Un nouveau monde

Chapitre 7 : Le coup de main

2776 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/04/2020 14:25

La taverne du Cochon Siffleur fut la troisième auberge que Gahahli visita depuis qu'elle avait débarqué sur le continent des humains. Et ce fut le lieu de restauration le plus insalubre qu'elle avait connu durant son périple. Heureusement, le manque de clarté de la salle convenait davantage à ses yeux que la lumière aveuglante du jour, et à cette heure de la journée, le groupe avait la taverne rien que pour eux.

Au vue de la réaction des employés de la taverne en plein nettoyage quand ils virent entrer le nain, Batël devait sans doute être un habitué... mais ne devait pas tellement avoir la côté. En effet, le tavernier fit comprendre au groupe que le nain n'était plus autorisé à remettre les pieds dans sa taverne depuis qu'il avait provoqué une bagarre générale en faisant le fanfaron en étant ivre mort. Il avait fallu que Bartélo déverse l'intégralité de sa bourse pour payer les dégâts et convaincre le tavernier de leur accorder une seule chope d'hydromel nain et à condition que leur compagnon unijambiste devra se tenir à carreau s'il ne veut pas risquer l'expulsion définitif de son établissement.

Tout le groupe installé à une table se retrouva sans le sou, désormais.


En observant silencieusement le nain ingurgiter sa choppe, la jeune elfe ressentait un mélange de dégoûts et d'appréhension. Elle était encore secouée par son attitude de tout-à-l'heure, par l'agressivité dont il avait fait preuve à son égard quand elle l'avait traité d'épave. Elle avait perçu tellement de fureur et de grandiloquence dans sa voix qu'elle avait eu l'impression d'être à nouveau en présence de son père quand elle venait de faire une bêtise. Elle se fit donc la promesse de faire plus attention à ce qu'elle dira en la présence du nain. Plus troublant encore, la simple idée qu'elle et ses compagnons allaient devoir se le coltiner et faire appel à ses expériences de guerrier pour régler le problème Défias la mettait de plus en plus mal à l'aise. Et ce alors que le nain était tellement à sec et dépendant de l'alcool qu'il avait du vendre ses propres armes et son armures pour de la bière à foison.

Elle se sentait comme si elle tenait en équilibre sur une branche morte et sur le point de céder, le pire étant qu'elle s'y était jetée la tête la première dans cette situation.

— Alors, les bouseux, qu'est ce que vous comptez faire contre ces Défias à la noix ? leur demanda Batël après avoir vidé sa choppe.

— Les empêcher de nuire à la population, pour commencer ! répondit simplement le gnome.

— Mais encore ? re-questionna le nain. Avez vous prévu un plan d'attaque ? Avez vous une idée d'où, de qui, de quand et de comment frapper ? Parce que si on ne se pose pas toutes ces questions avant de passer à l'action, l'attaque sera voué à l'échec.

Le groupe s'échangea des regards incrédule et silencieux. Ils n'avaient certes pas encore réfléchi à la question mais avaient encore moins les réponses à leurs questions.

— Et c'est à ça qu'on reconnaît les amateurs ! clama le nain d'un ton railleur. Mais plus sérieusement, vous n'avez aucune idée d'où ils tiendraient leurs bases d'opérations et de qui les dirigent ?... Alors nous sommes tous les quatre dans le brouillard !

Ne pouvant plus cacher davantage sa frustration, la jeune elfe plaque sa tête sur la table, le bois étouffant sa plainte.


— Puis-je me joindre à vous ? leur demanda une voix grave et trahissant un âge avancé.

En relevant la tête, Gahahli vit un humain en armure grise, barbu et au longs cheveux grisonnants se tenir à côté du groupe, en train de tirer une chaise.

— Seigneur Roidemantel ? s'exclama Bartélo en se levant précipitamment de sa chaise. C'est un honneur de vous...

— Allons, jeune écuyer, rasseyez-vous ! l'interrompit le dénommé Roidemantel d'un ton calme. L'heure n'est pas à la révérence et aux cérémonies.

