A l'aventure, compagnons !

Chapitre 3 : A travers les plaines de la mort

11517 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 12:03

  Isaëlle sortit doucement du sommeil, plus tard que l'heure à laquelle elle se levait habituellement car le soleil ne pénétrait pas dans l'auberge naine. Toutefois elle supposa qu'il était grand temps de reprendre la route. La paladine repoussa le bras que Lilyane avait passé autour de son ventre pendant la nuit, l'une de ses soeurs ne pouvait pas dormir si elle ne s'aggripait pas à quelque chose, elle supposa que l'Elfe avait à peu près le même soucis, puis secoua doucement son amie qui grogna et s'enfonça un peu plus encore dans la couette, essayant en même temps de s'accrocher à nouveau à l'humaine qui la repoussa une seconde fois avant de se lever et de s'étirer.

Elle se lava comme elle put avec la petite bassine d'eau fraîche mise à leur disposition dans la chambre, la jeune femme réalisa en même temps que le récipient n'était pas là la veille. Savoir qu'un inconnu s'était introduit dans leur chambre pendant qu'elles dormaient la dérangea, mais en notant que rien n'avait ne serait-ce qu'été déplacé elle se rassura et termina ses ablutions de fortunes, la simple auberge naine étant bien loin du confort et du luxe dont elle jouissait quotidiennement à la maison familiale. Isaëlle retira sa chemise de nuit et commença à s'équiper pour l'aventure, remettant sa soyeuse tunique raffinée, son armure relativement légère et attacha son épée à son côté. Elle commença ensuite à peigner sa longue chevelure alors que la chasseresse émergeait enfin, et l'humaine se demanda comment une trappeuse solitaire et à demi-sauvage pouvait être aussi dure à tirer du lit.

La jeune femme termina d'entretenir sa crinière que son amie se levait à peine, et se demanda si c'était naturel ou si l'alcool l'aidait à rester étourdie. Quoiqu'il en soit elle lui dit de s'habiller puis monta rejoindre la salle principale, pensant y retrouver Rödik. Elle ouvrit de grands yeux en découvrant ce qui ressemblait plus à un champ de bataille qu'à une taverne, il y avait des plats et verres renversés de partout, de la nourriture jusqu'au plafond, des liquides couvrant plus ou moins toute surface pouvant l'être, et un certain nombre de nains en train de cuver un peu partout. A cet instant, elle se dit qu'elle a vraiment bien fait d'aller se coucher tôt, et de ne pas être mêlée à ce qui s'est passé ici.

La paladine commença alors à s'avancer parmi les corps et les restes sur la pointe des pieds, un peu écoeurée par un tel spectacle et préférant éviter de se salir plus que nécessaire, et s'approcha d'un tas de poils évanoui sur une table et le secoua doucement par ce qui devait être l'épaule.

 - Rödik ? Réveilles-toi, c'est l'heure de partir dit-elle.

 - Gné protesta vaguement le nain qui releva la tête avec un regard indéniablement vif.

 - Oh, pardon s'excusa l'humaine en réalisant que ce n'était pas son camarade, je me suis trompée de nain.

Elle laissa là la victime qui resombra aussitôt et reprit ses recherches, et aperçut enfin son ami, à moitié assis sur un monticule douteux de tonneaux - très certainement vides - et allà le réveiller.

 - Non maman, encore cinq minutes se plaint le prêtre en remuant lamentablement pour chercher une position plus confortable.

 - Allez Rödik ! C'est plus le moment de dormir insista t-elle.

 - J'vous ai d'jà dit que j'aimais pas les hiboux gueula soudain l'ivrogne en sortant vraisemblablement d'un rêve étrange.

 - Euh, d'accord dit la paladine, mais debout quand même.

Le prêtre haussa un sourcil, réalisant probablement qu'il venait de se réveiller, et regarda autour de lui comme s'il ne se rappelait de rien. A voir sa tête, c'était probablement le cas, puis soudain son expression s'illumina.

 - Ah oui s'exclama t-il,  c'est quelle heure ?

 - L'heure de partir mon ami répondit-elle en souriant, allez lèves-toi, quelle idée de boire à s'en rendre malade.

 - 'Fais même pas 'core jour gromella derrière elle la chasseresse, qui bien qu'habillée semblait encore être dans son lit.

 - C'est car on est en intérieur Lilyane soupira la paladine avant de taper dans ses mains, allez on se secoue et on va prendre l'air, ça vous aidera à retrouver vos esprits.

Des plaintes plus ou moins vaseuses s'élevèrent un peu partout quand elle claqua ses paumes, Rödik ne dérogeant pas à la règle et implora la jeune femme ne parler plus doucement et de ne pas recommencer ça, puis la suivit, accompagné par une Elfe titubante et aux yeux mi-clos jusqu'à l'extérieur où brillait un soleil chaud dans un ciel dégagé. L'immortelle ne sembla pourtant pas sortir de sa torpeur pour autant et cela ne guérit pas le nain de sa gueule de bois. Isaëlle en revanche ferma les yeux et laissa son visage être baigné par la douce caresse de l'astre, et récita silencieusement une prière en l'honneur de la Lumière. Puis elle rouvrit les yeux et commença à regarder autour d'elle.

 - Bien, maintenant il faut qu'on retrouve Galain dit-elle.

 - Je suis là fit la voix lourde du guerrier, à moins d'un mètre d'eux.

La chasseresse sursauta en poussant un cri quand, en tournant la tête, elle aperçut l'immense silhouette menaçante à à peine plus d'un court pas d'elle et qui n'était assurément pas là il y a une poignée de secondes plus tôt. Le nain gémit de douleur quand le hurlement de surprise de l'elfe lui vrilla le crâne.

 - Arrêtes de faire ça demanda rageusement l'archère, tu me fais flipper merde !

 - Arrêtes de gueuler rétorqua le nain, tu me fais mal à la tête.

 - Rödik appela le géant, tu n'es pas prêtre ?

 - Bah si, pourquoi ?

 - Tu ne peux pas te soigner ?

Le nain soupira lourdement et ferma les yeux alors qu'une lumière légère se mit à l'entourer. Lorsqu'elle se dissipa, il soupira à nouveau et regarda la montagne de muscles.

 - Je suis vraiment un abruti en fait dit-il, guéri de sa gueule de bois.

 - Hé bien voilà qui est parfait s'égaya la paladine, Lilyane est réveillée, Rödik n'est plus malade et on est tous réunis. On y va ?

 - On devrait peut-être manger un morceau avant proposa le prêtre.

 - Mieux vaut manger une fois aux Malterres répondit Galain.

 - Ah ? Pourquoi demanda la jeune femme.

 - Vous aurez plus de temps pour vous habituer à l'atmosphère qui y règne.

 - Bon, ben allons y alors annonça la paladine.

 - Attends, Isaëlle la retint le guerrier.

