A l'aventure, compagnons !

Chapitre 4 : La ville défunte

15867 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 04:38

  Isaëlle courait désespérément, tout son être guidé par une unique envie : Fuir le plus loin possible. Elle ne cessait de penser à ce hurlement, de revoir dans sa tête ce fantôme élégant qui poussait ce terrible rugissement qui l'avait ébranlé jusqu'au tréfonds de son âme et fait naître une terreur sans pareille en elle. Ces quelques secondes tournaient inlassablement dans l'esprit de la jeune femme, la fascination pour le spectre, l'effroi qui s'était soudainement saisi d'elle et ce besoin impératif de partir, de sauver sa vie. La paladine s'imaginait sans peine durant sa course paniquée la créature pâle la tuer sans effort, lui faire subir mille tourments tous plus horribles les uns que les autres.

A bout de souffle, la noble ralentit, puis s'arrêta contre un arbre, le coeur tambourinant furieusement contre ses côtes, la gorge en feu et suffocant à moitié après une telle fuite. La tête lui tournait, sa poitrine semblait brûler et ses jambes avaient du mal à la porter, pourtant essaya de se redonner un peu de courage pour reprendre son sprint, persuadée qu'il fallait qu'elle s'en aille avant que le fantôme ne la rattrape et ne lui fasse...ne lui fasse quoi d'ailleurs ? Elle n'arrivait plus à imaginer l'entité malfaisante la torturer à mort, c'est à peine si elle parvenait à se rappeler la silhouette éthérée, et petit à petit la jeune femme se demanda pourquoi elle avait eu si peur, sans plus parvenir à justifier sa soudaine fuite. Isaëlle se rappelait que le cri avait réveillé chez elle la plus sauvage des terreurs, l'instinct animal qui ordonnait de fuir le danger et qui prenait le pas sur la raison face à un danger mortel, mais elle était incapable de dire pourquoi. Même petite elle n'avait jamais craint l'orage, alors pourquoi ce simple hurlement l'avait fait partir comme ça ?

Adossée à son arbre, cherchant une explication quant à l'horreur qui la domina face au spectre funèbre, la paladine commença à reprendre son souffle et réalisa progressivement qu'elle était au milieu de nulle part. Quelques images lui revinrent, celles d'une plaine morte, de collines stériles, de quelques troncs gris et sans feuille, puis elle se rappela ce que Galain avait dit à leur départ, que tout pouvait être dangereux et qu'il ne fallait surtout pas s'éloigner du chemin.

L'adolescente se décolla de l'écorce pourrie et s'apprêta à faire demi-tour, supposant qu'il lui suffirait de courir tout droit pour rejoindre la route puis un bruit lui fit tourner la tête. Elle vit alors un crâne ricanant darder vers elle un regard assassin, ses yeux rouges brillant comme deux étincelles infernales au milieu de ses orbites emplies uniquement de cette lueur meurtière et d'un voile de ténèbres. Il n'avait plus de chair depuis sans doute bien longtemps, et la soudure de ses os, ainsi que la fracture au sommet de la tête qui lui avait certainement été fatale à l'époque étaient parfaitement visibles. Sa mâchoire figée dans un sourire mort pour l'éternité s'ouvrit brusquement en produisant un son qui ressemblait à un cri de guerre, ou de chasse, Isaëlle n'aurait su les différencier.

Le mort-vivant arma un revers, et la paladine retrouva ses esprits et tenta de reculer, son talon buta contre une racine souillée de l'arbre et elle tomba en arrière, la masse rouillée du squelette sifflant au-dessus de sa tête avant de fracasser l'écorce de l'arbre tordu contre lequel elle s'était reposée. Cette fois elle savait pourquoi elle devait fuir et se releva aussi vite que possible, évitant de peu la seconde attaque qui fit un son mat en s'enfonçant dans la terre. L'adrénaline lui redonna des forces et la noble courut aussi vite que possible, sachant qu'elle n'aurait aucune chance si elle tentait d'affronter un monstre pareil. Jetant un oeil par dessus son épaule, elle constata avec horreur que la créature se lançait à sa poursuite, et qu'en dépit de son apparence décharnée elle était véloce, peut-être un peu moins qu'elle, mais la jeune femme redoutait que son agresseur ne craigne pas la fatigue, contrairement à elle et commença à paniquer.

Une silhouette massive dans le bord de sa vision lui fit tourner un instant la tête, l'espoir gonflant son coeur alors qu'elle s'attendait à voir arriver le gigantesque Galain pour la débarrasser de son assaillant, et se sentit dangereusement mal en constatant qu'au lieu d'un compagnon certes intimidant mais bienveillant, c'était une goule à moitié pourrie, à la carrure large et dont les épaules autrefois robustes portaient encore les plaques épaisses d'une solide armure et se traînait d'un pas chancelant mais déterminé dans sa direction.

Quelque chose bloqua subitement sa cheville et la paladine s'écrasa violemment à terre. Le souffle coupé et à moitié sonnée, elle secoua la tête pour essayer de rassembler ses esprits, et se retourna comme elle put pour voir ce qui la retenait au sol, son sang se glaça quand elle remarqua ces horribles doigts, ou plutôt ces amas de muscles et de tendons à vifs qui entouraient son pied d'une poigne de fer, puis une tête répugnante s'exhuma, ses orbites vides se posant sur elle et l'ombre impénétrable qui y régnait respirait pourtant de malveillance, d'une faim insatiable et de ce simple et unique désir de la tuer.

Terrifiée, Isaëlle commença à frapper de l'autre pied l'horrible crâne dont les lambeaux de chair putréfiée restant se décollèrent parfois sous ses assauts désespérés, puis la mâchoire immonde de la créature s'ouvrit bien plus largement que ce qu'aurait pu faire n'importe quel homme et mordit dans l'agressive botte, ses dents pourries transpercèrent pourtant le cuir, ses muscles nécrosés se tendant avec une telle force que la noble sentit son propre sang être souillé par l'infamie de la créature et s'écouler sur ces gencives pestilencielles alors qu'elle laissait échapper un cri de douleur. Sentant sa fin approcher, la paladine utilisa le Feu Sacré pour frapper le zombie. Sous l'impact du pouvoir sain, le monstre relâcha son étreinte en poussant un gargouilli écoeurant, mais la surprise passée il surpassa sans problème la douleur infligée par le sort de la Lumière et tenta à nouveau d'attraper la jeune femme qui esquiva cette fois l'assaut et recommeça à fuir.

 - A l'aide !

Un terrible choc dans le dos la balança au sol, quand elle essaya de se relever tout en regardant par dessus son épaule pour voir ce qui l'avait ainsi frappé, un pied lourd s'écrasa sur son bouclier et la cloua à terre alors qu'elle apercevait le squelette à la massue. A cause de la goule qui l'avait stoppée dans sa fuite, le tueur sans vie l'avait finalement rattrapée. Elle usa à nouveau du Feu Sacré en visant le genou de son bourreau et toucha. Le guerrier d'os lâcha un bruit étrange en vacillant légèrement, son articulation le lâchant brièvement sous la magie bénie. Il n'en fallait pas plus à Isaëlle pour puiser dans ses dernières forces et pousser de tous ses membres pour se tirer en avant et échapper à la prise du mort-vivant. Elle ne fit pas cinq pas qu'un objet lourd la frappa violemment dans la jambe et la fit trébucher. Malgré son désespoir et son épuisement, la paladine parvint cette fois à rester debout et vit la masse de son poursuivant tomber à terre, comprenant le geste furieux de son agresseur qui essaya de l'abattre en pleine course. La noble regarda avec empressement tout autour d'elle, cherchant désespérément une échappatoire, mais au lieu d'une issue c'était un piège qu'elle remarqua. Il n'y avait pas la moindre trace du chemin qu'elle souhaitait regagner dans ces plaines sans vie, et elle pouvait distinguer les silhouettes de plusieurs mort-vivants se traîner piteusement ou marcher d'un pas puissant dans sa direction.

La jeune femme cessant de courir, exténuée, elle était condamnée. Elle se retourna pour voir le squelette, qui avait récupéré sa massue, lui foncer dessus. Décidée à ne pas se laisser faire jusqu'au bout, Isaëlle bondit de côté lorsqu'il allait lui fracasser le crâne, puis recula pour prendre un peu de distance et dégaina son épée. Elle avait toujours apprécié cette lame, assez longue pour compenser son manque d'allonge face à un homme, assez fine pour être qualifiée de belle et raffinée, et bien assez légère pour qu'elle puisse la manier avec vivacité. Depuis peu, lorsqu'elle enchaînait les coups, on lui disait que son arme brillait à la manière d'une rivière dont les flots reflétaient la lumière par leur écoulement serein. Isaëlle sauta en arrière pour esquiver l'attaque acharnée du squelette et vacilla quand ses jambes manquèrent de la lâcher.