— Mais qu'est ce qui vous amène, vous un ancien chevalier l'Ordre de la Main d'Argent dans ce boui-boui ? lui demanda le jeune humain.

— Et bien je m'étais rendu à Hurlevent dans l'espoir de recruter des volontaires pour une opération que je mène dans la Marche de l'Ouest et faire mon rapport au Centre de Commande, lui répondit le vieil humain en armure. Là bas, j'ai cru comprendre qu'une certaine elfe aux cheveux bleus y aurait fait scandale. J'imagine qu'il en peut s'agir que de vous.

Pour toute réponse, la jeune elfe enfouit son visage dans ses mains, honteuse. Ce qui amusa le seigneur Roidemantel.

— Allons, gente dame, il n'y a pas de quoi avoir honte, la rassura-t-il. J'aurais plutôt tendance à admirer ce franc-parler, et pour être honnête, je suis de votre avis. Voyez-vous, l'activité des Défias me préoccupe de plus en plus et je doute qu'ils vont s'arrêter à extorquer les voyageurs sur les routes ou les paysans. Je redoute même des intentions plus néfastes pour le royaume. Et cela m'attriste que ni l'armée ni les nobles ne fasse quoi que ce soit pour contrer cette menace et se contentent de laisser couler. Au point qu'on incite les gens du peuple à régler le problème à leur place. D'où ma présence ici, ainsi que les affaires que je mène à la Marche de l'Ouest.

— Alors, c'est vrai ? s'exclama Baelbo dont les yeux semblaient briller d'espoir. Vous aussi luttez contre ces satanés Défias.

— C'est exact, mon ami, lui répondit chaleureusement le vieux humain. Et même mieux je dirige la contre-offensif contre cette organisation.

— Une contre-offensive ? répéta Gahahli intriguée.

— Figurez-vous que les Défias sont tellement nuisibles aux habitants de la région que ces derniers ont décidé de riposter et de former une milice que je dirige actuellement. Mais je dois admettre que ces derniers temps, les Défias ne nous laissent pas la tâche. Ils sont même devenu plus retors et haineux au fil des ans. Et aujourd'hui plus que jamais, nous avons plus que jamais besoin de volontaires si nous voulons gagner la guerre contre le crime organisé. Toute aide, même infime, serait la bienvenue. Et vous voyant discuter sur comment combattre les Défias, j'ai pensais que vous pourriez être de parfaits candidats... Si vous l'acceptez, bien sûr. Je ne voudrais pas vous forcer la main.

— Hé là, pas si vite ! intervint le nain. Elle est où l'arnaque ? Parce qu'on m'a déjà fait le coup, il y a cinq ans...

— Mais enfin, maître Batël ! s'indigna le jeune humain. Vous vous adressez à un chevalier de la Main d'Argent. Pourquoi voudrait-il nous arnaquer ?

— Primo, ne le prends pas mal petit mais même ceux qui portent une armure brillante peuvent cacher les pires trouduc' qui puise exister, lui répondit Batël sans prendre la peine de parler à voix basse. Les rescapés de Lordaeron peuvent en témoigner. Deuxio, tu ne trouves pas ça louche qu'un individu nous offre son aide pile quand on en a le plus besoin ? Et tertio, crois en mon expérience, quand t'acceptes leur proposition, il faut toujours que ça se retourne contre toi. (il se tourna vers Riodemantel en le défiant du regard) Alors, qu'attendez-vous de nous, au juste ?

— Rien de plus que votre coopération, répondit sereinement le chevalier.

— Encore une chose ! reprit le nain. Vous y gagnerez quoi contre cette guéguerre contre le crime organisé ? À part cette histoire de code du paladin avec lequel on m'a rabâché les oreilles pendant trop longtemps.

— Maître nain, répondit toujours aussi posément Roidemantel tout en fixant le nain du regard. Vous avez fait mention de Lordaeron à l'instant, je me trompe ? Et bien sachez que j'y étais avant que le royaume tombe en ruine. J'y étais avant que le prince sombre dans la folie. J'y étais quand il n'était question que de combattre une épidémie. J'étais présent quand le prince avait ordonné l'épuration de Stratholme. Et il ne se passe pas un jour où je ne me dis pas que j'aurais pu empêcher la série de tragédie qui en a découlé. Que j'aurais pu faire quelque chose autre que de détourner le regard et fuir le pays comme un lâche.

