The X-Files : Reborn
Dimanche 3 novembre 2024 – 23h42
Comté de Boundary, état de l’Idaho
Sur la route US-2 menant à Moyie Springs, à bord de sa berline américaine, Chuck est sur le chemin du retour chez lui après deux jours épuisants de salon agricole d’Helena dans le Montana. Il est délégué commercial pour une grande marque de tracteurs américains et il sait que c’est sur ce type de salon qu’on fait une grande partie de son chiffre d’affaires. Il s’est donc donné à fond pendant ces deux jours, enchaînant de longues journées à démarcher un maximum de potentiels futurs acheteurs et en organisant des sorties au restaurant pour remercier ses meilleurs et plus fidèles clients.
À cette heure tardive, la fatigue se fait ressentir. Ça fait déjà six heures qu’il roule et en cette sombre nuit d’automne, une légère brume due à l’humidité est venue encore réduire un peu plus la visibilité. De part et d’autre de la route US-2, entre la petite bourgade de Troy et celle de Moyie Springs où il vit, on ne voit qu’une immense forêt de sapins où il n’y a pas âme qui vive. « C’est pas le moment de faire une sortie de route » se dit Chuck. Il sait que celle-ci lui serait fatale car, en plus des immenses sapins qu’il pourrait percuter, il n’y a pas du tout de réseau mobile à certains endroits de la route et qu’il faudrait des heures pour que quelqu’un passe par là et le découvre. Il ne lui reste plus que quelques kilomètres, qu’il parcourt en général en une vingtaine de minutes, pour être enfin chez lui, près de sa femme et ses enfants. Il décide d’augmenter le son de la radio et d’accélérer un peu afin de rester éveillé et d’arriver chez lui un peu plus rapidement.
Soudain, alors qu’il sort d’un virage, il aperçoit quelque chose sur la route, dans la brume, une forme ressemblant à un animal tout droit sorti de la forêt avoisinante. Il n’a pas le temps de distinguer précisément ce que c’est, il freine, tourne son volant dans un geste désespéré pour éviter l’animal, mais malgré ses efforts, le percute de plein fouet. Le bruit de tôle froissée et de crissement de pneus fendent le silence de la forêt et de la brume. Tout est allé si vite. Le choc a fait exploser ses airbags et il est un peu sonné. Sa voiture s’arrête quelques dizaines de mètres plus loin, de la fumée sortant du capot. Avec le choc, il a sans doute cassé son radiateur, se dit-il. Mais au-delà de cette pensée pragmatique, rapidement son cœur se met à battre plus vite et les effets d’une poussée d’adrénaline se font ressentir, suite logique et naturelle d’un tel choc, d’un tel évènement stressant. Dans un réflexe reptilien, sans réfléchir, il se précipite donc en direction de l’animal qu’il a percuté. Il remonte la route en courant, et cherche des yeux cette chose, cet animal qu’il a percuté à l’endroit précis de l’accident, juste après le virage.
L’obscurité et la brume opaque ne facilitent pas ses recherches surtout qu’il n’a plus les phares de sa voiture pour éclairer la route et doit se contenter de la petite lampe de son téléphone portable. Mais après à peine quelques minutes, ça y est, il retrouve le corps de ce qu’il pense être un animal, mais plus il s’en approche et plus la panique l’envahit car il réalise que ce n’est pas un animal, mais bien un humain si petit que ça ne peut être qu’un enfant d’environ 8 ans. En une fraction de seconde, son monde vacille, sa gorge se noue, son cœur bat tellement fort qu’il a l’impression qu’il va sortir de sa poitrine, il se met à trembler se rendant compte de ce qu’il venait de faire. Il s’approche encore un peu, vers ce petit corps immobile, couché sur le côté dont il ne voit que le dos et dont il distingue maintenant clairement les vêtements ; un jean et un sweat-shirt tellement sales qu’ils sont presque noirs. Il s’accroupit près de la dépouille et le retourne délicatement sur le dos.
C’est bien un enfant, un garçon d’environ 8 ans, mais son visage est totalement déformé. Il a d’énormes excroissances sur le front, la joue droite et le menton. Ses yeux ne sont pas symétriques et l’un d’eux est recouvert d’une espèce de ganglion. Il n’a pas de cou, sa tête semble directement déposée sur ses frêles épaules.
Face à cette vision, Chuck fait un bond en arrière, frappé par l’horreur de ce qu’il vient de voir. Il se retourne et ne peut arrêter les spasmes de son estomac qui le forcent à régurgiter tout ce qu’il a mangé et bu aujourd’hui.
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Lundi 4 novembre 2024 – 1h12
Bonners Ferry, Comté de Boundary, état de l’Idaho
Le Shérif John Dunn dort paisiblement lorsque son téléphone portable se met à vibrer sur sa table de nuit. Il ne l'a pas entendu tout de suite. Karren, son épouse dormant à ses côtés, lui balance un coup de coude pour le sortir de son sommeil profond. Il décroche, encore un peu engourdi. C’est son adjoint, Marshall Green, il est de garde cette nuit et il l’appelle pour un accident sur la route US-2. John ne comprend vraiment pas pourquoi son adjoint l’appelle en pleine nuit pour un simple accident de la route. Laissant transparaître son mécontentement d’avoir été réveillé en pleine nuit, il lui fait rudement comprendre qu’il est tout à fait capable de gérer ce genre d’incident seul.
Son adjoint rectifie directement le tir, l’informant qu’un enfant est décédé et vu l’état du gamin, il vaut mieux qu’il vienne immédiatement. Ca ne sent vraiment pas bon, il comprendra mieux une fois sur place.
