Une courbure de l'espace-temps (saison 2)

Chapitre 19 : La rivière au travers de l'infini

3613 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/04/2024 10:08

Repères chronologiques : cette scène s'insère comme une scène coupée de The Umbrella Academy, saison 2, à la toute fin de l'épisode 5 (après que Klaus soir retourné auprès des 'Enfants du Destin'). Le seconde partie se déroule pendant l'épisode 6, autour de 22:28 (pendant la visite de Dave à Klaus).


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Mardi 19 novembre 1963, 21h18


La conversation avec Dave m'a fait incroyablement réfléchir, tandis que je marchais avec mon gros sac sans savoir pour où. J'ai fini par atterrir dans un petit square en plein soleil, sur une place, à côté de téléphones publics que je ne cessais de regarder.


Est-ce que le bonheur de Klaus est indispensable au mien ? Clairement, oui. Dans cette ligne temporelle, la précédente et la suivante. Celui de Lloyd l'était-il ? Je souhaiterais répondre que oui, mais le temps d'hésitation qui me vient lorsque je me pose la question est triste, en lui même. A ce moment, j'ai réalisé que je regrettais déjà de moins en moins ce qui s'est passé hier. Et j'en aurais presque souri.


Je me suis levée, j'ai empoigné l'un des combinés de téléphones publics, et j'ai appelé chez Morty's, le nom qui figurait hier sur la porte du dénommé Eliott où Cinq voulait réunir tout le monde. Ce type est gentil. Un peu socialement déphasé, hésitant, et totalement en admiration béate pour une simple sphère d'énergie.


Il m'a redirigée vers vers le salon de coiffure d'Allison, où finalement Klaus n'était plus non plus. Elle m'a dit qu'ils avaient mangé des tacos, qu'ils avaient beaucoup discuté et un peu picolé puis qu'il était reparti au Manoir. Qu'il avait pris la décision de 'd'annoncer à son culte que la fin du monde était finalement pour demain'. Je crois qu'elle a aimé m'entendre éclater de rire au téléphone malgré la gravité de ce qui nous attend. Et moi aussi, je l'avoue. Je vis cette fin du monde bien mieux que la dernière fois, et je ne la prend surtout pas pour garantie.


Et ainsi, me voici une nouvelle fois dans la nuit, à contourner l'ancienne maison de Kitty, qui ne ressemble plus en rien à la fantomatique bâtisse abandonnée dans laquelle j'ai déjà visité Klaus, il y a quelques jours. J'ai compris très vite ce qu'il se passait, en voyant les lumière dorées danser de nouveau derrière les carreaux des fenêtres. En passant à côté de notre chère Priscilla garée sur les graviers, dont les fresques de la carrosserie n'ont pas changé depuis les jours heureux de Baja. En entendant les clameurs s'élever de l'intérieur des pièces innombrables, y compris celle de la 'balançoire sexuelle'. Une chose est claire : les 'Enfants du Destin' sont bel et bien revenus.


Je souris. Je crois même que j'en pleurerait de nouveau, le croirez-vous. Mes nerfs ne sont pas très solides, c'est un fait. Je sais qu'il ne reste que les plus frappés et dévots, mais je m'en fiche, ce soir. Je veux de nouveau me rouler en boule dans la grande couverture aux motifs mexicains, dans l'odeur du patchouli et les foutus pétales de roses balancés çà et là. Et effacer de ma mémoire pour de bon le regard perdu de Klaus, hier, derrière la vitrine de Merelec où il n'était pas le bienvenu.


*Crac !* Sans crier gare, juste en serrant la bride de mon gros sac pour qu'il ne m'échappe pas, je me téléporte directement dans la chambre où je sais que Klaus se sera ré-enfermé s'il est vraiment rentré. Là où les draps fantomatiques avaient la dernière fois recouvert le mobilier, et où tout - des oeuvres d'art aux tapis - a ce soir repris vie. La lumière est dorée, luisant sur les moindres cuivres. Les rires sont partout, du quinoa cuit dans la cuisine. Je devine que Klaus ne leur a encore rien dit.