En écoutant le vieux chevalier, la jeune elfe n'avait évidemment qu'une trop vague idée du royaume tombé en ruine ou de la ville épuré par un prince sombré dans la folie, elle en savait juste assez que c'était ce qui aurait motivé l'exode des humains qui avaient rejoint les elfes de la nuit à la bataille du mont Hyjal mais sans pour autant en connaître les détails. Cependant, elle ressentait clairement chez le vieux chevalier le dégoût pour l'inaction et la lâcheté tandis que l'on voyait son monde s'écrouler pour en avoir fait l'expérience et n'en tirer qu'un sentiment amer d'impuissance ainsi que de la culpabilité.

Batël continuait à défier Roidemantel du regard tandis que le reste du groupe retenait son souffle.

— Il m'a l'air honnête, dit enfin le nain. On peut lui faire confiance.

— Ah la bonne heure ! s'exclama le vieux chevalier. Allez, c'est ma tournée !


Avant de partir pour la Marche de l'Ouest, le seigneur Roidemantel avait exigé au groupe du sérieux et un minimum de discipline de leur part. La milice que le vieux chevalier dirigeait était peut-être principalement composé de fermiers voulant se révolter contre les Défias et récupérer leur terres des bandits, ce n'était pas pour autant qu'il fallait négliger la discipline et jouer aux héros. Encore moins face à des bandits dont l'organisation rivalisait avec le SI:7, la force militaire secrète de Hurlevent, et quand le destin de tout le royaume était en jeu.

Cela avait atténué l'enthousiasme de Gahahli qui avait retrouvé l'espoir et la foi en l'Alliance en la personne du vieux chevalier, elle qui avait compris depuis sa prise de bec avec l'officier dans la caserne que le militarisme et elle, c'était comme l'eau et l'huile. Mais pour le coup, elle était prête à se faire violence.

— Est-on vraiment obligé de partir tout de suite ? demanda Baelbo inquiet.

— Roidemantel nous a dit que le plus tôt nous serons à la Colline des Sentinelles, le mieux ce sera, répondit Bartélo qui ouvrait la marche.

— Mais dans ce cas, il ne pourrait pas nous accompagner, le vieux ? questionna le gnome. Plutôt que de rester dans la cité à dégoter d'autres volontaires qui à tout coup ne viendront pas.

— Mais pas d'inquiétude, maître gnome. Je connais le chemin pour la Marche de l'Ouest. Une fois là bas, il y aura juste à suivre la route vers le sud jusqu'à ce qu'on trouve une tour de guet surmontant une colline, puis de demander un certain Danuvin. Et puis, il a promit de nous rejoindre à la nuit tombée.

— D'accord pour l'itinéraire, mais je me sentirais plus en sécurité si on était escorté par un chevalier, insista le gnome. Un vrai, qui a de l'expérience et garde les idées claires. Sans vouloir offenser qui que ce soit.

— Alors que nous nous rendons dans la région où l'ennemi que nous allons affronter tiendrait sa base principale ? rétorqua Batël. On serait facilement pris pour cible par ces foutus bandits s'ils nous voyaient en compagnie de leur ennemi juré numéro un. Là comme ça, on peut facilement se faire passer pour de simple voyageurs et au pire, ils nous feront payer un droit de passage.

— De toute façon, les routes de la forêt d'Elwynn sont tranquilles depuis que chaque gangs qui l'infestaient ont été démantelé un à un, ajouta l'apprenti paladin avec une pointe de fierté dans la voix. Et ils n'oseront pas nous attaquer en plein jour en étant à découvert dans les plaines quand nous serons dans la Marche.

— J'espère bien, grommela le gnome. Parce que je vous rappelle que nous n'avons pas un rond. Et que les Défais ne sont pas réputés pour leur âme charitable.

