Fureur Abyssale

Chapitre 1 : Greyharbor

3149 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/12/2025 23:24

Le vent soufflait sur la grève rocheuse, emportant l'écume blanche et tous les espoirs du Lieutenant Brody avec lui.


Le soleil se levait à peine sur Greyharbor, éclaboussant la petite ville côtière de couleurs chatoyantes. Les maisons aux murs blancs immaculés se paraient d'orangé et de rose à cette heure, renvoyant le reflet chaud de l'astre qui brillait au dessus de l'océan encore houleux.

L'horizon était clair et le ciel se dégageait néanmoins après la tempête qui avait fait rage au coeur de la nuit. Les flots étaient toujours quelque peu agités mais la vaste étendue salée reprenait peu à peu sa teinte bleu-vert caractéristique, irisant des mille reflets flamboyants du jour naissant.


Le Lieutenant se campait droit au milieu de la crique qui bordait la bourgade, ses pieds agiles habitués à fouler la surface découpée et glissante des rochers que venaient sans cesse lécher les flots mouvementés. Le phare de Greyharbor se dressait silencieux à côté de l'homme de loi, comme un témoin muet et impassible des horreurs perpétrées ici.


Car si le sublime paysage semblait indifférent à l'effroi qui y régnait depuis un mois maintenant, le Lieutenant ne pouvait quant à lui faire l'impasse là dessus.


Son jeune Sergent, Neil Collins, un brave garçon un peu trop grand et mince pour parvenir à se tenir droit, l'avait appelé à la première heure pour lui signaler le nouveau macabé.

C'était le quatrième en à peine quelques semaines, et pour une ville de la taille et de la quiétude habituelle de Greyharbor, c'était quatre cadavres de trop.


L'océan capricieux avait pris la mauvaise habitude de recracher un corps chaque semaine sur la plage rocheuse, toujours après une tempête particulièrement violente. La funeste découverte du jour rajoutait un poids supplémentaire dans la poitrine de Brody, incapable de trouver le moindre début de piste pour l'instant.



-Lieutenant, on l'a trouvée. Exactement pareil que les trois autres victimes. Une mort par noyade probablement, et...



Collins avait contourné le phare et venait de se poster à côté de son supérieur, non sans glisser sur les rochers escarpés de la plage balayée par les embruns, sa longue silhouette dégingandée malmenée par le vent.

Brody détacha lentement ses yeux gris de l'océan, et fixa son jeune collègue. Son visage lisse et imberbe, ses cheveux roux en bataille et sa posture un peu courbée lui donnaient un air d'adolescent timide. Mais ses yeux verts étaient vifs et intelligents, à l'image de son talent de flic. Il ferait un bon Lieutenant, le jour où lui-même prendrait sa retraite. Il saurait diriger le commissariat de Greyharbor et les hommes lui obéiront les yeux fermés. Le petit avait fait ses preuves, mais c'était une maigre consolation au milieu du tourment que la ville traversait.



-Et?, finit par demander Brody devant le mutisme de son subordonné.



-Et elle porte les marques. Les mêmes marques que les trois autres victimes...



Brody soupira, se passant la main dans ses cheveux poivre et sel. Il avait espéré, il avait même prié pour que tout ceci cesse et qu'il n'ait plus à regarder ces horreurs, pour que les habitants n'aient plus à subir ce terrible châtiment.

Mais ses espoirs et ses prières avaient été vains, aussi vains que tenter de retenir le soleil de se lever ou la mer de s'agiter continuellement sous l'assaut des vents violents.


Le Lieutenant adressa un petit signe de tête au rouquin, puis il se mit en marche à sa suite, affrontant le sol traitre de la grève de Greyharbor. Ils contournèrent le phare blanc, toujours mutique et indifférent face à la détresse des hommes en contrebas, puis ils longèrent la côte vers le nord et la sortie de la ville.


Les deux officiers marchèrent plusieurs minutes en silence, leurs bottes noires foulant la roche détrempée. Bientôt, ils aperçurent le groupe d'hommes en uniforme, penché sur une silhouette recouverte d'un drap médical. Un coroner en tenue blanche prenait déjà des photos, le visage légèrement détourné comme s'il n'arrivait pas à regarder le corps de la victime.


Brody sentit son coeur s'emballer au fur et à mesure qu'ils approchaient, sachant déjà ce qui l'attendait sous le fin tissus mortuaire.


Laura Morgan avait disparu la veille au matin sans laisser la moindre trace derrière elle. Elle était partie faire son jogging aux aurores avec son malinois, longeant la côte comme à son habitude, et personne ne l'avait plus revue.