Il est là. Immobile, sur le tapis de yoga où il ne fait rien du tout, incapable de s'y contraindre. Et il sursaute en entendant le son familier de mon apparition. Il ne se retourne toutefois pas, tandis que je reste dans son dos, et je le vois passer la main sur ses yeux tandis qu'il cherche à se convaincre que je suis bel et bien là. Ben est appuyé contre la cheminée, sous le grand portrait. Nous échangeons un regard silencieux, qui en dit plus long que si nous nous parlions. Et finalement, je pose mon sac au sol avant d'aller moi aussi m'asseoir sur le tapis, à côté du narguilé.


"J'ai encore tout foutu en l'air", me dit-il seulement, et je secoue la tête lentement, tandis que mes bras enserrent mes genoux.

Mes yeux sont au sol, sans appui et sans équilibre. Et Klaus ne me regarde toujours pas.

"Tu as juste précipité ce qui allait arriver de toute façon".

J'ai l'impression que cette phrase va bien plus loin que ma simple situation, mais Klaus semble de toute façon la rejeter immédiatement, alors j'ajoute :

"Lloyd et moi, ça n'était pas fait pour durer dans l'espace-temps".

Et il secoue la tête à nouveau.

"Je suis ce moustique agaçant qui revient systématiquement gâcher tes barbecues".


Je ne le regarde toujours pas mais mon attention se tourne imperceptiblement vers lui tandis que mon visage s'éclaire quelque peu.


"Pour une fois, ta comparaison est fausse".


D'ordinaire, les expressions imagées que son cerveau produit à la chaîne sont toujours d'une extrême pertinence, pour ceux qui veulent bien les écouter et ne les considèrent pas uniquement comme un ressort comique au milieu de l'adversité. Mais maintenant et grâce à Dave, je suis sûre d'une choses.


"Il y a une différence majeure, Klaus", lui dis-je avec une forme de limpidité. "Je déteste les moustiques, alors qu'il est hors de question que je me passe de toi".


Cette phrase semble le paralyser sur place, tandis que nous nous regardons finalement. Pendant des années après nos premières heures entre les barreaux de la garde à vue, il a cru que je partirais. Que j'en aurais marre de ses errances, de ses excentricités, de ses terribles phases où les précipices dans lesquels ils s'âbimait semblaient ne plus avoir de fond. Il a mis des années à comprendre que je n'allais pas disparaître sans prévenir. A cesser de s'attendre à être finalement rejeté. Et mon tort a sans doute été de ne jamais lui avoir dit ce que je viens de prononcer.


"Allison m'a dit que tu avais décidé d'être sincère avec les 'Enfants' avant l'Apocalypse, alors moi aussi je veux l'être avec toi".


Il soupire, mais d'une façon qui ne porte plus de peine, rien d'autre que du soulagement et une forme de sérénité encore un peu imprégnée de tout l'alcool qu'il a bu. Et tandis que sa tête se pose sur le côté de la mienne, il me dit :


"Toi et moi, on est comme Bob l'éponge et Patrick. Pas dans cet ordre".

Et je ris doucement.

"J'aurais préféré que tu dises comme Sam et Frodo. Pas non plus dans cet ordre".


Le croirez-vous ou pas, chez nous, ceci ressemble à une très puissante déclaration. Nous restons un instant à regarder en direction de la grille qui sert de porte à la chambre, au delà de laquelle les 'Enfants' chantent des Védas en assemblée, plus heureux que jamais du retour de leur 'messie' et inconscients de la fin imminente qui nous attend peut-être.


"Tu vas leur parler, alors ?", je lui demande.


Et tandis que je peux lire sur le visage de Ben une désapprobation flagrante, Klaus murmure en réponse, conscient de la dévastation qu'il risque de provoquer :


"Pour en être capable, je vais avoir besoin d'ouvrir un sacré paquet de chakras. Et pour m'en remettre, une nouvelle bouteille de whisky".


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Mercredi 20 novembre 1963, 17h16


"Tout est si beau, à cette heure, je peux sentir mon esprit s'ouvrir aux parfums du soir", me dit Jill tandis qu'elle dépose du terreau sur les racines du plant de chrysanthème que je maintiens au centre de la jardinière de transport.


