La Dernière Heure de Gilnéas

Chapitre 2 : De pluie et de sang

1414 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 21:00

Je me tortillais et luttais dans l'espoir de me dégager de l'étreinte de la créature, battant des pieds, agitant mes poings et hurlant comme un forcené. La bête bougea légèrement, et ce fut assez pour que je puisse me glisser loin d'elle, tremblant, et me coller au mur. La foudre éclaira à nouveau sa gueule, où je vis luire la couleur du sang. Je ne bougeais plus, pas plus que je ne respirais. Ma main droite rencontra une planche de bois, et la serra. L'air vibra, se fendit, sembla même se déchirer alors que, écoutant une braise de courage qui venait de s'allumer en moi, j'abattais mon arme de fortune sur le museau lupin de la créature. Elle produisit alors un hurlement démoniaque, qui ressemblait plus à de la rage qu'à de la douleur. Sans lâcher ma planche, qui allait peut-être me sauver, je me mis à courir. L'eau qui s'étendait maintenant en grandes flaques au sol explosait sous mes pas précipités. Aussi vite que mes jambes et ma peur le permettaient, je me rapprochais de la fin de ce maudit coupe-gorge, où, je le pressentais, se trouveraient d'autres êtres humains. Je tournais la tête vers l'abomination, pensant naïvement qu'elle ne me suivait pas. Mais, dans le bref éclat d'un éclair, je la découvris, cavalant sur ses deux pattes arrière ! Je n'étais pas la proie d'un loup, non... La créature hybride avalait la distance qui nous séparait avec une vitesse irréelle. Tenant ma planche tel un bouclier, je me préparais à encaisser une attaque. La foudre me dévoila des crocs immenses, une gueule béante et des yeux emplis d'une rage folle.Des échardes volèrent dans un craquement sinistre, et, brisé par la douleur, je tombais à terre et pressais ma main droite sur mon épaule gauche. Je n'eus pas besoin de regarder ma blessure pour comprendre qu'elle était sérieuse. La créature se prépara à nouveau à charger. Chancelant, râlant et tremblant, je ne pus que lamentablement, avec une lenteur démesurée, me mettre à genoux. Un nouvel éclat explosa. Inexplicablement, la bête détala, me laissant seul, lavé par la pluie où se mêlait maintenant un flot non négligeable de sang. Je me mordais la lèvre pour ne pas crier, et finis par me relever, et faire quelques pas mal assurés. Je m'appuyais contre un mur couvert de lierre qui me chatouilla le cou, et tentais de respirer correctement pour calmer mon cœur qui pompait inexorablement mon sang et le rejetait par ma plaie.Chancelant, je me décollais du mur, après un long moment passé à haleter. Un pas. Puis un autre. La douleur était atroce. Il me fallait trouver de l’aide. Quelqu’un pour soigner cette morsure. De l’aide, oui ! A qui irais-je raconter l’épisode surnaturel qui venait de m’arriver ? Qui allait me croire ? Quiconque pouvait constater la véracité de ma blessure, mais qui pourrait avaler une telle histoire ?

 

C’est donc avec toute la peine du monde que je rebroussais chemin. Mes yeux furetaient, traquaient la moindre ombre suspecte. Même les pigeons me faisaient peur. J’évitais les grands axes, choisissais les ruelles les plus désertes. Mes yeux se fermaient malgré moi, mes pas se faisaient de moins en moins sûrs. La douleur ! Ma main était toujours pressée sur mon épaule, mais cela ne servait qu’à me rassurer. La plaie n’allait pas se refermer d’elle-même. Je dus tout de même lâcher mon épaule meurtrie et fouiller dans mes poches pour y retrouver la clef de mon antre. Une fois la porte déverrouillée, je me ruais à l’intérieur.

 

Je montais quatre à quatre les escaliers, jetais ma veste sur mon lit, arrachais presque les boutons de ma chemise, décrochais le miroir et découvris l’ampleur des dégâts. La plaie me dégoûtait. Elle me semblait malsaine. Pour ne plus la voir, je coupais ma chemise, de toute façon fichue car lacérée et couverte de sang, à l'aide d'un ciseau. J'entourais mon épaule meurtrie es lambeaux, créant ainsi un bandage provisoire. Je me glissais dans mes draps, fiévreux et tremblant, fermais les yeux et tâchais de trouver le sommeil.Je finis par glisser dans les bras de Morphée, mais mes rêves furent tout sauf reposants. Des bribes d'images lacérèrent mon esprit telles des aiguilles, des cris déchirèrent mes tympans, je me sentais brûler, en proie à une magie surpuissante. Je me rendais inconsciemment compte que mon corps changeait. Je sentais ma peau se craqueler et s'ouvrir, mes doigts se muer en pattes animales, mon visage se déformer. Une odeur m'envahit. Prenante, oppressante, métallique et organique à la fois. Je baignais dans une mare dont émanait ces effluves qui m'enivraient tel un vin rouge. Le meilleur cru du monde, le sang humain. Et je m'en délectais, le lapais sans discontinuer, avec une envie inassouvie, toujours renouvelée. J'arpentais ensuite une rue déserte, à l'affût, tel un chasseur. Les seuls sons que j'entendais furent une voix rocailleuse qui réclamait avec violence :Le sang, Isaac, le sang !Je me réveillais d'un coup, et tâtais de mon bras valide mon visage, de peur découvrir autre chose qu'une face humaine. Ma main n'était plus une patte griffue, La pluie ne battait plus sur les carreaux. Il ne restait qu'une vague bruine. En revanche, un vent violent faisait rage et faisait presque ployer les arbres sous sa force d'élémentaire fou. Il chassait lentement les nuages, au-travers desquels l'astre sélénite déployait sa face argentée. Je n'en devinais qu'une fraction, depuis le fond de mon lit. Mes yeux étaient attirés, comme par une puissance magnétique, par cet astre, dont la vision me parut pourtant insoutenable. Le regard vissé sur la Lune blafarde, j'avais donc dormi la journée entière, et, en proie à une sourde agitation, à une envie soudaine d'air et de froid, à une pulsion que moi-même je ne comprenais pas, je me redressais.

 

Je me collais à la lucarne. Les toits pointus s’étalaient à perte de vue, avec quelques tâches de lumière, les réverbères. Les nuages défilaient sous le vent qui hurlait tel un spectre venu pour me hanter. Sentant une vive douleur me lancer, je défis mon bandage de fortune et m”observais dans le miroir. Mon reflet me fit sursauter. Ce n'était pas la faute à l'éclairage médiocre qui creusait mes joues et me donnait l'air malade. Ce n'était pas non plus la faute aux ombres dansantes qui jouaient dans mon dos tels des fantômes farceurs. C'était la plaie. Elle s'était refermée, et à la place se trouvait maintenant une boursouflure noirâtre. Un amas de chair informe, à la couleur charbonneuse, couvert de poils de la même couleur. 

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