant des mois.

-         Ils sont même très contents…

 

La jeune fille s’impatienta.

 

-         Pourriez-vous être plus clair au lieu de parler par énigmes, maître Mainsûre ?

-         Eh bien, je ne serais pas surpris que, dans les prochains mois, il y ait dans votre famille un petit nouveau, si tu vois ce que je veux dire, souricette !

 

Bianka recula et franchit la porte, sans quitter Brisingr du regard.

 

-         Je ne vous connais pas, je ne vous ai jamais vu, je vous prierai de cesser de me tutoyer !

-         Je suis bien plus âgé que toi, je prends le droit d’aînesse.

-         C’est la coutume chez les Hauts Elfes de manquer de respect à votre hôte ?

-         Cela fait longtemps que je ne suis plus socialement un Haut Elfe, mon enfant.

-         Je vous ai posé une question simple, Brisingr Mainsûre : si je vais à Ulthuan un jour, j’aurai le droit d’insulter les gens qui m’accueillent ?

-         Si tu vas à Ulthuan un jour, au mieux, les gardes ne te laisseront pas quitter ton bateau. Au pire, les Mages te disséqueront. Les Hauts Elfes n’aiment pas les Skavens. En fait, ils n’aiment personne.

 

Bianka resta bouche bée. Quand elle vit le petit sourire de Brisingr s’allonger, l’adrénaline lui fouetta les sens. Elle eut le réflexe de claquer la porte, puis de quitter le couloir d’un pas rapide. Elle serra les poings.

 

Je sens que je ne vais pas aimer ce grand escogriffe !

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