Mes yeux sont perdus quelque part au bout de l'allée qui serpente entre les pins. Elle a raison. La lumière est toujours belle dans les jardins du Manoir, quand vient la fin de l'après-midi. Elle l'est encore plus en ces jours d'automne, tandis que le jaune des soucis d'Inde lui fait écho, mais il y a une point d'angoisse à mon coeur, depuis une poignée de minutes. Depuis qu'une jeune main que je ne connais que trop bien est venue toquer à la porte des "Enfants du Destin". Que Jill elle-même a menée à Klaus avant de venir m'aider ici.


"Lotus Blanc, tu vas bien ?"

"Jill, appelle moi Rin, ça fait trois ans que je te le dis..."

"Rin, tu vas bien ?"

"Je... oui".


Ma voix vient de prononcer ceci, mais mon coeur qui cogne contre mes côtes avoue volontiers le contraire. Dave est venu. Et il est heureux qu'il ne m'ait pas vue jardiner ici, lorsqu'il est passé accompagné de Klaus le long de l'allée qui fend les belles pelouses : je ne sais pas de quelle façon il aurait réagi. Finalement, il semble avoir bien fait le lien entre le pamphlet que je lui ai 'innocemment' glissé, et celui qu'ici on nomme le 'Saint Vagabond', envers et contre tout. Et moi, je n'avais pas réalisé quelle anxiété me provoquerait sa venue, qui se rajoute à celle d'autre chose, se profilant pour ce soir. Ma gorge est serrée. Et je suffoque, d'ignorer comment se passe leur entrevue.


"Je me sens tellement mieux, maintenant", exulte Jill, radieuse comme toujours.

Et Ben, non loin, accroupi dans l'herbe, la regarde en silence, alors qu'elle ignore toujours tout de lui. Elle prend une inspiration interminable, puis déclare comme on relâcherait une posture de yoga :

"Avoir reconnu que j'étais moi aussi un imposteur m'a libérée à un point incroyable."


Alors que nous tassons ensemble la terre autour de la belle fleur épanouie aux couleurs ambrées, je regarde l'étrange foule en vêtements bleu-Tiffany qui vaque ic à sa vie bohème. Le long des allées, sous les pins et jusqu'entre les orangers, de nombreux 'Enfants' se promènent, jardinent eux aussi ou méditent, dans l'indifférence complète par rapport aux événements du matin.


Je n'ai pas la tête à vraiment repenser à ce qu'a fait Klaus. A la façon dont il a finalement décidé non pas de leur annoncer l'imminence de l'Apocalypse, mais plutôt de leur avouer qu'il n'avait jamais été le 'prophète' en lequel ils avaient cru. Je sais que Ben l'y a poussé. Je sais que - lui - voulait simplement qu'ils rentrent chez eux revoir une dernière fois leurs familles. Mais j'ai assisté à cette lamentable démonstration de communication à sens unique, même si je peux vous assurer que Klaus n'a jamais été aussi bon dans un exercice de concision et de clarté.


"Jill..."

Moi aussi je dois être franche et claire, puisque lui l'a été.

"Ce n'était pas une métaphore inspirante, cette fois. Klaus est juste une personne normale, comme toi et comme moi".

"Enfin, Lotus Blanc -"

"Rin".

"Rin, tu sais bien que vous n'êtes pas ordinaire, ni lui ni toi".


Je soupire profondément. Ceci, je ne peux pas le nier, car tous les 'Enfants' le savent. Et le fait que nous 'venions du futur', je ne peux pas non plus l'oublier, même si je ne le dirai pas. Je regarde de nouveau en direction des balcons d'ornements. Les aiguilles des pins bloquent ma vue, mais je devine la silhouette de Dave, face au surplomb qui tombe en direction du bassin.


"Chacun a ses spécificités, Jill, toi... toi tu es brillante, tu..."

Je fronce un instant les sourcils en regardant Ben, comme s'il essayait intensément d'insinuer quelque inception à l'intérieur de mon cerveau.

"Tu sais manier les mots pour convaincre, pour écrire de la poésie. Tu as un don pour cultiver la terre".


Je sais ce qu'il aimerait. Que je matérialise ce que je peux de lui. Qu'il puisse le lui dire lui-même. La regarder dans les yeux tandis que pour la première fois elle le regarderait aussi. Mais je ne le peux pas, car elle ne comprendrait pas et en mourrait peut-être d'effroi. Non, je ne le dois pas, et je sais qu'il en souffre d'autant plus qu'il le comprend, dans son envie furieuse de vivre lui aussi une vie. Alors je continuer de lister ce que probablement il lui aurait dit, lui aussi.