Sachant qu'elle n'arriverait pas à esquiver le prochain coup, la paladine prépara sa propre frappe et puisa dans sa foi asolue en la Lumière pour s'entourer d'une Protection divine, un sort qu'elle affectionnait particulièremente et qu'elle avait assimilé rapidement à l'époque. On lui avait dit que c'était grâce à son admirable dévotion et que la Lumière récompensait sa foi. Le guerrier réanimé frappa, sa lourde massue fila à toute allure et cogna violemment la barrière magique, causant une violente migraine à la jeune femme dont la concentration fut mise à rude épreuve par l'attaque avant de riposter, balançant sa lame de toutes les forces qui pouvait bien lui rester pour essayer de décapiter son ennemi. Le tranchant gracile ne rencontra que de l'air quand sa cible se retira avec aisance avant de briser la fine épée d'un coup de matraque, puis d'enchainer sur un violent revers qui toucha la paladine au bras en produisant un sinistre craquement, le métal corrompu s'enfonçant dans la chair fragile et pulvérisant l'os de l'humaine qui échappa un hoquet de douleur avant de s'écrouler, jetée au sol par la force du coup. La noble se recroquevilla sur elle-même, portant une main à son membre brisé, incapable de hurler sa souffrance tant celle-ci était insoutenable et pleurait à chaudes larmes. Elle avait mal, elle avait peur, la pauvre femme ne souhaitait pas mourir, pas comme ça, pas ici, pas alors qu'elle avait promis à son frère de revenir, et pas toute seule, elle ne voulait pas succomber face aux serviteurs du Fléau et encore moins le rejoindre...mais elle ne pouvait plus rien faire. La goule approchait d'un pas hasardeux, son adversaire triomphant se tenait à côté d'elle, son crâne ricanant à jamais la regardant avec des yeux où ne brillaient que haine et instinct mortel.

Ne tenant pas à ce que sa victime tente une nouvelle fois de s'échapper, le guerrier d'os abattit un pied sur la malheureuse enfant avec une telle force que le mince plastron qu'elle portait plia comme un roseau face au vent et ne la protégea pas du choc qui lui brisa une côte. Elle n'arriva pas à crier, ni même à prier la Lumière d'accueillir son âme, il n'y avait plus que la douleur qui la dévastait et la réduisait au silence, que cette souffrance et ce désespoir sans bornes, et ce froid, ce terrible froid qui la faisait trembler et se recroqueviller autant qu'elle le pouvait, ce qui n'arrangeait pas ses fractures. C'en était trop pour elle, et elle commença à se sentir glisser dans l'inconscience. Au moins se dit la pauvre Isaëlle avant de sombrer, ça abrégerait ses malheurs...

Le guerrier sans vie leva à nouveau sa masse, prêt à finir le travail et à s'offrir un peu de chair à dévorer ainsi qu'un nouveau soldat pour l'armée des damnés, quand un trait d'énergie bleu violacé s'écrasa contre son crâne, la goule se mettant à brûler de flammes blanches en gargouillant sa souffrance. Le squelette se retourna pour faire face à la direction d'où provenait le tir qui le toucha et vit une massive silhouette mettre fin au calvaire de la créature impie flamboyante en la tranchant en deux d'un seul coup de sa lame aux reflets purs avant de le charger. Le mort-vivant recula pour préparer son attaque mais n'eut le temps que d'amorcer un pas que le géant était déjà sur lui, l'arme étincelante filant comme un éclair vers sa tête osseuse. La pointe transperça son orbite vide et ressortit par l'occiput, avant de se retirer aussi vite qu'elle était entrée puis vint la masse du guerrier qui pulvérisa le crâne souriant d'un terrible coup vertical. La carcasse non-vivante s'effondra sans le moindre geste, redevenant inerte pour l'éternité.

 - Occupez-vous d'elle ordonna Galain avant de foncer vers les zombies qui se rapprochaient.

Lilyane et Rödik rejoignirent leur amie inconsciente. Le prêtre l'osculta rapidement avant de conclure qu'elle avait au moins un bras cassé et qu'elle était simplement évanouie, à leur plus grand soulagement. La chasseresse héla leur guide qui mettait en pièces un squelette à la démarche pesante.

 - Elle est juste dans les pommes !

Il chargea avec vélocité une goule à l'aspect féroce dont il éclata le faciès écorché d'un violent coup de masse avant de revenir auprès de ses compagnons en rengainant ses armes.

 - Il faut qu'on dégage d'ici.

 - Isaëlle a besoin de soins protesta Rödik.

 - Elle ne les aura pas ici abrégea le bretteur.

Le géant ramassa la jeune noble et recommença à courir, suivi peu après par la chasseresse puis par le nain qui manifestait son mécontentement de laisser un patient en attente ainsi que de devoir encore courir. En temps que prêtre, et aussi que nain, il préférait de loin la marche voir être assis, plus pratique pour prendre une bonne bière, que de se dépêcher. Surtout qu'il avait un mal fou à ne pas se faire distancer par ses deux camarades aux longues jambes.

 

  Isaëlle réintégra lentement son corps, la tête lui tournait et elle ne parvenait pas à réfléchir, comme si son esprit était éparpillé dans un autre univers. Mais petit à petit elle retrouva lentement ses derniers souvenirs, puis la douleur qui lui tiraillait les jambes et qui irradiait de son bras, ensuite vint la chaleur apaisante à ce même niveau et enfin des sons. Doucement la paladine comprit qu'il s'agissait de mots, puis de phrases, et commença à en comprendre le sens. Elle essaya de remuer et d'ouvrir les yeux, peinant à faire obéir son corps fatigué par la terreur qui l'avait abattue.

 - Je crois qu'elle se réveille fit une voix de femme.

Battant des paupières pour parvenir à retrouver la vue, la noble aperçut penchée sur elle deux visages. Celui d'une elfe à la peau sombre et aux cheveux bleu-nuit et d'un petit bonhomme avec plus de poils sur le menton qu'un ours des montagnes. Elle lut la compassion et l'inquiétude dans leurs regards, et se rappela leurs noms, qui ils étaient.

 - Reste couchée lui dit Rödik lorsqu'elle essaya de se redresser, tu as besoin de repos.

 - Tu nous as fais peur en partant comme ça ajouta la chasseresse, tu as bien failli y passer !

La jeune femme tourna la tête vers son bras blessé, on avait déchiré sa manche pour mettre la peau à nu et le prêtre passait les mains par dessus la meurtrissure. Ses paumes rayonnaient d'une lueur rassurante et la douleur s'évanouissait lentement à son contact. L'adolescente se souvint de la vocation de son camarade et ne s'étonna alors pas qu'il use d'un sortilège de soin, les prêtres guérisseurs étaient les plus courant de leur ordre et Isaëlle n'allait pas s'en plaindre.

Après avoir passé encore un moment à ressoudre son os éclaté, le nain lui demanda de se relever doucement et l'y aida avant de laisser l'Elfe improvisée une attelle avec un bandage épais.

 - J'ai fais ce que j'ai pu, mais je n'ai pas pu entièrement réparer ton bras, la gravité de la fracture dépassait mes compétences s'excusa presque Rödik.

En sentant une pointe de souffrance ankyloser son membre lorsqu'elle commit l'erreur de le remuer, elle comprit ce qu'il entendait par là. Isaëlle revit le squelette balancer sa masse vers elle, le choc, la sensation de sa propre ossature qui vole en éclats... Elle n'y connaissait pas grand chose aux fractures, mais elle ne doutait pas un instant que grâce aux soins de son compagnon elle pourrait encore utiliser son bras dans le futur.

 - Par contre j'ai pu resouder sans problème ta côte cassée annonça le guérisseur pour conclure sur une note positive.

La paladine réalisa à ces mots qu'elle ne portait plus son armure. Elle soupira en se disant que son frère avait eu raison à ce propos, que sa cuirasse était beaucoup trop fine. Puis elle se força à sourire et remercia ses compagnons, il lui avait sans aucun doute possible sauvé la vie et fait leur possible pour que ses blessures aient le moins de conséquences possibles. C'était la première fois qu'elle subissait de réels dommages, et c'était une expérience fort déplaisante à son goût. Regardant aux alentours, la noble remarqua que la nuit venait de tomber, qu'ils étaient devant un massif pont de pierre, et la sombre silhouette de hauts remparts lui rappelèrent sa chère Stormwind.

 - Où sommes nous ?

 - Après t'avoir récupéré répondit Lilyane, Galain nous fit avancer jusqu'ici. D'après lui c'est un des rares endroits où l'on est moins facilement attaqué par ces fichus mort-vivants.

 - Et sinon ce gros machin qu'on voit là-bas rajouta le nain, c'est Stratholme !

Le coeur d'Isaëlle manqua un battement, après cet incident elle redoutait d'y aller, mais en même temps de se trouver si près de son objectif initial faisait naître en elle une étrange fascination, comme si cette ville à l'histoire dramatique m'attirait comme une flamme attire un papillon.

 - J'espère que l'ancienne demeure des Whiteheart est proche de l'entrée laissa tomber la voix sourde du guerrier, car je ne pourrais pas vous amener au coeur de la cité.

La paladine tourna la tête pour le voir, il était assis dos à un arbre un peu à l'écart du camp, dans l'ombre, et la jeune femme se surprit à devoir cligner des yeux pour s'assurer qu'il était bien là. En voyant l'air de repproche que lui accordait le regard luisant du géant, elle baissa la tête en se disant qu'il devait être furieux qu'elle soit partie ainsi. Elle faillit essayer de se justifier, en expliquant que ça avait été plus fort qu'elle et que son corps et ses pensées lui avaient brusquement échappé, mais elle se ravisa et préféra lui répondre.

