La voix de l'ombre - Livre I : Les murmures du passé

Chapitre 2 : Le choix des trois.

3163 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 28/01/2024 19:46

Chapitre 2 : Le choix des trois.



La route à pied était longue jusqu'à l'entrée d'Altérac. La neige épaisse qui recouvrait le paysage entier n'était pour autant pas un obstacle, en tout cas pas pour les orcs, habitués aux chasses dans les fourrés de la Crête de Givrefeu, en Draenor. À cette pensée, Orgrim sentit une vague de nostalgie l'envahir. Cette neige le renvoyait droit vers ses souvenirs en compagnie de son ami, Durotan, et des défis qu'ils se lançaient sans cesse. Une époque révolue, bien malgré lui, et dont les traditions orques berçaient le mode de vie. Traditions qu'il entendait bien restaurer une fois que son peuple serait installé sur ses propres terres qu'il cultivera, honorera et protégera.


Ses pensées se dispersèrent à la vue de l'immense porte de bois maintenue par des gonds d'acier qui s'ouvrait devant eux afin de les laisser entrer. Les gardes qui bordaient le chemin qu'ils empruntaient arboraient une armure argentée et luisante, flanquée d'un écusson orange foncé étoffé d'un oiseau noir. Le visage de certains d'entre eux était marqué par un rictus à la vue des guerriers orcs, ce qui trahissait leur dégoût. Le roi s'avançait, l'air fier et d'un pas assuré, comme pour prouver à ses troupes, à défaut de se le prouver à lui-même, combien les orcs qui le suivaient ne l'impressionnaient pas.


Une fois entrés dans le grand hall dont le sol était recouvert de longs tapis rouges et dont les murs de pierre exposaient les couleurs d'Altérac, Perenolde leva la main en direction d'un homme trapu et élégamment vêtu qui, de toute évidence, attendait patiemment un signe de son maître pour accourir.

  • Fais appeler mes filles sur le champ, ordonna le roi. Qu'elles nous rejoignent dans la salle du trône.
  • Votre Majesté, osa le serviteur, la princesse Keera n'est pas encore rentrée de sa...
  • Fais-là chercher, coupa le roi d'Altérac, sans réfléchir. Et vite !

Devant l'autorité maladroite et inhabituelle du roi, le serviteur se hâta de rejoindre l'un des guerriers postés près de l'entrée de la salle du trône, qui à son tour se précipita vers l'arrière-salle et sortit à grands pas.


Orgrim semblait s'amuser de cette scène, et entendit l'un de ses guerriers derrière lui pouffer et marmonner un juron en langue orque.

Perenolde pensa qu'il était heureux que le général Hath soit en mission à l'extérieur. Bien que très loyal envers le royaume, il le savait droit et surtout irrémédiablement intègre. Or, il aurait été capable de se dresser contre sa décision de marier l'une de ses filles au chef de guerre de la Horde.

À cette pensée, le roi reprit contenance et s'avança vers Marteau-du-destin, les bras ouverts comme pour donner l'accolade.

  • Seigneur Marteau-du-destin, soyez le bienvenu au royaume d'Altérac. Pouvez-vous me suivre jusque la salle du trône, où une collation vous sera offerte, dit-il tout en lançant un regard en coin à un serviteur sur sa droite, lequel quitta la pièce afin d'organiser ladite collation.


Perenolde invita alors Orgrim et sa troupe à le suivre. En chemin vers le trône, monté sur une marche et placé au fond de la salle, le roi s'attela à la présentation de sa progéniture.

  • J'ai donc trois filles, annonça le roi, l'air fier. En réalité, j'en ai quatre, mais l'une d'elle, Beve, est en étude à Dalaran. L'aînée, Neva, est la plus docile et la plus douce des trois. Une remarquable joueuse de flûte. À la mort de sa mère, feu la reine Isolde, elle prit soin de ses sœurs.

Orgrim écoutait, bien que la description de la femelle en question ne semblait pas correspondre aux critères que pouvait avoir un guerrier orc d'une compagne. Sans un regard vers le chef de guerre, le roi poursuivit mielleusement son monologue :

  • Ma seconde fille, Orla, est davantage douée pour la broderie et aime la poésie. Quant à ma cadette...


Le roi s'interrompit. Assurément, il cherchait ses mots. Orgrim s'arrêta et l'observa.

  • En réalité, repris Perenolde, Keera n'est que ma fille adoptive, voyez-vous. Je l'ai recueillie par charité, alors qu'elle venait de perdre sa mère, la princesse l'une lointaine contrée. Et, bien qu'ayant reçu une éducation digne de son rang, elle ne semble pas accorder d'intérêt pour les arts.

