La voix de l'ombre - Livre I : Les murmures du passé

Chapitre 15 : La voie de la raison

1770 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 12/02/2024 19:14

Chapitre 15 : La voie de la raison.



Il se souvint combien il avait tout de suite aimé son allure, et sa façon de se mouvoir. La manière qu'elle avait de relever sa chevelure au-dessus de sa nuque, en queue de cheval, et de cambrer son dos lorsqu'elle l'ébouriffait, un supplice qui le rendait fou à chaque fois qu'elle recommençait. Keera l'avait rendu fou d'amour et de désir. Même ses regards noirs lancés à chaque occasion quand ils se sont rencontrés l'avait perdu. Elle était pourtant si différente des canons de beauté auxquels il était accoutumé. Durotan lui avait dit un jour qu'il avait des goûts plutôt raffinés en matière de femelles. Venant d'un orc qui se pavanait aux bras de la plus belle femelle orque de tous les clans, c'était plutôt déplacé.

Mais il était vrai qu'il ne s'était jamais vraiment senti attiré par les femelles de sa propre race. Finalement, son vieil ami avait peut-être vu juste. Après tout, il le connaissait mieux que quiconque.


Et la voilà qui passait juste devant lui, le plus naturellement du monde, si féline, si.... appétissante.

Ses bas instincts reprenaient le dessus, et il la suivait du regard, avide.

  • Tu la mange du regard ! se moqua Grom en voyant l'air affamé de Marteau-du-destin lorsqu’il lorgnait sa compagne.

Grom avait tout de suite remarqué la façon dont Orgrim la dévorait des yeux. Il ne lui connaissait pas cet aspect de sa personnalité, toujours si réfléchi et invariablement sensé. Après tout, on dit qu'un orc uni à une femelle est un autre orc.


Suite à la moquerie de Hurlenfer, Orgrim se reprit :

  • Il est vrai que j'avais une guerre à mener, le temps des distractions était limité, soupira-t-il.
  • Alors il est temps pour toi de tirer parti du tout le temps dont tu disposes à présent, conseilla Grom tout en regardant Keera qui conversait avec Iskar, l'un de ses seconds. D'autant que vous avez beaucoup de temps à rattraper. Elle m'a expliqué que vous étiez unis selon les rites humains, mais aux yeux des Ancêtres, elle n'est pas reconnue comme tienne.

Depuis tout ce temps, Orgrim n'y avait même pas songé. Après tout, c'était la guerre. Mais à présent...

  • C'est décidé, dit Grom en frappant sur ses cuisses. Il nous faut organiser votre union, décida-t-il.
  • Une union, sans aucun chaman ! protesta Marteau-du-destin. Et tu veux que les Ancêtres nous bénissent ainsi ?
  • Rassure-toi Orgrim, Ulgal a renoué avec ses anciennes pratiques chamaniques depuis notre arrivée. Il semblerait que les éléments de ces contrées l'entendent et l'écoute.


Exactement comme pour les Loup-de-givre, pensa Orgrim. Drek'Thar aussi avait réussi à recontacter les éléments qui les aidaient occasionnellement.

  • Mff, cela ne te ressemble pas Hurlenfer, continua Orgrim. Qui aurait cru que tu puisse être aussi sentimental, se moqua-t-il, les yeux plissés.

La pique fit mouche, et Grom se leva, le regard menaçant :

  • Quiconque ici ne serait pas capable de faire face à son destin la tête haute et d'assumer ses responsabilités, je l'occis sur le champ ! déclara Hurlenfer, toujours dans la provocation.


Orgrim sourit. Le voilà, le grand Grommash Hurlenfer, l'indomptable chef du clan Chanteguerre, et, par-dessus tout, l'inconditionnel bon vivant.

Orgrim accepta donc avec une réelle joie que l'on lance les préparatifs de leur rituel d'union sacrée.



Ressassant tous les événements depuis son arrivée au souterrain, Orgrim scrutait Hurlenfer qui ne cessait de l'étonner. Il avait été loin de l'imaginer prêt à recueillir une étrangère dans sa tanière, fût-elle accompagnée de l'un des leurs. Il ignorait encore comment Bazol avait réussi à le convaincre de les accepter et de les protéger, mais il leur en était infiniment reconnaissant.

  • Pour ce que tu as fait pour eux, Grom, je te serai redevable à vie, déclara sincèrement Marteau-du-destin.
  • Garde donc ta reconnaissance, nous sommes frères. Tu n'aurais pas hésité une seule seconde à tendre la main à l'un des nôtre dans le besoin, confirma Grom. Et ils étaient dans le besoin, dit-il le regard vague.


Grom resta silencieux quelques secondes, puis reprit :

  • Ils étaient dans un sale état en arrivant ici. Rekshak les a trouvé lors d'une sortie il y a deux saisons.

Orgrim l'écoutait avec attention. Grom poursuivit :

  • Ils étaient très méfiants, et des deux, Rekshak aurait juré que c'était elle qui défendait l'autre. Elle avait l'air d'une louve échappée d'une cage, se rappela-t-il. Ils m'ont donc été amenés.
  • Et Bazol t'a dit qui ils étaient, ajouta Orgrim.
  • En fait, c'est elle qui s'est présentée comme étant une Marteau-du-destin. Bazol n'a fait que confirmer. Tu as là une femelle fière et forte, Orgrim. Bien qu'elle ait subi les pires supplices.

Orgrim se renfrogna.

  • Bazol t'a raconté, affirma-t-il, l'air contrarié.
  • Cela l'a aidé à sortir tous ses démons, il en avait besoin, ne le fustige pas, Marteau-du-destin. Ce qu'il a vu et ce qu'il a subi rendrait n'importe qui complètement dément.


