Un monde brisé

Juché sur son drake, lui-même perché sur une colline en périphérie du Temple, avec Jakua accroché au dos de la monture, Gahahli observait la scène, attendant le moment propice pour attaquer.

Pour le moment, le plan se déroulait comme elle l'avait prévu avec Kurdran.

Des chevaucheurs de griffons survolaient et bombardaient le Temple avec des bombes à base de gangreflammes, attirant l'attention des chevaucheurs de drakes, tandis que des tanks nains faisaient feu sur les remparts, distrayant ainsi les gardes restes au sol.

Ce fut le chaos aussi bien sur la terre ferme que dans le ciel.

Mais tout cela n'était qu'une diversion pour occuper l'ennemi et laisser le champs libre à la jeune elfe de la nuit.

Elle n'avait plus qu'à profiter de la confusion pour s'infiltrer dans le Temple, retrouver son ami et quitter les lieux au plus vite. À partir de cet instant, le reste ne dépendrait plus que d'elle.

Mais encore fallait-il qu'elle sût où l'elfe de sang était retenu. D'autant que ni elle ni aucun Marteau-Hardi ne connaissait les plans du Temple Noir.

De ce fait, Gahahli fut envahie d'un sentiment d'angoisse. Elle n'avait pas le droit à l'erreur, elle le savait. Mais elle savait d'expérience que quoi qu'elle entreprenait, même en planifiant tout de A à Z, il y aurait forcément un pépin qui viendrait tout foutre en l'air et transformerait la mission en fiasco.

Or, elle savait tout aussi bien qu'elle n'avait droit qu'à un seul essai. Les Marteaux-Hardis étaient certes reconnus pour leur bravoure et leur témérité, ils détestaient risquer leurs vies inutilement et prendre d'assaut le Temple Noir pour libérer un seul prisonnier était déjà un bien trop risque. Par conséquent, ils refuseront une seconde tentative en cas d'échec.

D'autant qu'elle s'attaquait la à un très gros morceau, ni plus ni moins que le Temple Noir. Là où résidait le Seigneur de l'Outreterre ainsi qu'une des plus fortes concentration de démons d'orcs corrompus de tout l'Outreterre — la deuxième à sa connaissance avec la Citadelle des Flammes Infernales. Autant affronter le plus gros et le plus maléfique dragon d'Azeroth dans son antre.

Elle en avait l'estomac noué et les sueurs froides. Elle aurait aimé que ses amis —et même son père — fussent présents pour l'assister, ça l'aurait aidé à avoir confiance en elle.

Elle en vint même à penser que son père avait raisonna son sujet. Qu'elle n'était pas du tout prête et qu'elle aurait cette sale manie de jouer les héroïnes jusqu'à mettre sa vie en danger sans réfléchir en amont à si ça en valait la peine. Tout compte fait, c'était une bonne chose que son père ne fut pas présent, il aurait continuer à lui casser les oreilles avec ses sermons plutôt que de lui apporter le soutien font elle avait besoin.

Mais ce n'était pas le moment de se dérober. Les Marteaux-Hardis faisaient confiance en elle pour qu'elle réussit sa mission de sauvetage pendant qu'ils occupaient les gardes et les chevaucheurs de drake.

Elle se concentra sur le Temple en conséquence.

En son sommet, elle remarqua la présence d'un mage elfe de sang (Kael'thas Hautsoleil) et d'une femelle naga à la chevalier de serpents ( Dame Vashj) qui contre-attaquaient. L'un des tirants de boules de feu sur les assaillants chevaucheurs de griffons, l'autre leur tirant des flèches de glace combinées à des éclairs.

Gahahli avait donc intérêt à agir vite si elle ne voulait pas voir les Marteaux-Hardis décimés par ce duo de choc et avoir leur mort sur la conscience.

Sur la terrasse au niveau inférieur au sommet, elle repéra un petit troupe de gangr'orcs en train d'escorter un elfe de sang à la mine abattue.

Elle reconnut aussitôt Bathris.

Malgré la distance qui les séparait, elle savait que c'était bien lui, l'elfe de sang qu'elle était venue secourir. Elle le sentait dans ses tripes. Mieux, c'était comme si c'étaient ses tripes qui réagissaient à la présence de l'elfe de sang.

Gahahli fut alors enhardie par cette étrange sensation et fit décoller son drake.

Elle survola la terrasse en restant à distance du mage elfe de sang et de la sorcière naga pour ne pas attirer leur attention et atterrit juste devant le groupe d'orcs, leur bloquant l'accès vers les niveaux inférieurs où ils auraient été à l'abri.

Les gangr'orcs furent tous surpris par cette entrée fracassante, mais pas autant que Bathris qui lui n'avait pas l'air d'en croire ses yeux.

— Relâchez le prisonnier ! ordonna-t-elle aux orcs en bandant son arc dans leur direction. Tout de suite !