En se retournant vers lui, elle le vit lui tendre un bouclier rond, en bois cerclé de fer. l'humaine aurait sans problème se couvrir des cuisses à la tête juste en le tenant devant elle, comme le combattant semblait attendre qu'elle le prenne, elle s'exécuta et faillit se laisser emporter par son poids, il était bien plus lourd que ce qu'elle avait supposé au premier abord.

 - Tu en auras besoin là-bas dit simplement le géant, tu sais t'en servir je pense.

Lorsqu'elle passa son bras dans les lanières pour essayer son cadeau, la paladine se dit qu'elle n'arriverait jamais à le manier correctement. Certes elle avait reçu une instruction quant à l'utilisation des boucliers, mais de là à pouvoir se servir de cette espèce de porte de château-fort que lui offrait l'Elfe, il y avait un grand fossé.

 - Il est trop lourd pour moi expliqua t-elle, je n'arriverais pas à...

 - Isaëlle l'interrompit-il, bloque.

La jeune femme s'apprêtait à lui demander de répéter, pensant avoir mal entendu, mais se ravisa lorsqu'elle le vit armer un énorme coup de poing qui filerait droit vers sa tête. Elle s'aida de sa main libre pour lever son nouvel accessoire pour bloquer le coup, mais le choc fut si violent qu'elle se prit son propre bras en pleine visage et fut jetée à terre par la violence de l'attaque. Bien qu'un peu sonnée, elle n'était pas blessée mais entendit déjà ses deux amis s'emporter contre l'acte soudain du guerrier.

 - Est-il encore trop lourd à ton goût laissa tomber froidement l'expert des combats.

 - Galain, c'est encore une enfant tenta de la défendre Rödik qui comprit où il voulait en venir.

 - Elle a fait son choix, qu'elle soit prête à l'assumer.

 - Je vais bien coupa Isaëlle, empêcher la chasseresse de s'énerver plus encore, ce bouclier est bien Galain, mais s'il est trop lourd pour moi, est-ce qu'il ne risque pas de perdre en efficacité ?

 - Je me fiche que tu puisse te battre rétorqua le colosse, il faut simplement que tu survive jusqu'à ce que j'arrive.

Elle regarda le pesant équipement accroché à son bras, c'est vrai qu'elle pourrait facilement se cacher derrière son bouclier, si elle ne tente pas de ferrailler avec ses potentiels adversaires, et résister pendant un petit moment. Il avait l'air de bonne qualité, et ça lui sauverait peut-être, même probablement la vie...

 - Merci, Galain finit-elle par dire. Cela me touche beaucoup.

 - Tu me remercieras si tu repars des Malterres en vie trancha le géant.

 - T'es un malade lui cracha l'autre Elfe en le suivant quand il se mit à marcher en direction du maitre des griffons.

 - Ca part d'une bonne attention, rajouta Rödik, mais tes méthodes sont peut-être un peu...brutales.

Derrière eux, la paladine faisait passer sur son dos tant bien que mal le pesant bouclier, puis les rattrapa.

 - On cogne pas comme ça sur les gens sans prévenir s'énerva un peu plus Lilyane qui se faisait ignorer.

 - Ca va les amis les interrompit la jeune femme, il a raison, j'aurais du prendre un bouclier avant de partir.

Malgré les protestations de la chasseresse, Isaëlle continua à approuver le choix de Galain, bien qu'un peu violent, et Rödik finit par tenter de détourner la conversation. Le guerrier ne prononça plus un mot pendant qu'ils montaient les marches et l'immortelle se renfrogna avant de s'enfermer à son tour dans le silence, vexée qu'on soutienne la brute du groupe mais pas elle. Quand le groupe arriva devant le maitre des griffons, celui-ci était en train d'essayer de leur parler et d'essayer apparemment de les calmer. Les grands oiseaux paraissaient agités.

 - Que se passe t-il l'ami lui demanda le prêtre.

 - Je ne sais pas, ils sont nerveux aujourd'hui expliqua le gardien, il a du se passer un truc cette nuit, j'ai entendu des loups hurler.

 - Tiens, Galain ? Tu n'as pas eu de soucis cette nuit ?

 - Absolument aucun répondit sur un ton étrange le guerrier.

 - Est-ce qu'ils peuvent encore voler demanda la paladine.

 - Bien sûr ! Ce sont des griffons tout de même se vexa presque leur maitre, il faudrait bien plus qu'un peu d'agitation pour les clouer au sol !

Une nouvelle fois ils payèrent chacun leur place, puis s'envolèrent sur le dos des majestueux animaux. Lorsqu'elle contempla le paysant en savouant de prendre une nouvelle fois les airs, l'humaine aperçut au milieu des collines boisées des Hinterlands une grande tâche rouge et quelques formes sombres à l'intérieur. La jeune femme commença à plisser les yeux pour essayer de mieux voir de quoi il s'agissait, mais sa monture ailée vira un grand coup et passa par dessus la montagne, la privant de pouvoir observer cette scène étrange.

Alors qu'elle se réjouissait de pouvoir à nouveau voyager à dos de griffon, l'enthousiasme d'Isaëlle retomba rapidement lorsqu'ils passèrent bientôt au-dessus des Malterres de l'Ouest, des terres déjà contaminée par la non-vie et dont la réputation était pourtant moins catastrophique que celles de l'Est. Toutefois la grande silhouette entourée de brume qui se dressait dans un village en ruine, entourée d'innombrables goules et de ce qui aurait ressemblé de loin à des magiciens lui firent comprendre que même cet endroit, qualifié de "plus sain" que son autre moitié était déjà un lieu de mort où bon nombre de braves avaient déjà du connaître une fin horrible... Il n'y avait rien à voir, la terre était aride, asséchée jusqu'au plus petit grain de poussière, les champs étaient stériles et pour certains occupés par les serviteurs abrutis du Fléau, l'eau elle-même était impure et l'humaine se demanda si elle n'aurait pas préféré mourir de soif plutôt que d'y tremper les lèvres. Même les arbres les plus robusts avaient tous succombé, ou de peu la paladine n'était pas une grande experte en végétaux, face à la peste qui dévorait les lieux.

Elle soupira alors que son coeur se serrait quand elle pensa que ce n'était qu'un avant-goût de ce qui les attendait plus loin. Puis à sa droite, sur un petit ilôt au milieu d'un lac d'eau croupie, elle aperçut les restes de quelques maisons en ruines et d'un massif bâtiment qui malgré son état décrépit semblait encore tenir debout. Un groupe d'aventuriers s'y dirigeait, armes à la main. Les griffons volant très serrés aujourd'hui, sans doute à cause de l'air malsain de l'endroit, la jeune femme essaya d'appeler ses compagnons.

 - Qu'est ce que c'est, en bas leur cria t-elle.

 - La Scholomance répondit Rödik après avoir regardé ce qu'elle désignait.

 - Qu'est ce que c'est répéta t-elle, s'époumonant pour se faire entendre malgré la vitesse.

