La voix de l'ombre - Livre I : Les murmures du passé

Chapitre 14 : Le souterrain

2466 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/02/2024 13:28

Chapitre 14 : Le souterrain.



Cela faisait à présent des semaines que Marteau-du-destin s'était échappé de Fossoyeuse.

Après avoir traversé Lordaeron en longeant les côtes par le sud, il venait d'atteindre Khaz Modan. Peu à peu, il s'éloignait de sa prison et des chances d'être retrouvé.


Après de longs jours à nager, escalader, et courir, Orgrim conservait l'espoir de revoir Keera vivante à mesure qu'il se dirigeait vers le sud. Il avait appris, en croisant quelques groupes d'orcs fugitifs, que les Gueule-de-dragon avaient pris possession de Grim Batol, et que quelques orcs rochenoire demeuraient encore au Pic Rochenoire. On l'informa également qu'un autre clan avait passé un portail depuis Draenor : les Chanteguerre. Ils se terraient quelque part dans les Paluns, mais personne ne savait où précisément. Il n'avait en revanche pas entendu parler d'une femme accompagnée d'un orc et, potentiellement, d'un petit.


Dans son errance, il croisa un groupe de chasseurs qu'il approcha avec prudence. Soudain, l'un d'eux l'identifia :

  • Marteau-du-destin ? demanda l'orc pour s'assurer que c'était bien l'armure noire de guerre rochenoire qu'il voyait sous la cape.
  • Aka'Magosh, répondit Orgrim en opinant du chef. De quel clan êtes-vous ?
  • Du clan Chanteguerre, confirma l'orc. On dit que tu étais prisonnier des humains.
  • Et on dit maintenant que je suis un fugitif, ajouta Orgrim. Conduisez-moi à votre chef, Grommash Hurlenfer est toujours en vie ?
  • Ça, personne n'en douterait, répondit l'orc fièrement.


Marteau-du-destin considéra cela comme une chance. En effet, les orcs encore libres s'étaient constitué d'impressionnantes cachettes sous terre, à tel point que, même pour lui, il était difficile de tomber sur eux. De plus, ces orcs chanteguerre l'avaient vite reconnu, ce qui facilitait les choses et lui faisait gagner un temps précieux.


Ils prirent la route en direction d'une forêt assez dense bordée de petits lacs. Le coin était désert.

Orgrim se retourna lorsqu'il surprit deux orcs chuchoter et regarder dans sa direction. Il resta sur ses gardes, bien qu'il serait très étonnant qu'ils lui tendent un piège.

Après un moment, ils arrivèrent vers un tas de branches agrémenté de feuilles et les longues tiges d'une plante locale quelconque. Ils la déplacèrent et pénétrèrent dans le trou qui menait à un souterrain. Ils croisèrent plusieurs autres orcs qui frappèrent leur poing sur leur torse au passage d'Orgrim qui fit de même. De longues galeries souterraines avaient été creusées.


Il était vrai que leurs ancêtres avaient longtemps vécu sous terre, car les géants de l'antique Draenor qui y vivaient les auraient rapidement décimés. Mais les humains n'étaient pas des géants, et un jour, les orcs recouvriraient leur liberté.


Soudain, un hurlement sorti tout droit des enfers retentit et Orgrim crut devenir sourd. Le cri était effroyable, aussi effrayant que celui qui en était l'auteur.

  • Par les Ancêtres, Orgrim !

L'orc qui sortait des profondeurs, comme un démon sortant des abîmes, avait relevé sa longue crinière noire au-dessus de sa tête et levait une hache bien plus élaborée que la plupart.

  • Grom ! Throm-ka, dit Orgrim, quelque peu rassuré par l'accueil, car on ne savait jamais vraiment comment Grommash Hurlenfer pouvait réagir.
  • Throm-ka mon ami, ajouta Grom. Ça fait quoi, huit ans que vous avez passé le Portail ?
  • Cela me paraît faire une éternité. Heureusement, tu n'as pas changé !
  • Toi, en revanche, tu as pris du galon ! précisa Grom. Viens mon ami, mange, bois, et nous parlerons.