Mais sa menace ne fit aucun effet sur le chef qui fit signe à ses sbires d'attaquer l'elfe de la nuit, pensant avoir l'avantage du nombre.

Ce fut sans compter Jakua qui bondit du drake et se jetant sur un des orcs à qui il arracha la tête avec la force de ses mâchoires, tandis que Gahali décocha une flèche dans l'œil droit du chef orc.

D'autres tombèrent sous les flèches de l'elfe de la nuit ainsi que sous les crocs et les griffes du Sabre-de-nuit.

Les deux derniers qui resteront prirent peur. L'un s'échappa en sautant par dessus la balustrade, se jetant vers une mort certaine. L'autre rebroussa chemin en courant, poursuivi par le tigre. Pas des masses courageux, ces orcs-là ! Ni très futés, d'ailleurs !

Il ne restait plus que Bathris debout au milieu des cadavres de gangr'orcs, médusé.

— Dame Gahahli ! s'exclama-t-il. Vous êtes venu me... ?

— Vous aurez tout le temps de me remercier quand nous aurons quitté cet endroit ! l'interrompit-elle. Allez, montez !

Face à la mine ahuri de l'elfe de sang, elle dût insister pour que celui daigna à monter sur le drake du Néant, se plaçant derrière celle qui venait la sauver.

Il ne manquait plus que le Sabre-de-nuit et qu'il eût fini sa chasse à l'orc pour qu'ils puissent enfin reprendre leur envol et se rendre en lieu sûr.

Il ne fallait pas qu'ils tardent, les chevaucheurs de griffons s'étaient déjà dispersés et leur tank venaient de battre en retraite.

— Jakua, où es-tu ? appela l'elfe de la nuit qui d'impatientait. On rentre !

Elle vit son tigre descendre la terrasse au galop.

Il était à mi-chemin vers le drake quand Vashj surgit depuis le sommet du Temple, intercepta l'animal et d'une vitesse ahurissante l'enroula avec sa queue de serpent.

Gahahli prit peur pour son fidèle Sabre-de-nuit et tenta de le secourir et décochant une flèche vers la femme-serpent.

Malheureusement, la flèche fut magiquement stoppé à mi-parcours et suspendu dans les airs par Kael'thas qui venait de se téléporter juste devant Vashj.

L'elfe de la nuit voulut décocher une seconde flèche mais Bathris la retint d'une main à l'épaule.

— Relâchez le tigre ! supplia-t-il au prince elfe. Il n'a rien à voir avec vos histoires...

— Pas la peine de nous mentir, lui rétorqua méchamment Vashj en resserrant son étreinte. On l'a vu s'en prendre à nos hommes. Et on a vu qu'elle était avec ta complice. Et on aimerait voir combien elle tient à son chaton.

La vue de Jakua suffocant sous l'étreinte de la sorcière naga et se débattant tant bien que mal pour pouvoir respirer fut insupportable pour Gahahli. Prise de rage, elle fit du des protestations de Bathris et tira une nouvelle flèche, cette fois vers le prince elfe.

Mais comme avec la précédente, Kael'thas stoppa le projectile à mi-parcours et le fit suspendre dans les airs d'un simple geste de la main.

— Ma foi, c'est qu'elle est déterminée, la petite ! commenta Kael'thas d'un air narquois. Mais pas assez rapide !

Sur ces mots, il brisa la flèche avec son seul regard.

— Décoche une autre flèche et je serre davantage mon étreinte sur ton animal jusqu'à l'asphyxie ! prévint Vashj à la jeune elfe de la nuit. Si tu veux le récupérer vivant, t'as intérêt à faire ce qu'on te dit.

Gahahli comprit qu'elle ne gagnerait pas contre ces deux-la. Elle ne voulait pas sacrifier ni abandonner son Sabre-de-nuit. Il était plus qu'un simple animal de compagnie ou de chasse à ses yeux. C'était son partenaire. Le perdre serait aussi douloureux que si elle perdait un membre de sa famille. Mais elle ne pouvait se permettre de compromettre sa mission de sauvetage, pas si près du but.

Il fallait qu'elle trouve une solution. Quelque chose pour qu'elle pût à la fois sauver son tigre et permettre au jeune elfe de sang de s'échapper. Et qu'elle trouvât vite.

— Laissez, mon amie ! lui suggéra Bathris qui se voulut compréhensif et s'apprêta à descendre du drake. C'est moi qu'ils veulent. Ça ne vous concerne pas...

— Taisez-vous et restez où vous êtes ! lui rétorqua sèchement Gahahli.

Elle s'était surprise de s'adresser à l'elfe de sang avec autant de sévérité. Elle ne se souvenait pas de s'exprimer ainsi à ses amis de l'Alliance.

Et elle avait se creuser les méninges, elle peinait à trouver un moyen de se tirer d'affaire. Ses options se réduisaient à vue d'œil.

Elle allait devoir faire un sacrifice, c'était certain.