 - Une ancienne école de magie expliqua le prêtre, aujourd'hui elle est sous le contrôle du Fléau !

 - Pourquoi des zombies voudraient apprendre la magie s'étonna Isaëlle.

 - Il n'y a pas que des morts-vivants qui servent le Fléau ma p'tite rétorqua le nain, il y a aussi énormément de magiciens.

La jeune femme regarda l'académie délabrée s'éloigner et pensa avec une certaine haine aux nécromanciens et aux démonistes. Peut-être était-ce à cause de ce qu'on lui répéta toute sa vie, mais elle considérait ces deux types de sorciers comme des fous impies, les premiers bafouaient la mort elle-même en ranimant le corps des défunts sans leur accorder le moindre respect, et commençait à les haïr d'autant plus en apprenant que nombres d'entre eux se sont joints volontairement à la cause du Fléau mort-vivant. Les seconds sont simplement des hérétiques qui se sont détournés de la Lumière ou des magies nobles comme les Arcanes pour se consacrer aux démons, mais ils ne savent pas que leur cause est perdue d'avance, les démons sont incontrôlables, et pactiser avec le Mal ne peut qu'avoir des conséquences désastreuses.

Elle eut un reniflement de mépris lorsque l'ilot disparut de sa vision alors qu'ils entraient dans les Malterres de l'Est, un frisson lui traversa rapidement l'échine et elle se sentit soudain très mal à l'aise. La paladine eut un haut-le-coeur lorsqu'elle découvrit avec horreur l'état de ses terres autrefois bénies par la Lumière. Tout était dévasté, les arbres étaient gris de pestilence ou bien déformés par les sombres magies qui grignottaient l'essence même de cet endroit, leur écorce autrefois épaisse se tordant en d'ignobles parodies de visages hurlants, les branches sur lesquelles poussaient auparavant de délicieux fruits s'étaient recroquevillés et ressemblaient à des bras décharnés se tendant vers ce qui pouvait encore receler un fond de vie. La végétation plus modeste était tout simplement absente ou semblait avoir elle-même succombé au service du Fléau, laissant Isaëlle extrêmement mal à l'aise quand elle songea que même l'herbe pouvait être un danger. D'anciennes maisons s'étaient effondrées, et sur leurs ruines rôdaient encore les goules putréfiées dont la faim aveugle les poussait à chercher de quoi manger. La jeune femme cessa de respirer lorsqu'il lui sembla que l'un des morts-vivants la regardait droit dans les yeux malgré l'altitude prudente à laquelle volaient les griffons.

Plus ils avancèrent dans les terres maudites, plus la désolation était évidente. Les fières tours de guet s'étaient effondrées, et elle pouvait voir au loin des ziggourats morbides occuper le paysage. Isaëlle comprit alors pourquoi Galain avait demandé à ce qu'ils mangent après être arrivés ici, si elle avait eu le malheur de se remplir l'estomac avant de décoller, elle serait en train de le vider par dessus le plumage de sa monture. Lilyane ne semblait pas se porter mieux qu'elle à en voir la posture qu'elle adoptait sur sa selle. Alors qu'ils commençaient à perdre un peu de hauteur, ils passèrent par dessus une colline sur laquelle erraient quelques squelettes à l'aspect menaçant. Le sang de la jeune femme se glaça dans ses veines lorsque l'un des guerriers en os hurla dans sa direction. Ce n'était pas une impression, ils savaient qu'ils étaient là, ils savaient que la vie s'aventurait sur leur territoire, et la chasse allait commencer.

Terrifiée, Isaëlle se plaqua contre sa monture en fermant les yeux et commença à réciter autant de prières, d'implorations et de litanies qu'elle en connaissait, suppliant par tous les moyens possible que la Lumière la protège. Elle se concentra tant sur sa dévotion, que lorsqu'une main se posa subitement sur son épaule elle hurla de terreur en sursautant brutalement, certaine qu'un non-vivant venait de lui sauter dessus.

 - Du calme lui dit l'inébranlable visage de Galain.

Elle regarda avec panique autour d'elle, tremblant de tous ses membres, puis elle se sentit soulevée de terre. Lorsque le guerrier répéta son ordre, la paladine comprit enfin qu'ils étaient arrivés à destination et qu'elle était la seule à être restée pétrifiée sur sa selle. Le géant la déposa doucement à terre, puis un homme interpella le groupe, il avait l'air d'un vaillant combattant, tout en armure de plaques ternes, les cheveux coupés à ras et le regard dur.

 - C'est pas un endroit pour les touristes ici dit-il sans retenue, vous feriez mieux de repartir chez vous.

Le coeur cognant à toute allure dans sa poitrine, Isaëlle essaya de se calmer tant bien que mal et alla se placer devant l'inconnu. Il était assis une espèce de souche servant de chaise, à l'avant de ce qui semblait être un petit camp, une petite chandelle d'espoir au milieu de cet enfer. Elle sourit faiblement en apercevant un emblème de paladin sur un étendard, puis salua respectuseuement l'homme qu'elle identifia comme était un sergent grâce à l'insigne sur sa poitrine.

 - Sergent, je m'appelle Isaëlle Whiteheart se présenta t-elle, et je viens avec mes compagnons pour...

 - Whiteheart répéta l'homme en se levant subitement, la famille noble Whiteheart de Stormwind ?

 - Euh, oui confirma t-elle, surprise par la réaction de l'inconnu, mais qu'est-ce...

Elle n'eut pas le temps d'en dire plus, le soldat partit sans un mot sous l'une des plus grandes tentes. Stupéfaite, la jeune femme se retourna vers ses camarades, encore un peu fébrile par le choc de son arrivée.

 - Mais qu'est ce que j'ai dis ?

Un cri sortit de la tente dans laquelle venait d'entrer son étrange interlocuteur, puis celui-ci en ressortit, accompagné par un homme de bonne taille, aux cheveux châtain clair lui tombant jusqu'au niveau de la nuque, aux épaules larges et aux muscles saillants. Il était vêtu d'un simple pantalon de lin et de nombreux bandages recouvraient son torse, il avait également une attelle pour soutenir son bras gauche et avançait à grands pas vers le groupe. Il se planta devant Isaëlle et la dévisagea avec des yeux ronds, ébahi.

 - Mais qu'est ce que fous ici espèce d'abrutie se mit-il à crier, visiblement plus choqué qu'énervé.

 - Uther répondit la paladine en le reconnaissant enfin, que t'es t-il arrivé ?

 - Un combat qui à mal tourné, mais ça ne me répond pas crétine ! Que viens tu foutre dans ce pays de malheur ?

 - Elle se rend à Stratholme en notre compagnie pour récupérer l'épée de son grand-père répliqua à sa place Galain, et ainsi obtenir le respect de son père.

