La voix de l'ombre - Livre I : Les murmures du passé

Chapitre 6 : Une victoire honorable

3016 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 03/02/2024 11:13

Chapitre 6 : Une victoire honorable.



La clairière, dominée par des chaînes de montagnes peu élevées de part et d'autre, était ensoleillée. Le ciel bleu azur ne comptait aucun nuage, et chacun au camp s'affairait. Certains s'entraînaient, donnant lieu à des duels brutaux mais à main nue, afin de ne pas se blesser grièvement, d'autres limaient leur lame, quand d'autres encore partirent à la chasse.


Les orcs se contenaient depuis leur traversée des montagnes d'Altérac, puisque Marteau-du-destin avaient interdit tout massacre et pillage sur leur passage, conformément à son accord avec le roi Perenolde. De plus, il avait prohibé l'usage du Mak'gora, duel d'honneur selon lequel les deux parties peuvent se battre à mort, car il était hors de question de perdre de bons combattants aussi bêtement.


Par ailleurs, Orgrim avait bien conscience de l'effet qu'avait eu sur eux le sang du démon. Avant, le sang pouvait leur monter à la tête au point qu'une furie sanguinaire s'emparait d'eux et les rendait plus bestiaux au combat. Le clan Loups-de-givre luttait contre cette fureur et en avait fait sa fierté, partant du principe que cela les rendait inutilement brutaux, qu'ils n'en avaient guère besoin pour combattre avec honneur, et que la véritable force provenait de la volonté d'y résister. La frénésie qui s'emparait d'eux depuis l'ingestion du sang démoniaque les rendait parfois incontrôlables, et avait intensifié leur brutalité au combat, faisant d'eux des bêtes sanguinaires prêtes à bondir sur n'importe quelle proie, fut-elle un ennemi, un allié, voire un enfant, et de la déchiqueter sauvagement.


De cela, Orgrim avait profondément honte, et ne souhaitait pas laisser cet héritage aux prochaines générations. Pour autant, il savait exploiter cette brutalité, et savait qu'en les retenant ainsi plusieurs jours, ils se montreraient d'autant plus agressifs au combat. De plus, il avait su asseoir son autorité et prouver sa force, et savait qu'aucun orc n'oserait le défier.



Tula s'était donnée pour objectif de persuader la princesse Keera, avec qui elle semblait bien s'entendre, de la laisser lui tresser les cheveux qui encadraient son visage à la mode orque, c'est-à dire directement plaqué sur le côté de la tête. Et, bien que totalement opposée à cette idée, la princesse finit par se laisser convaincre. Après tout, elle ne risquait pas non plus de ressembler à une orque.

Installée sur une caisse de bois contenant du minerais, Keera observait l'agitation du camp, pendant que l'orque tressait ses cheveux. Dès qu'elle eut fini, Tula se posta face à la princesse pour admirer le résultat.

  • En laissant traîner tes cheveux dans ton dos, ça être beau, dit Tula, fière de sa création.
  • Tu parles de mieux en mieux le commun Tula, admit la princesse. Mais, je pense que les cheveux attachés dans le dos est plus pratique.

La princesse prit la liberté de relever ses cheveux, tandis que certains orcs s'arrêtèrent pour examiner la coiffure inhabituelle qu'elle portait. Du regard, elle leur fit comprendre qu'ils pouvaient passer leur chemin. Et, tandis qu'elle s'occupa à nouveau de nouer ses cheveux, elle y trouva Tula reniflant une de ses mèches.

  • Ta crinière est mieux que la fourrure de mon loup, dit-elle, ronronnant et caressant sa propre joue à l'aide de la mèche.

Partagée entre sa contrariété de voir sa chevelure reniflée par une orque, et la peine qu'elle éprouvait pour elle, Keera récupéra sa mèche et la noua au reste de sa coiffure. Devant le visage déçu de son amie, la princesse rétorqua :

  • Ne te mouche pas dans mes cheveux, s'il te plaît.
  • Me quoi ? interrogea Tula, l'air perdu.
  • Oh... soupira la princesse. Pauvre de moi...


Depuis peu, un enfant orc nommé Mannar se postait devant la tente du chef lorsqu'elle s'y trouvait sans Orgrim. Il disait que c'était son devoir de veiller à sa sécurité quand le chef de guerre n'était pas près d'elle. Keera avait tenté de le dissuader de la suivre, mais Mannar avait pris soin d'en demander l'autorisation au chef de guerre lui-même, arguant l'importance de l'honneur.

