Le Coeur en Feu
Le lendemain matin, Carlos ouvrit les yeux en sursaut. Il avait fini par s’assoupir, le visage toujours tourné vers TK, sa main dans la sienne. Il eut un mouvement de panique, immédiatement calmé par la sensation tiède de cette main qu’il serrait encore. Sa main n’avait pas bougé, elle était bien là. Vivante. Présente.
Il se redressa lentement, ses vertèbres protestant contre cette position voûtée tenue trop longtemps. Il cligna des yeux, chassant la fatigue. TK dormait encore, les traits tirés mais paisibles, comme s’il récupérait enfin de tout ce que son corps avait subi.
Carlos se leva et s’étira avant de sortir discrètement de la chambre. Il avait besoin d’air. D’un café. D’un instant pour lui, sans machines, sans chuchotements inquiets, sans battements précipités de son propre cœur. Andrea, déjà là, lui proposa de le relayer. Il accepta dans un murmure, déposant un baiser sur sa joue.
Quand il revint, une demi-heure plus tard, un souffle léger d’échange flottait dans l’air. Il ralentit le pas en approchant, tendit l’oreille.
Puis il entendit :
— …je ne savais pas si j’allais me réveiller…
Carlos s’arrêta net, figé.
La voix de TK était encore faible, abîmée par l’intubation, mais elle était là. Réelle. Présente.
Il poussa doucement la porte vitrée.
Andrea se retourna et lui sourit. Le genre de sourire fragile qu’on ne voit qu’après avoir frôlé le pire. Elle se leva doucement, caressa la joue de TK, et sortit, croisant Carlos sur le seuil.
— Il t’attend, dit-elle doucement.
Carlos s’avança, son regard croisant celui de TK, affaibli mais lucide. Ce dernier tenta un sourire, mais ses lèvres se contentèrent de trembler.
— Salut, dit-il péniblement dans un souffle rauque.
Carlos posa son gobelet de café sur la tablette et s’assit à nouveau sur la chaise. Mais cette fois, il ne prit pas immédiatement sa main. Il garda ses bras croisés sur sa poitrine, le regard rivé sur les draps froissés.
— T’as pas dormi ? demanda TK, la voix fêlée par l’intubation.
— Un peu.
Un silence. Lourd, maladroit. Il n’y avait plus l’urgence, plus la peur viscérale de la perte. Seulement le vide qu’elle avait laissé derrière, le chaos qu’elle avait réveillé.
TK avait l’air totalement épuisé, le regard cerné.
— Tu m’as foutu la peur de ma vie, murmura finalement Carlos.
— Je sais…
TK chercha sa main, tendant la sienne faiblement, comme pour s’ancrer à lui. Mais Carlos ne réagit pas immédiatement. Le jeune secouriste avait besoin de son contact, de sentir sa chaleur pour savoir qu’il était bien vivant. C’était un geste désespéré, presque enfantin.
Finalement, Carlos la prit, du bout des doigts, presque comme une formalité. Ce geste fit mal à TK. Ce n’était plus la même chaleur que la veille. Ce n’était plus un geste instinctif, mais un geste mécanique.
— Tu m’en veux encore, souffla TK avec conviction, le souffle court.
Carlos tourna enfin les yeux vers lui. Son regard était sec, presque dur, mais derrière la façade, c’était la fatigue, la douleur, la confusion qui transparaissaient. Avec tout ce que venait de subir son ex-compagnon, le policier se demandait s’il pouvait réellement être honnête.
-Dis-le, souffla TK en clignant lentement des yeux. Il était épuisé.
-Oui.
-Oui quoi ?
-Oui je t’en veux, répondit d’une voix sourde Carlos. Énormément, ajouta-t-il à voix basse.
TK ne détourna pas les yeux. Il avait mérité chaque mot. Il le savait.
— Je sais que je t’ai blessé, reprit le secouriste d’une voix alourdie par l’effort.
Carlos serra la mâchoire.
— Tu m’as trahi, TK, reprit-il d’une voix sourde. T’as tout foutu en l’air. Je ne sais pas comment te le dire autrement… L’appart, nous, toi. Et puis t’as disparu. Tu m’as laissé seul avec... avec tout ça…
Carlos détourna les yeux, les doigts crispés sur ceux de TK.