Le chien avait été retrouvé sur la plage, grognant contre les vagues comme un fou furieux. Ils avaient dû s'y mettre à plusieurs pour le récupérer, l'animal se débattant et refusant de quitter le dernier endroit où il avait vu sa maitresse en vie.


Brody arriva à la hauteur de ses hommes qu'il salua d'un signe discret de la tête. Personne ne parlait vraiment, chacun effectuant ses tâches en silence, relevant ici un indice ou posant une petite pancarte jaune devant une preuve potentielle.


L'officier Chapman était à l'écart, vomissant tripes et boyaux sur les rochers qui bordaient l'océan, se remettant péniblement de la découverte du corps.


Brody s'agenouilla au dessus de la victime lorsque le vent emporta le drap médical dans une rafale soudaine, révélant le cadavre avant qu'il ne put faire un geste de plus.


Laura Morgan était étendue nue sur la grève escarpée. Sa peau pâle et nacrée semblait briller d'une aura fantômatique sous les rayons du soleil, qui tranchait affreusement avec les plaies béantes qui parcouraient son corps en une vingtaine de marques sombres.

Comme pour les autres victimes, la jeune femme semblait avoir été scalpée, les blessures formant des symboles étranges sur son corps mince dont seul le visage était épargné. C'était comme si quelqu'un, ou quelque chose, se servait de la chair des malheureux comme d'une toile pour dessiner un tableau qui aurait pu être artistique s'il n'avait pas été pas aussi morbide, et cela rendait la scène tout à fait malaisante.


Les immenses yeux bleus de Laura Morgan étaient grands ouverts, comme un miroir reflétant l'infini du ciel qu'elle ne verrait plus jamais.


Brody ne put s'empêcher de penser à cette douce jeune femme qu'il ne connaissait pas personnellement mais qu'il avait croisé à plusieurs reprises au cours de ses patrouilles. Elle s'était installé à Greyharbor depuis un an environ, et elle avait ouvert un magasin de biscuits et de sirop d'érable au centre ville, qui attiraient la clientèle locale autant que les touristes venus profiter des magnifiques paysages du Maine.


Elle n'avait ni dette, ni problèmes particuliers, tout comme les trois autres victimes qui avaient péries au cours du dernier mois.



-Mort par noyade probable, déclara le coroner qui se tenait juste derrière Brody. L'heure du décès est assez difficile à déterminer, l'eau étant froide la rigidité cadavérique a été accélérée, et la décomposition n'a pas encore commencé. Cependant les légères boursouflures de la peau au niveau des bras et sur le dessus des cuisses m'amènent à penser que l'immersion a dû commencer il y a dix ou douze heures.



-Et les plaies?, demanda le Lieutenant.



-Elles ont été faites post-mortem, c'est indéniable. Mais la très légère coloration des chairs internes indiquent que ces marques ont été infligées immédiatement après le décès, comme pour les autres victimes.



-Ça n'a aucun sens... murmura Brody en se passant à nouveau la main dans ses cheveux ras.



Il regarda encore un instant le corps mutilé de la jeune femme, puis il hurla ses ordres d'une voix dure, soudain excédé par l'horreur et son impuissance manifeste face à la situation:



-Magnez-vous de terminer vos relevés! Et que quelqu'un rattrape ce putain de drap et recouvre cette pauvre fille! Elle a droit à un peu de paix, maintenant.



Incapable de rester immobile plus longtemps, le Lieutenant se releva et reprit le chemin du phare et de la ville sous les bourrasques faiblissantes.

L'océan était maintenant calme, scintillant paisiblement de mille feux sous le soleil montant, comme si les éléments déchaînés s'étaient apaisés après la découverte du quatrième cadavre. Comme si...



Mais non, se reprit brusquement Brody, c'est impossible. Un conte de bonne femme, une légende du folklore locale, rien de plus... et pourtant...



-Chris.., quels sont vos ordres?



La voix de Neil Collins retentit derrière le Lieutenant, interrogatrice et un tantinet perdue devant l'étendue de la tâche à effectuer sur cette affaire. Ils n'avaient pas le moindre début de piste, pas un seul suspect, pas une seule trace relevée sur les trois autres cadavres.

Est-ce que le corps de Laura Morgan leur révélerait un nouvel élément, un détail qui aurait échappé au médecin légiste sur les précédentes victimes?


Brody en doutait. Il y avait quelque chose de quasi mystique dans ces symboles tracés sur la peau des suppliciés, quelque chose qui dépassait l'entendement. Et si les malheureux mouraient par noyade, emportées dans l'océan déchaîné, comment ces marques pouvaient apparaître en post mortem immédiat?