C'était vrai, et pourtant, les orcs n'étaient pas une espèce qui se laissait aller au désespoir. Cependant, bien qu'ils aient combattu pendant des années l'armée humaine, ils se retrouvaient à présent acculés dans la boue et piétinés par leurs ennemis, vaincus, brisés.

Orgrim tentait de rassembler ses pensées. Il devait sauver son peuple, il ne tolérait pas qu'ils restent là recroquevillés dans des camps miteux le regard vide.

Mais avant tout, il pensait à la vengeance. Des orcs, issus de son propre clan, avaient osé toucher à sa compagne en lui infligeant les pires horreurs. Ils lui avaient arraché son enfant des entrailles, arraché ! Orgrim bouillonnait de rage, et son courroux serait à la hauteur de sa fureur.


Voyant bien ce qui traversait Marteau-du-destin à sa posture offensive (il avait courbé le dos comme s'il s'apprêtait à attaquer), Grommash posa une main sur l'épaule de son ami :

  • Ne te méprends pas Marteau-du-destin. Je comprends parfaitement le besoin de vengeance. Si tu me dis que tu envisages de te venger, je pars sur le champ avec toi, Hurlesang au poing, et nous étriperons tout ce qui bouge au Mont Rochenoire, à commencer par ce traître à sa race. Mais je sais aussi ce que cela impliquerait, poursuivit-il.
  • Oui, nous sommes cernés par l'armée humaine, si ce ne sont pas les nains qui nous tombent dessus, ou pire, cracha Marteau-du-destin, le regard morne. Et je suis certainement recherché, ajouta-t-il, le visage fermé. Mais tu penses qu'elle accepterait un compagnon impuissant au point qu'il ne cherche même pas à les venger elle et leur enfant ?
  • J'ignore ce qu'elle pense, c'est à toi de lui demander, et c'est à vous de décider, conclut Grommash. Moi et mes Chanteguerre, on te suivra si tu décides de te venger, lui assura-t-il.


Orgrim se calma quelque peu, et resta silencieux. Il ne souhaitait pas non plus entraîner les Chanteguerre dans son propre combat. Si les orcs vivaient à présent cachés, c'était pour une bonne raison : le feu démoniaque qui les animait semblait désormais les affaiblir, et ils n'étaient pas en état de lancer une offensive à travers les royaumes humains reconquis.

Grom observa Orgrim quelques instants, puis se leva, laissant Marteau-du-destin à ses pensées.

En fin de compte, Hurlenfer avait raison. Ils devaient parler. De plus, Grommash savait, lui plus que quiconque, combien les regrets pouvaient détruire.



  • Tu avais l'air ailleurs aujourd'hui, est-ce que tout va bien ?

Keera avait tiré le long tissu qui servait à isoler leur galerie privée. Orgrim s'assit sur un tabouret de bois, attrapa Keera par le bras pour l'installer sur ses genoux. Elle lui faisait face, entourée des bras robustes de son compagnon.

  • Après tout ce temps où nous avons été séparés, après toutes ces épreuves, j'ai besoin de savoir ce que tu veux, ce que tu attends de moi, commença Orgrim.

D'abord surprise, Keera scruta son compagnon et le regard étrange qu'il présentait.

  • Tu veux dire qu'à présent tu ne prends plus toutes les décisions ?
  • Les choses ont changé, admit-il. Je ne suis plus chef de guerre, je n'ai plus la responsabilité d'une race entière. En tout cas, pas tant qu'elle se retrouve piégée dans des camps sans aucune volonté d'en sortir.


C'était vrai. Ils ne s'étaient jamais retrouvés seuls tous les deux. Dorénavant, la vie ne dépendait plus que d'eux seuls.

  • Tu as changé, j'ai changé, le monde a changé, Orgrim. Et nous allons devoir y trouver notre place.
  • Vraiment ? en doutait l'orc. Penses-tu vraiment que nous pourrons avoir une vie normale ? Après tout ça ?
  • Après quoi, la guerre ? Oui, nous allons vivre comme des fugitifs. Après nos épreuves ? Oui, il va bien falloir. Et si tu me dit maintenant que tu n'en es pas capable, que nous ne pouvons pas surmonter nos peines, ou que nous devons rester enterrés dans un trou, je te jure, Orgrim Marteau-du-destin, que tu recevras la raclée de ta vie, et que même tes Ancêtres la ressentiront jusqu'à la première génération !


De toute sa vie, il ne s'était jamais senti aussi fier. En une déclaration, Keera l'avait ranimé. Il avait l'impression de revenir à la vie, comme un long nuage gris qui finit par se dissiper après l'orage. Assurément, ils allaient vivre. Il n'en douterait plus.

La fixant de ses yeux gris, Orgrim attrapa le visage de la jeune femme et l'embrassa avec passion. Elle répondit à son baiser, et noua ses bras autour du cou de son compagnon.

Rien ne pouvait être plus fort que cela, plus fort qu'eux, plus fort que ce qu'ils représentaient.


Le jour suivant, Grom avait invité Orgrim à une partie de chasse. Cela faisait une éternité qu'il n'avait pas chassé avec les siens. Quand bien même ils devaient rester cachés, cela ne l'empêcherait pas de profiter de ces moments de plaisir à traquer une proie, se remémorant l'époque où il chassait avec son clan, dans les plaines sauvages de Gorgond.

Il se para donc, armé d'un couteau affûté, et suivit Grom et quelques guerriers hors du souterrain.

Que la chasse commence !

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