Grommash raconta leur mésaventure sur Draenor, la trahison de Ner'zul, et le monde implosant qu'il avait fallu quitter au plus vite.

  • Je ne sais pas ce qu'il est advenu du reste des orcs, je prie les Ancêtres qu'ils s'en soient sorti !

Orgrim savait que son fils, Garrosh, était resté là-bas, en Nagrand, une contrée qui avait dû être épargnée par la corruption. Il l'espérait en tout cas.

  • Je marche vers le Pic Rochenoire, annonça Orgrim. J'y ai laissé ma compagne et notre enfant à naître...
  • Oui, coupa Grom, l'air contrarié. Je ne te l'ai pas dit mais...
  • Bazol ! hurla Orgrim, les yeux écarquillés.


L'orc apparu tout à coup derrière Grom. Reconnaissant son chef, Bazol releva la tête et accéléra le pas pour le rattraper.

  • Marteau-du-destin, tu es libre ! lança-t-il, parfaitement rassuré.
  • Bazol, où est Keera ? demanda Orgrim précipitamment.
  • Eh bien, …
  • Orgrim !

Cette voix derrière lui le fit trembler, et son cœur s'accéléra. Il reconnut sa voix douce, bien que surprise, et se retourna lentement, comme s'il n'y croyait pas, et que la vue de ce mirage pouvait le faire disparaître.

  • Keera, prononça-t-il simplement, le regard attendri.


Elle se tenait bien droite, portant un lapin pris à la chasse, qu'elle laissa tomber au sol. Des larmes perlaient dans ses yeux, et elle s'avança, tout comme lui. Il attrapa ses bras, puis entoura son visage de ses énormes mains. Elle posa les siennes par-dessus, et ils s'étreignirent longuement.

Après quelques minutes à s'étreindre, Orgrim recula, tout en tenant Keera par les bras.

  • Notre enfant, Keera, et notre enfant ? demanda-t-il.

Pour toute réponse, la princesse baissa la tête, les yeux embués de larmes. Désespéré, Orgrim se tourna vers Bazol, qui fit non de la tête, le regard triste, comme pour confirmer.

Orgrim entoura Keera de ses larges bras et l'enlaça vigoureusement.


Ces retrouvailles touchèrent tellement Grom qu'il décréta qu'ils allaient festoyer toute la nuit.

Les Chanteguerre préparaient le gibier avec un certain entrain, bien qu'Orgrim les trouvait plus las que d'ordinaire.



  • Nous aussi, nous ressentons le manque, affirma Grom, en réponse aux craintes d'Orgrim.

Après un festin digne d'une célébration, Orgrim, Keera et Grom s'étaient réunis autour d'un braseros.

Marteau-du-destin avait évoqué la léthargie des orcs qu'il avait rencontré dans le camp d'internement après sa fuite. Leur apathie l'avait profondément bouleversé, comme s'ils avaient contracté une maladie qui les avait rendus passifs, voire abrutis. Keera, serrée contre lui, écoutait. Elle avait l'air épuisé.

  • Vous feriez mieux de vous coucher, proposa Grom. Nous parlerons demain après une bonne nuit.


Tous trois se levèrent, tandis que Keera emmena Orgrim vers sa couche. L'endroit était isolé, dans une galerie un peu plus loin. La majorité des Chanteguerre s'était creusé une galerie qu'ils partageaient parfois à plusieurs. Ils avaient cependant respecté l'intimité de la princesse, qu'ils avaient accueillie comme l'une des leurs. Bazol, qui l'avait amenée jusqu'ici, s'était installé non loin, afin de continuer de la protéger en l'absence de son chef.

Un petit récipient d'eau était posé au sol, près de la couche composée de peaux d'animaux dépecés. Keera se débarbouilla le visage, et offrit à son compagnon de se rafraîchir également.


Une fois installés sur la couche, ils se serrèrent à nouveau.