La malheureuse entreouvrit la bouche pour protester, puis sut qu'elle n'aurait rien à dire de crédible alors laissa tomber. Le blessé la regarda avec un air consterné qu'il utilisait souvent autrefois lorsqu'elle faisait des bêtises plus grosses qu'elle.

 - T'as rien trouvé de mieux comme plan foireux ?

 - Isaëlle s'immisça dans la conversation la chasseresse, c'est qui ce mec ?

 - Mes amis dit-elle en se retourna vers eux, je vous présente Uther Whiteheart, mon frère, il est l'ainé de la famille.

 - Ton frère ? Le gentil demanda son amie à grande oreilles qui se rappelait ce qu'elle leur racontait la veille.

 - Oui, Uther s'adressa t-elle à son frère, je te présente Lilyane Wildrunner, Rödik Vulgar, et Galain.

 - Bien noble nom que le tien commenta le colosse aux yeux luisants.

 - Et vous tous tempêta le paladin contre le groupe, y'en a aucun qui a eu la lumineuse idée de lui dire qu'elle faisait une connerie ?

 - Mon frère ! Père te tuerait s'il t'entendait jurer ainsi s'exclama Isaëlle, choquée par un tel langage.

 - Je m'en fous ! La politesse, l'étiquette et toutes les autres merdes du genre ne servent foutrement à rien lorsqu'on se retrouve encerclé par une horde de mort-vivants !

Un léger sourire commença à se dessienr sur les lèvres du guerrier, Lilyane ne savait pas quoi répondre au fougueux protecteur de la Lumière qui parlait d'or, et Rödik préférait attendre qu'il se calme. Les hurlements de l'homme avaient attiré l'attention du camp, et de ce qu'il avait cru comprendre, cet homme devait être très apprécié par ici, il avait l'air de bien porter son nom et ce n'était pas rien.

 - S'il te plait mon frère, calmes-toi je vais t'expliquer commença Isaëlle, bien peu assurée face à la colère de son frère.

 - Il n'y a rien à expliquer ! Tu vas reprendre ton griffon et foutre le camp d'ici avant de finir par rejoindre le Fléau !

 - Jamais je ne rejoindrais la non-vie s'offusqua la jeune femme.

 - Je crains fort qu'ils ne te laissent pas vraiment le choix commenta calmement Galain en s'avancant. Uther, nous allons aller à Stratholme, récupérer l'arme que ta soeur cherche, et nous la ramènerons.

 - Vous allez simplement vous faire massacrer ! Et vous rejoindrez leur rangs ! Je ne laisserais pas ça arriver rétorqua avec détermination le paladin.

 - Moi non plus dit d'une voix de fer le guerrier.

Pendant un long moment, plus un mot ne fut prononcé. Les hommes du camp s'étaient tous levés et regardaient la scène, Rödik attendait une conclusion en préparant mentalement un sort de protection au cas où ça dérape, Lilyane commençait à se dire qu'il valait peut-être mieux en effet se tirer d'ici et trouver une autre quête à faire qui n'allait pas les envoyer à une mort suivie d'une vie de servitude, et Isaëlle regardait tour à tour les deux géants qui plantaient leur regard dans celui de l'autre sans plus cligner des yeux, angoissée à l'idée qu'ils en viennent aux mains.

 - Vous pouvez aller vous faire tuer si ça vous chante reprit Uther d'un ton glacial, mais je ne vous laisserais pas entraîner Isaëlle avec vous.

 - Tu te méprends paladin rétorqua l'immortel, c'est nous qui la suivons.

 - Dans ce cas il suffit que de la convaincre elle répliqua sèchement l'humain avant de se tourner vers sa soeur. Isaêlle, quitte les Malterres tout de suite !

Le jeune femme fit d'abord un pas en arrière, sa volonté déjà mise à mal par la simple atmosphère de ces terres impies s'effritant face aux ordres implacables de son frère. Elle n'osait pas se dresser contre lui, et après avoir eu un avant-goût des lieux, l'adolescente se demandait sincèrement si elle ne devrait pas lui obéir tout simplement. Elle baissa les yeux, et s'apprêtait à céder à ses décisions quand Rödik la poussa en avant.

 - Tu vas quand-même pas te laisser dire quoi faire par un estropié lui lança le nain en croisant les bras, tu as eu le cran d'aller à l'encontre de ton père, alors pourquoi tu n'irais pas aussi à l'encontre de ton frère ?

 - Misérable nain marmonna Uther, sais-tu seulement vers quoi vous courrez ?

 - Uhter s'il te plait l'interrompit Isaëlle,il faut...il faut au moins qu'on essaye.

 - Vous allez simplement vous faire massacrer si vous y allez ! Si tu tiens tant que ça à montrer ta valeur à Père, alors ce ne sont pas les moyens qui manquent merde s'emporta à nouveau l'aîné.

 - Je sais qu'il y aurait d'autres solutions dit l'humaine sans oser croiser le regard de son frère, mais je veux le faire, je veux lui prouver à lui, et aux autres, et même à toi que je suis digne d'être de votre famille.

Des émotions contradictoires s'affichèrent sur le visage du paladin dont les lèvres s'entrouvraient ou s'étiraient sans laisser échapper un mot, puis ses traits se durcirent et il attrapa de son bras valide sa soeur avant de l'entrainer à l'écart, préférant régler cette affaire en privé.

 - Mais est-ce que tu réalises seulement ce que tu veux faire dit-il en la lâchant finalement.

 - Je vais vers un immense danger, pour une quête un peu absurde répondit-elle simplement.

 - Ca c'est le cas de le dire ! Mais si tu sais que tu vas risquer ta vie, pourquoi veux-tu tellement y aller ?

 - Car je veux vous prouver que je suis aussi douée qu'Arthy, Solène, ou n'importe qui même. Je veux juste qu'ils reconnaissent enfin que je suis digne d'être paladin, et une Whiteheart.

 - Ca ne me répond pas ! Tu es encore trop jeune et tu n'as pas la moindre expérience rétorqua son frère, si tu veux seulement te faire reconnaitre par les autres il y a bien d'autres moyens, tu pourrais accomplir une quête dans la Fôret d'Elwynn, ou même faire un tour à la Marche de l'Ouest ! J'ai entendu dire qu'ils avaient toujours quelque chose à faire, tu n'as pas à te jeter directement sur la pire forteresse du Mal ! 

 - Ca ne suffirait pas dit faiblement la jeune femme en détournant le regard.

 - Ne suffirait pas à quoi insista Uther, je pense que même Arthy ou Père te ficherait la paix si tu revenais victorieuse d'un combat contre une troupe de bandits !

 - Ca ne suffirait pas par rapport à toi expliqua Isaëlle avec une voix faiblissante.

 - Mais je m'en fiche que tu ailles à Stratholme s'énerva le blessé, au contraire ça me désole de voir que tu n'es pas fichue d'estimer tes capacités ! Ca me suffirait très largement que tu terrasses quelque Kobolds !