Face à l'orc qui paraissait attendre la suite en haussant les sourcils, le roi continua avec hésitation :

  • Bien sûr, le choix vous revient, seigneur de guerre. Cependant, je ne puis que vous conseiller de choisir parmi mes filles aînées. Le caractère de ma cadette étant pour le moins difficile, je ne voudrais pas que vous regrettiez votre choix.
  • Votre Majesté, la princesse Neva et la princesse Orla.


L'annonce les força à se retourner. Et tandis que les deux princesses aînées s'avançaient d'un pas mal assuré, sans doute dû à la présence d'orcs dans la salle du trône, Orgrim les scruta.

De toute évidence, elles étaient terrorisées. Vêtues chacune d'une longue robe fermée au col par un ruban, l'une mauve, l'autre bleue, leurs cheveux étaient relevés en chignon sur leur nuque. La première se tenait droite, présentait un corps plutôt élancé ainsi qu'un visage assez agréable. La seconde était légèrement voûtée, et plus corpulente, avec un visage plus bouffi et de petits yeux bleus. Arrivées au plus près des hôtes et du roi, à distance prévue par le protocole royal, les deux princesses s'inclinèrent en direction de leur père.


Le roi présenta alors ses filles, désignant chacune d'elle par un signe de la main :

  • Seigneur Marteau-du-destin, je vous présente ma fille Neva, et ma fille Orla.

Les deux princesses s'inclinèrent à nouveau, cette fois vers le chef de guerre orc. Puis :

  • Mes enfants, je vous présente …
  • La princesse Keera, annonça le régisseur du roi dans la hâte, suivant l'allure de marche de la princesse, ce qui l'obligea à interrompre son maître.

La jeune femme à l'allure vive semblait revenir d'une chevauchée mouvementée. Son long manteau tâché et ses bottes crottées en témoignaient. Elle paraissait plus svelte que ses sœurs, ses cheveux noirs étaient relevés en queue de cheval et de longues oreilles droites bordaient son visage, rappelant les oreilles des elfes de Quel'Thalas, encore que davantage inclinées à l'horizontale. Ses longs yeux dorés, contrairement au regard vide des elfes, comptaient une pupille ainsi qu'une iris. À la différence de ses sœurs, dont le visage était marqué par la peur malgré un effort surhumain pour le cacher, elle présentait un regard à la fois dur et scandalisé.


À hauteur de ses sœurs, elle s'immobilisa, droite et altière, fixant le roi droit dans les yeux, devant qui elle s'inclina.

  • Enfin vous voilà, ma fille, lança Perenolde d'un ton assuré comme pour cacher son état d'anxiété. Mon seigneur, je vous présente ma cadette, la princesse Keera.



Comme pour les autres princesses, Orgrim se contenta de l'observer sans même opiner du chef. La princesse tourna alors son regard vers l'orc, et le soutint.

Après quelques secondes de silence, Perenolde, le dos dégoulinant de sueur, ne se risqua pas à ramener sa cadette à la raison, de peur qu'elle refuse à nouveau la révérence due à son hôte et que l'orc ne s'emporte. Mais la situation ne semblait pas offenser le chef de guerre le moins du monde. Autant qu'il pouvait en juger, en réalité cela l'amusait, car son faciès se changea en une sorte de mimique amusée, si tant est qu'élargir sa gueule et sortir ses dents inférieures puisse être pris pour un sourire.


Le roi se reprit et annonça finalement :

  • Mes enfants, je vous présente le seigneur Orgrim Marteau-du-destin, grand chef de guerre de la Horde. Il vient en allié, et nous sommes honorés de le recevoir.

Orla, qui peinait à dissimuler le tremblement de ses jambes, eut un haut le cœur. Leur père, sans aucune honte, avait invité le pire ennemi des humains. Le monstre qui menait une armée d'autres monstres sanguinaires qui dévastaient tout sur leur passage.

L'annonce qui suivit finit de les choquer :

  • Nous venons de conclure un pacte, et laisserons la Horde passer le col avec notre aide. En retour, le seigneur Marteau-du-destin promet d'assurer notre protection, et postera une troupe de guerre à la base du col.

Rassemblant tout son courage et, bien qu'avec une grande appréhension, il continua :

  • Afin de sceller ce pacte, et d'assurer une entente mutuelle et réciproque, j'ai offert au seigneur Marteau-du-destin de se choisir une épouse parmi mes filles.


L'immense salle du trône se tut. Même les gardes postés le long des murs cessèrent de respirer. Les jambes de la princesse Orla cédèrent et elle vacilla, rattrapée de justesse par ses sœurs qui l'encadraient.

Les yeux perlés de larmes, Neva essayait de rassurer sa sœur en enroulant son bras autour de ses épaules. Quant à Keera, elle lança un regard noir au roi en tentant de relever Orla, qui respirait à grand peine.

