Le Coeur en Feu

Chapitre 26 : Rester ou partir

3024 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 13/06/2025 13:53

Le silence régnait dans la chambre, seulement troublé par le bourdonnement régulier des appareils et les bruits étouffés du couloir. TK, allongé dans le lit, le visage encore marqué par la fatigue, fixait le plafond, les traits tirés mais éveillés. Il commençait à aller beaucoup mieux. Il avait encore besoin de rééducation et de convalescence mais il se relevait.

 

Il pensait à sa conversation avec Carlos, la veille au soir et, espérait que tout n’était pas perdu. Qu’il pourrait de nouveau cheminer ensemble. Il soupira en fixant le luminaire au plafond.

 

C’est Andréa Reyes - la mère de Carlos - en entrant doucement dans sa chambre qui le tira de ses réflexions.

 

-Bonjour TK, dit-elle dans un large sourire chaleureux mais empreint d’inquiétude. Tu as un peu de temps pour moi ?

-Bonjour Madame Reyes. Pour vous toujours.

-Oh je t’en prie appelle moi Andréa. Quand tu m’appelles Madame Reyes j’ai l’impression que l’on s’adresse à ma belle-mère, répondit la matriarche avec un rire cristallin.

 

TK eût aussi un petit rire. Cela lui fit du bien. Le rire.

 

Andréa vint s’asseoir au bord du lit avec cette réserve délicate qu’on adopte devant ceux qui souffrent encore. Elle gardait les mains croisées, le dos droit, les épaules tendues d’une émotion qu’elle ne savait pas encore nommer.

 

-Comment te sens tu aujourd’hui ? demanda-t-elle doucement.

-Toujours fatigué, répondit TK avec un sourire résigné. C’est long tout ça.

-Ton corps à besoin de temps pour se rétablir. Attends un peu avant d’aller courir partout pour des interventions tu veux ? répondit-elle d’une voix douce mais avec tout de même une pointe de fermeté.

-Oui, souffla TK en baissant les yeux.

 

En réalité, plus il se rétablissait plus il voulait justement courir partout et redevenir comme avant. Mais les quelques pas qu’il avait pu faire avec le kiné ce matin-là lui démontrait bien que son corps était encore incertain et avait besoin de temps. Il devait donc se résigner à rester clouer là. Et ses amis de la 126e qui venait le soutenir et raconter le quotidien de la caserne ne l’aidait pas à vouloir rester en place et patient.

 

-TK…

-Oui ?

-Je voudrais te parler de quelque chose. Pour être honnête ma visite n’est pas totalement innocente.

-Ah.

-Carlos m’a dit que…reprit Andréa soudain mal à l’aise.

-Qu’on avait rompu ? Que j’étais parti ?

-Oui. J’aurais aimé que vous me parliez, dit-elle doucement, après un moment de silence. Que vous nous disiez ce qu’il se passait.

 

TK tourna lentement la tête vers elle. Il la contempla un instant, hésitant, le souffle court, comme s’il cherchait ses mots dans les interstices du silence.

 

— Je suis désolé, murmura-t-il. De tout cœur. Je ne voulais blesser personne... mais je l’ai fait. Et je le regrette sincèrement.

 

Elle hocha la tête, sans indulgence facile, mais sans dureté non plus.

 

— Il ne nous a rien dit. Rien. Pendant des mois. Il faisait semblant. De tout. Avec Gabriel on pensait que vous étiez encore ensemble. Jusqu’à ce qu’on reçoive l’appel. Jusqu’à ce qu’il me dise à l’hôpital que vous n’étiez plus ensemble depuis des mois.

 

Il détourna les yeux, fixant un pli dans la couverture comme si c’était là que logeait sa honte.

 

- Je t’ai toujours apprécié, TK, repris Andréa. Comme si tu faisais partie de cette famille. Et j’ai cru que toi aussi, tu te sentais un peu chez toi, avec nous. Mais tu es parti. Du jour au lendemain. Sans rien dire. Pas à nous. Pas à lui. Alors je ne comprends pas.

-Ce n’est pas vous que j’ai fui, répondit doucement TK. Ni lui, pas vraiment. C’est moi. Ce que je devenais à ses côtés. Ce que je croyais lui faire porter.

 

Il inspira doucement, les épaules contractées. Andréa l’encouragea en prenant une de ses mains entre les siennes.