Ces meurtres n'étaient peut être pas l'œuvre d'un tueur, après tout. Pas un tueur humain, en tout cas.



- Je crois, Neil, qu'on ne pourra pas s'en sortir seuls sur ce coup là. On n'attrape pas des monstres avec un Glock 17...




                                  ***




Le bâtiment J. Edgar Hoover dressait sa silhouette imposante au coeur de Pennsylvania Avenue, a mi-chemin entre le Capitol et la Maison Blanche.

Sa masse de béton anguleuse renfermait de nombreux bureaux, open-space, salles de réunions et d'archives en tout genre. Les enchaînements de couloirs créaient un dédale sans fin que la petite rousse connaissait désormais par coeur.


Dana Scully écumait la moquette gris sombre, les talons carrés de ses bottines frappant le sol à intervalle régulier. Impeccable dans son tailleur-pantalon noir et chemisier blanc, elle se faufilait silencieusement entre ses collègues du Bureau Fédéral D'Investigation. Le lieu était toujours bondé et fourmillant d'activité, et ce lundi matin ne faisait pas exception. La machine à café au bout du corridor tournait déjà à plein régime, dispensant une agréable odeur dans l'air ambiant.


L'agent Scully salua plusieurs collègues, tournant à gauche puis à droite, passant devant le bureau de Walter Skinner sans doute déjà en pleine réunion à cette heure matinale.


Le passage de la petite rousse déclenchait toujours des murmures entendus ou au contraire des silences appuyés de la part de ses pairs, mais la jeune femme n'en avait cure.


Elle devait cette démonstration d'attention particulière au fait qu'elle faisait équipe avec l'agent Mulder depuis trois ans déjà. Surnommé "le Martien" par la majeure partie du Bureau, son partenaire passait pour un marginal obsédé par le paranormal et l'existence des extraterrestres, et faisait l'objet de railleries constantes.


Loin de s'en formaliser, Mulder continuait son chemin avec persévérance et assiduité, résolvant des enquêtes impossibles, toujours persuadé que la vérité se trouvait ailleurs que dans l'esprit rationnel de sa partenaire.

Cela avait le don d'agacer Scully, diplômée de médecine et de physique appliquée, qui se faisait toujours un devoir de rationaliser les théories excentriques de son collègue.


Mais Dana ne pouvait nier que ses convitions avaient été mises à rude épreuves au contact de Mulder. Leurs affaires frôlaient toujours avec le paranormal sur un fond de complot gouvernemental évident aux yeux de ceux qui voulaient bien voir.


La jeune Agent ne pouvait nier non plus que son partenaire avait un don pour résoudre les enquêtes les plus complexes, et son irritation première avait rapidement laissé place à une admiration grandissante qu'elle se gardait cependant bien de lui manifester.


Dana Scully arriva enfin devant le petit escalier qui menait aux tréfonds du bâtiment. Quelques marches plus bas, un couloir étroit et encombré d'étagères menait au repère des affaires non classées, territoire exclusif de l'Agent Mulder.


La jolie rousse s'arrêta devant la porte close, se demandant comme chaque semaine ce que son collègue allait lui annoncer aujourd'hui. Elle respira une fois, deux fois, puis elle actionna la poignée et plongea tête la première dans la pièce faiblement éclairée.


De taille correcte pour un ancien local à photocopieuse, le bureau de Fox Mulder tenait plus du cabinet de curiosité que d'un espace de travail conventionnel.

Mais comme la normalité était surfaite aux yeux de son partenaire, il était donc logique de trouver dans ce sanctuaire de l'étrange des photographies d'ovni à l'origine douteuse côtoyant un ballon de basket à moitié dégonflé, des fragments de météorites achetées dix dollars dans un Diner miteux, des piles de dossiers d'affaires non classées, une casquette du NICAP et des magazines de charme pour adultes raffinés.


Et au milieu de ce capharnaüm organisé trônait Fox Mulder en costume-cravate bleu marine, se balançant lentement sur sa chaise, les pieds nonchalamment posés sur son bureau. Il contemplait d'un air extatique le faux-plafond de polystyrène criblé de crayons à papiers taillés comme des aiguilles, oeuvre magistrale sur laquelle il pouvait passer des heures.


Le grand brun sourit à la vue de sa collègue, et l'apostropha immédiatement :



-Ah Scully, tu as passé un bon week-end ?



-Plutôt bon, oui, merci Mulder. C'est toujours agréable de se retrouver en famille et de faire un break. Tu devrais essayer de temps en temps...