 - Lorsque tu es revenu de ta première quête au nom de la Lumière commença à dire la benjamine tu avais ramené la tête d'une Liche. Tu t'en souviens ?

Le paladin fronça tout d'abord les sourcils en se demandant qu'est-ce que ça venait faire dans la discussion, puis sa colère retomba lorsqu'il comprit enfin la véritable raison de l'obstination de sa jeune soeur. Son regard s'adoucit et sa voix se calma.

 - Ce n'est pas pareil, Isaëlle.

Après qu'il ait été jugé prêt à servir la justice et à défendre le Bien, Uther avait du faire ses premières armes en douceur, en éliminant tout d'abord quelques monstres dans les alentours, comme un loup géant qui terrifiait les fermiers, ou deux, trois brigands qui détroussaient les voyageurs, puis lorsqu'il s'avéra qu'il était parfaitement apte à mener des combats où il mettrait sa vie en jeu, on lui confia sa première mission. On l'avait envoyé dans les Duskwood, les bois de la pénombre, pour qu'il porte assistance au hameau qui souffrait régulièrement de menaces mort-vivantes, voir de menaces tout court. Il devait y rester un mois, et rapporter une preuve de ses victoires sur les forces impies. Il n'en était revenu que six mois plus tard, et avait brandi la tête d'une Liche à son retour. Depuis on ne cessait de l'acclamer et de conter ses exploits qui se multiplièrent, l'envoyant toujours face à de nouveaux périls dont il se défaisait systématiquement, jusqu'à l'envoyer rejoindre le front de l'Aube d'Argent aux Malterres...

 - Les Duskwood suent peut-être le Mal, mais son influence est bien moins puissantes qu'ici reprit Uther, et si j'ai mené l'attaque contre la Liche à l'époque je n'étais malgré tout pas seul.

 - Je ne suis pas seule non plus répliqua Isaëlle, regarde.

Elle se tourna légèrement et tendit le bras vers ses trois compagnons. Le paladin sentit son coeur se serrer à l'idée que sa soeur aille risquer sa vie uniquement pour être digne de lui et qu'il puisse être fier d'elle... Pour la première fois, il maudit l'ambition qui l'avait poussé à aller chasser le mage mort-vivant, et qui l'a ainsi amené à s'éloigner de sa cadette qui voulait maintenant le rattraper. Ne comprenait-elle donc pas qu'il serait pleinement satisfait d'elle même si lui ramenait juste un rat mutant crevé ?

 - Voyons Isaëlle, sois raisonnable implora presque son frère, c'est trop dangereux, et je me fiche éperdument que tu accomplisses des faits d'armes incroyables, l'important à mes yeux c'est que tu sois en vie.

 - Mais c'est important pour moi dit-elle d'une voix douce, je ne veux pas être la petite dernière de la famille qu'il faut protéger, je veux devenir comme toi...

 - Tu n'es pas moi rétorqua Uther, et tu ne pourras pas le devenir, alors n'essaye pas de l'être.

 - Je voudrais être plus forte et pouvoir me battre à tes côtés répondit la jeune femme, je ne veux pas rester derrière.

Le paladin soupira, ses motivations étaient tout à fait compréhensibles mais sa destination demeurait une folie sans nom. Il lui passa une main dans les cheveux, comme il le faisait autrefois lorsqu'elle était petite. 

 - Je serais ravi que tu sois avec moi lui confia t-il avec un sourire, pour tout te dire tu es celle qui me manque le plus de notre famille, et bien des fois je me dis que ton inébranlable bonne humeur ne serait pas de refus au milieu de tous ces combats.

Les lèvres d'Isaëlle s'étirèrent dans un léger sourire, c'était quelque chose qu'Uther lui disait assez souvent autrefois, que même si le monde pouvait s'écrouler et le ciel s'enflammer, elle trouverait encore le moyen de sourire.

 - Mais pour l'instant tu n'es pas assez forte continua son frère, et je ne me pardonnerais jamais si tu devais mourir pour avoir voulu accomplir des exploits car j'en ai moi-même fait. Je t'en prie une nouvelle fois Isaëlle, quitte les Malterres... Tu peux aller aux Duskwood, ou bien en Kalimdor même ! Ce ne sont pas les monstres qui manquent pour te faire la main. Mais par la Lumière, ne vas pas à Stratholme.

Le mince sourire de la jeune femme s'éteignit. Le paladin laissa retomber sa main en comprenant qu'elle n'allait pas changer d'avis.

 - Je suis désolée Uther, mais je veux aller à Stratholme.

 - Pourquoi parvint-il à soupirer.

 - Si je peux survivre à Stratholme, alors je pourrais survivre à tout le reste.

 - Et si tu n'y survis pas, tu rejoindras le Fléau rétorqua le paladin en haussant le ton, et la dernière chose au monde que j'ai envie de faire, c'est devoir t'éclater la tête car tu auras rejoindre l'ennemi...

L'adolescente baissa les yeux, prenant un peu de temps pour repenser à tout ce qu'elle savait, tout ce qu'il lui avait dit, appris, et à jauger ses craintes face à l'avenir. Elle avait peur de Stratholme, peur de mourir, et plus encore peur de devenir l'esclave du Roi-Liche. Mais elle devait le faire, pour savoir ce qu'elle valait, et pour trouver sa propre force et son courage.

 - Ils veilleront sur moi dit-elle en relevant la tête pour croiser son regard, Rödik, Lilyane, Galain...ils ne me laisseront pas mourir. Et je ne les laisserais pas tomber non plus.

 - Vous n'êtes que quatre Isaëlle, vous ne ferez pas le poids.

 - Galain dit qu'il est un vétéran des guerres contre la Légion Ardente, et il connait Stratholme, il ne nous fera pas courir vers la mort.

 - Laisse moi au moins t'accompagner finit par dire Uther après un moment de réflexion, ses traits trahissants son inquiétude.

 - Tu es blessé, ça serait trop dangereux pour toi refusa sa soeur.

 - Alors laisse moi t'adjoindre quelques uns de mes hommes ! Ce sont tous des guerriers accomplis, parfaitement aptes à repousser des hordes de mort-vivants.

La jeune femme secoua à nouveau la tête, son coeur cognait dans sa poitrine et elle s'en voulait de ce qu'elle infligeait à son cher frère.

 - C'est justement pour ça que je ne peux pas les accepter, on leur attribuerait le mérite de la quête, et j'aurais risqué notre vie pour rien.

Il ouvrit la bouche pour répondre quelque chose, mais ne trouva rien à redire. Elle avait raison sur ce point, et sur les autres également, la seule ombre sur le tableau était ce péril qui planait au-dessus de sa tête... Le paladin soupira lourdement.

 - Je ne peux vraiment rien faire pour t'empêcher d'y aller demanda t-il péniblement.

 - Je suis désolée Uther.