— Et après, je te retrouve ici, j’ai cru que t’allais mourir. J’ai vraiment cru que j’allais te perdre pour de bon, poursuivit le policier les lèvres pincées. Et je n’ai même pas eu le droit d’être en colère. Parce que j’étais trop occupé à te supplier de rester en vie.
Le silence retomba brutalement.
TK ferma les yeux un instant, comme pour encaisser le coup. Il comprenait très bien. En réalité, il en avait parfaitement conscience. Il savait à quel point il avait fait du mal à Carlos. Mais il ne savait pas quoi répondre. Il se sentait si faible. Il avait l’impression de ne plus rien contrôler. Pas son corps. Pas les mots. Pas la situation. Plus rien. Il voulait juste lui dire à quel point il l’aimait. Le retenir.
— Je suis désolé, murmura TK. Je sais pas…je sais pas comment je peux réparer ce que j’ai fais, ni même si c’est réparable…
Carlos haussa les épaules, amèrement. Il lâcha la main de TK et se renfonça dans le fauteuil à côté du lit.
-Te faire du mal est la dernière chose que je voulais faire, murmura TK.
Carlos baissa la tête.
Un silence s’installa. Pesant. Fragile.
— Je t’ai entendu, je crois… repris TK alors que ses yeux luttaient contre le sommeil. Quand…quand tu me parlais…pendant que j’étais dans le noir, confia TK. Parfois c’était flou… comme un rêve…Mais je suis sûr que tu étais là…
Ces quelques mots apaisèrent curieusement un peu de la colère de Carlos.
— Je ne savais pas si tu m’entendais, répondit le policier. Mais j’ai parlé quand même. J’avais besoin que tu saches… tout. Même ce que je n’avais jamais réussi à te dire avant…
TK hocha légèrement la tête. Sa gorge était trop douloureuse pour répondre longuement, mais ses yeux disaient le reste. Il savait. Il avait entendu. Ou en tout cas, il avait ressenti.
— Je suis désolé, articula-t-il dans un murmure difficile. Pour l’appart, pour le silence… pour tout.
De nouveau Carlos se tût.
— Tu vas partir ? repris soudain TK, presque à voix basse, comme s’il redoutait la réponse.
— Je n’en sais rien, répondit-il honnêtement. Je suis là. Pour l’instant.
TK déglutit face à sa réponse. Il n’avait pas le droit de lui demander de rester. Pas après tous ces longs mois. Pas après ce qu’il avait fait. Il ne pouvait qu’espérer que ce ne soit pas trop tard.
-Je t’aime toujours, avoua TK d’une petite voix tremblante sans oser le regarder.
Carlos le fixa longuement. Il aurait pu dire moi aussi. Mais à cet instant il en était incapable. La douleur était encore trop vive, brûlante. Il aurait pu fuir, repousser cette douleur qui lui collait à la peau. Mais il n’en avait pas la force. Pas encore. Il était là, physiquement. Mais son cœur, lui, était suspendu, figé dans un entre-deux insupportable.
— Je sais… dit-il dans un souffle.
Bien sûr qu’il le savait. Comment l’ignorer.
— Mais j’ai l’impression d’être debout sur des ruines et de ne pas savoir si je dois reconstruire… ou partir, ajouta Carlos.
Les mots tombèrent entre eux comme des pierres. TK inspira, difficilement. Une larme glissa sur sa tempe, et il ferma à nouveau les yeux.
Carlos se leva doucement, hésitant, avant de se pencher vers lui. Il posa sa main contre sa joue, cette fois volontairement. Son pouce traça un geste lent, tendre mais retenu.
TK ouvrit lentement les yeux, incapable de parler, submergé par l’émotion. Ce simple geste le mettait à terre plus qu’il ne l’était déjà. Avec grande difficulté il leva sa main et la posa sur celle de Carlos. Sa tête était si lourde et engourdie. Mais ce simple geste le faisait encore tenir.
Le lien n’était pas rompu. Mais il était fragile. Comme une ligne de vie à peine maintenue. Et pour l’instant, cela lui suffisait.
— Repose-toi, murmura finalement Carlos. On en reparlera quand tu iras mieux. Quand on pourra se dire les choses. Toutes les choses.
Cette conversation avait épuisé TK. Quelques minutes qui l’avaient vidé de son énergie.