L'un des guerrier orc posté derrière le chef de guerre bredouilla dans sa langue natale, tandis que son voisin s'esclaffa. Orgrim ne réagit pas.

Le roi Perenolde reprit la situation en main, et s'adressa à ses filles :

  • Veuillez regagner vos appartements, le temps de vous rafraîchir (il dévisagea Keera dans l'espoir qu'elle comprenne ce qu'il voulait dire). Le seigneur Marteau-du-destin et moi-même devons discuter.


Tout en relevant leur sœur par le bras, les trois princesses s'éloignèrent jusqu'à sortir de la salle du trône. Quelque peu soulagé, le roi Perenolde engagea la conversation :

  • Je vous prie d'excuser mes filles pour cette démonstration inappropriée.

Orgrim ne parut pas froissé, et répondit :

  • Tu viens de leur annoncer que l'une d'elle devrait s'unir avec le chef des orcs, tu ne les a pas ménagées.
  • Je vous l'accorde, mais c'est égal, elles ont été éduquées dans ce but, épouser un seigneur, et lui obéir en tout point.

Orgrim s'amusa :

  • Ce dont je doute quand je vois le regard mauvais de ta plus jeune fille, lança-t-il.


Perenolde se renfrogna :

  • Toute mes excuses pour son comportement, mon seigneur. Comme je le disais, Keera est revêche. Bien qu'étant la plus jeune, elle a pourtant reçu plus de soupirants que ses aînées. Sa beauté insolente a fait le tour de tous les royaumes. Hélas, aucun des soupirants n'a tenu le choc de sa rencontre.

En effet, la beauté de la jeune fille avait quelque peu troublé le chef de guerre, surtout en comparaison des deux autres princesses. Intrigué par ce récit, Orgrim demanda :

  • Sont-ils morts ?
  • Que point non, par la Lumière, répondit le roi. Ils sont toutefois repartis excédés et en colère. L'un d'entre eux a même eu la mâchoire brisée. On peut dire qu'elle sait repousser ses prétendants.


Orgrim se tourna vers l'entrée de la salle, l'air pensif.

  • Ne vous méprenez pas mon seigneur, continua le roi. Vous seriez comblé en prenant Neva pour compagne. Elle est douce et obéissante, et moins fragile que Orla, de toute évidence.

Orgrim grogna en réponse. L'orc hésitait, et le roi ne pouvait abandonner son entreprise. La survie de son royaume dépendant du choix que ferait le chef de guerre entre ses filles, si toutefois il se décidait, car rien n'était moins sûr.

Le roi devait jouer le tout pour le tout. Et très vite.

  • Régisseur, veuillez convoquer les princesses, ordonna-t-il.
  • Bien votre Majesté, répondit le vassal, qui s'exécuta sur le champ.

Orgrim s'avança vers le roi :

  • Ne les as-tu pas assez malmenées pour les rappeler ? s'étonna Orgrim.
  • Je suis convaincu qu'elles se sont reprises et vous ferons meilleure impression, après leur avoir parlé.

Marteau-du-destin grogna à nouveau, et ajouta :

  • Je ne compte pas perdre plus de temps ici.

Son regard devint menaçant, et le roi recula d'un pas.

  • Je … je vous assure que votre choix vous paraîtra plus évident à présent, dit le roi dans l'espoir que son effroi ne soit pas si visible pour les yeux affûtés du chef orc.



Marteau-du-destin et Perenolde se tournèrent vers les princesses qui firent leur entrée, un moment plus tard. Assurément, elles paraissaient plus sereines, du moins en apparence. Tandis qu'elles avançaient, Orgrim remarqua que la plus jeune, Keera, portait à présent une longue tunique au col relevé rouge sang tombant par-dessus un pantalon noir, et ressemblait davantage à une cavalière.

Une fois les trois princesses bien en ligne et face au roi et au chef de guerre, Perenolde proposa :

  • Mes enfants, présentez-vous chacune votre tour au seigneur de guerre, et si besoin, vous répondrez à ses questions.

Orgrim lança un regard en coin au roi. Poussant un soupir, il croisa les bras sur son torse, et fixa l'aînée des sœurs, comme pour acquiescer.

Neva inspira, et, après avoir reçu l'aval de son père qui la scrutait, commença :

  • Je suis Neva, fille aînée du roi d'Altérac, dit-elle nerveusement. J'ai appris à monter à cheval, à jouer de plusieurs instruments, à chanter et danser. Je serai une épouse dévouée et obéissante, ajouta t-elle bien que sa voix s'estompait à mesure de la phrase.