Un moment se passa, sans qu'aucun n'ose ajouter quelque chose. Le blessé essayait de digérer la situation tout en cherchant désespérément un argument qui aurait convaincu sa soeur de renoncer à son projet, tandis qu'Isaêlle se sentait mal à l'aise, tant à cause de l'endroit que de ce qu'elle infligeait à son frère.

 - Nous devrions rejoindre les autres finit-elle par dire, sans entrain.

En les voyant revenir, la mine basse l'un et l'autre, les compagnons de la jeune femme la dévisagèrent pour guetter le verdict final, les deux Elfes s'étaient abstenus d'écouter la conversation, et lorsque la paladine hocha la tête ils ne surent pas vraiment s'ils devaient se réjouir de continuer leur route initiale.

 - Nous ferions mieux de manger avant de repartir dit simplement Galain, insensible à l'ambiance pesante.

 - Tant qu'à faire, venez casser la graine avec nous les invita Uther.

Ils acceptèrent puis suivirent l'estropié jusqu'aux chaises parfois improvisées sur lesquelles les soldats prenaient le plus souvent leur repas. Isaëlle s'installa près de son frère, Rödik et Lilyane prirent place un peu plus loin, le dernier membre du groupe allant s'assoir seul sur une hauteur. Quelques guerriers étaient déjà là à grignoter leurs provisions, les conversations reprirent entre les gardiens de la Lumière et portaient sur bien des sujets, des plus ridicules aux plus sérieux. L'Elfe et le nain se contentèrent d'échanger leurs avis respectifs quant à la mission alors qu'Uther invitait une nouvelle fois sa frangine à changer d'avis, en vain.

 - Laisse-moi au moins t'accompagner proposa t-il après un nouveau refus.

 - Tu es blessé Uther, ça serait trop dangereux pour toi répondit-elle en secouant la tête.

 - Alors permets moi de d'ajoindre quelques uns de mes gars tenta t-il, cherchant absolument à l'aider.

 - Non merci refusa la jeune femme en s'attrisant un peu de l'inquétude de son frère.

 - Ce sont tous de formidables combattants Isaëlle ! Chacun d'entre eux est déjà un expert de la guerre contre les mort-vivants, même si seulement deux ou trois de ces gaillards  t'accompagaient je serais plus tranquille.

 - C'est justement pour ça que je ne peux accepter Uther expliqua l'adolescente, s'ils venaient avec moi, on leur attribuerait tout le mérite de la quête et j'aurais mis nos vies en danger pour rien...

 - Promets-moi alors de revenir en vie implora le blessé après un instant de silence.

Isaëlle lui accorda un maigre sourire avant de hocher la tête, elle même se sentait angoissée à présent. Elle tourna la tête vers Lilyane lorsque celle-ci se racla la gorge.

 - Ne t'en fais pas mon bonhomme, on la ramènera vivante et entière en plus lança t-elle pour essayer de les rassurer.

 - Absolument la soutint le prêtre, je serais bien le pire des nains si je laissais une si brave petite tomber dans un lieu aussi malpropre que Stratholme !

 - C'est vrai qu'il y a mieux comme endroit pour mourir plaisanta la chasseresse, et puis on est peut-être que quatre mais on va les déboîter les zombies qui viendront nous chercher !

 - Comme disait souvent mon père ajouta Rödik, "On va leur péterr les rotules à ces pourris !".

 - Un nain avisé commenta le paladin.

 - N'est ce pas lui répondit le barbu avec un large sourire.

 - Et puis en plus on a Galain avec nous rappela l'elfe, je ne sais pas ce qu'il vaut mais à mon avis il doit être costaud.

A ces mots Uther fronça les sourcils, puis se leva et alla rejoindre le guerrier. Isaëlle souffla, le bout de ses doigts tremblait.

 - Vous pensez vraiment qu'on a nos chances demanda t-elle à ses amis.

 - On ne peut pas savoir tant qu'on a pas essayé répondit le nain en haussant les épaules.

 - Moi j'dis ça serait con de pas tenter notre chance alors qu'on a fait tout ce chemin, pis au pire si on sent que ça va pas l'faire on se barre en courant proposa la chasseresse.

La paladine était bien mal à l'aise et mangeait sans entrain, essayant de se convaincre que sa décision de continuer vers la ville maudite était un bon choix, puis un gros doigt court et épais vint appuyer sur le bout de son nez. Elle releva les yeux sans surprise et vit Rödik lui faire un regard étrange, puis lui pincer les joues et les tirer dans une sorte de sourire.

 - Ca te va pas la déprime ma p'tite, alors souris et mange, t'en auras besoin, foi de nain !

 - Elle bouffe du foie de nain demanda Lilyane avec un air dégoûté, mais ça doit être immonde !

 - Hého fais gaffe à ce que tu dis bouffeuse de salades rétorqua le prêtre en se retournant vers la chasseresse.

 - Pour ce que je risque de la part d'une barrique pleine de bière et de poils...

Les deux compagnons commencèrent à s'enchainer pique sur pique et réussirent petit à petit à dérider la jeune femme qui retrouva un peu sa bonne humeur naturelle. Elle se mit même à déjeuner correctement en regardant le spectacle qu'offraient les deux protagonistes qui ne s'arrêtèrent qu'au retour d'Uther qui leur adressa un regard étrange avant de se tourner vers sa soeur.

 - Je devrais pouvoir te trouver des armes et une armure digne de ton expédition lui dit-il.

 - Pourquoi ? Elle est très bien mon armure se défendit la paladine.

 - Euh, non elle est complètement pourrie critiqua son frère, si tu dois te battre tu tiendras pas dix secondes avec ça.

Elle baissa les yeux sur son plastron, détaillant ses plaques fines qui recouvraient sa poitrine et ses épaules, puis regarda ses deux amis, leur demandant silencieusement leur avis.

 - Disons qu'elle est très jolie commenta le nain.

 - Elle te met bien en valeur ajouta Lilyane.

 - Et pour le combat interrogea Isaëlle en coupant court à leurs tentatives d'esquiver la question.

 - Elle craint avoua Rödik, l'elfe hochant la tête pour l'approuver.

 - Mais pourquoi, qu'est ce qu'elle a mauvais leur demanda la jeune femme.

 - Elle est trop légère, à tout point de vue expliqua son frère, les plates se feraient enfoncer au premier coup subi, pour peu qu'il ne soit pas porté là où tu ne portes rien...

La paladine pencha à nouveau la tête sur sa cuirasse, il est vrai qu'elle n'avait aucune protection sur les bras, les mollets ou l'abdomen, elle n'avait pas non plus d'expérience du combat réel et n'avait pas encore eu à subir un choc assez puissant pour enfoncer son équipement.

 - Du coup on va voir si on peut te trouver une véritable armure, pas juste une décoration reprit son aîné.

 - Non merci lui répondit-elle simplment en finissant son repas.

 - Tu ne m'as pas écouté ? Si tu te bats avec ce truc, tu te feras tuer à coup sûr.