 - Mon père me disait qu'elle était sur la...place du marché je crois.

 - En plein centre de la ville marmonna le géant.

 - Ca aurait pu être pire positiva Rödik, elle aurait pu être à l'autre bout de Stratholme.

 - C'est vrai, ça sera dur mais on peut y arriver surenchérit l'archère.

 - Et puis au pire tu es avec nous mon grand ajouta le nain, avec un bretteur tel que toi on ne risque rien !

Le colosse semblait peu convaincu par cet argument, à en juger par la moue qu'il offrit en réponse. Isaëlle n'osa pas leur dire à cet instant qu'elle voulait repartir, ils venaient déjà de risquer leur vie sur la route, elle n'avait pas envie qu'ils y restent tous par sa faute. Même si l'envie d'entrer la citadelle du Fléau était très tentante, d'autant plus en sachant que l'objectif de sa quête était à portée de main, elle craignait qu'ils n'en ressortent jamais. Puis le prêtre se relança dans des histoires vantardes et prétendait être prêt à en découdre avec toute la Non-vie si nécessaire, faisant rire la chasseresse qui lui rétorqua qu'avant de s'attaquer au Fléau il ferait bien d'abord de se débarrasser de ses poux. Faussement piqué au vif, le nain commença à agresser l'Elfe à l'aide de sa barbe, la faisant bien plus rire qu'autre chose. Leur bonne humeur malgré la situation redonna un peu de baume au coeur de la pauvre humaine qui supportait bien mal les Malterres.

 - Un peu de calme réclama l'inflexible guerrier qui semblait ne pas savoir sourire, on est moins menacés qu'ailleurs, mais on n'est pas pour autant en sûreté.

 - Pourquoi cet endroit est-il plus sûr d'ailleurs demanda la jeune femme pendant que ses deux amis cessaient leur bêtises.

 - Oui c'est vrai, on est juste à côté du foyer de l'infection de ces terres...et c'est l'endroit le moins dangereux qu'on puisse y trouver continua Lilyane.

La question capta toute leur attention et les trois compères se tournèrent vers l'antique combattant en attente de la réponse.

 - C'est un lieu historique commença t-il, l'un d'entre eux a t-il une idée de qu'est ce qui a bien pu se produire à cet endroit même ?

La chasseresse secoua immédiatement la tête, Rödik réfléchit un moment, explorant sa mémoire à la recherche d'une hypothèse mais finit par imiter sa camarade et déclarer forfait. Isaëlle essaya elle aussi, cherchant ce que le guerrier pouvait bien attendre de leur part. Ils étaient aux Malterres, juste devant Stratholme, aussi elle se remémora ses leçons d'histoires qui y faisaient référence d'une manière ou d'une autre. On ne lui en avait que très peu parlé, même dans les livres ce n'était pas évident de trouver des écrits fiables à leur sujet. Fiable, ou compréhensible, certains ouvrages de la bibliothèque familale avaient été retrouvé au cours d'une expédition et avait subi les outrages du temps. Ne trouvant rien, elle finit par abandonner elle aussi.

 - C'est ici qu'Uther Lightbringer et Arthas Menethil se sont fachés, c'est ici que le Prince ordonna la destruction de Stratholme.

Isaëlle fut estomaquée, pour une paladine c'était un endroit des plus critique de leur histoire, c'est là que le plus prometteur des disciples du plus noble des guerriers s'est séparé de son maître et a quitté la voie de la Lumière pour s'engager sur un chemin sanglant, dominé par les carnages et la folie d'un être qui n'arrivait pas à user avec sagesse du pouvoir dont il disposait. Pour certains, c'était le premier acte noir du Roi-Traître et son premier pas vers sa soumission au Fléau. Rödik était bien moins choqué par une telle révélation, mais il avait pleinement conscience de ce que cela impliquait. Lilyane elle n'était tout bonnement pas au fait de ces choses, mais comprenait tout de même que c'était important.

 - Le Porteur de lumière s'est tenu juste là où tu es assise, Isaëlle continua l'Elfe, et Arthas était juste là, au sommet de cette butte et contemplait Stratholme qui succombait à la peste. Il ne ne voyait aucune autre solution, alors il ordonna l'exécution de toute la population, puis de brûler tout ce qui pouvait l'être pour purifier la cité.

Les trois compagnons écoutèrent la leçon d'histoire avec attention, quand elle sortait des lèvres de ce vieil immortel elle avait quelque chose qui la rendait plus vivante qu'à l'accoutumée. L'humaine n'en revenait pas d'être là où s'était tenu le plus grand héros de la Lumière et de celui qui apprit tout de lui...et qui le tua.

 - Uther tenta de l'en dissuader, mais Arthas insista et essaya d'user de son autorité royale pour le forcer à obéir.

Le feu craqua dans le silence qui survenait chaque fois que le guerrier cessait de parler.

 - "Vous n'êtes pas encore roi mon garçon, et je ne vous obéiras pas...même si vous l'étiez" lui répondit Uther avant de lui tourner le dos, suivi de ses fidèles chevaliers. Puis Arthas mena ses troupes dans Stratholme, et alors que la population ignorant ce qui les attendait accueillait à bras ouverts son prince, celui-ci fit couler le premier sang, puis le massacre commença, les cris retentirent toute la journée et la fumée s'éleva à partir de ce jour de la cité.

La chasseresse assimilait l'information simplement, se disant qu'Arthas était définitivement un salopard, Rödik complétait ses connaissances grâce à ce récit et Isaëlle restait encore sous le choc. Il en fallait peu pour l'émouvoir de nature, et dans la situation actuelle c'était d'autant plus simple.

 - Tu as raté ta vocation d'historien commenta Rödik, c'est très captivant, tu as raconté cet événement comme si tu y avais été.

 - C'était le cas répondit tout simplement le géant.

 - Tu as connu Uther demanda subitement Isaëlle.

 - Nous avons même été bons amis à l'époque, il m'a beaucoup aidé.

 - Comment était-il interrogea la jeune fille qui vénérait presque le Porteur de lumière.

Le guerrier prit un instant pour réfléchir à sa réponse, préparant soignement ses mots et son avis quand à l'icône même qu'était devenu le paladin.

 - Les livres ne lui rendent pas hommage commença l'immortel, il était certes fort et très brave, mais ses prouesses martiales ne sont pas celles qui auraient du être le plus reconnues, que ce soit de sa mort ou de son vivant.

La noble s'installa un peu plus confortablement, ceux qui pouvaient se vanter d'avoir un jour parlé à Lightbringer pouvaient se compter très rapidement, et ceux qui n'étaient pas séniles devaient au bas mot être recensés sur les doigts d'une main. Avoir l'opportunité d'en apprendre plus sur son héros de la bouche d'un de ses compagnons, qui avait encore toute sa tête, était une occasion en or pur.

 - Ses plus grandes qualités étaient sa sagesse, son humilité et sa dévotion. Il aurait affronté le Roi-Liche et toute son armée seul si ça lui aurait permis de sauver ne serait-ce qu'une seule personne. Il était l'incarnation même de la justice et de la bonté, le meilleur de tous les paladins ne l'était pas par sa force, mais par son inébranlable code moral. Il inspirait ceux qui l'approchaient et pouvait mener une poignée d'hommes à la victoire face aux pires ennemis de la Lumière par la seule force de sa foi et de sa discipline.

Rödik hocha la tête en approbation, c'était bien ainsi qu'il s'imaginait le personnage en question, et se disait qu'en effet c'est ainsi que devraient aspirer à ressembler chaque paladin. Voir même chaque être doté d'une conscience. La chasseresse se disait qu'il s'agissait d'un grand homme, et comprenait pourquoi tant de gens pleuraient sa perte même aujourd'hui encore. Isaëlle elle était encore suspendue aux lèvres du guerrier, écoutant la moindre parole qui ne faisait que renforcer encore son admiration envers son idole.

 - Maintenant il est tard, nous devrions dormir conclut brutalement le géant. Rödik, endors Isaëlle.

 - Comment ça m'endormir s'étonna t-elle, mais je vais bien je...

Elle ne termina pas sa phrase, frappée d'une soudaine torpeur et ne tomba pas à la renverse que grâce à Lilyane qui la rattrapa et la posa doucement au sol.

 - Merci, elle n'aurait jamais fermé l'oeil sinon.

 - J'avais remarqué en effet ajouta le prêtre qui avait lancé un sort de sommeil.

 - Lilyane, prend le premier tour de garde, je m'occuperais du second et Rödik du troisième.

Ses deux compagnons acquièscèrent, puis le nain alla se coucher, Galain restait dos à son arbre. Les yeux clos, il semblait ne plus exister, même sa semblable peinait à discerner sa forme dans les ténèbres. La chasseresse elle prit son arc et y passa la main longuement, ouvrant l'oeil et tendant l'oreille. La nuit n'était pas sûre, mais elle se jura que celle-ci ne serait pas le théâtre d'un nouveau drame.