Il tomba dans le sommeil en quelques instants sans même s’en rendre compte. A ses côtés Carlos se rassit et les coudes sur les genoux, les mains sur la bouche il le fixait les larmes aux yeux.
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Les jours qui suivirent sa sortie du coma furent d’abord ceux d’un corps étranger à lui-même. Alité, conscient par éclats, TK n’était qu’un souffle court sous des draps blancs, les paupières lourdes, le regard éteint d’un homme revenu de trop loin.
Les arrêts cardiorespiratoires avaient laissé leur empreinte ; une fatigue abyssale, une mémoire en lambeaux des dernières semaines, et une confusion latente. Le cœur, remis en marche par les électrochocs et la volonté obstinée de ceux qui l’avaient ramené, battait désormais avec prudence, comme s’il craignait de trébucher encore.
Carlos – relayé par les collègues de la 126e, Andrea et Owen - restait à ses côtés, chaque jour, chaque nuit, témoin silencieux d’un combat que TK menait désormais avec et contre son propre corps. Ce corps qu’il connaissait par cœur, fort, volontaire, sûr de lui — il ne le reconnaissait plus. Allongé sous les draps trop blancs, TK semblait ailleurs, revenu d’un monde où rien ne tenait encore debout. Il regardait, parfois, sans sembler voir. Il ouvrait les yeux, mais ne les posait nulle part. Il respirait, mais comme s’il s’excusait d’exister encore.
Chaque fonction semblait devoir être reconquise.
Les soins étaient constants, minutieux.
On surveillait les constantes, on ajustait les perfusions. On surveillait son rythme cardiaque en continu. Le souffle par des oxymètres. Les reins par des bilans sanguins quotidiens. La rééducation était à la fois mécanique et intime. On le nourrissait d’aliments liquides, puis mixés, en observant chaque déglutition. Les premiers jours il n’arrivait rien à garder, Les infirmières lui parlaient doucement, sans trop attendre de réponse. On parlait de dysautonomie possible, de risque de séquelles neurologiques, de myopathie de réanimation.
Cela paraissait interminable à Carlos et insurmontable à TK qui flottait dans un épuisement constant.
Des gestes simples — tenir une cuillère, soulever une main, ouvrir les doigts, lever une jambe, boire, manger, s’asseoir avec assistance — demandaient un effort démesuré. La voix, rauque d’avoir été trop longtemps tue, ne revenait qu’en lambeaux. Il fallait l’encourager et l’aider à s’asseoir, d’abord cinq minutes, puis dix. À tenir sa tête, à supporter le poids de son propre torse.
La kiné respiratoire passait matin et soir. Un kinésithérapeute passait aussi deux fois par jour et venait pour mobiliser ses membres, étirer doucement les muscles raidis par l’inertie. Lentement, millimètre par millimètre, comme on réapprendrait à plier du papier après une brûlure. Il fallait éviter l’atrophie, prévenir les escarres, réapprendre chaque mouvement comme une langue oubliée.
Il fallait rétablir des connexions — entre la main et l’objet, entre l’oreille et la consigne, entre le nom et la chose. L’ergothérapeute travaillait son attention, sa mémoire immédiate, ses réflexes.
Les premiers jours, TK dormait après chaque effort, épuisé par les exercices de kiné. Il fallait tout mesurer, doser, espacer. Et ne jamais bousculer. C’était comme si son corps ne lui appartenait plus. Une lutte constante. À lutter contre cette inertie accablante, résidu tenace de la sédation et de l’anoxie. Il transpirait pour un geste infime. Il grelottait sans raison. Le corps avait souffert d’un arrêt brutal, et se débattait encore dans l’écho du silence où il avait sombré.
Carlos restait là, sans un mot. Il l’aidait à boire, parfois à manger. TK dormait souvent, par tranches, épuisé par quelques mots ou exercices. Il fallait du temps. Beaucoup trop de temps.
Et pourtant, Carlos guettait les signes, infimes mais réels : un soupir qui n’était pas un râle. Une main qui serrait la sienne. Un clignement plus volontaire. Une esquisse de présence. Il lui parlait parfois, doucement, même sans réponse. Pas pour combler le silence — pour lui rappeler qu’il était encore là. Qu’on l’attendait. Qu’il pouvait revenir.