Elle se tourna finalement vers Kael'thas et Vashj qui gardait son tigre en otage et leur demanda :

— Que dois-je faire pour que vous rendiez sa liberté à mon Sabre-de-nuit ?

— Pour commencer, tu dois descendre du drake, lui répondit calmement le prince elfe. Ensuite que tu viennes déposer déposer tes armes à nos pieds. Toutes tes armes.

"Puisqu'il le faut..."

Abattue, Gahahli concéda à descendre du drake.

— Ne faites pas ça ! protesta de nouveau Bathris avec insistance. Laissez-moi me rendre ! C'est moi qu'ils...

— Ne bougez pas tant que je ne vous le dis pas, lui ordonna la jeune elfe de la nuit dans un murmure.

Puis elle avança lentement vers le prince elfe de sang, devant lequel elle déposa son arc et son carquois de flèches à moitié vide, ainsi que son couteau de chasse.

— C'est bien ! dit Kael'thas avec un sourire satisfait tandis qu'il faisait léviter les armes de l'elfe de la nuit de manière à ce qu'ils furent hors de sa portée. Tu es une brave fille quand tu y mets de la bonne volonté. Et maintenant, au tour de ton...

— DÉCOLLE ! hurla soudain Gahahli en direction du drake du Néant et en langage elfique. DÉCOLLE MAINTENANT ! VITE !

Elle avait crié de manière si agressif et avec son ton le plus aiguë que non seulement elle s'était cassé la voix mais qu'elle était parvenu à faire cuire le drake qui prit son envol, laissant à peine le temps à son passager d'attraper les rênes.

Une force invisible tira Gahahli jusque dans les bras du prince elfe de sang qui l'empêcha de s'enfuir mais c'était trop tard.

Le drake avait pris son envol et volait déjà haut dans le ciel, s'éloignant du Temple Noir avec le jeune elfe de sang sur son dos. Ce dernier ne put que crier le nom de sa sauveteurs alors qu'ils se perdirent de vue à cause de la distance.

La jeune elfe de la nuit ne pouvait que prier pour qu'il n'arrivât rien à son ami elfe de sang durant sa fugue

Vashj et Kael'thas furent médusés et regardèrent leur prisonniers s'éloigner à vue d'œil, sans savoir quoi faire pour le rattraper au plus vite sans risquer sa vie. Après tout, il leur fallait le jeune elfe de sang vivant.

Vashj pesta en elfique — ou du moins, une langue dérivée de l'elfique — avant de se ressaisir et de suggérer :

— Envoyons nos meilleurs traqueurs à ses trousses ! Ils nous le ramèneront en moins de temps qu'il nous faut pour le...

— Ce ne sera pas nécessaire, ma chère, l'interrompit poliment Kael'thas. Il reviendra vers nous, d'une manière ou d'une autre. Je peux vous le garantir.

— Et le maître, vous y avez pensé ? s'impatienta Vashj. Il se sera fou de rage en apprenant que nous avons laissé un prisonnier s'échapper.

— Pas besoin qu'il l'apprenne ! la calma Kael'thas. Nous avons toujours un elfe sur les deux qu'il a demandé. Nous n'aurons qu'à lui dire que le second est introuvable.

— Et qu'est-ce qui vous garanti que l'autre va revenir, demanda Vashj. Vous pouvez prédire l'avenir, à présent ?

— Ma chère, allons, n'avez-vous pas jeter un œil à ses souvenirs tout-à-l'heure ? répondit Kael'thas toujours aussi calme. Parce que vous aurez réalisé que nous avons en notre possession quelque chose de cher à son cœur, qu'il voudra récupérer à tout prix et qui par conséquent l'obligera à revenir vers nous, que ce soit en rampant ou par la force des armes. Et quand viendra le moment, nous l'accueillerons comme il se doit.

Écoutant d'une oreille distraite, Gahahli n'était pas sûre de savoir où le prince elfe voulait en venir. Ou bien avait-elle une petite idée mais espérait se tromper. Au vu des circonstances, cette perspective ne pouvait qu'aggraver sa situation.

Mais apparement, cela suffisait à Vashj pour qu'elle libéra Jakua de son étreinte et que Kael'thas en fît de même avec la jeune elfe de la nuit qui retomba à genoux sur le sol.

Couché sur le flanc et visiblement épuisé d'avoir lutté contre l'étreinte de la femme-serpent, le Sabre-de-nuit lança un regard désolé à sa partenaire. Il devait se sentir coupable d'avoir fait foirer le plan d'évasion en se laissant bêtement attraper.

Mais Gahahli ne lui en tint pas rigueur pour autant et compatissante, elle enlaça son tigre pour le rassurer. Au moins ils avaient réussi à faire libérer Bathris et ce qui lui important, c'était que tous les deux furent vivants, qu'elle ait pu sauver les deux d'une manière ou d'une autre.

Même si cela faisait d'elle une otage, à présent.