"Tu dessines infiniment bien. Tu es investie et persévérante. Et tu as cette gentillesse que peu d'entre nous ici savent garder envers et contre tout.


Elle rit doucement en touchant son lobe d'oreille - gênée - mais secoue la tête.

"C'est faux, le prophète a raison. C'est ce que je montre de moi, mais à l'intérieur, je ne suis rien d'autre que..."

Nous plaçons une seconde chrysanthème dans la jardinière, sous le regard attentif de Ben, et son sourire retombe quelque peu sous ses lunettes.

"... rien d'autre qu'une fille terrifiée qui a peur de se lancer toute seule dans la vie, et qui a peur de l'avenir".


Elle glousse malgré tout d'un petit rire adorable, et je reste muette devant sa sincérité. Parce que je sais que c'est vrai, et que c'est précisément ce qui l'a conduite à arrêter ses études et à suivre Klaus toutes ces années. Mais elle ne me laisse pas le temps de lui dire quoi que ce soit :


"Alors tu vois ? Je suis bien un imposteur. Et je me sens vraiment tellement mieux depuis que le Saint-Vagabond nous a tous encouragés à l'admettre. C'est comme si toute ma poitrine s'en trouvait libérée. Jamais le Véda 'Je suis libre comme la rivière, je coule librement à travers l'infini' n'a eu autant de sens".


Elle inspire l'air au dessus des soucis d'Inde, de façon exaltée. Nous tassons de nouveau la terre, puis ajoutons une troisième fleur, à côté de ses deux semblables. J'aimerais essayer de la convaincre, même si ça lui ferait possiblement mal. Je devrais sans doute lui dire avec l'aplomb qu'aurait eu ma grand-mère que Klaus est un trou de balle qui a piqué tout son argent, ruiné ses études et perspectives de carrière en la berçant de détails idiots sur le 'futur', dignes d'un wiki pour enfant. Je devrais briser son foutu mythe, en lui disant qu'il passe deux heures aux toilettes s'il mange une pizza quatre-fromage.


Mais je n'en ai pas le temps, et c'est le regard de Ben qui m'indique en premier ce qui se passe, et je tourne à nouveau la tête : Dave vient d'écraser au sol le collier de fleurs qui lui avait été offert, tout en croisant le pas trottinant de Keechie. Je le vois repartir, le pas terne, presque rageur contre Klaus ou contre lui-même, en direction de l'allée de graviers.


Je me relève, mes mains pleines de terre, avec vette furieuse pulsion me poussant à me téléporter pour le rattraper. Mais je ne le dois pas. Je ne dois plus intervenir. Je dois maintenant laisser faire ce qui a pû arriver. Ce n'est plus entre mes mains, possiblement plus entre celles de Klaus non plus. Et il me terrasse simplement de penser que - finalement - la dernière chose que j'aurai vu de Dave aura peut-être été les larmes sur sa joue, son échine courbée, et cette chemise à carreaux qui s'en va inexorablement maintenant, vers le portail de la propriété.


"Lotus Blanc, ça va aller ?"


Je n'écoute plus vraiment Jill, et j'en suis désolée. Je n'ai même plus de force pour rectifier mon prénom pour la onze-millième fois. Ma vue se brouille tandis que Dave vient de disparaître au bout de l'allée.


"Termine le rempotage, s'il te plaît", lui dis-je tandis que Keechie s'en retourne vers la maison sur l'allée de pierre.


Je n'attendrai pas dix secondes de plus, pas même une. *Crac !*, je me téléporte par delà ces maudits pins qui se dressent encore entre la chemise texane de Klaus et moi.


Il est là, à côté du gisant de marbre de l'enfant que Kitty n'a jamais eu. Immobile, comme pétrifié, et à la fois tremblant comme les feuillages des orangers. Son regard est vide, sur le sol minéral. Et il tient - sans la regarder ou même réaliser qu'elle s'y trouve - la même enveloppe couleur crème que celle qui m'a été adressée.


"Est-ce que..."