En effet, l'enfant était orphelin de guerre, et ses parents avaient participé à la torture et au massacre d'enfants draeneï sur leur terre natale. Il avait honte de cela, et voulait restaurer l'honneur de sa lignée. Keera avait donc décidé de le laisser faire après avoir entendu son histoire.

Le petit avait donc pris l'habitude de l'escorter parfois, tout en respectant les moments qu'elle partageait avec Tula.



Dans la tente du chef de guerre, Orgrim avait réuni ses lieutenants. Il les informa du message du roi d'Altérac qui garantissait que plus aucun sorcier ne se trouvait dans les parages. Il leur exposa également son plan d'action, et leur annonça qu'ils n'attendront pas plus longtemps des nouvelles des troupes stationnées à Quel'Thalas pour lancer l'assaut sur la capitale.

  • Nous allons perdre l'effet de surprise si nous attendons plus longtemps, ce qui permettrait aux humains de rappeler leurs troupes, assura-t-il, toujours sur le même ton autoritaire que d'habitude.
  • Sommes-nous assez nombreux, chef, risqua Shakhol, un orc à l'allure brutale et au crâne rasé.
  • Nous le serons le temps d'être rejoints par Zuluheb et son clan, ainsi que celui de Gul'dan, grogna-t-il. Et je pense que nous pouvons faire confiance au roi humain qui nous a montré le chemin dans la montagne. Il ne prendra pas le risque de bloquer le reste des troupes tant que nous sommes aussi prêts de son royaume.


En effet, il ne pouvait concevoir que Perenolde le trahisse. Étant donné son empressement à négocier, ce serait très étonnant.

Cependant, quelque chose se tramait, Marteau-du-destin le sentait. Mais il ne pouvait pas abandonner la lutte pour autant, pas si près du but. De plus, dans l'éventualité d'un siège long, il se pourrait qu'il reçoive l'aide de ce roi pitoyable caché dans ses montagnes.

Il devait tenter le tout pour le tout.



  • Tu t'inquiètes pour rien, Maim.

Accroupis sur le sol, les frères Main-noire tailladaient un rondin de bois pour mieux affûter leurs lames.

  • Tu crois vraiment que nous sommes suffisamment nombreux pour attaquer leur capitale, sans les Gueule-de-dragon et sans les Foudreguerre, insista t-il. Ne sommes-nous pas censés attendre qu'ils nous rejoignent ?
  • Si Marteau-du-destin le pense. On a toujours gagné jusqu'à présent, non ?

Maim s'indigna. C'était bien la première fois qu'il entendait son frère approuver Marteau-du-destin.

  • De quel côté tu es ? lança alors Maim, l'air menaçant.
  • Du nôtre, répondit Rend, un sourire narquois se dessinant sur son visage.


Maim regarda dans la même direction que son frère, et vit qu'il observait la femelle du chef de guerre. Rend demanda :

  • Tu crois que Marteau-du-destin la culbute toutes les nuits au point qu'elle ne puisse plus monter son canasson ?

Maim pouffa et répondit :

  • Tu dois avoir raison. C'est vrai qu'elle ne le chevauche plus ces temps-ci, ajouta t-il, l'air si vicieux qu'il en bavait presque.
  • C'est plutôt Marteau-du-destin qu'elle chevauche, renchérit Rend, puis explosa de rire.


Tous deux se levèrent, tandis que la princesse se dirigeait vers Samuro, un vétéran orc du clan de la Lame-ardante qui lui faisait signe. Les maîtres-lame de ce clan représentaient un atout certain pour cette guerre. Bien que leur nombre fût réduit, ils étaient d'excellents épéistes et se battaient encore pour l'honneur. Leur rage guerrière était également légendaire.

Keera s'avança donc pour le rejoindre, suivie nonchalamment par Tula. Depuis peu, elle avait remarqué cet orc à l'accoutrement assez différent de celui des autres orcs, maniant son épée avec une telle dextérité que cela l'avait rendue admirative. Car sa façon de la manier ressemblait à une danse, une chorégraphie étonnante qui devait être particulièrement redoutable, et qui lui rappelait sa propre façon de manier l'épée. Et cela l'avait intriguée. Grâce à son entraînement martial, elle avait développé des compétences physiognomoniques, de façon à pouvoir jauger un adversaire et adapter son approche.

C'est alors que Tula lui avait présenté Samuro qui avait tout de suite compris qu'il s'agissait d'une guerrière. Lui aussi savait évaluer l'identité d'un guerrier par son physique et sa posture.