— T'as toujours ta magie, p'tit gars, si t'as besoin de te défendre, lui rétorqua le nain. Moi, j'signale que je n'ai plus d'armes et j'doute que mes poings vont suffire.

Gahahli aurait bien voulu lui répondre qu'il aurait dû y penser avant d'échanger sa dernière hache contre un tonneau de bière, mais elle voulait éviter de s'attirer à nouveau les foudres du nain.

— Roidemantel nous a assuré qu'on aura de quoi se fournir en arme et en armure une fois arrivé à la colline, assura Bartélo. Et qu'on aura aussi de quoi se nourrir si on arrive pas trop tard.


Le soleil était encore très haut dans le ciel quand le groupe traversa à nouveau la Vallée des Héros, annonçant le début de l'après-midi. Au grand étonnement du groupe, la place était toujours aussi bondé qu'il ne l'avait été durant la matinée. Des réfugiés pour la plupart, ayant fui leur maisons de campagne pour se mettre à l'abri de la menace grandissante des Défias, quand bien même la cité n'aurait pas assez de logement pour eux.

En traversant le pont, la jeune elfe qui pensait que ses yeux s'étaient accommodé à la lumière ambiante dût quand même se couvrir les yeux d'une main tant le ciel était plus éclatant que jamais.

— Un problème, la gamine ? l'interrogea le nain qui sembla remarquer la curieuse attitude de l'elfe.

— Ça va... Juste... le soleil... trop brillant, répondit fébrilement Gahahli.

— Tiens, mets donc ça sur tes yeux, dit Batël en sortant de sa poche un vieux bandeau en lin qu'il tendit à l'elfe.

Cette dernière hésita à prendre le morceau de tissu venant d'un individu aussi crasseux que le nain, craignant qu'il s'agissait d'un mouchoir usagé.

— Allez, t'as rien à craindre ! insista le nain. On s'en sert par précautions sur nos nourrissons quand on leur fait découvrir la lumière du jour, ou même sur ceux qui ont passé tellement de temps sous terre qu'ils en gardent un vague souvenir de la surface.

Il était vrai que les nains avaient réputation de vivre sous la surface de la terre, à creuser dans la roche pour y extraire du minerai ou bâtir leur maisons, et que de ce fait, ils devaient être plus à l'aise sous terre dans l'obscurité qu'à la surface en plein jour. Quelque chose qui devait les rapprocher des elfes de la nuit, songea Gahahli.

Elle saisit finalement le tissu et s'en servit pour se bander les yeux. Le tissu étant assez fin, il ne gênait pas sa vue pour autant — elle fut moins nette mais elle pouvait encore distinguer les silhouettes de ce qui l'entouraient. L'essentiel étant que le bandeau faisait filtre avec la lumière aveuglante du jour, et cela suffisait à la jeune elfe.

— Merci, dit-elle au nain dans un souffle.

— Prends en bien soin, surtout, ajouta Batël d'un ton plus grave. Ça appartenait à un de mes fils.

Gahahli fut étonné à l'idée aussi agréable qu'un vieux sanglier et à l'hygiène douteuse ait pu fonder une famille. Elle décela toutefois une pointe de chagrin dans la voix du nain.

Elle hésita longuement à lui poser la question puis se lança finalement après que le groupe ait traversé Comté de l'Or.

— Alors... vous avez une famille ? Des enfants ? Une épouse ?

— J'avais, lui répondit le nain d'un ton maussade. Puis il y a eu la Troisième Guerre, et on me les a enlevé. Et depuis je noie mon chagrin dans l'alcool.

— Je... je suis désolée, ajouta la jeune elfe. Qui vous les a enlevé, au fait ?

— Tu poses trop de question, gamine, lui répondit sèchement Batël. Et puis je préfère ne pas en parler.

La jeune elfe n'insista pas, respectant la décision du nain. Elle même aurait appréhendé l'idée d'évoquer la destruction de sa forêt natale ainsi que la disparition de sa mère sans fondre en larmes ou bouillonner de rage.

Le groupe continua sa route vers la Marche de l'Ouest en silence.

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