Le temps s'écoula lentement, un clair de lune passait entre deux nuages épais. L'elfe finit par réveiller son compatriote qui ouvrit les yeux avant même qu'elle ne le touche, puis elle alla dormir à son tour d'un sommeil léger, mal à l'aise dans un tel endroit. Le guerrier veilla, sans un geste durant bien longtemps, puis se releva pour secouer le prêtre quelques heures avant l'aube pour avoir le temps de se reposer. Il savait que le lendemain son adresse allait être mise à rude épreuve. Le reste de la nuit se passa sans encombre, quelques bruits retentirent dans les ombres, mais aucune menace ne se profila dans le noir. Lorsque le soleil passa au-dessus des montagnes et que ses rayons baignèrent faiblement les aventuriers, ils s'éveillèrent lentement d'un repos modeste et se préparèrent, rassemblant leurs affaires, répondant à quelques besoins naturels et mangèrent un morceau avant de se mettre en route vers Stratholme.

Isaëlle frotta légèrment son bras endolori alors qu'ils s'avançaient sur le pont, elle se rappela les événements de la veille, les monstres, la peur, la douleur... Sans doute aurait-il mieux valu qu'ils repartent sans demander leur reste, mais le soutien de ses trois compagnons la dissuadait toujours de leur dire qu'ils ont fait ça pour rien. La jeune femme souffla un grand coup pour  essayer de calmer son coeur qui s'emballait. Une main vint lui effleurer l'épaule, la noble vit en tournant la tête qu'elle appartenait à la chasseresse qui lui souriait.

A l'avant du groupe, Galain dégaina son habituel duo d'épée et masse avant de se tourner vers ses caramades, parlant à voix basse.

 - Plus que jamais, ne faites pas un bruit et restez près de moi.

Ils acquièscèrent et allongèrent le pas pour le rejoindre lorsqu'il se retourna. Le pont était long, fait de pierres taillées avec précision aujourd'hui recouvertes de poussière. La paladine trouva rapidement oppressant le silence ambiant, rompu uniquement par les sons de leurs propres pas sur le vieil édifice. En tendant l'oreille, elle distingua un très léger glougloutement au-dessous d'elle. Même la rivière semblait à l'agonie dans ce pays damné. La ressemblance de l'entrée de la cité mort-vivante avec celle de Stormwind dérangea particulièrement l'adolescente, la gigantesque muraille qui se dressait devant les aventuriers arrivant au bout du pont offrait deux chemins pour la contourner, avant de rejoindre une unique rue, large, bordée de part et d'autres par de grandes maisons, exactement comme sa ville natale. Isaëlle frissonna lorsqu'elle imagina sa chère cité dans le même état que Stratholme. Elle essaya tout d'abord de se rassurer en se disant que ça ne pouvait pas arriver, mais la ressemblance des deux villes était bien trop grande pour qu'elle se berne si facilement. Si Stratholme était tombée, même par la main de son Prince, alors Stormwind était elle aussi à la merci d'une catastrophe.

La longue avenue, aux pavés déchaussés empestait la cendre et la poussière. Au dessus d'eux, l'épais nuage qui surplombait depuis des lustres l'imposante citadelle du Fléau prenait une mystérieuse teinte orangée et l'air brûlait la gorge à chaque inspiration. On pouvait apercevoir quelques fois un morceau dans les jointures des pierres, un fragment d'os, de lame brisée ou une dent. Les demeures autrefois nobles et splendides n'étaient plus que ruines aux murs effrondrés, aux poutres noires apparentes et d'où se dégageait une atmosphère infecte qui glaçait le sang des aventuriers qui osaient s'aventurer dans cette cité damnée.

Leur guide les mena le long de la rue principale, ne jetant que de brefs coup d'oeil à chaque petite ruelle qui serpentait parfois entre deux massives maisons. Ils continuèrent jusqu'à arriver à une intersection où le guerrier tourna à gauche avant de se coller contre le mur et de marquer un arrêt, le temps de regarder le moindre recoin où aurait pu se cacher un ennemi, y compris sur les toits. N'apercevant étrangement aucune menace, il reprit la progression avec prudence, suivi de près par Rödik, Isaëlle qui évitait tant bien que mal de ne pas se frotter contre les murs et Lilyane, toujours la main sur son arc, prête à tirer une flèche au moindre doute. Ils avancèrent le long des anciennes demeures, se méfiant de chaque ombre et petite ruelle qu'ils croisaient.

Lorsqu'ils arrivèrent au bout des façades, ils se tenaient devant une place immense que la paladine devina pleine de vie et de lumière par le passée, les vestiges d'une gigantesque fontaine trônait piteusement au centre de l'endroit et une charette à moitié brûlée attendait éternellement son propriétaire sur le côté. Elle commença également à réaliser que sans Arthas, sans le Fléau, elle aurait très certainement vécu ici et se demandait à quoi aurait ressemblé sa vie. La jeune femme aimait Stormwind, ses échanges culturels, ses quartiers, mais elle se doutait que les deux villes n'offraient pas le même type de vie.

 - Nous sommes à la Place du Roi souffla le guerrier, redoublez de vigilance.

Il quitta lentement le maigre couvert du mur et s'aventura à pas de loup sur l'ancienne place où persistaient quelques résidus de créatures, ici un reste de bras dont il ne restait que les os, par-là un crâne aux deux tiers défoncé et bien d'autres traces écoeurantes. Galain suivi un trajet zigzaguant pour les éviter autant que possible, sans cesser de regarder dans toutes les directions, l'absence de mort-vivants le laissait perplexe. A sa dernière venue, il avait déjà du terrasser une bonne dizaine de zombie avant d'arriver jusqu'ici et la place en était envahie à l'époque. Peut-être que les venues successives d'aventuriers, de paladins et de fanatiques avait fini par amoindrir sérieusement la population locale, toutefois il en doutait. S'il y a bien une chose dont le monde ne manquera jamais, c'est de cadavres.

Le géant conduit le groupe jusqu'à une arche dont le plafond était si haut que l'Elfe aurait pu être deux fois plus grand sans pour autant le frôler. Isaëlle reconnut une intersection indiquant des chemins vers des quartiers différents, sa ville natale en avait des très semblables. Toutefois, les trois voies qu'offraient celle-ci étaient barrées par de hautes herses en fer noirci. Elle toussa.

 - C'est fermé dit la jeune femme, il y a un autre chemin ?

 - Oui, mais cela prendrait trop de temps, et serait trop risqué.

 - On a pas vraiment le choix soupira l'archère, à moins que tu ne comptes soulever cette herse à la seule force de tes bras il va falloir revenir sur nos pas.

Le guerrier rangea ses armes et s'avança vers la grille. Il en empoigna les barreaux à une certaine hauteur et s'approcha en pliant les genoux.

 - Comment crois-tu que je sois passé la dernière fois ?

La massive porte commença à s'ébranler, puis elle se souleva, très lentement, et s'éleva de plus en plus dans les airs à mesure que le colosse tendait les bras, soulevant l'obstacle avec de plus en plus d'aisance. Lorsque la herse fut suffisamment haute pour qu'il puisse lui-même passer, il fit signe à ses compagnons médusés de passer.

 - Dépêchez vous !

Revenant à la réalité, ils se pressèrent de dépasser l'Elfe aux muscles d'acier qui les rejoignit ensuite avant de faire redescendre la grille doucement, mesurant ses gestes pour ne pas forcer inutilement ni perdre le controle de la herse, parvenant à la refermer avec un minimum de bruit, puis souffla un bon coup avant de secouer un peu les bras.

 - Mais t'es un monstre lâcha Lilyane, hébétée.

 - Quand je pense que j'arrive même pas à porter un bouclier commenta la paladine tout aussi stupéfaite.

 - T'es plutôt du genre balèse toi ajouta Rödik, je penserais à toi la prochaine fois que je veux ramener une montagne à la maison.

S'abstenant de répondre, Galain regarda dans le croisement si rien ne les menaçait immédiatement, écrasa un cafard sous sa lourde botte, puis alla vers l'autre grille. Il jeta un oeil dans la rue qui suivait, elle était tout aussi déserte que le reste. Préférant profiter de l'opportunité, il recommença son tour de force avec la seconde herse.

Quand ils furent tous passés, et la barrière reposée avec un maximum de discrétion, le guerrier dégaina à nouveau ses armes et mena ses compagnons en direction de la place du marché. L'archère eu une brève quinte de toux tandis que son amie se demandait combien pouvient bien peser ces herses.

 - C'est étrange marmonna l'immortel.

 - Quoi donc répondit Rödik.

 - Cet endroit devrait grouiller de monstres, et on en a pas croisé un seul...

 - On ne va pas s'en plaindre commenta la chasseresse.

 - Elle a raison ajouta la paladine, si on peut repartir d'ici avec l'épée et sans avoir à risquer notre vie...

Soudain Galain s'arrêta et leur fit signe de s'immobiliser puis fila contre un mur, s'avançant à travers les ombres et derrière les charettes et les restes d'étals, finissant par disparaître à la vue de ses compagnons.

 - J'aime pas quand il fait ça lâcha l'Elfe.

Une dizaine de minutes s'écoula, les trois amis commencèrent à trouver le temps dangereusement long dans cet atmosphère empoisonnée, seuls au milieu de la cité. Isaëlle demanda à l'archère de l'aider à boire, avec son bras blessé elle ne parvenait pas à saisir sa gourde et elle avait besoin de s'hydrater. Le prêtre en profita pour essayer d'améliorer un peu les soins prodigués à sa fracture, mais il réussit seulement à accélérer un peu la guérison de l'adolescente. La blessure dépassait définitivement ses compétences et il s'en excusa une nouvelle fois. Puis la grande silhouette de leur guide réapparut entre deux portions de ténèbres.