  • Comment t'es-tu donc enfui de Fossoyeuse ? Personne n'y était jamais parvenu.
  • J'ai simplement exploité les failles, répondit Orgrim, attrapant l'une de ses mains à l'intérieur de laquelle il déposa un baiser. Il remarqua d'importantes marques au niveau du poignet.
  • Quel bonheur que tu sois si intelligent, concéda la jeune femme, tout en se nichant dans le cou de son compagnon.


Orgrim savourait ce moment qu'il attendait depuis si longtemps. Il mourait d'envie de la questionner au sujet de l'enfant, mais cela attendrait. Ces instants étaient si précieux qu'il souhaitait les déguster. Si elle ne lui en parlait pas d'elle-même, cela pouvait attendre le lendemain.

Keera passa sa main sur le torse de l'orc.

  • Tu n'avais pas ces cicatrices la dernière fois, remarqua-t-elle.

Ces cicatrices avaient néanmoins été soigneusement entretenues. Le bourreau auquel il avait eu affaire savait ce qu'il faisait.

  • Un trophée de guerre, et quelques souvenirs des geôles de Lordaeron, expliqua Orgrim, qui avait également noté des traces de coups sur son corps.
  • Ce combat était titanesque, avoua la princesse. J'en ai même oublié de chercher Tula sur le champ de bataille.
  • J'espère qu'elle a pensé à ses petits et qu'elle a fui, pensa Orgrim tout haut.


C'était vrai, Tula avait deux petits. Elle espérait qu'ils s'en étaient tous sortis sains et saufs.

  • Tu as tenu ta promesse mon amour, poursuivit Keera. À présent, nous ne nous quitterons plus.

Elle resserra son étreinte un peu plus, comme pour confirmer ses dires. Orgrim caressa sa longue chevelure, et remarqua qu'il manquait une longueur.

  • Non, O'nosh, partout où j'irai, tu iras, assura-t-il.

Elle le fixa un moment, caressa son visage, et tous deux s'embrassèrent longuement. Cette nuit ne serait qu'une longue étreinte emplie de douceur jusqu'à ce qu'ils s'assoupissent et sombrent dans le sommeil.



Le couple s'était levé bien tard. Le petit jour était déjà loin, et la vie au souterrain avait repris depuis des heures. Keera participait souvent aux chasses quotidiennes. Elle avait ainsi l'impression de faire sa part, comme tout le monde. Un des groupes de chasseur l'avait attendu ce matin-là, si bien qu'elle dû laisser Orgrim aux mains de Hurlenfer qui trépignait d'impatience d'entendre ses récits de guerre.


Après de longues heures à narrer la progression de la Horde sur les territoires humains, ainsi que les hauts-faits qu'il leur attribuait, Orgrim croisa Bazol qui le cherchait.

  • Chef, as-tu du temps à m'accorder ?

Grom commença à se lever :

  • Je vous laisse, j'ai un sanglier à dépecer.

Puis Grom s'éloigna, satisfait du récit de guerre dont il s'était abreuvé pendant des heures.

  • Je te cherchais justement Bazol, rétorqua Orgrim qui l'invita à s'installer près d'un braseros.

Bazol avait l'air mal à son aise. Il évitait de croiser le regard de Marteau-du-destin.

  • Que s'est-il passé ? demanda-t-il, l'air sombre.


Orgrim avait bien compris, au silence de sa femme et au comportement de Bazol que quelque chose n'allait pas.

  • Nous avons fait comme tu avais dit, commença Bazol, le regard toujours fuyant. Nous sommes restés cachés au Mont Rochenoire le temps que les humains désertent la zone.

Orgrim écoutait avec une grande attention.

  • Au moment où nous aurions pu partir, un groupe d'orcs, qui devaient surveiller le départ des humains, est venu se cacher au Pic. Ils s'étaient réfugiés aux abords de la montagne.
  • Continue, dit Orgrim.
  • Ces orcs, ils nous ont vu et nous ont fait prisonniers, continua Bazol, l'air hésitant. Ils...
  • Parle donc, gronda Marteau-du-destin, qui commençait à s'impatienter.
  • Ils l'ont torturée, chef, osa l'orc qui fixait à présent Orgrim.