Orgrim leva les yeux, ce que le roi pris pour un signe de lassitude et, probablement de désintérêt. Il désigna sa seconde fille :

  • C'est à toi, Orla, lui dit-il sur un ton qui se voulait bienveillant.
  • Je suis Orla, s'annonça-t-elle, les yeux rivés sur sur sol.

Elle leva la tête et prit une grande inspiration.

  • Seconde fille du roi, poursuivit-elle, je maîtrise la broderie, la danse, et … dit-elle spasmodiquement entre deux inspirations, je serai une épouse sage et une mère attentionnée.


Cette fin de phrase l'avait terrorisée. Car, une fois dite, elle métamorphosa cette pensée en fait réel : il faudra s'accoupler avec cette créature, cet orc répugnant qui était loin des représentations qu'elle se faisait d'un époux doux et aimant. Elle déglutit avec peine, car cette simple pensée la paralysait.

Keera regarda sa sœur. À elle aussi, cet aspect avait échappé. Elle tourna son regard vers son père, qui attendait de toute évidence, et avec crainte, qu'elle se présente à son tour.

Le chef de guerre la fixait également.


Après avoir longuement soupiré, elle prit la parole :

  • Je suis Keera, dit-elle froidement tout en fixant le chef de guerre.

Elle patienta quelques instants, qui parurent interminables pour le roi qui lui lançait un regard noir et menaçant. Elle changea alors de posture, comme pour tomber le masque.

  • Bien que notre père ait jugé préférable pour notre peuple de vous marier à l'une d'entre nous, je préfère vous prévenir, chef de guerre, cracha t-elle, que jamais je ne vous accepterai comme époux, si telle est votre décision. Je ne suis ni douce, ni tolérante, et encore moins avec des créatures qui massacrent des villes entières par pur plaisir, lança-t-elle en désignant de la tête les guerriers orcs postés derrière le chef de guerre.


Le roi Perenolde voulut disparaître sous terre. Devant l'air décomposé de son père, Keera finit :

  • Mais j'aime mon peuple, et je ferai mon devoir si cela peut le sauver, dit-elle plus calmement tout en gardant son air renfrogné.

Un silence suivit le discours. Perenolde attendit la réaction du chef de guerre, qui se redressa, décroisa les bras et dit :

  • Il faut du courage pour oser me faire face ainsi, proféra-t-il, les yeux fixés sur la princesse Keera.


Il s'approcha lentement de la princesse, dont la mine étonnée laissa paraître un début d'inquiétude.

Orgrim examina attentivement la princesse, et s'arrêta à sa hauteur, laissant le roi se déshydrater dangereusement un peu plus loin. Puis, il reprit :

  • Nous, les orcs, respectons la force et l'honneur, fit-il comme pour s'adresser à une assemblée. La douceur et la faiblesse n'ont pas leur place dans la Horde. Il se tourna vers les deux aînées pour se faire comprendre.

Toutes deux parurent ne pas réaliser le sens de ces mots.

Orgrim finit :

  • C'est donc toi que je choisis, fit-il en désignant Keera du doigt. Tu es loyale envers les tiens, et tu défies ce qui pourrait les menacer.


Stupéfaite d'avoir convaincu l'orc par son discours amer et haineux, Keera était estomaquée. Après quelques secondes, elle réalisa la sagesse de ce choix, car ses sœurs ne pourraient effectivement pas survivre à un tel monstre, ni à son mode de vie rude et dangereux. Après tout, elle connaissait l'art du combat et maîtrisait plusieurs armes, et serait plus à même de se défendre. Elle était donc toute désignée pour suivre l'orc, ce qu'elle dû admettre à contrecœur.

Perenolde ne semblait pas si enchanté par ce choix. De plus, il espérait que Keera ne provoquerait pas les orcs au point qu'ils se retournent contre lui.

  • Je suis heureux que vous ayez pu faire votre choix, mon seigneur, mentit le roi tout en dissimulant sa déception. Je fais quérir le prêtre sur le champ.


Tout en s'éloignant, il congédia ses filles aînées d'un geste et sans plus d'attention à leur encontre. Visiblement soulagées, elles lancèrent tout de même à leur cadette un regard empli de regrets et de peine. Car, bien qu'elles ne soient pas du même sang et très différentes, les trois princesses s'aimaient tendrement.

Keera les regarda également s'éloigner, chagrinée par la séparation, mais se reprit quand elle pensa à ce qui l'attendait : une vie misérable, morne, et totalement dépourvue d'espoir.

Orgrim l'observait, intrigué par ce bout de femme qui le défiait du regard.

  • La fille est une brindille, susurra l'un des orcs à l'oreille de son chef et dans sa langue natale.
  • Mfu, bafouilla Orgrim. Une brindille qui pourrait peut-être résister aux vents les plus violents, sourit-il.



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