 - On est très près d'une Ziggourat, et il y a au moins une trentaine de mort-vivants devant. Il y a une grande banshee qui leur parle, je n'ai pas réussi à entendre ce qu'elle leur racontait. Mieux vaut ne pas nous attarder. Isaëlle, tu saurais dire quelle maison était celle de ta famille ?

La noble commença à rassembler ses souvenirs, cherchant les détails que lui racontait inlassablement son géniteur et commença à marcher en direction d'une boutique, elle en reconnaissait le nom de l'enseigne et savait que l'ancienne demeure des Whiteheart n'était pas loin, toutefois ça la rapprochait de la Ziggourat et ne la rassurait guère. Elle commença à regarder chaque mur, chaque façade à la recherche d'un signe qui lui aurait permis de trouver son objectif, puis aperçut gravé dans un vieux bois malmené par le temps et le massacre qui ravagea la cité un emblème. Une paume droite, les doigts serrés par-dessus un bouclier, lui même sur un marteau la tête en bas. Un sourire étira ses lèvres quand elle reconnut le symbole de sa famille, qui indiquait à la fois leur affiliation à la Lumière et leur voeu de protection. Isaëlle faillit leur dire que c'était là, puis s'avisant de la proximité avec les mort-vivants préféra pointa de son bras valide la bâtisse.

Le guerrier fila alors à ras du sol se coller au mur de la demeure, puis les invita à approcher. Se baisser tant que possible, les trois aventuriers rejoignirent leur guide, puis la chasseresse ouvrit la porte dont les vieux gonds grincèrent dangereusement. Ils entrèrent, Galain fermant la marche en vérifiant qu'aucun mort-vivant ne se tournait vers eux.

 - Allez dit Lilyane, on trouve l'épée vite fait bien fait et on se carapate avec en vitesse.

 - On se...carapate? répéta d'un ton sceptique Isaëlle.

 - Notre chère elfe veut dire qu'il vaut mieux ne pas perdre de temps précisa Rödik.

La jeune fille bien éduquée haussa les épaules, et regretta bien vite son geste quand il réveilla la douleur de son bras encore meurtri, puis elle commença à visiter ce qui aurait du être son foyer, avec un étrange sentiment. La paladine observait les tableaux, les peintures, les luxueux tapis, les bibliothèques garnies, ou du moins ce qui restait de toutes ces merveilles, avant de se concentrer sur sa quête et de chercher la fameuse lame. Elle erra un peu dans le salon, puis se dirigea vers l'escalier dès qu'elle l'aperçut.

 - Si mon père a dit vrai, elle est à l'étage.

La noble avança prudemment sur les vielles marches qui craquèrent à l'instant même ou elle posait le pied dessus, mais le bois semblait tenir bon et petit à petit elle gravit les degrés et arriva dans une nouvelle pièce, remplies de portraits de vieillards au regard fier, de vigoureux jeunes hommes pleins de vie, de dames raffinées et d'enfants au visage innocent. Il y avait également une grande étagère, soutenant le poids de nombreux ouvrages. Lorsqu'Isaëlle chassa la poussière de leur tranche, elle put lire sur la plupart des noms, parfois d'un personnage, d'un ancêtre, d'une bataille, un tournant historique, un récit de voyage... Cela lui fit mal au coeur de se dire que quasiment tout l'héritage de leur famille sommeillait dans un tel endroit.

 - Isaëlle, ne perdons pas de temps la pressa gentiment le prêtre.

 - Tu as raison, excuses-moi.

Délaissant à regret l'histoire de sa lignée, elle commença à chercher l'épée enchantée, mais cette arme qui aurait du être fièrement exposée était invisible. La paladine se rassura en se disant qu'avec le chaos qui avait du secouer la cité elle avait très bien pu tomber ou être déplacée, bien qu'elle s'inquiétait de la possibilité d'un guerrier quelconque ait emportée la lame. La voyant fouiller la pièce, le nain et l'archère vinrent lui prêter main-forte, leur géant se contentant de surveiller discrètement la rue depuis le balcon.

 - Nous ferions mieux de partir, avant que les morts ne recommencèrent à envahir les rues conseilla t-il.

 - On ne va pas partir maintenant s'exclama Isaëlle, on y est ! Il faut juste trouver l'épée et on pourra rentrer, mais on va pas tourner les talons alors qu'on est à côté de notre but !

 - Tu ne la retrouveras pas comme ça.

 - Tu penses...que quelqu'un l'a déjà prise s'enquit avec angoisse l'adolescente.

 - J'en suis certain.

 - Et si elle nous aidait la grande perche au lieu de nous décourager lança Lilyane, on irait plus vite à quatre.

 - C'est inutile lâcha le colosse en commençant à retourner vers l'escalier, repartons.

Isaëlle ouvrit la bouche pour essayer de protester, mais elle croyait le guerrier. Depuis leur rencontre il s'exprimait toujours avec une espèce d'assurance indiscutable. Il leur avait promis qu'ils reviendraient tous vivants, et il l'avait déjà sauvé une fois du Fléau, sans compter qu'il ne semblait pas un seul instant essayer de se vanter ou d'étaler ses capacités, chaque fois que l'immortel avait agi, c'était par nécessité ou prudence. S'il disait que l'arme avait été prise, alors elle le croyait. De plus qu'ils ne parviennent pas à la dénicher même en cherchant ne faisait que soutenir sa déclaration. Le regard de la jeune femme se posa sur la massive silhouette du géant, et ses yeux glissèrent doucement avant de se fixer sur l'épée qu'il tenait d'une poigne d'acier. Elle observa la lame fine, sa longueur, la décoration de sa garde et se remémora ce que lui avait raconté son amie elfique au sujet des prouesses du bretteur lorsqu'ils étaient à sa recherche, l'archère avait dit que chacun de ses coups avait abattu un ennemi, sa masse défonçant crâne et bouclier d'un seul geste alors que de l'autre main il maniait cette épée à une telle vitesse qu'elle sifflait dans les airs et semblait luire d'une énergie qui lui faisait transpercer les os des mort-vivants. Et alors elle eut un doute. Il était déjà venu jusqu'ici...

 - Galain l'interpella t-elle, où as-tu eu ton épée ?

Le guerrier s'arrêta devant la première marche, ne lui jetant qu'un simple regard par-dessus l'épaule.

 - Ici répondit-il simplement avant de redescendre au rez-de-chaussée.

La paladine soupira lourdement alors que Lilyane se relevait avec empressement et se jetait à la suite du colosse, lui demandant de répéter et surtout de s'expliquer. Voyant la moitié de leur groupe mettre les voiles, Rödik vint tapoter l'épaule de la noble et commença à les suivre, suivi peu après par la jeune femme qui désespérait presque d'avoir fait tout ce chemin pour rien.

 - C'est toi qui a l'épée ? Depuis le début agressa presque l'archère.

 - Oui rétorqua stoïquement l'immortel, maintenant partons.

 - Mais à quoi ça sert d'être venu jusqu'ici, de risquer notre vie si la quête était foutue d'avance s'énerva l'elfe en se plaçant devant son congénère.

 - J'aurais du savoir qu'il s'agissait de la même arme ? Ne restons pas ici.

 - Attendez intervint Rödik avant que son amie ne s'enrage pour de bon, si elle ramène une preuve de son expédition ça en reviendra au même non ? Isaëlle, il suffirait que tu prennes euh...je ne sais pas, un livre, un tableau, quelque chose que ton père puisse reconnaître.

Le moral de l'adolescente remonta en flèche, le petit bonhomme avait parfaitement raison et elle se maudit presque de ne pas y avoir pensé tout de suite. Elle toussa, la poitrine un peu serrée, puis commença à chercher quelque chose à emporter, un truc en bon état de préférence et de petite taille. Le nain se joint à elle à la recherche de quelque chose, il lui proposa deux fois un livre, mais elle refusa d'un signe de la tête. Elle finit par porter son choix sur un petit portrait, celui-ci étant situé en hauteur elle demanda à Galain de le prendre pour elle. En dépit de son empressement de quitter les lieux, le géant obtempéra sans discuter, après tout cela permettait de réussir leur quête et leur évitait d'avoir fait la route pour rien.

 - Tu pourrais tout aussi bien lui rendre l'épée, Galain pesta l'archère.

 - Non laissa t-il tomber sèchement.

 - Ce n'est pas la tienne crétin de guerrier !

 - Lilyane la coupa la jeune femme pendant que Rödik rangeait le petit tableau dans son sac, tu veux essayer de lui reprendre, de force ?

 - Non avoua l'elfe après avoir regardé un court instant le colosse, mais ce n'est pas une raison pour...

 - Il a déjà risqué sa vie pour récupérer cette arme trancha autoritairement la noble, et il m'a sauvé la vie avec. Elle est à lui désormais, et si j'avais encore le moindre droit sur cette lame, alors je les lui cède de bon coeur.