Tout en s'approchant, elle croisa les frères Main-noire qui avançaient en sens inverse. Et c'est au moment de se croiser que Rend pivota son épaule et l'abaissa pour heurter celle de la princesse. Le coup la poussa contre Tula et la fit pivoter sur le côté.

Choquée dans un premier temps, la princesse s'arrêta et se retourna : les deux orcs traçaient leur route sans même se retourner. Tula, sur le point d'exploser de rage, les menaça du poing et aboya :

  • Les lâches ne font jamais face, en langue orque.


Les frère Main-noire s'arrêtèrent, puis se retournèrent sur les deux femmes. D'autres orcs, témoins de l'altercation, approchèrent et commençaient à les encercler.

Se redressant fièrement, Rend lança dans sa langue natale :

  • Alors, tu défends cette chienne pour être dans les bonnes grâces du chef de guerre ?

Hors d'elle, Tula voulut s'avancer, mais fut retenue par le bras de Keera. Très calme, elle fixait l'orc. Bien qu'elle n'ait pas compris un traître mot de ce qu'il venait de cracher, elle en avait bien compris l'intention. Elle baissa son bras, et marcha lentement dans sa direction, jusqu'à lui faire face.

Et, après quelques secondes de silence, ainsi qu'une dizaine d'orcs de plus autour d'eux, Keera dit :

  • Mak'gora !


Pétrifiée, la foule fronda, tandis que Rend écarquillait ses yeux rougeoyants. Hormis le fait que le Mak'gora leur était pour le moment interdit, il ne s'attendait sûrement pas à ce qu'elle le défie. Comment pouvait-elle croire qu'elle remporterait ce duel ?

Rend regarda de tout côté : les orcs attendaient sa réplique. Tous savaient que se dérober à ce défi signifiait le bannissement et le déshonneur. Or, fuir un combat face à un adversaire, de force inférieure de surcroît, n'était certainement pas envisageable, interdiction ou pas.


Rend répondit alors par une question :

  • Les armes ?

Keera avait compris le mot. Elle comprit aussi ce que sa question signifiait : il acceptait le duel.

Pour toute réponse, la princesse leva les deux bras devant elle, formant un angle droit, les avant-bras parallèles à son tronc levés vers le haut. Rend et la foule furent choqués : elle proposait un combat à mains nues. Cela indiquait que ce ne serait pas un combat à mort, mais peu importe, non seulement elle l'avait provoqué, mais elle s'imaginait le mettre au tapis sans arme.

Rend bouillonnait de rage. Oubliant que c'était lui qui l'avait encouragée à le défier, il acquiesça de la tête et la foule s'élargit pour leur faire place.


Rend pris de la distance, retira ses épaulières de cuir emplies de pics faits de crocs d'ogres, ses bottes, ainsi que son ceinturon. De son côté, et suivant son exemple, Keera ôta ses bottines, mais conserva son corselet de cuir ainsi que ses jambières. Elle retira également sa cotte, dévoilant ses bras menus des mains jusqu'aux épaules. Les témoins, auto désignés, prirent place juste derrière Rend et Keera. Tula gardait les vêtements de la princesse, tandis que Maim jubilait à l'idée de la raclée qu'allait recevoir la brindille. Le jeune Mannar s'était posté près de Tula, et lançait un regard féroce à Rend.

Ils étaient prêts. Un long moment de silence s'installa, et la foule, de plus en plus excitée, scandait : « Mogrin ! Mogrin !».


S'étirant le cou, Rend observait son adversaire et attendait son offensive. Soudain, il réalisa qu'il avait occulté un fait important : si jamais il se déchaînait et finissait par massacrer le portrait de la femelle, ce qui se profilait, qu'en serait-il de Marteau-du-destin ? Il s'agissait d'un défi, dont il n'était pas à l'origine, il était donc légitime à la frapper sans pour autant la tuer. Cependant, il était certainement plus sage de faire preuve de clémence et de l'envoyer au tapis rapidement. Ainsi, Marteau-du-destin ne chercherait sûrement pas à se venger, car, il le savait, il n'avait aucune chance face au chef de guerre. Et, bien que moins grand et imposant que feu son père, Marteau-du-destin avait réussi à le terrasser sans même avoir ingurgité le sang démoniaque, alors que son père oui, ce qui avait décuplé sa force et sa puissance. Inutile donc d'épiloguer sur l'issue du combat.


L'orc fit donc quelques pas en avant, et fit craquer les os de ses énormes mains en direction de la princesse. Celle-ci le fixa, et prit une posture défensive dans l'attente d'une attaque.