-As-tu déjà entendu parlé de la petite ville de Greyharbor dans le Maine, Scully?, la coupa Fox sans relever le sous-entendu de sa partenaire.



-Non Mulder, soupira la petite rousse en levant ses yeux azurs au ciel, mais je suis certaine que je serais suspendu à tes lèvres lorsque tu me feras un exposé complet de la situation dans cette charmante petite ville...



-Je savais que tu dirais ça !



Comme monté sur un ressort, l'Agent se leva de sa chaise et alla actionner le rétroprojecteur à l'autre bout de la pièce, non sans renverser une pile de dossiers sur son passage.


Immédiatement, les diapositives furent projetées sur l'écran blanc du mur d'en face, révélant les photographies de visages de quatres cadavres livides.



-Trois hommes et une femme ont récemment trouver la mort dans la petite bourgade de Greyharbor, chacun rejeté par les flots houleux de l'océan un lendemain de tempête, entama Mulder.



-Des morts par noyade quand l'océan est agité? C'est ça ta nouvelle affaire, Mulder?, demanda Scully en haussant un sourcil circonspect.



Comme pour répondre à sa question, le grand brun cravaté actionna le rétroprojecteur pour passer aux clichés suivant. Les nouvelles images montraient les corps dans leur entièreté, révélant des marques étrangement similaires sur les quatres victimes.

Dana Scully s'approcha lentement de l'écran, étudiant attentivement les différents éléments avec son esprit rationnel et scientifique.



-Les corps portent tous des marques semblables, de formes non aléatoires et répétitives. Les blessures semblent avoir été infligées post-mortem, à en juger par la couleur des chairs internes. Les victimes ce sont probablement noyées, emportées par le courant puissant, leurs corps ont heurté plusieurs récifs, arrachant des lambeaux de peau et créant ces plaies à l'aspect si particulier avant que la marée ne rejette leur cadavre sur la plage...



-C'est ta théorie, Scully? Des rochers ont dessiné des symboles mystiques sur la peau des victimes?



Dana leva une nouvelle fois les yeux au ciel et planta ses deux mains sur ses hanches, interdite:



-Quand ai-je parlé de symboles mystiques, Mulder? Il s'agit là de simples blessures cutanées causées par des chocs répétés dans les fonds marins... le Maine est connu pour ses plages escarpés et abruptes, les courants sont forts et...



-Et comment expliques-tu que les victimes portent les mêmes motifs exactement au même endroit sur leur corps? Regarde ici, cet espèce de signe triangulaire sur l'épaule droite de la jeune femme... on le retrouve exactement au même emplacement sur le petit barbu, le vieillard et le bodybuilder... ici, ici, et ici, compléta l'Agent triomphant tout en montrant les plaies du doigt sur l'écran devant lui.



Dana resta un moment silencieuse, repérant manifestement des similitudes troublantes entre les formes et l'emplacement des marques sur les quatre cadavres. Un léger sourire étira ses lèvres fines rehaussées de rouge tendre, et elle ne put s'empêcher de glisser à son partenaire:



-Tu ne vas quand même pas me dire que tu soupçonnes une activité extraterrestres sous-marine, Mulder ?



-Il n'y a pas que les extraterrestres qui sont capables de torturer et mutiler des gens, Scully. Non je ne pense pas que ces meurtres soient l'œuvre des extraterrestres, du moins pas pour l'instant. En fait pencherais plutôt pour un monstre marin...



-Un monstre marin... murmura Dana déjà au bout de sa patience à tout juste neuf heures du matin.



-As-tu déjà entendu parlé du Kennebecrawler?, enchaîna Mulder qui ne semblait pas prendre ombrage du scepticisme dont faisant preuve sa collègue.



-Non, non.., mais j'imagine encore une fois que tu vas m'éclairer bien assez tôt...



-En effet Scully, il s'agit du nom du motel que j'ai réservé pour nous à Greyharbor. Notre vol part dans une heure, ne sois pas en retard surtout!, déclara Mulder avec un clin d'œil appuyé à sa collègue sidérée.



Mulder se saisit de son par-dessus sur le porte-manteau à l'entrée du bureau puis il sortit de la pièce en tourbillonant, visiblement ravi de son petit exposé et pressé de fouler le sol rocailleux du Maine.



Encore une journée parfaite au sein des X-Files... soupira intérieurement Dana en tournant à son tour les talons pour suivre son incorrigible collègue. J'espère juste ne pas devoir être obligée de justifier nos frais de déplacement pour une affaire de rochers un peu trop escarpés...



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