Il n’avait pas reparlé de leur rupture ou de leurs sentiments. Ce n’était pas le moment. TK avait besoin de ses proches et de Carlos pour remonter la pente. Le reste viendrait en suivant. Et Carlos n’aurait jamais pu le laisser dans un moment pareil.
Ce n’était pas un retour. C’était une traversée. Lente, fragile, inégale. Mais Carlos restait là. Parce qu’il savait que chaque souffle repris, chaque battement du cœur revenu, chaque pas minuscule comptait. Et qu’aimer, parfois, c’était juste ça : veiller, sans poser de question, sans exiger. Être là, coûte que coûte.
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La lumière déclinait lentement, traçant des ombres longues sur le sol de la chambre. Le rythme lent du moniteur cardiaque et le souffle régulier de l’oxygène nasal emplissaient l’air. Une infirmière venait de vérifier les constantes de TK, d’inspecter son électrocardiogramme et de changer la poche de perfusion contenant les antis arythmiques. Elle le félicitait d’un sourire pour avoir réussi à s’alimenter un peu ce jour-là.
TK esquissa un hochement de tête et murmura un « merci ». Pâle, les traits tirés, il semblait pourtant commencer à reprendre de l’énergie.
Carlos entra quelques minutes plus tard.
— Tu es là, souffla TK, la voix abîmée.
— Bien sûr.
TK était plus conscient, reposé, les joues encore creusées, mais les yeux clairs. Entre eux, le silence s’étirait, pas gênant, mais fragile. Une tension douce, comme le calme avant l’aveu.
-Je ne sais pas… comment m’excuser, reprit le secouriste brisant le silence. Par où commencer. J’ai tout fait de travers.
TK avait besoin de parler. Il fallait qu’il parle. Il ne pouvait plus rester dans les non-dits. Il voulait savoir si Carlos resterait ou non. Si la bataille en valait la peine.
Carlos se leva lentement. Il ne s’approcha pas tout de suite. Il semblait peser chacun de ses gestes. Puis finalement, il vint s’asseoir au bord du lit, face à TK.
-Tu m’as détruit, TK. Et je t’aimais tellement que je n’ai rien vu venir.
TK baissa les yeux, honteux. Sa gorge se serra.
-Je sais. J’ai foutu en l’air tout ce qu’on avait, répondit doucement TK.
-Tu m’as fait croire que je ne comptais plus. Que tu voulais m’effacer, répondit le policier dans un souffle.
Il passa une main sur son visage, épuisé.
-Mais le pire… c’est que même après tout ça, quand j’ai cru que tu allais mourir… je voulais encore te tenir la main. Je voulais encore croire que je comptais pour toi.
-Bien sûr que tu comptes pour moi, murmura TK. Tu es toute ma vie…
-Vraiment ?
Cette simple question tomba dans l’estomac du secouriste comme une lourde pierre au fond d’un lac.
— Tu ne m’as laissé aucune chance TK. Même pas une discussion. Rien. Juste… le vide. Et j’étais là, à essayer de comprendre ce que j’avais fait de mal, reprit Carlos. Alors quand tu me dis aujourd’hui que je suis toute ta vie…je…je ne sais pas…comment je peux encore croire ce que tu me dis…
TK pinça les lèvres, cherchant ses mots.
— J’étais seul, TK, repris Carlos qui avait besoin d’extérioriser ses pensées. Seul avec ton absence, avec l’appart vide, les affaires à moitié rangées, les promesses évaporées. T’as disparu. Sans explication. Sans au revoir. Et même maintenant, je ne sais pas quoi faire de cette douleur. Je ne sais même pas comment te regarder sans revivre tout ça.
Le jeune secouriste soupira les épaules tremblantes.
-Je ne peux pas revenir en arrière. Ni revenir sur ce que j’ai fait. Mais je voudrais qu’on se parle. Je voudrais arrêtez de fuir. Arranger les choses.
-Tu dis ça maintenant, répondit Carlos le front barré d’une ride. Mais qu’est-ce qui me dit que la prochaine fois tu ne vas pas recommencer ? Que tu ne vas pas te refermer comme une huître et tout foutre en l’air ? Et me laisser ?
-Rien…Rien ne peut te le garantir. Juste… que je vais tout faire pour pas que ça arrive. Parce que je veux être avec toi. Vraiment. Plus de mensonges, plus de distance. Je veux te mériter à nouveau.
-Je ne sais pas si c’est suffisant, répondit Carlos.