Les dog-tags ne sont plus à son cou, ils sont dans sa main, sous le papier, et je comprends, tandis que je finis par croiser son regard hébété. Je comprends - oui - qu'il usé de 'l'argument de dernier recours' : qu'il a dit à Dave ce qui allait lui arriver. Je ferme les yeux, je crois que je tremble moi aussi. Car tout autant que nous surplombons à ce moment le grand bassin, nous sommes aussi suspendu au dessus du vide de l'inconnu quant à ce qui va arriver.


"Putain", est tout ce que je sais dire avant d'aller le serrer dans mes bras, et l'enveloppe tombe au sol, ses mains tremblantes ne la tenant simplement plus. Ce qu'il a fait est irrémédiable dans le fil de l'espace-temps, à présent, et peu importe ce qui en découlera, dans l'immédiat, ce qu'il a besoin d'entendre est :


"Tu as fait tout ce que tu as pu".


Je ne sais pas combien de temps nous restons sans rien dire, et personne, non, aucun des 'Enfants' n'ose venir s'immiscer. Et puis comme toujours avec Klaus, ses tremblements semblent se calmer. Comme si son corps et une partie au moins de son esprit étaient capable de reprendre le dessus. Lentement, je sens que je n'ai plus besoin de le soutenir pour qu'il ne vacille pas. Et la première chose qu'il fait, lorsqu'enfin il s'écarte et se mouche pratiquement dans sa manche, c'est de ramasser l'enveloppe qu'il a fait tomber. Celle qui ne comporte aucune adresse et aucun nom.


"Ça a été remis en main propre..." dit-il maladroitement, comme s'il avait douté en être capable.


Puis, avec le même étonnement que moi, la même appréhension aussi, il la décachette. Et mes sourcils sont pincés, car je devine avant même qu'il le produise le soupir de douleur qu'il émet en faisant glisser l'invitation. A la vue de ces lettres élégantes et austères, sous la silhouette du parapluie. Les yeux baissés, je le regarde faire sans un mot, tout en lisant au dessus de son bras.


'A mes poursuivants : Moi, Reginald Hargreeves, sollicite votre compagnie pour un dîner léger, le 20 novembre 1963, à dix-neuf heures trente. 1624 Magnolia Street, Dallas, Texas'.


Je fronce les sourcils.


"Attends", lui dis-je.


Avec un geste intrigué et rapide, je soulève mon tablier de jardinage couvert de terre pour accéder aux poches du jean's à taille haute que je porte. J'en tire la même enveloppe, pliée et repliée sans grand respect et sans honte, que je déplie sous son regard interrogateur.


"Tu l'as reçue aussi...", souffle-t-il avec une forme d'effroi qui n'existe dans sa voix que lorsqu'il évoque son père. "C'est pour ce soir... Mais alors, il sait que nous somme ~tous~ là..."


"Je l'ai reçue hier", lui dis-je, "mais..."


Je tire l'invitation du papier crème. Identique en tous points, à deux exceptions près. La mienne, à la fois similaire et terriblement différente, indique :


'A mes concurrents : Moi, Reginald Hargreeves, sollicite votre compagnie pour un dîner léger, le 20 novembre 1963, à dix-neuf heures précise. 1624 Magnolia Street, Dallas, Texas'.


Pas la même dénomination, pas la même heure. Je relève les yeux vers Klaus, tous les deux nous ne tremblons même plus. Nous restons simplement à admettre l'évidence de ce qui n'aurait jamais dû arriver. Je ne sais pas si nous serons jamais libres. Mais il est clair qu'inexorablement, la rivière coule bel et bien librement à travers l'infini. Il cligne des yeux, puis me regarde à son tour.


"Cette fois, on dirait bien que tu vas le rencontrer".


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Notes :


Je ne remercierai jamais assez Sonderwrites pour avoir donné son sentiment sur les relations qui unissaient Rin et Klaus. A point nommé, sa perspective sur la nature queerplatonique de leur relation a sans doute influencé la première partie de ce chapitre.


Aviez-vous remarqué le gisant derrière Klaus, dans la scène de cet épisode, quand il parle avec Dave ? Je ne pense pas qu'il ait été un choix innocent de la part de Steve Blackman de situer la scène devant cette statue évoquant la mort d'un enfant.


Nous sommes réellement aux portes des possibles, maintenant. Et au seuil d'une invitation bien singulière... à un 'dîner léger'.

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