L'immortelle n'osa pas répliquer à la soudaine prestance qu'affichait son amie, mais elle manifesta son mécontentement en grognant et en faisant la moue.

 - Maintenant partons, nous sommes ici depuis bien assez longtemps à mon goût.

 - Attendez dit soudainement le guerrier.

Il s'avança prudemment vers la porte et passa la tête à l'extérieur. A la précipitation du geste qu'il leur fit, Isaëlle se douta que ça n'allait pas pour le mieux. Lorsque le groupe le rejoignit, il put voir que les mort-vivants réunis autour de la Ziggourat avaient commencé à avancer, vers eux. Et ils étaient nombreux, bien trop nombreux.

 - Qu'est ce qu'on fait demanda la paladine, le coeur serré.

 - Foncez ordonna le géant, jusqu'à la grille !

Se jetant dans la rue, le combattant se rua aussitôt sur les esclaves du Fléau en poussant un cri terrifiant. Le prêtre poussa la jeune femme alors que leur guide faisait éclater une tête d'un violent coup de masse, la marée sans souffle commençant à accélérer le pas et à gronder, rugir, claquer des os dans une cacophonie sinistre à leur attention.

 - Allez on traine pas, on fait ce qu'il a dit la secoua Lilyane.

Isaëlle commença alors à courir, puis se pressa, allongeant un peu plus le pas à chaque foulée, l'adrénalite envahissant une nouvelle fois ses veines en lui rappelant désagréablement les événements de la veille et fila aussi vite qu'elle le pouvait, devancée par les grandes enjambées de l'archère et suivie par le nain qui peinait à suivre leur allure sur ses petites jambes. Le bruit de combat cessa, remplacé par les plaintes et grondements sourds des mort-vivants et par un son de pas lourd se rapprochant rapidement. Galain dépassa prestement le groupe qui approchait de la herse, il rangea ses armes et commença à soulever la lourde porte de fer, bien qu'il sentait qu'il n'aurait pas le temps de la lever à fond.

 - Passez en dessous, vite !

Lilyane se jeta presque à terre pour rouler dans le mince espace que le géant venait de dégager entre le sol et le métal. Lorsqu'Isaëlle arriva à sa hauteur, elle du mal à passer en dessous à cause de son bras blessé, puis la chasseresse l'attrapa par son poignet valide et la tira vivement de l'autre côté, Rödik dut se démener comme un beau diable pour faire passer sa volumineuse bedaine sous la grille, mais aidé par ses deux camarades il passa lui aussi. Aussitôt qu'il fut "à l'abri", le guerrier lâcha la grille et se retourna, dégainant en un clin d'oeil ses armes.

 - Galain s'écria Isaëlle.

 - Je vous rejoins de l'autre côté leur lança t-il avant de charger la horde non-vivante.

Les trois amis regardèrent impuissants leur guide, et dernier espoir car lui seul pouvait les sortir d'ici, filer comme le vent entre les zombies, tourbillonnant furieusement et distribuant des coups dans tous les sens, usant de la moindre parcelle de son corps pour lutter dans cette bataille sans espoir, repoussant les adversaires à coups de coude, écrasant des faciès emaciés, cassants des jambes à coups de pieds, défonçant des crânes et des bustes de sa masse ou les tranchant en un éclair de sa lame bénie.

Puis d'une passe habile, il se désengagea de la mêlée aussi vite qu'il n'y était entré et fila à nouveau vers la place du marché. Lilyane remarqua toutefois qu'en dépit de sa dextérité phénoménale, son armure avait été entamée en de nombreux points et sa cape partait en lambeaux. Elle crut même discerner un mince filet de sang couler le long d'un de ses gantelets. La horde implacable commença à se lancer à sa poursuite, bien décidée à finir le travail.

 - Laissez le ordonna la voix envoûtante de la grande Banshee qui dirigeait les actes meurtriers des mort-vivants, tuez ceux qui se sont enfermés.

Les guerriers du Fléau tournèrent à nouveau les talons pour faire face à la grille, si un nain, une elfe, et une humaine blessée ne pouvaient la soulever, ce n'était pas le cas d'une horde de squelettes et de goules assassins. Les trois prisonniers reculèrent, essayant vainement de mettre un maximum de distance entre eux et leur sombre destin mais se heurtèrent rapidement à l'autre grille. Puis une voix recouvrit les grondements de la masse décédée, sur un ton méprisant et haineux. La Banshee se retourna immédiatement vers le guerrier qui commença à hurler en elfique. Isaëlle ne comprenait pas cette langue, mais à entendre sa voix, et à voir la réaction du spectre, de certains des plus grands mort-vivants qui se retournèrent d'un air outré, et à l'expression choquée qu'adoptait la chasseresse, la jeune paladine se doutait que ça ne devait pas être très aimable. La dame fantôme rugit quelque chose et une partie de ses soldats s'élancèrent. Ne voyant pas les autres bouger, elle parut s'enrager encore plus.

 - Tuez le bande d'abrutis ! Egorgez-le, dépécez-le, démembrez-le si bon vous chante mais tuez le !

La foule sans souffle se rua à la suite de leur compagnons qui furent autrefois des elfes et avaient donc eu tout le loisir de comprendre les obscènes paroles de l'Immortel qui leur lança encore une provocation. La Banshee se lança derrière ses guerriers dans un sifflement menaçant qui glaça le sang d'Isaëlle. Galain fila ensuite sur la gauche, emportant ses poursuivants loin de ses compagnons et s'enfonçant dans la cité damnée. La noble se laissa tomber au sol en soupirant.

 - Mais qu'est-ce qu'on est venue faire ici souffla t-elle.

Rödik s'assit près d'elle, soulagé de ne plus avoir à faire face à cette armée mort-vivante mais s'inquiétant pour leur compagnon. S'il échouait, ils étaient tous morts.

 - On est venus faire de toi une femme, une vraie tenta t-il de plaisanter.

En regardant l'air dégoûté de l'adolescente, il réalisa la portée de sa phrase. Ca passait généralement bien quand on s'exprimait à un garçon, pour symboliser son évolution en temps que combattant, mettant en valeur son courage, sa force, sa virilité et tout le bazar, mais en s'adressant à une femme ça ne prenait pas le même sens.

 - Ouais non c'est moche dit comme ça.

Son amie hocha la tête puis regarda l'archère qui commençait à s'assoir avec eux et paraissait partagée entre la satisfaction d'être encore en vie, la peur de ne pas le rester très longtemps et un état de choc.

 - Lilyane fit l'humaine, qu'est ce que Galain leur a dit ?

 - Euh répondit l'elfe, c'est...compliqué.

 - A traduire demanda le nain.

 - Non, enfin si car je doute qu'il y ait un équivalent dans la langue commune, mais aussi c'est....compliqué d'essayer de le répéter, c'est...grossier. Très grossier.

 - C'est étrange de se dire qu'un insulte vient de nous sauver la vie commenta le prêtre.

 - A ma connaissance, c'est sans doute l'une des pires injures que l'on peut dire. Et il n'a pas hésité à rajouter toutes les autres avec...

 - D'accord c'est bon coupa Isaëlle en levant sa main valide, je ne veux pas en savoir plus.

Un hurlement furieux retentit au-delà des quartiers qu'ils apercevaient. Il paraissait déjà lointain, trop lointain, plus le guerrier s'éloignait, plus leurs chances de s'en sortir diminuaient...

 - Vous pensez qu'il va revenir demanda la paladine qui commençait à perdre espoir.

 - Il a promis de tous nous faire sortir d'ici répondit Lilyane en lui passant un bras autour des épaules, tu vas voir il va revenir après avoir tabassé toutes ces charognes et on va quitter cet enfer.

 - Vous avez remarqué comme il change d'attitude lors des combats dit le nain après un moment de silence, il a l'air si....violent, si furieux.

 - Il a l'air de s'énerver rapidement souligna Isaëlle en se rappelant ses crises de colère, mais c'est vrai que lorsqu'il dégaine on dirait presque un autre elfe. Je n'aimerais pas devoir me battre contre lui un jour.

 - Bah, c'est un guerrier lança l'archère, tant qu'il écrase pas une ou deux dizaines de crânes ce n'est pas une bonne journée pour lui.

Rödik hocha vaguement la tête, repensant à la frénésie des attaques de leur brutal compagnon. Puis la paladine commença à changer de sujet, elle avait peur, terriblement peur et avait besoin de se changer les idées. Ils commencèrent à parler de leurs familles, de leur voyages, de leurs loisirs aussi. Comme tout bon nain bien sûr, Rödik avait exploré nombre de territoires d'Azeroth, riches en montagnes. Et bien entendu, comme il l'avait déjà montré, il aimait la fête, boire, manger, et boire encore. Un tel stéréotype redonna un peu le sourire au groupe. Puis Lilyane commença à parler de ses voyages. Isaëlle n'en crut pas ses oreilles quand l'elfe leur annonça qu'elle allait fêter son quatre-vingt-treizième anniversaire cette année, puis fut enchantée des récits de l'Immortelle qui lui parla de mystérieuses forêts aux lacs luisants, de canyons asséchés aux échos distrayants, d'immenses déserts de sable ou de sel, infestés de basilics au regard pétrifiant. Elle parla du Berceau-de-l'hiver et de ses merveilleux tigres des glaces. La chasseresse rêvait d'en domestiquer un. Elle fit ensuite frissonner l'humaine friande d'histoires en lui parlant de Gangrebois, cette noble forêt totalement souillée par les forces démoniaques, une terre tout aussi meurtrière que les Malterres, mais où la menace ne vint pas des morts mais de créatures corrompues ou d'une autre dimension. L'archère changea toutefois bien vite de sujet et lui parla plutôt des magnifiques jungles de strangleronce, des plages de sable blanc à l'est de Tanaris et se perdit en d'interminables descriptions de Darnassus, la fière, et cachée, capitale des Elfes de la nuit. Devant l'air rêveur de sa camarade, la chasseresse lui fit la promesse de l'emmener voir ces lieux. Cela leur réchauffa le coeur, et de penser à des lieux où la lumière brillait ou la pureté émanait même des pierres les aida à supporter le temps qui passait dans cette sombre et infecte ville.