Devant les yeux bouillonnants du chef de guerre, Bazol développa :

  • Pendant des mois, on était à leur merci. Mais ils se sont déchaînés sur elle, avoua-t-il. Et quand ils ont vu son ventre grossir, ils ont compris.


Bazol repris son souffle. Orgrim voyait bien que l'orc avait tenté d'oublier ce qu'il s'était passé, mais il devait savoir.

  • Ils ont laissé la grossesse se poursuivre, et l'enfant naître. Je ne pouvais rien faire, chef de guerre...
  • Continue, dit Orgrim, le menaçant du regard.
  • Ils ont attrapé le bébé après avoir arraché le cordon qui le reliait à sa mère, ils ne l'ont même pas laissée le regarder. C'est sûrement mieux, vu ce qu'ils lui ont fait... chef, ils se sont envoyé le bébé comme on s'envoie une balle.

Choqué, le regard d'Orgrim se durcit.

  • Le petit hurlait, il était encore tout ensanglanté, il sortait à peine du ventre. Et la princesse hurlait aussi. J'ai vu des massacres, sur Draenor, mais ça... (Bazol tremblait de rage). J'ai tiré sur mes chaînes, j'ai tiré fort (Orgrim voyait bien l'état de ses poignets), et elle aussi essayait de se dégager.

Bazol retenait ses larmes. Orgrim ne le regardait plus, il serrait la mâchoire et écarquillait les yeux de rage, ses mains entrelacées devant son visage.

  • Ils ont fini par le laisser tomber sur le sol. Il bougeait encore, le pauvre. Alors... alors ils l'ont attrapé par les pieds et cogné contre le mur. Ils disaient que c'était un dur à cuire, ils s'y sont pris à plusieurs fois. Une fois mort, ils l'ont jeté au sol.


Orgrim fermait les yeux. Il inspirait et expirait si bruyamment que Bazol crut qu'il allait se faire étriper.

  • Qui ? demanda Marteau-du-destin.
  • Chef...
  • QUI ? hurla dangereusement Orgrim.

Après quelques secondes d'hésitation, Bazol répondit :

  • Dal'Rend et Maim Main-noire.

Orgrim serrait les poings irrépressiblement. Ça, ça allait leur coûter cher.

Bazol voulut laisser son chef seul, mais il devait lui dire tout ce qu'il s'était passé :

  • Après ça, Keera est restée muette. J'ai cru qu'elle avait sombré dans la folie. Mais tout à coup, elle a relevé la tête, et ses yeux sont devenus lumineux.

Orgrim ne releva pas la tête, mais ouvrit les yeux. Bazol poursuivit :

  • Ses yeux brillaient, et son regard a changé. On aurait dit une autre personne. Elle les fixait, et elle a recommencé à tirer sur ses chaînes, et là, elle les a brisées d'un coup.


Encore sous le choc des précédentes révélations, Orgrim continuait d'écouter avec attention.

  • Les orcs qui nous torturaient ont pris peur. Ils reculèrent, et elle a sauté sur Maim en prononçant des mots dans une langue étrange. Elle l'a éventré à mains nues, et lui a arraché la tête, raconta Bazol. (Orgrim écarquilla les yeux) Rend s'est pissé dessus, et il a décampé si vite que je l'ai à peine vu partir. Elle s'est ensuite tournée vers moi, … j'ai eu peur pour ma vie, un instant, mais elle s'est retournée, et s'est approchée doucement du bébé.


Bazol pleurait à présent. Sa voix se brisa lorsqu'il termina son récit :

  • Elle l'a enveloppé de ses mains, il était si petit. Et elle s'est couchée à côté de lui, un long moment à le regarder, avant de venir me délivrer.

Bazol renifla bruyamment, se leva, et dit :

  • Je suis désolée, chef de guerre. Tellement désolé.

Puis, il laissa Orgrim seul.


Il resta un long moment sans bouger, regardant le vide devant lui, comme un aveugle perdu dans les ténèbres. Puis, pris d'un violent hoquet, il laissa tomber son visage dans ses mains, et après quelques secondes, des larmes traversèrent ses doigts, et le sol s'humidifia de quelques gouttes de rage et de tristesse.



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