TK baissa les yeux en essayant de rassembler ses pensées pour tout lui expliquer.
-Je n’ai pas arrêté de t’aimer, tu sais, avoua Carlos. Pas une seule seconde. Même quand j’étais en colère. Même quand j’ai cru que tu allais mourir. Même maintenant. Et je t’aime encore TK. Et ça me fait peur. Parce que quand tu es parti, tu m’as démoli et quand j’ai cru que tu allais mourir…je…s’interrompit Carlos la voix soudain étranglée.
Le policier baissa les yeux, un bras autour de lui-même pour essayer de tenir.
- Je fuyais, admit TK, les yeux brillants. J’avais peur. Je me sentais… piégé. Et ce n’est pas de ta faute. C’est moi, c’est en moi. Cette putain de peur d’être abandonné, ou de devenir dépendant… Je sais que c’est tordu. Mais j’ai paniqué. J’ai paniqué. L’appartement, les projets, la sécurité… C’est con, non ? On rêve tous de ça. Mais moi, j’ai eu peur. Pas de toi. Mais de ce que je pouvais devenir avec toi. De ne plus savoir qui j’étais sans toi. De me fondre dans une image de bonheur que je n’avais pas appris à gérer. Et puis je me suis dit que j’allais tout gâcher, que tu partirais un jour. Et j’ai voulu prendre le contrôle. En fuyant. Avant que tu me laisses. J’ai été lâche…avoua d’un bloc TK.
Le secouriste repris une grande inspiration.
-T’as rien fait de mal, repris TK, la gorge serrée. J’ai fui parce que j’ai cru que je ne valais pas tout ça. Que je ne te valais pas…
-C’est ça le pire, TK. C’est que tu penses que l’amour se mérite. Comme récompense. Mais l’amour, ce n’est pas ça. Ce n’est pas un deal. Ce n’est pas conditionnel. Et t’as pas eu confiance en ce qu’on avait. T’as pas eu confiance en moi. Mais pourtant je suis là. Je reviens. Tous les jours. Et tu sais pourquoi ? Parce que je suis incapable de ne pas t’aimer. Mais ne crois pas une seconde que ça efface ce que j’ai vécu. Ce que tu m’as fait vivre. Tu n’as même pas laissé le droit ou le choix de comprendre, poursuivit Carlos en passant une main dans ses cheveux. Tu m’as fait me sentir…remplaçable…comme un intrus…
Carlos leva lentement les yeux vers lui. Et dans ce regard, TK vit ce qu’il redoutait : de la méfiance, de la peine, de la peur. Mais aussi un amour blessé, comprimé sous des couches de silence.
-Je…je sais que je t’ai fait du mal…je…je le vois…je m’en veux et, je m’en voudrais jusqu’à la fin de mes jours…Mais ce que je ressens pour toi, c’est…ça, ça, n’a jamais cessé…je veux pouvoir réparer ce que j’ai fait. Et pas juste en paroles mais aussi dans mes actes. Je voudrais réparer ce que j’ai, même si ça prend du temps…je voudrais me battre pour toi.
-Je…je ne sais plus comment te faire confiance, répondit Carlos. Je t’ai tout donné et je ne sais pas comment je pourrais…je me sens en danger…je…je t’ai attendu tous les soirs, tous les matins, tous les jours dans ce fichu appartement…tous les jours je me disais que tu reviendrais, que tu avais juste paniqué…et toutes les nuits je me disais…je me disais « peut-être demain » … Je voulais juste que tu viennes me dire que t’avais eu peur. Que tu étais paumé. Pas…pas que…pas je n’étais plus rien…souffla Carlos la voix tremblante et le regard plongé dans les draps.
Et là, sans crier gare, les larmes commencèrent à couler sur les joues de Carlos.
-Je t’ai attendu tous les jours…redit-il la voix brisée dans un murmure.
A l’aide de la télécommande TK redressa le lit médicalisé comme il pût. Il prit la main de Carlos qui s’effondrait devant lui. Le voir ainsi pouvait le tuer. Carlos lâcha finalement prise pour venir au contact de TK son front contre le sien alors qu’il ne pouvait arrêter les larmes de couler.
-Je t’aime, murmura TK, plus que toute ma vie. Je ne pourrais jamais cesser de t’aimer…c’est toi ma vie.