 - Je n'ai pas l'intention de me battre, mais de courir. Et si elle n'encaissera pas un coup direct, elle devrait pouvoir dévier une frappe incertaine.

 - Fragile comme elle l'est, elle t'évitera au mieux d'être coupée en deux.

 - Ca me suffira affirma t-elle,je n'aurais qu'à courir encore plus vite si ça tourne mal alors.

 - Tu es inconsciente ou quoi commença à s'emporter le paladin.

 - Les robustes armures de l'Aube d'Argent me cloueraient sur place le coupa t-elle avec assurance, si j'en porte une, je ne pourrais plus fuir. Et je doute que leurs plaques épaisses le soient suffisamment pour repousser les attaques d'une horde du Fléau indéfiniment.

 - Là elle n'a pas tort la soutint Lilyane.

 - Je suppose donc que je ne peux vraiment rien faire pour toi soupira Uther.

 - Si, prie mon frère, prie la Lumière pour qu'elle me protège répondit l'adolescente en joignant les mains.

Le blessé mit un genou à terre et posa son poing valide contre son front, commença à psalmodier en l'honneur de leur divinité sacrée avec sa soeur. Peu à peu le rituel se propogea à travers le camp, bon nombre de soldats cessant leur activité pour se joindre à la prière. Rödik commença à en faire autant, bien qu'il ne s'adressait pas à la même entité, l'intention était la même. Lilyane hésita un peu, puis prise par cet élan de foi ferma à son tour les yeux et invoqua la bénédiction de la déesse-Lune. Certains des guerriers qui ne s'étaient pas joints à leurs camarades paladins pour la messe en plein air se mirent à toucher leur armure, un bijou, une amulette, un quelconque porte-bonheur et implorèrent eux aussi un esprit supérieur de les protéger face aux dangers qui les guettent ici.

 

Après le rituel, chacun retourna à ses tâches et le groupe commença à se préparer. Ne s'étant pas vraiment mis à l'aise depuis leur arrivée, ils réunirent rapidement leurs affaires puis Isaëlle fit ses adieux avec son frère, se souhaitant chacun que ce ne soient pas les derniers. Elle refusa également l'offre du paladin qui lui proposa de la faire accompagner par deux guerriers le temps qu'ils arrivent à Stratholme, et qui les attendraient devant pour leur permettre un retour en sécurité. La proposition était généreuse, mais la jeune femme préféra ne pas démunir le camp qui semblait déjà souffrir des assauts occasionnels des non-vivants, et surtout ne voulait pas laisser deux pauvres hommes seuls au beau milieu de ces terres infâmes. Son aîné ne trouva rien à redire à cela, puis le groupe commença à partir, suivant le maigre chemin qu'on pouvait distinguer au milieu de cette terre souillée. Ils laissèrent ensuite passer le colosse au yeux luisants devant, étant le seul de l'équipe à réellement connaître les dangers et accessoirement la route à suivre pour parvenir à destination sans devoir demander leur chemin à un quelconque zombie très certainement impoli comme le souligna si bien Rödik.

 - Suivez-moi, sans vous écarter du chemin ni faire de bruit, et restez vigilants, on ne sera pas trop de quatre pour surveiller les environs.

Le géant commença alors à marcher, suivi par Rödik puis par les deux filles qui restaient côte à côte. Isaëlle remarqua qu'ils tournaient tous régulièrement la tête dans un sens ou dans l'autre, excepté leur guide qui demeurait droit et inflexible comme à son habitude. Elle supposa qu'il devait simplement bouger les yeux, puis en y accordant un peu plus d'attention elle remarqua que la queue de cheval qu'il arborait à l'arrière de son crâne remuait légèrement, sans cesse. Finalement il n'était pas aussi rigide qu'il voulait le faire croire et cela la fit sourire. Puis la jeune femme eut un sursaut écoeuré en voyant un buisson dont les branches et les feuilles décharnées s'agençaient comme un visage de terreur et tendant des bras nécrosés vers les quatre voyageurs. Son coeur s'accéléra et elle se rapprocha de son amie lorsqu'elle crut que l'arbuste la suivait de ce qui aurait été ses yeux vides.

 - Lilyane chuchotta t-elle avec empressement, ce truc nous regarde !

La chasseresse approcha la main de son arc et observa ce que lui montrait sa compagne, puis soupira d'un air amusé.

 - Ce n'est qu'une impression Isaëlle, c'est juste un buisson, il ne peut pas nous suivre du regard.

 - Je n'en mettrais pas mes oreilles à couper leur lança le guerrier à la tête de la troupe, sans hausser le ton, qui sait quelles horreurs peut bien créer le Fléau ?

Une boule se forma dans la gorge de la paladine qui tourna à nouveau la tête vers l'arbuste maudit. Son sang se glaça dans ses veines lorsqu'il lui semblât qu'il s'était tourné vers elle. Elle allongea vivement le pas pour se retrouver aux côtés de Galain, dont la silhouette massive et le caractère implacable lui donnait quelque chose à quoi se raccrocher pour ne pas - trop - paniquer.

 - Dis Galain, qu'est ce qui peut nous menacer ici ?

 - Moins fort souffla t-il.

 - Pardon murmura t-elle.

 - Tout est une menace répondit ensuite le guerrier.

L'adolescente écarquilla les yeux.

 - Tout ? Comme par exemple...vraiment tout ?

 - Oui. La seule chose qui soit relativement sûre est ce chemin. Pourtant je préfère ne pas m'y attarder.

Il continua à marcher sans un mot de plus, de ses pas de géant. La noble préféra retourner auprès de l'autre elfe, leur prêtre semblant particulièrement sérieux elle jugea plus sage de le laisser à sa surveillance.

 - Il a dit que tout pouvait être dangereux ici...

 - Ca craint commenta la chasseresse qui s'empara de son arc pour se rassurer.

Ils avancèrent sans échanger bien des mots, trop préoccupés à garder un oeil sur l'environnement hostile dans lequel ils progressaient. En approchant d'une tour de guet délabrée, Galain leur fit signe de s'arrêter et alla plus en avant, puis après quelques minutes il leur fit signe de reprendre la route. Ils firent une courte pause en début d'après-midi pour se restaurer mais n'arrivèrent pas à se reposer, trop tendus par le danger qui paraissait prêt à surgir de n'importe où à tout moment. Isaëlle se demanda comment ça serait dans Stratholme, si les Malterres étaient déjà aussi angoissantes, alors elle craignait le pire pour la ville maudite et se mit à réciter une nouvelle fois une litanie invoquant la protection de la Lumière, puis leur guide annonça, d'une voix sonnant comme un courant d'air, qu'il fallait repartir.