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Lundi 4 novembre 2024 – 1h54
Route US-2, Comté de Boundary, état de l’Idaho
Le Shérif John Dunn est un homme d’une cinquantaine d’année, de taille moyenne, des cheveux poivre et sel coupés très courts et une fine moustache lui donnant une allure de Rhett Butler. Quand il arrive sur les lieux, il voit les gyrophares de la voiture de son adjoint près du virage, ceux d’une ambulance à l’intérieur de laquelle se trouve un homme avec une couverture de survie sur les épaules et une voiture amochée à quelques dizaines de mètres de là. La police municipale est également présente pour sécuriser les lieux et gérer la circulation, même si à cette heure avancée de la nuit, on ne peut pas dire qu’ils aient beaucoup de clients.
Il stationne sa voiture près de celle de son adjoint et se dirige directement vers ce dernier, qui est au côté d’un jeune agent de police, apparemment déboussolé et qu’il tente tant bien que mal de rassurer. C’est sans doute la première fois qu’il voit la dépouille d’un enfant, ce n’est jamais facile et on ne s’y habitue jamais se dit le Shérif Dunn.
« Shérif Dunn, vous voilà ! » cria l’adjoint, comme soulagé qu’il arrive enfin.
« Je suis encore désolé de vous avoir réveillé, mais sincèrement, je ne pouvais faire autrement, vous allez comprendre en voyant le corps de l’enfant » dit-il encore.
L’Adjoint Marshall Green est un gaillard tellement grand et sec qu’on se demande comment il tient en équilibre sur ces deux pieds. Il a une trentaine d’année, mais parait plus jeune, sans doute dû à sa pilosité faciale chétive. À contrario, sur son crane se dresse une masse impressionnante de cheveux châtains ondulés.
Les Shérif Dunn et l’adjoint Green se dirigent tous les deux vers l’endroit où gît le garçon, pudiquement recouvert d’une couverture en laine bouillie, comme si la personne qui l’avait déposé pensait qu’il pouvait encore avoir froid. L’adjoint souleve délicatement la couverture, pendant que le Shérif s’accroupit près du corps. L’adjoint avait raison, maintenant le Shérif comprend pourquoi il était là. En 25 ans de carrière dans les forces de l’ordre, il n’a jamais rien vu de tel.
Il se relève, rassemble ses esprits. Le visage grave il regarde son adjoint et demande :
- « Le bureau du Coroner est prévenu ?
— Oui monsieur, nous les attendons actuellement » répondit l’adjoint.
- Il avait des papiers sur lui, n’importe quoi, quelque chose qui permettrait de l’identifier ?
— Non monsieur, nous n’avons rien trouvé qui puisse l’identifier
- On n’a eu aucun enfant porté disparu dans le comté récemment.
— Non, aucun
- Il faudra contacter nos homologues du Montana afin de vérifier de leur côté
— Je m’en occupe dès que je suis de retour au bureau
- Je veux également que la police passe la zone au peigne fin et prenne en photo chaque recoin de la route, de la voiture, des bas-côtés et de l’enfant.
— Ce sera fait, monsieur.
- Mais bordel, d’où sort ce gamin ? Il n’y a rien à moins de 50 bornes à part des sapins et la rivière… et puis son visage, mon dieu, je n’ai jamais vu ça.
— Oui monsieur, je me suis fait la même réflexion.
- Et le gars dans l’ambulance ?
— C’est Chuck Foster, l’homme qui l’a percuté.
- Vous lui avez parlé ?
— J’ai essayé, mais il est sous le choc.
- Tu m’étonnes. On ira l’interroger demain quand il se sera remis de ses émotions. Quel merdier…
— Comme vous dites, monsieur »
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Lundi 4 novembre 2024 – 8h37
Bonners Ferry, Comté de Boundary, état de l’Idaho
Boundary est le comté le plus au nord de l’Idaho, il tire son nom des frontières, des limites qui le séparent du Canada, de l’état de Washington et de l’état du Montana (la limite, en anglais se dit « Boundary »). Cet état solidement républicain d’une surface de 3000 km2 pour seulement 12.000 habitants est l’illustration parfaite de terme « péquenaud » pour les gens des grandes villes américaines.
Le bureau du Shérif est situé sur Kootenai Street, à Bonner Ferry le chef-lieu du comté. C’est un grand bâtiment blanc, sans étage et avec un toit plat. Le Shérif et son adjoint, après une courte nuit, se retrouvent de bonne heure au bureau. L’adjoint procède aux recherches nécessaires à l’identification du garçon, sans résultat. Il regarde également sur internet afin de comprendre d’où peuvent venir le malformations sur le corps du garçon, mais il ne trouve rien de semblable. Le Shérif et lui attendent maintenant le rapport du médecin légiste du bureau de Coroner du comté de Boundary.
L’État voisin du Montana n’a pas voulu leur transmettre des informations précises concernant les enfants disparus car ils n’y sont pas habilités. Seul le FBI est autorisé à faire des enquêtes inter-États. Ça sort donc de leur juridiction.
Maintenant, ils doivent tous deux admettre qu’il faut demander de l’aide au FBI. Ça ne les enchante guère, le FBI a la réputation de prendre de haut la police locale et le bureau du Shérif. Et ici, ils redoutent le pire. En effet, pour des agents venus de la grande ville de Salt Lake City, bureau locale du FBI dont dépend l’état de l’Idaho, ils vont clairement passer pour de bouseux de province.
A cette heure, le mystère autour de ce garçon demeure complet, qu’il s’agisse de son identité ou des déformations multiples qu’il présente. S’ils veulent que cette affaire soit résolue, ils doivent mettre de côté leurs a priori, leur ego et se résoudre à appeler le bureau local du FBI de Salt Lake City.