 

-J’ai toujours eu peur que les gens s’en aillent. Que ceux que j’aime finissent par partir, un jour ou l’autre. Alors je pars avant. Je coupe les liens. C’est lâche, je le sais. Mais c’est plus fort que moi. Et c’est surtout plus facile.

 

Andréa le laissa parler, sans tenter de combler les vides.

 

-Quand j’avais seize ans, j’ai eu une mauvaise période. Très mauvaise. J’ai commencé à prendre des choses. Et j’ai glissé. Lentement. Et j’ai touché le fond avant qu’on me tende la main. Avant que Maman ne me tende la main en réalité. Depuis, je me bats contre cette peur-là : celle de rechuter, de ne pas valoir mieux que ça.

 

TK ferma brièvement les yeux.

 

-Et depuis, toutes mes réactions sont souvent incohérentes. Carlos connaît cette histoire mais il est resté. Mais moi, je n’ai jamais cru que ça durerait. Parce que je n’ai jamais cru qu’on pouvait vraiment rester... pour moi.

 

Andréa inspira profondément, son regard toujours posé sur lui. Il lui semblait à la fois si jeune et si vieux. Abîmé, mais vivant. Vulnérable.

 

-Et quand Carlos a acheté l’appartement pour me faire la surprise, j’ai perdu pieds. J’ai eu l’impression de perdre le contrôle, l’impression que tout allait m’échapper. Alors j’ai fui. J’ai encore réagi de manière incohérente. Mais je vous assure que je ne voulais pas lui faire de mal.

-Mais pourtant c’est ce qui est arrivé, répondit doucement Andréa.

 

Elle ne le disait pas pour accuser, mais parce qu’il s’agissait d’une vérité qu’il fallait nommer.

 

-Je croyais que partir, c’était le protéger. Le protéger de moi-même et anticiper le fait qu’il finirait par me quitter. Que rester, c’était l’abîmer encore plus. Et j’avais peur… Peur qu’il me voie comme un fardeau. Qu’il s’épuise à essayer de me réparer. Il mérite quelqu’un de solide. Quelqu’un qui ne tombe pas en morceaux à la moindre secousse.

 

Andréa inclina doucement la tête, attentive.

 

-TK, reprit la mère de Carlos, je me souviens de la façon dont mon fils te regardait lors du repas que vous aviez organisé chez vous avant l’incendie. Et je ne pense pas me tromper en disant que Carlos ne t’a jamais demandé d’être parfait. Il voulait juste être là pour toi. Il t’aimait...et ça se voyait. Tellement. Je n’ai jamais vu mon fils aussi heureux que depuis qu’il te connait. Et, je crois que malgré tout ça il t’aime toujours. Tu n’es pas un fardeau TK. Et je ne pense pas que mon fils n’est jamais prétendu devoir te porter, ou qu’il voulait te quitter pour une obscure raison.

 

TK ferma les yeux un instant. Un soupir long, profond, s’échappa de ses lèvres.

 

-Je le sais maintenant. Mais à l’époque... Je n’en étais pas capable.

-Alors pourquoi ne pas lui avoir dit ça ? Tout ce que tu viens de me dire ? Pourquoi ne pas lui avoir laissé le choix ?

 

TK secoua la tête, avec une fragilité désarmante.

 

-Parce que j’étais égoïste. Parce que j’avais peur. Parce que je ne lui ai pas fait suffisamment confiance pour me dire qu’il me rassurerait sur mes craintes d’abandon. Parce que je trouvais idiot - sans toutefois le lui avouer - de considérer que le laisser acheter l’appartement c’était dire qu’il prenait le contrôle sur ma vie. Et je crois qu’une part de moi voulait fuir avant d’être abandonné. Mais je lui ai tout dit hier soir. Je lui ai expliqué.

 

Andréa soupira. Mais fût pourtant heureuse d’une telle franchise.

 

-Tu as fait une erreur, TK. Mais tout le monde fait des erreurs tu sais. Mais tu es là, maintenant. Et lui aussi.

 

TK la regarda, les yeux brillants d’une émotion contenue. Il hocha la tête, imperceptiblement.

 

-Maintenant j’ai peur qu’il ne revienne jamais et qu’il ne me fasse plus jamais à nouveau confiance, répondit le secouriste d’une petite voix.