Puis il chargea. Sans utiliser toute sa puissance, il lança un premier coup de poing pour abattre la défense de Keera, qu'elle contra en accompagnant le coup et l'orientant vers le bas. Rend pivota et lança un second coup de poing en direction du visage. Keera l'arrêta à l'aide de sa garde relevée jusqu'au visage cette fois, et recula d'un pas, reprenant sa posture défensive.

Rend ne la pensait pas capable de parer son second coup, car il était rapide et aurait dû l’assommer sur le coup, mettant fin au combat. Or la princesse l'avait non seulement paré, mais elle ne semblait pas souffrir du coup porté à ses avant-bras. Il devait utiliser plus de force et de vitesse.


Il enchaîna alors plusieurs figures martiales à base de violents coups de poings qui visaient autant le haut du corps que le bas. Mais l'organisation défensive de Keera était efficace, bien qu'elle dût encaisser quelques coups. Rend ne comprenait pas. Elle avait assurément reçu un entraînement martial elle aussi, mais basé sur l'évitement. Cela n'était pas un combat franc et direct, mais un combat de lâche. Et pourtant, il était déjà épuisé, avec l'impression que ses membres s'alourdissaient. Se pouvait-il qu'elle utilise un pouvoir magique capable de l'affaiblir ?


Perdant peu à peu patience, Rend décida de lancer une charge agressive, d'autant qu'elle arborait un large sourire narquois qu'il était urgent de faire disparaître. Fonçant tête baissée, et sentant monter en lui la furie sanguinaire, il ne vit pas le changement de posture de la princesse qui s'abaissa à hauteur de son torse et attrapa son bras qu'elle dirigea vers le bas. Il comprenait à présent : elle accompagnait ses gestes et utilisait sa force contre lui-même. Soudain, elle lui porta un coup au menton avec la paume de sa main. Il vacilla en arrière et secoua la tête.


La foule retenait sa respiration, et, comme un seul homme, lança des « Lok'tar » en direction de la princesse. De son côté, Maim gardait les bras croisés sur le torse, et fulminait. Comment cette chienne se permettait-elle d'humilier son frère ainsi ouvertement ! Il en voulait davantage à son frère de n'avoir pas cherché à analyser le jeu de son adversaire. Mais, après tout, c'est ainsi qu'ils combattaient. Et avec son arme d'hast à la main, il était certain de Rend aurait remporté la victoire en quelques secondes. La princesse l'avait clairement entraîné vers un terrain qu'elle maîtrisait : le combat à mains nues.


Encore sonné par le coup reçu, Rend repris le dessus et, sans pouvoir réagir, vit la princesse surgir dans une étrange posture accroupie dont la jambe droite tendue donna l'élan pour lui asséner un violent coup de coude dans le sternum. L'orc fut projeté quelques pas en arrière et tomba, sonné.

Keera était légèrement essoufflée. Elle fixait son adversaire qui ne bougeait pas, étalé au sol sur le dos.

Après quelques instants de silence, un orc vêtu uniquement d'un pagne et au torse balafré, s'avança vers Keera, serra le poing et le frappa contre son torse, au niveau du cœur. D'autres orcs parmi la foule firent de même. Keera les observait, comprenant que cela devait correspondre à une sorte de déférence. Son regard se posa alors sur Tula et Mannar, qui, l'air très solennel, les imitèrent.



Alerté par le brouhaha, l'orc comprit que quelque chose agitait le camp et se hâta de sortir de sa tente après avoir entendu crier « Mak'gora » par la foule. S'approchant de la foule discrètement pour mieux enquêter sur ce qui se tramait, il vit un orc se jeter sur une femelle très pâle et maigrelette. Il comprit qu'il s'agissait de la princesse d'Altérac qui se défendait contre Rend Main-noire. Le regard dur, il observa la scène, silencieux. L'orc à ses côtés qui l'avait suivi voulut parler, mais il le réduisit au silence du regard. Lorsque la femelle parvint à toucher Rend au niveau du visage, l'orc massif releva le menton et sourit. Puis, suite au coup fatal qu'elle porta au torse et qui se solda par sa victoire, la poitrine du guerrier se gonfla de fierté.


  • Vas-tu la punir pour avoir désobéi à tes ordres, demanda finalement Varok à son chef. Après une si belle victoire ?

Orgrim resta silencieux, le regard rivé sur la princesse. Puis, il se tourna enfin vers son second :

  • Il faut finaliser le plan, se contenta-t-il de répondre.

Les deux orcs regagnèrent la tente du chef de guerre.

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