La voix de l'ombre - Livre I : Les murmures du passé

Chapitre 7 : Anamorphose

1733 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 04/02/2024 11:48

Chapitre 7 : Anamorphose.



Ce feu de camp était le dernier avant l'assaut sur la capitale humaine de Lordaeron. La bataille à venir était l'un des sujets majeurs du moment, l'autre étant la victoire de la princesse Keera sur Rend Main-noire.

À présent, Keera était indiscutablement invitée à s'asseoir autour du feu, car elle avait fait la preuve de sa force durant le Mak'gora. Plusieurs groupes l'avaient conviée, et elle ne sut où s'asseoir. Quel revirement, pensait-elle. Il y avait quelques semaines, une diseuse de bonne aventure lui aurait prédit qu'elle trinquerait avec ces sauvages, elle lui aurait tout bonnement rie au nez et l'aurait chassée sans ménagement.


Pensant qu'elle passerait incognito, elle décida d'accepter l'offre d'un groupe de forgerons rochenoire. Il était vrai qu'elle avait pris l'habitude de les observer en plein travail et que le son que le métal produisait lorsqu'il était battu sur l'enclume l'apaisait. Il lui rappelait sûrement celui qu'elle avait l'habitude d'entendre au château.


Une fois assise en tailleur près du feu, Keera fit le tour des orcs présents du regard. Chacun s’affairait à boire ou arracher une partie du gibier bien cuite. L'un d'entre eux, Brox, le frère de Varok, offrit à Keera un gobelet de terre contenant une sorte de grog coupé au sang de gibier et à l'eau de vie. L'odeur était très particulière mais Keera pris son courage à deux mains et goûta. Elle fut ensuite invitée à se servir sur la carcasse du gibier sur laquelle il restait encore quelques morceaux de choix.


Un peu plus loin, les frères Main-noire jetaient des regards menaçants en direction de la femelle. Rend en particulier ruminait son échec tandis que ses congénères mastiquaient leur morceau de viande en silence. La défaite de Rend fut un tel choc que plusieurs membres de son clan les quittèrent pour retourner vers le clan Rochenoire. L'humeur autour de leur feu de camp était donc des plus maussades, et les frères se jurèrent de se venger.


Rassasiée et assez épuisée, Keera rejoignit la tente qu'elle partageait avec le chef de guerre. Surprise d'y voir l'orc, ils se fixèrent brièvement avant qu'elle ne s'approche du coin de la tente où elle entreposait ses affaires personnelles, tandis qu'il était penché sur ses cartes géographiques étalées sur la table de bois.

Tous deux n'avaient échangé aucun mot depuis le Mak'gora. Elle s'attendait à un sermon pour avoir enfreint un interdit, mais étrangement rien n'arrivait. Cette marque d'indifférence était si pesante qu'elle en venait presque à lui préférer n'importe quelle réprimande. Malgré tout, elle prit sur elle et commença à dénouer ses cheveux.


  • Ne t'avise pas de recommencer, lança Orgrim sur un ton affligé.

Il n'avait même pas pris la peine de se retourner. Keera, qui lui tournait également le dos, se retourna et répondit :

  • Évidemment, j'aurais dû le laisser continuer de me provoquer, vous auriez pu continuer d'en rire avec les autres.
  • Arrête de me dire « vous ».


Keera était atterrée. Il est vrai qu'elle le vouvoyait pour maintenir une distance entre eux plus que par respect, mais cela n'avait jamais semblé le perturber. Elle pensait même qu'il n'avait jamais relevé ce détail. Alors pourquoi maintenant ?

  • Très bien, chef de guerre, continua-t-elle (Orgrim grogna légèrement). Puisque nous en sommes à dire les choses, dis-moi, grand chef, comment j'aurais dû sauver mon honneur alors que mon époux n'a même jamais levé le petit doigt pour me défendre ?


Son indignation montait tandis qu'il se tournait lentement vers elle pour lui faire face. Devant ce visage placide, la princesse fulminait encore plus :

  • Au moins ai-je eu la satisfaction de lui régler son compte, et je ne regrette rien, cracha-t-elle. Quand bien même tu...
  • Il aurait pu te blesser grièvement ! gronda le chef de guerre, dont le regard consterné et empli de colère heurta presque physiquement la princesse.


Abasourdie, Keera resta interdite. Elle se sentait perdue, et surtout troublée. Cet orc la troublait, et ce depuis le début. Cela la hantait. Son regard froid et impassible l'avait toujours dérangée, car elle ne pouvait y lire ce qu'il pensait. Et, plus que tout, elle ne pouvait admettre qu'il la trouble ainsi. Pas un orc. Pas un de ces monstres repu de chair humaine qui détruit tout sur son passage. Et à présent, il s'inquiétait pour elle ?

  • Alors qu'attends-tu, dit-elle en criant presque. Qu'attends-tu de moi ?


La mine désespérée, elle baissa le menton et serrait les poings. Elle s'en voulait de s'emporter ainsi. Elle tenta alors de se reprendre.

Orgrim la regardait, plus calme, et attrapa son menton de son énorme main pour le relever. Elle leva le regard, haletante, en proie à ses émotions, et sentit la main immense de l'orc se poser sur sa joue. Elle ferma les yeux quelques instants, puis dit calmement :

  • Laisse-moi tranquille.