La paladine ne cessait de tourner la tête, elle avait pensé naïvement qu'elle finirait par s'habituer un minimum à l'atmosphère pesante du pays, comme un étranger se serait habitué à un nouveau climat, mais c'était le contraire qui arrivait, plus ils avançaient vers leur destination, plus elle se sentait mal à l'aise. Le moindre bruissement dans les arbres macabres la faisait sursauter, et lorsque le guerrier leur fit signe de se baisser ses genoux commencèrent à trembler. Ils progressèrent lentement, profitant d'une butte pour se dissimuler à la vue d'un squelette en armure. La jeune femme avait le souffle court, haletant rapidement en s'inquiétant de savoir si leur couvert suffirait pour qu'ils passent inaperçus. Si les mort-vivants percevaient effectivement la vie, c'était inutile de se cacher..

Pourtant ils avancèrent, et quand le géant leur signala qu'ils pouvaient se redresser, la jeune femme faillit s'écrouler. La chasseresse vint la soutenir en la voyant défaillir et lui adressa un grand sourire plein de vie, qui semblait briller comme une étincelle d'espoir au milieu de ces landes mortelles. Puis un corbeau à demi nécrosé vint battre furieusement des ailes devant elle en croassant. Elle hurla et tomba à terre, l'archère abattit l'animal mortifère d'une puissante flèche. Les deux autres membres du groupe s'approchèrent, Rödik avait levé les mains, prêt à lancer un sortilège sacré pour repousser un ennemi et Galain tenait dans une main une épée à la lame éclatante et de l'autre une masse dont le poids devait être considérable. Il rangea ses armes et lança un regard qui se voulait noir à la noble au sol.

 - Pardon dit-elle pitoyablement, il m'a fait peur...

Le guerrier n'ajouta pas un mot et se retourna, faisant un signe qui devait signifier qu'il fallait accélérer. Ses deux amis aidèrent Isaëlle à se relever, elle peinait à tenir debout à cause du choc. Elle était pâle et tremblait comme une feuille, Lilyane passa un de ses bras autour de ses épaules et l'aida à marcher. La pauvre adolescente avant honte d'avoir crié ainsi, mais quand elle se remémora l'horrible vision de cette créature de cauchemar aux orbites vides qui se jetait soudainement sur elle en poussant ses cris d'outretombe, un frisson courut le long de son dos. Elle jeta un oeil à la bête corrompue, et retint de justesse son estomac de répandre son contenu sur le sol lorsqu'elle constata, et cette fois sans aucun doute possible, que l'animal cherchait réellement à la suivre. Ses pattes squelettiques raclaient vainement sur la pierre, et son bec pourri claquait dans sa direction. La jeune femme détourna le regard et se concentra sur ses pieds, psalmodiant désespérément des prières pour se changer les idées.

 - Tu as peut-être été un peu dur avec elle dit à voix basse Rödik en se rapprochant de leur guide.

 - Je m'occuperais d'elle quand on ne risquera plus de se faire submerger par des goules rétorqua sèchement le géant.

Ils marchèrent ensuite en silence, l'archère demandant régulièrement dans un murmure comment se sentait la noble qui hochait simplement la tête. Isaëlle comprenait ce que voulait dire son frère quand il parlait de son manque d'expérience, elle n'était pas prête à faire face à une telle peur. Finalement elle aurait mieux fait de l'écouter, et de partir aux Duskwood...mais maintenant il était trop tard, ils avaient bien avancé et elle aurait honte de revenir ainsi sur sa parole à cause de son angoisse. Puis l'air se fit doucement frais, puis glacial. Elle frissonna à nouveau.

 - Qu'est ce qu'il fait froid lâcha son amie.

La paladine ressentit soudain le besoin de jeter un oeil derrière elle, la chair de poule la gagnant intégralement, puis elle cessa de respirer et se figea. Lorsqu'elle se retourna à son tour, Lilyane sursauta en laissant échapper une exclamation de surprise qui fit se retourner leur deux compagnons. Un son métallique indiqua que leur guerrier venait de dégainer.

Une banshee était juste derrière elle, sa robe spectrale flottant au-dessus du sol dans un gracieux ballottement, ses cheveux défiaient la gravité et dansaient autour de son visage, qui avait certainement autrefois porté des traits d'une grande délicatesse dont on pouvait encore apercevoir des restes sous le teint blafard qu'arborait le spectre. Ses lèvres charnues et d'une pâleur morbide s'étiraient dans une parodie sinistre de sourire.

 - Saloperie rugit l'archère avant de lui décocher une flèche.

Le trait traversa la tête du fantôme, filant à travers sa forme éthérée comme à travers un nuage. L'esprit eut un étrange rictus, certainement ce qui s'approchait le plus pour elle d'un rire, puis poussa un cri. Un cri horrible, qui transperçait les tympans et allait déchirer l'âme, un terrible hurlement qui fendait les coeurs et faisait perdre la raison. Il brûlait de haine, de douleur et de solitude, il portait toute la souffrance de l'entité, mais aussi sa propre peur face à la mort, son désespoir dans cette nouvelle vie, et sa rage sans bornes envers ceux qui respiraient encore. Lilyane lâcha son arc pour se couvrir les oreilles et tomba à genoux, gémissant de douleur, Isaëlle perdit tout courage et hurla à son tour avant de s'enfuir, terrifiée au-delà de tout ce qu'elle aurait pu imaginer. Rödik fut figé sur place, paralysé par la Plainte de la Banshee. Galain manqua un pas lorsque le spectre poussa sa complainte funèbre, puis chargea l'apparition et fendit son corps translucide de sa lame enchantée, arrachant ce qui ressemblait à un cri d'agonie à l'estoplasme, puis s'assura de son silence éternel d'un revers précis qui lui traversa la tête, l'achevant.

 - Relèves toi ordonna t-il à la chasseresse effrondrée.

Le front de l'elfe touchait le sol et elle pleurait tant le cri lui avait été insupportable, l'archère réussit lentement à se ressaisir, la tête lui tournait et ses muscles semblaient paralysés, mais elle finit par se remettre debout alors que le géant allait claquer des doigts devant le nain, toujours pétrifié à quelques pas de là, mais sans succès.

 - Mets lui une baffe réclama le guerrier en sortant sa masse.

 - Pourquoi articula difficilement Lilyane.

 - Pour le réveiller, dépêches toi !

Secouant la tête, elle obéit et alla coller une grande gifle au nain qui parut revenir à la vie et qui prit une grande inspiration.

 - Qu'est ce qui s'est passé ?

 - On en parlera plus tard, il faut retrouver Isaëlle leur cria presque le guerrier qui s'éloignait déjà sur les traces de la paladine.

Le nain s'empara de sa propre massue et se mit à la suite du colosse, ayant encore du mal à saisir ce qui s'était passé entre le moment où il s'était retourné et celui où l'elfe lui mit une claque, l'archère alla récupérer son arc et se pressa de les rejoindre, encore secoué de l'attaque de la Banshee et particulièrement inquiète pour son amie qui avait succombé à la peur plutôt qu'à la souffrance...

Laisser un commentaire ?