La paladine et Rödik éclatèrent de rire lorsque Lilyane leur avoua, timidement, qu'elle avait une passion presque immodérée pour la couture. Sa peau sombre prit une teinte étrange, ce qui devait correspondre à du rouge chez elle, et elle commença à protester contre leur hilarité. Mais pour les deux compagnons, imaginer leur amie si fière, vulgaire et impulsive se concentrer pendant des heures et des heures à coudre une paire de chaussettes comme une petite vielle au coin du feu était bien trop ridicule. Elle n'arrêta de bouder que lorsqu'Isaëlle commença à faire le tour de ses propres loisirs, assez limités au final puisque réduits à ce que lui autorisait son père.

 - Pourtant l'aventure à l'air très agréable ajouta la jeune femme en toussant, et si on était pas en danger de mort dans la pire cité du monde je pense que j'apprécierais grandement notre expédition.

 - Quand on sera sortis de ce merdier, et qu'on aura refilé le tableau à ton père,on ira se faire un tour dans un pays plus chaud et plus ensoleillé dit la chasseresse.

 - Alors pour ça je vous conseille Strangleronce répondit le prêtre, si vous n'avez pas peur des pirates et des grosses bestioles, c'est l'endroit idéal pour faire du tourisme !

 - C'est vrai commenta l'elfe, tu voudras venir avec nous Rödik ?

 - Ma foi, pourquoi pas. Tant qu'on a pas à se faire enfermer au beau milieu d'une ville infestée de mort-vivants psychotiques...

Le temps passait, et Galain ne réapparaissait toujours pas. On entendait de temps à autre au loin un son, comme un lourd murmure portée à travers les quartiers par la force de l'armée qui le soufflait, ou bien un cri étouffé par la distance, sans doute un terrible rugissement réduit à une simple impression auditive. Les minutes s'étirant et le silence revenant, les trois amis recommencèrent à discuter. Le premier sujet qui leur vint fut la cuisine, et là où Rödik les fit saliver en leur décrivant longuement la préparation et la dégustation de dizaines de plats riches, nourrissants, raffinés ou tout simplement délicieux sans se soucier de leur conséquences sur la santé, Lilyane les amusa une fois de plus en avouant son médiocre talent culinaire qui se bordait à faire cuire de la viande et à faire une omelette, au mieux, quand elle ne la faisait pas brûler.

 - Mais comment tu as pu survivre jusqu'ici si t'es pas fichue de faire un truc mangeable par toi-même demanda le nain.

 - Bah j'achetais des provisions, comme tout le monde répliqua l'archère vexée.

Isaëlle elle ne connaissait pas grand chose à la cuisine, son père l'ayant empêché de s'y intéresser du fait que - c'est le travail des domestiques - et ne savait rien de plus que ce qu'elle avait pu observer. Quand elle était petite, elle avait essayé de préparer un plat très simple, la servante l'aidant de bon coeur dans son entreprise, mais son père l'avait trouvé et après le sermon qu'il lui avait passé, la malheureuse n'avait plus jamais tenté de retourner aux fourneaux. Le prêtre haussa les épaules et lui dit que si elle le désirait, il pourrait lui apprendre quelques recettes. Des trucs simples pour commencer bien entendu, puis il commença à épeler la liste des ingrédients de biscuits aux amandes, de petits gâteaux à la cannelle et de trois ou quatre autres petites choses délicieuses et d'étirer longuement la description de leur goût, de la saveur de chaque composant qui se mélangeait parfaitement et envahissait la langue, présentant avec emphase et pourtant précision le plaisir exquis de grignoter un de ces en-cas, Lilyane le coupa lorsqu'il commença à parler de viande mijotée dans du miel et saupoudrée de fines herbes.

 - Si tu ajoutes quoique ce soit menaça t-elle, je te bouffe.

 - Oh fit le nain, voilà qui serait fâcheux. Isaëlle ? tu baves.

La jeune femme revint à la réalité et s'essuya le coin des lèvres en s'excusant, puis pria le nain de lui apprendre à cuisiner dès qu'ils seraient repartis. L'elfe approuva vigoureusement, puis se plaint d'avoir fait désormais. L'humaine demanda tout de même où leur ami avait appris tout ça. Il lui demanda si elle s'imaginait qu'un nain, bon vivant, fêtard et un peu gourmand, allait vraiment laisser passer l'occasion de s'en mettre plein les papilles. Un cafard passa sous la grille et avança à son rythme d'insecte vers les trois compagnons. La chasseresse s'écarta étonnamment autant que possible du chemin de l'animal.

 - Ne le touchez pas ordonna t-elle.

 - Bah, tu as peur des petites bêtes en plus s'étonna Isaëlle, tu passes pas ta vie dans la nature normalement ?

 - J'ai déjà vu des insectes dans des terres corrompue par le Fléau, ils portent un tas de saloperies ! Ne le touchez pas !

 - Je crois qu'elle a raison commenta Rödik, l'air inquiet et commençant à se coller contre le mur, j'ai entendu dire que quelqu'un avait contracté la peste après avoir touché un de ces trucs.

La noble sursauta et se recroquevilla à toute vitesse, le petit hexapodes était juste devant elle. L'archère l'attrapa par les épaules et la tira sans ménagement de son côté, la malheureuse humaine s'étalant contre sa camarade et regardant avec crainte cette petite créature qui portait la condamnerait sûrement à mort si elle la touchait, peinant à réaliser que quelque chose de si insignifiant pouvait être mortel. L'animal s'arrêta peu après devant la grille donnant sur la place du roi, là où était assise Isaëlle peu avant, et remua les antennes.

 - Rödik, écrabouilles le dit Lilyane.

 - Pourquoi faire rétorqua t-il, mieux vaut le laisser filer.

 - Et si jamais il ne repart pas ?

 - Tu crois peut-être qu'il va nous courir après pour nous dévorer avec ses petites mâchoires musclées ? Tu préfères alors avoir un machin éclaté et suant de miasmes juste à côté de toi ?

L'elfe n'eut pas grand chose à répondre à ça, puis se figea lorsqu'elle vit la créature lever ses élitres pour sa plus grande terreur et regarda terrifiée le cafard décoller et les survoler. Il décrivit quelques cercles au-dessus des deux filles qui se ratatinaient dans leur coin, puis fila par la grille. Les trois compagnons soufflèrent de soulagement, n'en revenant pas de paniquer comme ça à cause d'une malheureuse blatte.

 - Faut vraiment qu'on foute le camp dit Lilyane.

 - Pour ça on doit attendre Galain soupira Rödik, et prier pour sa réussite.

Le silence retomba, tout comme leur moral. Le temps passa encore, dans cette ville où rien ne change, comme si elle était figée dans la mort qui l'a dévasté. Lilyane regarda ce qu'elle pouvait voir du ciel enfumé de la cité, mais rien n'avait changé. Combien de temps s'était-il écoulé depuis leur entrée ici ? Depuis qu'ils se sont retrouvés enfermés là ? Elle ne cessait de se dire que Galain avait été très stupide de les faire fuir par ici au lieu de passer directement par le chemin dégagé, même si elle se répétait généralement après que la route devait certainement grouiller de mort-vivants. Rödik avait commencé à feuilleter un livre et Isaëlle priait, elle avait les yeux clos, s'appuyait contre le mur et ses lèvres bougeaient doucement. L'archère finit par sortir une ficelle et occupa ses mains avec, l'enroulant autour de ses doigts, faisant des noeuds, parfois complexes, avant de les défaires.

Après un moment, la paladine fut prise d'une violente quinte de toux. Elle se pencha en avant et toussa de nombreuses fois, et quand elle cessa elle porta une main à sa poitrine, l'elfe remarqua alors sa respiration sifflante.

 - Isaëlle, ça va aller ?

 - J'ai du mal à respirer dit faiblement l'humaine.

La chasseresse réalisa qu'elle avait la gorge qui lui brûlait et se sentait un peu oppressée, et commença à se demander si l'air de la ville n'allait pas les empoisonner. Ses craintes s'accentuèrent lorsque la noble toussa une nouvelle fois à en cracher ses poumons. Rödik vint l'adosser au mur en douceur et passa une main entourée de lumière au-dessus du torse de la jeune femme, essayant de soulager ses souffrances.

 - Lilyane, tu te sens comment demanda le nain en se tournant vers sa compagne.