Elle tourna le visage pour se défaire de la main qui le tenait, puis s'éloigna, le visage fermé. Hagard, Orgrim soupira légèrement, puis alla prendre l'air.


La nuit était belle, douce, et une légère brise caressa son visage dur et fatigué. Il passa sa main sur son crâne rasé.

Las, il repensa à ces derniers jours : l'arrivée par vague du reste des troupe par la montagne, la constitution de vivres en prévision d'un siège prolongé, la supervision de la construction des radeaux pour passer le lac et atteindre la capitale par le nord, et le façonnage des arbres qui serviront de bélier pour enfoncer leur porte. Tout cela avait demandé beaucoup d'organisation, et ses lieutenants avaient fait un travail remarquable.


Orgrim soupira longuement, puis admira le ciel éclairé par une lune pleine. Par les Ancêtres, que redoutait-il le plus : la bataille à venir, qui comptera assurément de nombreuses morts, ou bien sa compagne farouche et vindicative qui l'attendait sous la tente ? Finalement amusé à cette idée, il regagna sa tente.



Le soleil pointait à peine que la Horde était déjà en branle. Impatients, presque en transe, les orcs avaient revêtu leur armure de plaque aux épaulières ornées de pics, prêts à en découdre. Sur le départ, Marteau-du-destin vérifiait auprès de ses lieutenants si tout était en place. Les rondins de bois taillés en radeaux avaient été installés très discrètement sur le lac situé derrière la capitale. La Horde n'avait plus qu'à se mettre en marche.


Une troupe très réduite resterait au camp avec les enfants. Il y en avait si peu, pensa la princesse, qui les regardait se battre à l'aide de branches. Si petits, on les entraînait déjà au combat.

Le jeune Mannar avait néanmoins décidé de participer à l'attaque de la capitale, contre l'avis tranché de la princesse qui ne comprenait pas qu'on laisse un enfant combattre. Il lui avait alors fait une promesse :

  • Si je revenir, et pas le chef de guerre, moi continuer te protéger. Et quand grandir, moi défier nouveau chef pour que toi devenir ma compagne.


La princesse ne s'était pas attendue à une telle déclaration. D'abord stupéfaite, elle avait fini par lui sourire. Depuis combien de temps n'avait-elle pas sourit ? Devant cette victoire, il avait ajouté :

  • Si moi pas revenir, toi hériter de mon collier première chasse.

Il avait pointé son pouce vers le collier en question qui comptait cinq crocs d'animaux abattus. Il en était fier, et la princesse se força à conserver un air digne pour cacher sa tristesse. Elle lui souhaitait de revenir, tout comme son amie Tula.


La princesse observait les préparatifs et cherchait Tula du regard. Aux côtés de son compagnon, un orc plutôt grand et large dont le dos était bardé de cicatrices, l'orque se peinturlurait le visage à l'aide d'une pâte blanche étrange. Son compagnon présentait également des peintures de guerre au visage et sur le torse. Leurs deux petits les observaient.

C'est en les voyant peindre leur peau qu'elle réalisa de façon plus flagrante les différences de couleur de peau. Les orcs rochenoires se peignaient le visage en blanc, ce qui faisait ressortir le vert malachite de leur peau. Les orcs dont l'épiderme était plutôt vert criard utilisaient quant à eux une peinture rouge. Cela devait avoir une signification plus profonde, mais Keera l'ignorait.


Tula aperçut la princesse et alla la rejoindre. Keera n'avait jamais vu l'orque aussi excitée.

  • Tu restes en arrière et attends notre retour, assura-t-elle à la princesse.

Keera tentait de dissimuler son inquiétude, et son amie l'attrapa par les épaules.

  • Nous revenir, toujours, lança-t-elle, confiante. Lok'tar ogar !

Tula se frappa la poitrine de son poing fermé, l'air solennel. La princesse ne put se résoudre à répondre en langue orque, mais formula tout de même :

  • Ne meurs pas.

Pour toute réponse, Tula lui lança un sourire confiant et rejoignit son compagnon.


La Horde se regroupait derrière le chef de guerre. Accompagné de son loup géant Griffenoire prêt à être monté, Orgrim sanglait le marteau-du-destin dans son dos, tandis que Keera s'était avancée jusqu'aux abords du camp pour les regarder partir. Sentant son regard, Orgrim tourna la tête et aperçut l'air presque désolé de la princesse. Dérouté, l'orc ne put détourner le regard. La princesse inclina alors légèrement la tête vers le bas, et continuait de le fixer. Son regard s'assombrit pour laisser place à un air de défi. Orgrim sentit alors monter en lui un frisson d'excitation inhabituel, une sorte de fièvre ardente qui se concentrait dans sa poitrine. Il aimait ça. Si cette femelle était capable d'éveiller en lui ce genre d'agitation d'un seul regard, alors il reviendrait.


En guise de réponse, Orgrim opina du chef et pivota pour monter son loup géant. Droit et fier, il attrapa son marteau de guerre noir et le brandit tandis que ses guerriers hurlaient en réponse.


La Horde se mit en marche.


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