-Je ne peux pas parler pour mon fils TK. Mais si tu l’aimes vraiment alors dis le lui chaque jour et bats-toi chaque jour pour ça. Pardonne toi TK et le reste suivra, termina Andréa en resserrant ses mains autour de celles de TK.

 

Carlos s’était arrêté net dans le couloir, le café encore chaud entre ses mains. Il vit sa mère, assise au bord du lit, penchée légèrement vers TK, et TK, le regard posé sur elle, plus ouvert, plus vrai qu’il ne l’avait été depuis des mois.

 

Il ne bougea pas. Il ne frappa pas.

 

Il observa cette scène, tendu, figé, une boule dans la gorge. Quelque chose en lui se fissura. Pas de douleur. Mais peut-être... un début d’apaisement.

 

Alors il resta là. À distance. Et il écouta le silence entre eux comme on écoute un murmure qui pourrait devenir avenir.

 

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Après avoir prononcé quelques dernières paroles réconfortantes Andréa embrassa TK sur le front.

 

La porte s’ouvrit doucement dans un chuintement feutré. Andréa sortit de la chambre, ses pas mesurés, un léger sourire aux lèvres. Elle referma derrière elle avec soin, puis s’immobilisa.

 

Carlos l’attendait un peu plus loin dans le couloir, adossé contre le mur, le gobelet de café vidé entre ses mains. Lorsqu’elle le vit, elle s’approcha sans un mot.

 

Ils restèrent un moment face à face, dans cet entre-deux fragile où les choses se comprennent mieux sans phrases.

 

-Vous avez discuté ? demanda-t-il enfin, à mi-voix.

 

Elle hocha lentement la tête avec un sourire.

 

-Oui.

-Maman…

 

Elle le scruta quelques secondes. Son fils paraissait fatigué, plus qu’il ne voulait l’admettre. Il avait ce regard chargé de nuits blanches, de mots retenus trop longtemps, de sentiments emmêlés comme un fil qu’on n’ose plus démêler. Ni par quel bout le démêler.

 

-Tu n’aurais pas dû nous cacher que vous aviez des problèmes.

 

Il ferma les paupières un bref instant, comme pour se protéger du reproche. Mais il n’y avait pas de colère dans la voix de sa mère. Seulement une inquiétude ancienne, mêlée d’une forme de tristesse douce.

 

-Ce n’était pas à vous de porter ça, souffla-t-il. Je voulais le protéger. Et vous aussi. Je pensais que... si je gardais le silence, ce serait plus simple. Plus propre.

- Ce n’est jamais propre, Carlos. Pas ces choses-là.

 

Il acquiesça en silence.

 

— Tu l’aimes encore ? demanda-t-elle alors doucement, après un moment en posant sa main sur l’avant-bras de son fils.

 

Il mit du temps à répondre. Trop peut-être. Mais lorsqu’il le fit, sa voix était nue, presque douloureuse.

 

— Oui.

 

Andréa le regarda, longuement. Elle voyait l’enfant derrière l’homme. Le garçon aux genoux écorchés, aux silences entêtés. Celui qui n’osait jamais dire qu’il avait mal, mais que tout trahissait. Il était comme son père Gabriel et elle lisait en eux comme un livre ouvert.

 

— Il a peur de l’abandon, Carlos. Et toi, maintenant, tu as peur de l’aimer au point de t’y perdre. Vous êtes pareils. Deux bêtes blessées qui se méfient de ce qui dure.

 

Il serra les lèvres, détourna un peu le visage.

 

— Il m’a quitté sans rien dire Mama, murmura-t-il. Et même maintenant... même en le voyant là... je ne sais pas si j’ai encore la force.

 

-Mi hijo, je sais que c’est dur mais la vie est si courte.  Il revient de loin, lui aussi. Vous revenez tous les deux de loin. Je ne peux pas décider pour vous ni te dire ce que tu dois faire mais si tu considères que vous vous aimez suffisamment alors vous traverserez ça ensemble. La vie se joue parfois sur un coup de dés.

 

Carlos releva les yeux vers elle. Il hocha lentement la tête, et quelque chose dans son regard s’adoucit, imperceptiblement.

 

— Merci, Maman.

 

Elle esquissa un sourire, discret, presque douloureux.