 - J'ai mal à la gorge dit-elle, toussant au même moment, comme si l'air était trop sec.

 - Ou toxique conclua le guérisseur, il faut que Galain revienne au plus vite...

Comme pour lui répondre, un bruit lourd de métal retentit de l'autre côté de la grille, suivi par le son régulier d'une marche. En se retournant, le groupe put apercevoir leur dernier compagnon tituber vers eux, sa cape n'était plus qu'un amas de haillons déchirés, son armure avait été enfoncée et percée en de bien nombreux points, elle était aussi maculée de sang sur une grande surface. Le visage du guerrier était pâle, et plusieurs blessures fraîches en barraient les traits fatigués. Il avait l'air d'avoir du mal à tenir debout et paraissait à bout de forces.

 - Fais nous vite sortir d'ici lança l'archère, faut pas qu'on reste ici plus longtemps !

 - Donnez moi vos potions de santé, ou de force si vous en avez, Rödik, soignes-moi, je n'arriverais pas à soulever la grille dans mon état actuel dit le géant.

La chasseresse fouilla dans son sac alors que le prêtre commençait à lancer des sorts qui illuminèrent ses paumes et le colosse qui s'appuya contre la grille, puis elle lui tendit deux fioles contenant un liquide rouge. Il prit la première avec précaution, en retirant le bouchant avant de vider son contenu d'un trait. Ces plaies les plus récentes commencèrent à cicatriser, les plus légères se résorbèrent même lentement, puis le guerrier prit la deuxième potion et l'engloutit à son tour avant de jeter les bouteilles vides. Il prit encore un temps, infiniment trop long au goût des prisonniers, pour rassembler ses forces puis saisit la herse et commença à la soulever. Toutefois il peinait bien plus que lors de la première fois et pendant un instant ils crurent même qu'il n'arriverait pas à la lever. Pourtant il y parvint, lentement mais sûrement, et ils glissèrent dans l'ouverture aussitôt que possible, tirant la jeune humaine souffrante derrière eux, puis le guerrier lâcha la grille en haletant, avant de se retourner et de marcher vers la rue principale. Le métal fit un bruit assourdissant en heurtant les pavés et qui se répercuta à travers les quartiers.

 - Sortons vite d'ici, ils ne vont pas tarder à arriver.

Rödik et Lilyane s'arrangèrent pour soutenir en dépit de leur écart de taille la paladine mal en point et marchèrent derrière leur guide, soulagé de pouvoir enfin mettre les voiles. Ils quittèrent la place du roi et s'engagèrent dans la longue rue qui menait à la sortie de Stratholme. Puis un gargouillement répugnant sortit d'une ruelle sombre et une goule putréfiée, aux doigts osseux et au visage décomposé surgit des ombres à toute vitesse et bondit sur le guerrier qui n'eut pas le temps d'esquiver et se retrouva projeté au sol, emporté par l'élan de son agresseur infatiguable. Il lui fracassa la mâchoire d'un coup de poing et parvint à la repousser pour se relever.

 - Foncez, sortez d'ici cria t-il à nouveau à ses compagnons.

Le mort-vivant lui sauta à nouveau dessus, avec une vélocité impressionnante. Galain s'écarta d'un simple pas, et saisit son ennemi avant de tourner pour l'envoyer contre le mur pour ensuite suivre les trois vivants qui tentaient presque désespérément de fuir de cet enfer. Isaëlle toussait toujours, son état semblant empirer alors que ses deux amis la portaient aussi rapidement que possible vers l'extérieur. Un squelette surgit d'une autre ruelle et attaqua le trio, l'archère eut juste le temps de dégainer sa lame pour parer le violent coup que le bretteur trépassé lui administra, le choc la faisant tituber et lâcher la paladine. Rödik parvint à rattraper l'humaine, et la hissa sur son épaule avant de continuer sa route, criant à l'elfe de courir mais elle devait d'abord se débarrasser de son adversaire. Mais après quelques passes brutales qui lui firent comprendre qu'elle n'avait pas le niveau pour lui tenir tête, son pied buta contre un pavé déchaussé et elle tomba à la renverse, lâchant son arme dans sa chute. Son camarade elfique la sauva d'un funeste destin en chargeant de tout son poids le squelette, le plaquant au sol avant de lui éclater le crâne d'un furieux coup de gantelet en plaques.

D'autres mort-vivants commencèrent à arriver par les ruelles donnant vers la place du marché, et lorsque Galain lui cria à nouveau de dégager d'ici, Lilyane ne se fit pas prier et ramassa son épée avant de courir à toute allure, suivie par le guerrier qui l'exhortait à foncer encore plus vite. La marée qui les poursuivait s'agrandissait un peu plus à chaque instant, et le géant finit par se retourner, dégainant l'une des immenses lames qu'il portait dans le dos et commença à reculer en taillant dans la masse, balaçant rageusement son lourd espadon à droite et à gauche, balayant par la force brute ses ennemis qui durent tempérer leur ardeur pour encercler l'Immortel qui tenait vaillamment, donnant un peu plus de temps à ses compagnons. Une lance lui frappa la jambe, causant une profonde entaille et lui faisant mettre un genou à terre, avant que l'armée ne s'élance sur lui pour en finir. Dans un hurlement, il se redressa en bondissant en arrière, se mettant à tourbillonner comme un ouragan, puis piqua un sprint dès que ses assaillants eurent reculé de quelques pas. Il sentait qu'il outrepassait les limites de son corps, et qu'il mettrait un moment à récupérer de cette terrible journée, mais il força encore ses muscles à lui obéir, les nourrissant d'une rage violente qui les poussait à courir toujours plus loin, toujours plus vite, jusqu'à ce qu'il se retrouve à nouveau sur le pont. Au prix d'un effort colossal de volonté, il parvint à continuer sa course jusqu'à l'endroit où ils campèrent la veille, peu après les dernières pierres du pont. Rödik se tenait à genoux à côté de la paladine qui semblait inconsciente, la chasseresse était debout près d'eux mais était clairement inquiète. Quand il les eut rejoint, Galain s'effondra, ses muscles refusant un seul effort de plus, son coeur battant à un rythme frénétique mais aléatoire, ne sachant plus comment alimenter son corps pendant les crises de rage du guerrier, et la fatigue terrassant le survivant de Stratholme.

Lilyane lâcha son épée et s'empara de son arc, prête à défendre chèrement sa vie malgré le désespoir qui l'envahissait. Elle se réconforta un peu lorsqu'en encochant une flèche elle vit Rödik se relever et se rapprocher d'elle, les mains scintillantes de magie, prêt à en découdre avec le Fléau. La masse impie commença à s'amasser à l'autre bout du pont, mais ralentit, jusqu'à s'immobiliser sur les pavés, leurs yeux luisants de haine les fixant, les maudissants par leur simple regard sans vie, mais il ne chargèrent pas. La chasseresse visa une goule, mais ne relâcha pas son trait, se demandant ce qu'ils pouvaient bien attendre pour en finir avec eux. Isaëlle était en piteux état et Galain dans le coma, et peu importe là où ils fuiraient il y aura toujours un squelette, une goule ou une banshee pour leur barrer la route et leur ôter la vie. Pourtant l'armée maudite demeurait là, immobile à crier de leur voix grinçante leur fureur.

 - Qu'est ce qu'ils attendent siffla t-elle entre ses dents, pourquoi ils ne viennent pas ?

 - Ils ne peuvent pas dit le nain en semblant comprendre quelque chose.

 - Comment ça ils ne peuvent pas ? Qu'est ce qui les en empêche ?

 - Le pont, il a du être sanctifié, ou béni, ou quoique ce soit par le passé ! Rappelles toi, Galain disait qu'on était relativement à l'abri ici, ils ne peuvent sûrement pas traverser ce pont !

L'archère commença à abaisser son arc.

 - Tu en es sûr ?

 - Absolument pas, mais visiblement ils ne peuvent pas venir. Gardes tout de même un oeil sur eux, je vais m'occuper d'Isaëlle et Galain.

L'elfe ne quitta pas des yeux la masse anonyme et sans vie qui les guettait furieusement. Leur immobilité était presque angoissante, mais l'idée d'être à l'abri de leur charge implacable redonnait espoir. Rödik passait ses mains lumineuses au-dessus des corps inanimés de leurs deux compagnons. Il finit après un moment par lancer un sort de rénovation sur le guerrier avant de se pencher plus attentivement sur le cas de l'humaine.

 - Qu'est ce qu'elle a demanda Lilyane qui ne quittait toujours pas des yeux la horde immortelle.

 - Je ne sais pas vraiment, mais elle va mal.

L'archère finit par s'assoir, les mort-vivants ne bougeaient toujours pas. Le prêtre finit par cesser ses soins, ayant atteint sa limite pour le moment puis s'efforça de rallumer le feu. Lilyane vint à son secours en voyant qu'il n'y parvenait pas, puis ils mangèrent un morceau en silence, ne cessant de tourner la tête vers Stratholme et la sinistre cohorte qui demeurait à sa porte. Inquiets pour leurs compagnons et sursautant au moindre bruit, ils laissèrent le temps passer une nouvelle fois, ne pouvant pas transporter leurs camarades et ne pouvant les abandonner à leur sort.

Laisser un commentaire ?