 

— Je ne suis pas ici pour prendre parti. Juste pour vous rappeler, à tous les deux, que parfois... on ne guérit qu’en se retrouvant. Pas en s’éloignant.

 

Elle lui serra brièvement le bras, puis s’éloigna sans bruit, le pas un peu plus léger.

 

Pourtant, elle se retourna avant de s’éloigner complètement.

 

-Mon chéri je voulais te dire aussi que je suis très fière de toi, de qui tu es et de comment tu mènes ta vie. J’aurais dû te le dire il y a bien longtemps mais personne n’est parfait. Et le silence n’est jamais une solution.

 

Carlos la regarda avec un large sourire.

 

-Je t’aime Maman.

-Nous aussi mi corazon, nous aussi. Allez, va le chercher.

 

Carlos la suivit des yeux jusqu’au bout du couloir, avant de pivoter lentement vers la vitre.

 

Dans la chambre, TK s’était rendormi, les traits apaisés, le front lisse, comme s’il avait enfin lâché quelque chose. Carlos le contempla un long moment. Son cœur tambourinait dans sa poitrine, contre ses côtes. Sa mère avait-elle raison ? L’amour pouvait-il suffire ? Carlos pouvait il lâcher prise et le laisser revenir dans sa vie ? Son souffle se fit plus calme. Mais tout son corps crépitait.

 

Il le regarda dormir derrière cette vitre. Ses cheveux bruns aux légers reflets dorés. La forme de son visage, le même nez qu’Owen, ses lèvres légèrement roses et bombées, la forme de ses sourcils et de ses yeux clos.

 

Carlos ferma les yeux un instant, l’entendant rire au loin, voyant son sourire. Voyant son sourcil se soulever tant dans des signes d’étonnement que d’espièglerie. Le regard qu’il posait parfois sur lui sûr et fier. Ses yeux qui s’ouvraient le matin lorsqu’ils vivaient encore ensemble. Les soupirs dans son sommeil. Quand il venait l’enlacer doucement alors que le café coulait et que les journées recommençaient.

 

« Je me disais que…on formait plutôt une bonne équipe ». Le souvenir résonna aux oreilles de Carlos. Il voyait encore les rayons verts danser sur le visage de TK. Ce fût comme si son cœur se contractait soudain violemment : il l’aimait, mon dieu, ce qu’il pouvait encore l’aimer. Il s’appuya d’une main sur la vitre pour se soutenir. Il en arriva alors cette conclusion ; cette vie c’est avec TK qu’il voulait la vivre, et aussi dur que cela serait il devait lui pardonner.

 

Il entra doucement dans la chambre, hypnotisé par la vision du secouriste qui respirait lentement.

 

Il vint s’asseoir au bord de son lit. Carlos porta la main sur son visage et en caressa doucement les contours faisant papillonner les cils de TK.

 

TK s’éveilla doucement en sentant la chaleur de sa main droite contre sa joue.

 

Carlos le fixait. Mais il ne semblait pas vraiment là. Son regard avait changé. Ses épaules n’étaient plus contractées. Carlos le regardait avec des yeux débordant d’amour. TK en retint presque son souffle. Il posa maladroitement une main sur l’une de ses cuisses alors que Carlos lui caressait doucement les lèvres de son pouce.

 

Le policier plaça sa main gauche de l’autre côté de TK sur le matelas sans que sa main droite ne quitte la joue du secouriste. Il se pencha vers lui en fermant les yeux, sans un mot, comme on approche une lumière fragile, de peur qu’elle s’éteigne.

 

Il posa, doucement, ses lèvres sur celles de TK glissant sa main droite sous sa nuque.

 

Le secouriste faillit défaillir à ce contact. Il avait espéré et prié mais n’était sûr de rien.

Leur baiser devint un peu plus intense, Carlos se rapprochant de TK, passant sa main autour de sa taille pour le soutenir contre lui. TK laissa sa main gauche sur la cuisse de Carlos et déposa sa main droite sur son avant-bras. On entendait plus que le ron ron régulier de la machine à oxygène et leurs soupirs.

 

Quand Carlos se détacha finalement il resta les yeux clos le front contre celui de TK. Le secouriste ouvrit les yeux, pour le regarder et le voir à nouveau, sans bouger.

 

-Reviens à la maison, souffla finalement Carlos dans un son à peine audible.

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